Le récit de la Vuelta-volta, un tour complet à pied de la péninsule ibérique. 4800km avec 180000m de dénivelés en liant Via Algarviana, Rota Vicentina, Alta Vía Cantábrica, GR11, GR7… Des montagnes, la mer, des villages, des sites historiques.
Sommaire
1 – Tarifa à Alcoutim
2 – Via Algarviana
3 – Rota Vicentina
4 – Portugal intérieur
5 – Montes de León
6 – GR7 Andalousie
7 – GR7 Valence
8 – Pyrénées Versant sud
9 – Monts Cantabriques
Fin du récit
Toutes les photos :
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Introduction
«Je n’évolue pas, je voyage».
Ces mots, Fernando Pessoa les a écrits à son ami Adolfo Casais Monteiro. Les voyages de l’écrivain portugais étaient plus immobiles que les miens mais cette phrase correspond bien à l’esprit de mes longues marches. Ma vuelta-volta, tour de la péninsule ibérique en 2023 peut sembler très différente de la traversée du Caucase et de la Turquie. Pourtant, je n’évolue pas ; c’est aussi et d’abord un voyage. Depuis plus de dix ans, chacune de mes longues marches en a été un. Ce voyage commence plusieurs mois avant mon départ à la découverte d’un nouveau pays, sa langue, sa culture. Comme pour l’Arménie ou la Géorgie l’année dernière ou d’autres pays auparavant, dès l’automne, je suis parti à la découverte de nouveaux horizons et si l’Espagne m’est relativement familière, le Portugal l’était beaucoup moins.
Parallèlement, j’ai entamé le voyage, immobile cette fois, qu’est la préparation de mon parcours. Pour faire à pied, le tour de la péninsule ibérique, il existe un certain nombre de chemins : la Via Algarviana, la Rota Vicentina, l’Alta Vía Cantábrica, le GR11, le GR7… J’ai comme souvent pris beaucoup de libertés avec les tracés officiels et j’ai enfin complété mon parcours en m’appuyant sur les cartes Opentopomap notamment pour toute la partie à l’intérieur du Portugal.
Vuelta-volta, ces mots virevoltent et pourraient évoquer une joyeuse et anodine promenade après une longue marche dans des terres plus lointaines. Pourtant mon projet pour 2023 ne s’annonce pas si facile. Il y a d’abord la distance. Le tour complet de la péninsule fait 4800 kilomètres. J’en ai déjà parcouru par le passé six cents. Il me reste tout de même 4200 kilomètres pour terminer la boucle. Il y aura aussi du relief. L’Espagne est après la Suisse le pays le plus montagneux d’Europe et j’ai prévu d’en faire le tour en passant au plus près des sommets de la Sierra Nevada, des Pyrénées et des Monts Cantabriques.
Des montagnes, le littoral et aussi de nombreux villages, villes et sites historiques, le parcours s’annonce varié. De Tarifa, à l’extrême sud de la péninsule, je vais d’abord longer la côte atlantique de l’Andalousie en direction de la frontière portugaise. Le Portugal n’est pas très grand mais il me faudra plus d’un mois pour le traverser jusqu’à la Galice. La Vía Algarviana, chemin balisé à l’intérieur des terres me permettra de rejoindre le cap Saint Vincent, extrémité sud-ouest de l’Europe. Je poursuivrai sur un chemin qui commence à être populaire, la Rota Vicentina le long de la côte Atlantique. J’ai ensuite construit mon itinéraire à l’intérieur des terres en évitant l’ouest du pays, plus urbanisé. Je vais traverser une partie plus rurale, moins peuplée et avec un peu plus de relief. Je passerai notamment par le point culminant du Portugal continental, la Torre, juste en-dessous des 2000 mètres d’altitude et aussi par toute une série de sites historiques. Après la vallée du Douro, je rejoindrai la frontière au pied des monts Cantabriques.
À partir de là, cette Vuelta-volta va commencer à se corser. Tôt dans la saison, le temps au nord-ouest de l’Espagne risque d’être encore très humide. Je repartirai alors en Andalousie pour entamer mon tour cette fois dans le sens antihoraire et aborder les premières grosses difficultés avec la traversée de la Sierra Nevada. Si l’enneigement et les conditions le permettent, j’ai prévu de passer par le Mulhacén, point culminant de la péninsule ibérique à 3479m. J’aurai ensuite une autre sierra, celle de Cazorla avant d’arriver à Caravaca de la Cruz où je ferai la jonction avec le parcours entamé l’année dernière. Sur ce GR7, il me reste environ 500 kilomètres, essentiellement dans la région de Valence pour rejoindre la Catalogne. Cette partie se déroule en arrière pays, en moyenne montagne et dans des zones assez sauvages.
Je devrais arriver au début du mois de juin dans les Pyrénées et j’aviserai alors en fonction de l’enneigement, de la météo et de mon envie.
Je pourrai éventuellement faire une pause avant d’attaquer le gros morceau : l’enchaînement Pyrénées-Monts Cantabriques. J’ai prévu ma traversée de la chaîne en évitant les chemins parcourus lors de ma HRP en 2020. Mon itinéraire est cette fois entièrement versant espagnol. Parfois en suivant le GR11, j’ai aussi prévu de passer par des endroits moins connus comme par exemple la Serra del Cadí ou le sud des Encantats. En fonction des conditions, je pourrai même rajouter la trilogie Aneto, Posets et Mont Perdu.
Il me restera alors à rejoindre les Monts Cantabriques. Mon parcours suit plus ou moins la ligne de partage des eaux mais avec quelques adaptations par rapport aux tracés classiques de l’Alta Ruta Cantábrica. Je prévois un crochet dans les Picos de Europa au pied du Naranjo de Bulnes puis un passage par le sommet des monts Cantabriques, la Torre de Cerredo (2648m). Il me restera enfin à faire la jonction avec l’endroit où je me serai arrêté après le Portugal.
Un parcours assez corsé, la culture, l’histoire, de belles découvertes… je n’évolue pas, je voyage.
1 – Tarifa à Alcoutim
5 mars : Tarifa – Zahara de los Atunes

Neuf années plus tard, me revoilà à l’extrémité terrestre la plus au sud du continent européen. Petit rituel, je plonge mes doigts dans l’eau de la Méditerranée puis dans celle de l’Atlantique mais cette fois, je pars plein ouest.
Il y a comme d’habitude du vent à Tarifa. La température est agréable pour marcher. Je suis en short et en t-shirt. Je longe l’océan sur la longue plage de sable des Lances. De l’autre côté du détroit de Gibraltar, me font face les djebels marocains et la ville de Tanger.
Il n’y a pas l’appréhension du début de ma traversée du Caucase et de la Turquie. L’année dernière, à Agarak, j’avais 2000 mètres de dénivelés pour débuter dans des montagnes sauvages. Aujourd’hui, je suis serein. Il est difficile de commencer plus en douceur qu’ici. Pendant plusieurs jours, je vais longer la côte, assez plane avec régulièrement des stations balnéaires. Je n’ai pas eu à prévoir des marches de mise en forme. Le corps va pouvoir s’habituer progressivement et tranquillement. Alors j’en profite avec un café sur une terrasse face à la mer puis la visite de l’ancienne cité romaine de Baelo Claudia.
En fin de journée quelques montées sur les falaises puis du sable plus mou le long de l’océan corsent un peu la journée. Le temps est plus couvert que ce matin mais je poursuis jusqu’à Zahara de los Atunes. Avec un bon trente kilomètres pour une première journée, j’ai gagné ma caña voire même ma jarra*.
Caña : demi – jarra : pinte
6 mars : Zahara de los Atunes – Conil de la Frontera
Comme d’habitude, le corps a du mal les premiers jours. Plus de trente kilomètres pour débuter, ce n’est pas l’idéal. Ce matin au réveil, les muscles sont douloureux. Les prévisions météo sont mauvaises pour la journée et j’ai à nouveau prévu un peu plus de trente kilomètres. Je quitte Zahara de los Atunes tôt, les pluies devant être plus conséquentes en fin de journée. À nouveau, je longe le littoral. La marée est basse, le sable est ferme, les muscles se sont réchauffés, j’avance correctement. Après Barbate, le sentier grimpe au sommet de falaises. J’ai même quelques éclaircies et je peux profiter de belles vues.

Puis comme prévu, la pluie refait son apparition. J’avance sous mon parapluie. Trafalgar, morne cap ! La houle est forte. Je dois m’éloigner du bord de mer et du sable ferme. La marche est plus difficile. Je finis par me replier le long de la petite route côtière puis sur un chemin en retrait de la plage jusqu’à Conil de la Frontera. Je m’installe rapidement à l’hôtel pour me reposer. Demain, j’ai à nouveau trente kilomètres.
7 mars : Conil de la Frontera – San Fernando
La bière est appréciée ce soir à San Fernando. Hier soir, le temps était tellement mauvais que traverser la rue pour aller au supermarché était déjà une épreuve. Le vent, la pluie m’ont découragé à aller plus loin trouver un bar ou me promener dans le centre de Conil de la Frontera. Dans les stations balnéaires de la Costa de la Luz, la saison n’a pas vraiment débuté et certains coins sont encore déserts voire sinistres avec tout fermé. À priori Conil est assez joli mais le temps ce matin ne se prête toujours pas à la balade. Je sors mon parapluie et poursuis le long de la côte. Le sentier est assez joli en haut de falaises malgré la lumière grisâtre. Le temps ne se prête pas non plus pour faire des pauses. Du coup, je marche d’un bon pas. Huit kilomètres tout droit sur la longue plage de la Barrosa, c’est quand même long. Heureusement, c’est marée basse et je peux marcher sur le sable mouillé.

Après la traversée du canal de Sancti Petri en bateau, je ne peux pas prolonger en bord de mer en direction de Cadix. Toute cette zone est un terrain militaire. Les soldats courent de partout. Ça tire dans tous les sens. Les Russes sont prévenus, l’armée espagnole se tient prête.
Cadix n’est pas loin mais je n’irai pas au-delà de San Fernando. Presque cent kilomètres pour les trois premiers jours, c’est bien assez. Les muscles sont toujours douloureux. J’ai une première ampoule au pied. Heureusement, demain j’ai une petite journée.
8 mars : San Fernando – Cádiz (Rota)
L’île de León où se trouve San Fernando et celle de la ville de Cadix sont reliées par un étroit cordon littoral où se trouve l’autoroute et la voie ferrée. C’est dans un environnement bruyant avec le passage des trains et la circulation automobile que je marche en direction de la ville la plus ancienne de l’occident (selon les brochures touristiques locales). L’antique Gádir a été fondée par les Phéniciens il y a plus de 3000 ans.
Cadix est aussi mon premier jalon sur les pas des grands navigateurs. Jusqu’à la pointe sud-ouest du Portugal, je vais passer par plusieurs ports qui ont joué un rôle important dans l’histoire des découvertes maritimes. Christophe Colomb est parti d’ici pour sa deuxième expédition et la ville s’est enrichie grâce au commerce avec les Amériques. Mais Cadix a souffert du tsunami dû au tremblement de terre de Lisbonne en 1755. Des vagues de 10 à 15 mètres de hauteur ont submergé la côte et de nombreuses localités comme Conil ou Huelva ont été détruites.
Quelques éclaircies entre deux averses me permettent de profiter d’une belle lumière pour visiter la ville.

Pour quitter l’île de Cadix, j’avais initialement prévu de débarquer à Puerto de Santa María mais un ferry dessert Rota plus à l’ouest de la baie. Cela m’évite dix-huit kilomètres de marche sur des routes pour contourner l’immense base aéronavale utilisée par l’Espagne et les États-Unis. J’ai peu marché aujourd’hui mais j’ai pas mal avancé en direction de l’ouest et mon corps a pu un peu récupérer.
9 mars : Rota – Sanlúcar de Barrameda
La petite étape de la veille m’a fait du bien. Je me réveille avec les muscles moins douloureux et me dirige vers la plage de Rota pour une nouvelle longue marche le long de la mer. C’est un peu monotone mais j’ai finalement de la chance. Le matin, la marée basse dégage de vastes espaces de sable ferme et le temps nuageux, frais est idéal pour avancer à un bon rythme. Je trace sans penser à grand chose en me fixant un repère loin, très loin devant. J’ai encore deux journées sur la plage avant de rentrer à l’intérieur des terres.
À Chipiona, je me dirige vers l’embouchure du Guadalquivir. Demain matin, je prendrai le bac pour traverser le fleuve.
Compte tenu de sa situation, en aval de Séville, Sanlúcar de Barrameda a été un port important de départ des grands navigateurs. Christophe Colomb est parti d’ici lors de son troisième voyage en 1498 ; Francisco Pizarro, le conquérant de l’empire Inca aussi.

Mais la grande expédition liée à l’histoire de la ville, c’est celle de Fernand de Magellan. Le 20 septembre 1519, il a pour la dernière fois de sa vie foulé le sol européen à Sanlúcar de Barrameda. Trois ans plus tard, le 6 septembre 1522, sur les cinq navires et 237 membres d’équipage, un seul, la Victoria, commandée par Juan Sebastián Elcano et avec dix-huit hommes parvient à revenir ici. Le premier tour du monde a été effectué à partir de Sanlúcar de Barrameda.
10 mars : Sanlúcar de Barrameda – Matalascañas
Avant de prendre le ferry pour traverser le Guadalquivir, je prends mon café dans un des rares bars ouverts tôt le matin. La télévision est allumée. Les habitués consomment au comptoir avant d’aller travailler. Un client joue (et gagne) à la machine à sous. Sur le mur, l’image du calendrier est une Virgen Dolorosa. Pas de doute, je suis en Espagne.
Il est parfois des étapes qui génèrent de l’appréhension : un glacier ou des pentes escarpées à passer, des secteurs où je n’ai recueilli aucune information, le manque d’eau… C’est aussi le cas ce matin et pourtant je n’ai rien de bien difficile au programme : un peu plus de trente kilomètres sans dénivelés. Mais j’appréhende cette marche entre Sanlúcar de Barrameda et Matalascañas. Je suis dans le parc national de Doñana et pendant six bonnes heures, sur trente deux kilomètres, il n’y a rien : pas une route, pas une habitation, rien qu’une longue plage rectiligne.
Débarqué rive droite du Guadalquivir, je me mets en marche sur la plage prêt à affronter l’épreuve du jour. Finalement, j’ai de la distraction. À marée basse, des dizaines de pêcheurs ramassent des coquillages. Équipés d’une bichette, ils raclent le sable à la recherche de la spécialité locale : la coquina. Ce petit coquillage (donax trunculus pour son nom scientifique) est ici très apprécié. Un pêcheur me dit que c’est très bon avec une sauce à l’ail et au vin blanc. Je pensais marcher sur une plage déserte et il y a finalement de l’animation, du monde, un va et vient de scooters et de 4*4.

Puis la marée commence à monter, la plage se vide. Je presse le pas pour éviter d’avoir à me replier sur le sable sec et mou. J’arrive à Matalascañas pas trop tard, un peu fatigué. Les mollets sont rouges après cette première journée de plein soleil. Demain, je remets ça avec à peu près la même distance, toujours en bord de mer.
11 mars : Matalascañas – Mazagón
Je retrouverai l’océan Atlantique dans une quinzaine à l’extrémité sud-ouest du Portugal. Après une semaine complète en bord de mer, cela va faire un peu de changement et rompre avec la monotonie des deux dernières journées. Pourtant l’environnement est agréable avec l’océan et aujourd’hui des dunes aux belles couleurs ocres-rouges mais cela manque de variété pendant les six à sept heures de marche.

Le gros avantage, c’est que je trace en direction de l’ouest. À l’échelle de la carte de l’Espagne, la progression se remarque. Je pense que d’un point à l’autre, la distance à pied doit être proche de celle à vol d’oiseau. Je ne sais pas si même un oiseau ne fait pas plus de distance que j’en ai parcourue entre Sanlúcar de Barrameda et Mazagón.
Ce soir entre le camping et l’hôtel, j’ai opté pour la solution la plus confortable. La différence de prix n’est pas très importante et j’ai imaginé que peut-être je pourrai regarder le rugby. Mais, c’est peine perdue. Au bar, le serveur passe en revue les différentes chaînes sportives. Sur au moins une dizaine, des matchs de football sont retransmis mais aucune n’accorde de l’importance à l’affiche rugbystique du jour entre l’Angleterre et la France. Il aurait fallu aller peut-être à Huelva. Mais Huelva, c’est pour demain.
12 mars : Mazagón – Huelva
Dans la pinède, après une semaine en bord de mer, le silence surprend. Je n’ai plus le grondement permanent des vagues et je marche dans ce calme avec juste quelques gazouillis d’oiseaux. Par endroits, la pinède cède la place à d’immenses serres pour la culture des fraises. En ce dimanche matin, les ramasseurs, africains, indiennes d’Amérique latine avec leurs chapeaux colorés s’activent. Je retrouve cette population multiethnique en arrivant à Huelva autour d’un vaste marché en plein air. Plus loin, des drapeaux espagnols flottent au vent. Vox, le parti d’extrême droite créé il y a dix ans tient un stand. Ils ont obtenu ici 14% des voix aux dernières élections.
Avenidas Cristóbal Colón, de los Conquistadores , hôtels La Pinta, Carabela Santa María ou Martín Alonso Pinzón…pas de doute, depuis hier, je suis sur les terres de la découverte des Amériques. Le 3 août 1492, Christophe Colomb est parti de Palos de la Frontera. C’est aussi le village natal des deux frères Pinzón, Martín Alonso et Vicente Yáñez, compagnons du navigateur. Une caravelle, la statue avec les deux frères rappellent ce passé glorieux.

Huelva fait face à Palos de la Frontera. « La ciudad donde todo comienza » (La ville où tout commence selon le slogan). Il y a quatre jours, j’étais à Cadix, la ville la plus ancienne de l’occident. Mais, ce titre est ici aussi revendiqué. Cela me rappelle tous les villages les plus hauts d’Europe que j’ai traversé lors de mes différentes marches. Pour l’ancienneté, si les Phéniciens avaient fondé Cadix il y a trois mille ans, Huelva met la barre plus haut. Les Turdétans, peuple ibérique se serait installé ici il y a cinq mille ans.
C’est donc la ville la plus ancienne de l’occident, la ville où a débuté la découverte des Amériques et aussi la ville avec le club de football le plus ancien d’Espagne (il y avait une importante communauté britannique liée à l’exploitation des mines dans le nord de la province). Beaucoup de titres de gloire mais finalement pas énormément de sites à voir et je peux passer une après-midi tranquille.
13 mars : Huelva – Presa de los Machos
La sortie de Huelva a été désagréable. Le pont avec la piste cyclable était fermé pour travaux. Je me suis replié sur celui de la quatre voies ce qui n’a pas été du goût de la guardia civil… J’ai échappé aux 200€ d’amende en me montrant indigné que rien ne soit prévu pour les piétons et les cyclistes pendant la durée des travaux.

Passé cette sortie urbaine, la suite a été plus agréable avec essentiellement des chemins dans la pinède ou les champs d’orangers. Pin, fleur d’oranger, eucalyptus, les parfums se succédaient et se mêlaient tout le long de ma marche. Je remonte vers le nord jusqu’au point de passage avec le Portugal. Et en m’éloignant de la côte et des zones urbaines, je suscite un début d’intérêt. À Waingunga, Fabián, le patron était intéressé par ma marche. C’est la première fois que cela m’arrive depuis mon départ. Waingunga est un centre de vacances avec camping et chambres perdu en pleine nature. Il n’y a aucun client ce soir et une fois parti le personnel, je serai absolument seul. Ils me laissent m’installer gracieusement sur place. C’est un peu comme du camping sauvage mais avec une douche chaude, de l’électricité, l’eau courante, les toilettes et même une bière. Bref, le grand luxe!
14 mars : Presa de los Machos – Sanlúcar de Guadiana
J’ai un peu poussé la machine aujourd’hui. Il ne faut pas s’emballer mais le corps commence à s’habituer à la marche quotidienne. Je me suis senti bien. Les chemins étaient agréables. J’ai commencé dans des pinèdes sauvages couvertes de cistes blanches en fleur. J’ai poursuivi dans des zones de culture avec orangers, quelques serres de fraisiers et nouveauté, d’immenses plantations d’avocatiers. Après San Silvestre de Guzmán, le paysage a changé avec des collines, plus arides, peu de cultures et un peu d’élevage. Le final, avec un sentier sur les bords du Guadiana était très beau.

À Sanlúcar, j’ai eu ma quatrième traversée en bateau depuis le départ avec un petit ferry pour arriver à Alcoutim, au Portugal et passer une première fois la frontière. Et quelle frontière ! C’est une des plus anciennes en Europe. Elle a été déterminée lors du traité d’Alcañices. Signé en 1297, c’est le plus vieux traité toujours en vigueur. Hormis une courte période de domination du Portugal par la couronne de Castille, cette frontière est restée identique au cours des siècles. Identique oui mais, il y a une exception : la ville d’Olivence. C’est un peu le Donbass du Portugal. Olivence a été annexée par l’Espagne il y a deux siècles et devait être restituée. Cela n’a pas été fait. La ville s’est hispanisée et le portugais a pratiquement disparu. Ce litige n’est pas officiellement réglé. Les Portugais considèrent toujours qu’elle fait partie de leur territoire. Pour le moment, cela n’a heureusement pas déclenché de conflit entre les deux pays.
J’ai terminé la première partie de ma Vuelta-Volta et je passe maintenant à la Via Algarviana. Les dix premières journées ont été agréables, de belles parties sur la côte, pas de difficultés et dans des conditions confortables avec une seule nuit sous tente. C’était aussi une marche solitaire. Dans ces zones touristiques, un marcheur ne suscite pas d’intérêt particulier. C’est un touriste parmi d’autres.
Je suis donc content de passer à un nouveau chapitre. Je ne sais pas si je ferai plus de rencontres mais il y aura déjà le plaisir de la découverte d’un nouveau pays. J’avais écrit en introduction que l’Espagne m’était relativement familière et dans ma préparation, je me suis focalisé sur le Portugal. Cela a généré de l’attente. Maintenant, il faut que je me lance pour pratiquer mon portugais et je me lance avec une certaine délectation. Pour commencer, ce soir, après cette longue étape, je mérite plus qu’une imperial*, j’ai droit à une caneca**.
*Imperial: demi – **caneca : pinte
2 – Via Algarviana
15 mars : Alcoutim – Furnazinhas
Après avoir imaginé un chemin de Tarifa au Portugal, je vais maintenant suivre un tracé officiel, la Via Algarviana jusqu’à l’extrémité sud-ouest de l’Europe, le cap Saint Vincent. Elle a été imaginée pour irriguer le tourisme vers l’intérieur des terres. Le sud du Portugal est une destination phare mais essentiellement tournée vers les plages de la côte sud.
Comme d’habitude, j’ai prévu quelques adaptations avec le tracé officiel. C’est le cas à la sortie d’Alcoutim où j’opte pour un chemin beaucoup plus direct au prix d’un petit passage dans la végétation. Une fois sur la Via Algarviana, j’apprécie le confort d’un chemin très bien balisé. Il n’est pas nécessaire de consulter le téléphone pour s’orienter. Il suffit de suivre les panneaux.

Cette région est très peu peuplée. Je traverse comme côté espagnol des paysages de collines assez sèches. Les petits hameaux sur le chemin sont presque déserts. Les maisons sont modestes mais certaines sont belles avec leurs murs chaulés, les encadrements de portes et fenêtres colorés et les cheminées typiques de l’Algarve. Il n’y a bien sûr aucun commerce ou bar. Mi-mars, il fait déjà chaud. Je n’ose imaginer l’été ici. Le soleil est fort et je profite d’une des rares rivières sur mon parcours pour une baignade rafraîchissante.
Je suis un chemin officiel mais il n’y a pas foule. Deux randonneurs étaient devant moi mais je ne les ai pas rejoint avant Furnazinhas. Avec la Via Algarviana, il existe quelques petites structures d’accueil comme ici à Furnazinhas. J’en profite car la suite, en m’éloignant du tracé, est plus incertaine.
16 mars : Furnazinhas – Cachopo
J’ai un peu modifié mon parcours initialement prévu. À Cachopo, je suis resté sur la Via Algarviana et cela me permet d’avoir une solution d’hébergement pour la nuit. Comme hier, il y a peu de villages et peu de points d’eau. Dans ces conditions, je préfère le confort d’une chambre au bivouac dans un endroit sec.

Dans cette campagne presque déserte, je ne vois ni randonneurs ni habitants. J’apprécie donc aussi de pouvoir discuter avec les locaux ici à Cahopo. La dame qui m’héberge fait aussi du tissage avec du lin cultivé localement, de la laine et du coton et elle me montre son installation. Je discute aussi avec la propriétaire du bar. J’arrive à peu près à comprendre. C’est un peu plus difficile pour s’exprimer. Il faut que je pratique et j’en ai pas trop la possibilité.
Je vais maintenant laisser la Via Algarviana pour aller plus directement vers l’ouest. Cette fois, il va certainement falloir utiliser la tente.
17 mars : Cachopo – São Barnabé
Le Portugal est le troisième pays au monde pour la part de personnes de plus de 65 ans. Ils représentent plus de 22% de la population. Seuls le Japon et l’Italie le devancent. Dans les villages et hameaux que je traverse, je ne vois pratiquement que des personnes âgées. À Furnazinhas, elles étaient assises sur un banc le soir à discuter. Hier, dans le bar de Cachopo, hormis la serveuse et moi, il n’y avait pas de jeunes.
J’ai quitté la Via Algarviana. Je ne la retrouverai que brièvement dans la Serra de Monchique. Elle descend plus au sud ; mon tracé est plus court d’une quarantaine de kilomètres en marchant à la limite de l’Algarve et de l’Alentejo, l’Algarve « à l’ouest » selon son étymologie arabe et l’Alentejo « au-delà du Tage » (pour celui qui vient du nord du Portugal).

Je continue sur des chemins sans bitume ; ils sont souvent balisés PR (petite randonnée). Les paysages sont agréables, avec plus de verdure et des rivières qui coulent. Après une longue pause au restaurant à Ameixial, je reprends avec comme vague objectif São Barnabé. Les jours sont encore courts et je termine presque à la nuit. Dans le village, il y a un bar. La bière récompense cette longue journée. Par contre, pour dormir, ce sera sous la tente.
18 mars : São Barnabé – São Marcos da Serra
Il a plu cette nuit mais je suis resté au sec. Au bar hier soir, on m’a proposé d’installer ma tente à l’abri de la terrasse. Je ne regrette pas et j’ai le confort des tables et chaises pour préparer mon petit déjeuner. La pluie de la nuit a apporté de l’humidité. Il fait frais, il y a de la brume pour commencer ma marche.
Il y a encore au Portugal des bars même dans certains petits villages. C’est le cas à Azilheira. Il y a même ici une épicerie. C’est pile à mi-étape et la pause est appréciée. Il y a quelques clients, comme hier soir à São Barnabé mais nous ne sommes pas en Turquie. Un étranger qui arrive à pied hors circuit de randonnée, ne suscite pas de questions. Le Portugais ici est discret.
J’ai peu de péripéties à raconter. Il n’y a pas de clôtures, de ronces, ni même d’ours ou de chasseurs qui me tirent dessus. La marche est tranquille. Les paysages sont assez verdoyants malgré quelques secteurs qui ont brûlé récemment.

Je poursuis jusqu’à São Marcos da Serra pratiquement intégralement sur des chemins. C’est le cas depuis que je suis arrivé au Portugal. Mais la contrepartie de ces bonnes conditions, c’est que j’avance à un rythme assez soutenu. À la fin de la journée, je sens mes jambes et j’apprécie le repos dans une chambre d’hôtel à São Marcos da Serra.
19 mars : São Marcos da Serra – Monchique
À 650 mètres d’altitude avant de descendre vers Monchique, la vue s’étend de la côte sud à la côte Vicentine à l’ouest. J’ai face à moi le mont Fóia, point culminant du massif et de l’Algarve à 902 mètres d’altitude. Je suis dans le domaine de l’eucalyptus. Les collines sont couvertes de plantations ou dégagées suite à des coupes. Comme hier, le feu a fait des dégâts à différents endroits.

La Serra de Monchique est assez populaire. Je croise des randonneurs et promeneurs. Des maisons sont achetées et rénovées par des étrangers. Pour les touristes de la côte sud, c’est l’excursion nature à proximité des plages. Pour ceux qui veulent s’installer au Portugal, c’est un endroit un peu plus tranquille que le littoral et avec un peu de fraîcheur (cela doit être tout relatif en période estivale). Arrivé à Monchique, il y a l’animation des petites villes touristiques un dimanche avec de nombreux bars, boutiques, ateliers d’artisans. Après une première partie rurale et assez isolée, j’aborde un Portugal différent.
20 mars : Monchique – Lagos
José Saramago, le seul écrivain lusophone à avoir reçu le prix Nobel de littérature, écrit dans ses « Pérégrinations portugaises » au sujet de l’Algarve : « Il entre dans un hôtel pour savoir s’il y a une chambre et il n’a pas encore ouvert la bouche que déjà on lui sourit et on lui parle en anglais ou en français…Dans cet Algarve, toute plage qui se respecte s’appelle beach, le moindre pêcheur est un fisherman. » Je peux confirmer. Mes tentatives d’engager la conversation en portugais ont échoué. C’est en anglais que l’on me répond.
Lagos est une importante station balnéaire de cette touristique côte de l’Algarve. Je suis dans une ambiance internationale avec pubs irlandais, pizzerias, restaurants japonais, grandes enseignes de fast-food, magasins de souvenirs.
Pourtant, la ville a un passé prestigieux. Le long de mon parcours, après Sanlúcar de Barrameda (Magellan), Palos de la Frontera (Christophe Colomb), c’est le troisième port important dans l’histoire des grandes découvertes, cette fois côté portugais. Ils ont débuté d’ici leurs explorations. La première conquête en Afrique a été Ceuta en 1415. En 1434, Gil Eanes, originaire de Lagos, navigue au-delà du redouté cap Bojador, sur la côte de l’actuel Sahara Occidental. Aucun navigateur n’osait aller plus au sud, dans la mer des Ténèbres, entourée de légendes de monstres marins.
« Quem quer passar além do Bojador,
Tem que passar além da dor » écrit Fernando Pessoa
(Qui veut aller au-delà de Bojador
Doit aller au-delà de la douleur).
Petit à petit, les téméraires marins portugais vont s’aventurer plus loin. Bartolomeo Días passe le Cap de Bonne Espérance. Vasco de Gama ouvre la route des Indes. Pedro Álvares Cabral découvre le Brésil et João Fernandes Lavrador, Terre-Neuve et le Labrador. Mais après Lagos, c’est de Lisbonne que sont partis ces marins.

De ce passé prestigieux, la ville de Lagos n’a pas conservé beaucoup de vestiges. Comme beaucoup d’autres villes sur cette côte sud, elle a été dévastée par le tsunami dû au tremblement de terre de Lisbonne en 1755. Alors après une nouvelle longue journée de marche, c’est au « Bon vivant café » que je bois ma bière, musique anglo-saxonne, clientèle étrangère. Je suis à Lagos, Portugal.
21 mars : Lagos – Sagres
C’est une très belle journée sur la côte sud de l’Algarve. Le chemin est spectaculaire dès la sortie de Lagos avec des falaises, quelques plages et peu d’urbanisation. Le sentier est en plus bien balisé, facile à suivre et sans grandes difficultés. Je continue à bénéficier de superbes conditions pour la marche. Il fait frais le matin et au plus chaud de la journée, cela reste supportable. Je me suis donc régalé. Parti tôt, j’ai fait une longue étape en prenant mon temps pour profiter du paysage, faire des pauses café et bière en fin de journée. Je me suis même baigné. Cela a été rapide. L’eau est encore fraîche. Ce sera d’ailleurs peut-être la dernière baignade. Demain, j’entame ma marche sur la côte ouest. L’eau y est plus froide et la mer plus agitée.

Je n’avais pas d’objectif précis. J’ai longtemps hésité à planter ma tente pour la nuit puis finalement la proximité de Sagres m’a décidé à aller jusque là.
La ville de Sagres est liée au roi Henri dit le Navigateur. Pour les Portugais, c’est une figure importante de leur histoire. C’est sous son règne qu’ont débuté les grandes expéditions avec la prise de Ceuta, le passage du Cap Bojador, les découvertes de Madère et des Açores. Il a favorisé à Sagres l’étude de la géographie et de la navigation et est mort ici en 1460. Le nom de la ville est donc important pour les Portugais. La principale bière du pays a d’ailleurs repris ce nom comme un symbole national.
3 – Rota Vicentina
22 mars : Sagres – Carrapateira
« O Reino Lusitano
Onde a terra se acaba e o mar começa »
(Le Royaume Lusitanien
Où la terre se termine et la mer commence)
Les mots du grand écrivain portugais, Luís de Camões dans son épopée épique « Les Lusiades » prennent au Cap Saint Vincent tous leurs sens. Je suis à l’extrémité sud-ouest du continent européen. J’aime ces confins et c’en est un nouveau pour moi en Europe. Les falaises tombent dans l’océan et pendant des siècles, au-delà, c’était le néant.
Luís de Camões est la figure tutélaire de la littérature portugaise. Il a écrit à la fin du XVIè « Les Lusiades », un poème épique racontant en plus de 8000 vers les grandes expéditions et en premier lieu celle de Vasco de Gama. Dans le programme scolaire, c’est un incontournable pour tous les écoliers portugais. Le prix Camões récompense les meilleurs écrivains lusophones et le jour de sa mort est fête nationale.

Le Cap Saint Vincent est une étape importante pour moi. J’ai terminé ma traversée de l’Algarve d’est en ouest et maintenant, je remonte vers le nord sur la Rota Vicentina. La Via Algarviana a été une belle promenade dans le Portugal rural. C’était une marche solitaire mais agréable sur de beaux chemins tranquilles.
La Rota Vicentina, c’est tout autre chose. Sur les forums de randonnée, quand quelqu’un se renseigne sur une marche à faire en hiver ou au printemps, c’est la randonnée qui est majoritairement proposée. Le climat permet de marcher en cette saison et la côte ouest du Portugal est sauvage avec pratiquement aucune urbanisation. Alors après la solitude de la Via Algarviana, je découvre la popularité de la Rota Vicentina. Je vois arriver des vagues de marcheurs (surtout quand il s’agit d’Italiens qui, comme on le sait, se déplacent en groupe…). C’est curieux mais ce chemin est très féminin quant à sa fréquentation. Il n’y a pas quand même en permanence la foule. Je me promène solitaire sur des plages. Les paysages sont superbes. Je fait à nouveau une longue étape et arrivé à Carrapateira, j’ai des difficultés à trouver pour me loger. C’est la contrepartie de la popularité de la Rota Vicentina.
23 mars : Carrapateira – Aljezur
L’étape était un peu plus courte aujourd’hui et un moins spectaculaire que les deux précédentes. Après un passage en bord de mer au départ, la Rota Vicentina poursuivait sur des pistes, parfois sablonneuses, à l’intérieur des terres avec un seul passage en bord de mer.

J’ai donc terminé un peu plus tôt que d’habitude. Cela m’a laissé du temps pour regarder si je pouvais acheter un bien immobilier à Aljezur. Il y a ici une petite maison de village de 60m2 à vendre. Elle est de plain-pied, sans jardin, donnant directement sur la rue et à rénover complètement. Comme pourrait dire l’agent immobilier, un petit nid douillet à aménager à son goût. Ce pied-à-terre dans un village typique de l’Algarve est proposé à 210000€. Il s’agit bien des euros et non des escudos…Pour commencer à avoir quelque chose de « normal », disons habitable avec deux chambres et du terrain, il faut plutôt le demi million d’euros. Le Portugal a peut-être été un paradis pour l’acquisition de biens immobiliers mais cela semble terminé. C’est un gros problème pour les Portugais qui ne peuvent plus se loger. Pour alimenter l’offre de location, le gouvernement envisage une loi controversée qui obligerait à mettre sur le marché tous les biens inoccupés. Cela a créé des protestations notamment des propriétaires émigrés à l’étranger qui gardent une maison au pays.
Au supermarché, le tableau n’est pas plus réjouissant pour le Portugais. Le salaire minimum est de 822€ et le salaire moyen un peu supérieur à 1000€. J’avais le souvenir de prix bon marché et notamment moins élevés qu’en Espagne. J’ai presque l’impression que c’est maintenant le contraire et certains prix sont assez proches des prix français. Je ne faisais pourtant pas mes courses dans une épicerie de village mais une moyenne surface, un « Intermarché ». En gros, le poisson est nettement moins cher qu’en France et la viande meilleur marché. Les produits laitiers, les pâtes, les fruits, les légumes étaient pratiquement au même prix. Le Portugal a un des taux d’inflation les plus élevés de l’Union Européenne et l’écart se réduit.
Pour les hôtels et les restaurants, là aussi, c’est assez proche de l’Espagne. Une chambre avec salle de bain tourne autour de 40-50€ en prix de base et un repas au restaurant dépasse vite les 20€.
J’ai rencontré des Français qui étaient heureux de s’être installé ici. Pour un étranger avec son pouvoir d’achat ou sa retraite, c’est peut-être le paradis. Je ne suis pas sûr que cela le soit pour le travailleur ou le retraité portugais.
24 mars : Aljezur – Zambujeira do Mar
Zambujeira do Mar est une coquette station balnéaire de la côte Vicentine. Ses maisons blanches aux toits de tuiles et aux encadrements colorés lui donnent un caché bien portugais. Et pourtant, il y a un je-ne-sais-quoi de différent.
Sur la place, un sikh avec son turban téléphone. Il y a une épicerie népalaise bien fournie en produits asiatiques. Dans le bar, des hommes visiblement du sous-continent indien tentent leur chance aux jeux de grattage, en espérant gagner le gros lot qui changera leur vie. Des femmes rentrent et saluent d’un « namaste ».
Surpris, je demande à l’hôtel pourquoi une aussi forte présence d’immigrés.
– Ils travaillent à la récolte des fraises
– Et les Portugais
– Ils ne veulent plus faire ce travail
Les Portugais ont la réputation d’être travailleur et viennent en France y compris pour des postes dans l’agriculture. Mais, le pays manque de main d’œuvre pour ces tâches peu rémunérées et se trouve contraint de faire appel à des immigrés venant de pays moins développés.

J’ai poursuivi ma remontée vers le nord à un bon rythme et sur la toujours très belle et bien balisée Rota Vicentina. Ce matin, la météo était maussade. Cela s’est amélioré au fil de la journée mais la mer est restée forte avec des vagues impressionnantes. Peut-être même trop pour les surfeurs. La côte Vicentine est fréquentée par les randonneurs. J’en ai encore croisé beaucoup aujourd’hui mais c’est aussi une destination appréciée pour le surf. Cela crée une ambiance jeune et fun. En contrepartie, c’est presque difficile de se loger sans avoir réservé au préalable. Je n’aime pas me créer cette contrainte. J’avais d’ailleurs prévu une petite journée mais arrivé à la plage d’Odeceixe en début d’après midi, j’ai finalement décidé de poursuivre. J’ai traversé à gué la rivière Seixe. Je suis passé de l’Algarve à l’Alentejo et j’ai terminé ma journée à Zambujeira do Mar. C’est un bon endroit pour faire étape sur un promontoire, face à l’océan et en première ligne pour voir le soleil se coucher.
25 mars : Zambujeira do Mar – Vila Nova de Milfontes
Ce matin, sur les bons et beaux chemins de la Rota Vicentina, je marchais d’un pas léger. Je suis en forme. Comme d’habitude, il me faut bien trois semaines pour arriver à avancer tranquillement, sereinement sans trop d’efforts. Et je termine à Vila Nova de Milfontes mon vingt et unième jour de marche depuis Tarifa.
Il y a certes quelques petites alertes. Des tendons et une cheville sont un peu douloureux au réveil. Normalement, une fois chaud, je ne les sens plus. Je suis quand même attentif. J’attribue cela à la marche sur le sable. Il y a des tronçons en haut des falaises où le sable reste sec et mou. C’est assez fatigant notamment dans les montées. Quand je peux redescendre et retrouver le sable mouillé à marée basse, la sensation d’avancer facilement est presque étrange.

Le problème ne se posera plus bientôt. J’ai demain ma dernière journée en bord de mer et ensuite cela sera fini sur tout le reste de ma Vuelta-Volta.
26 mars : Vila Nova de Milfontes – São Torpes (Morgavel)
Ce soir, au bar du camping de São Torpes, j’ai un peu l’impression d’être à la fin de vacances. Les bras, les mollets sont rouges comme après une journée à la plage et l’étape a été une bonne synthèse de cette Rota Vicentina. J’ai marché au sommet de falaises, j’ai peiné à avancer sur du sable mou, j’ai retrouvé avec plaisir le bord de mer à marée basse, j’ai fait une bonne pause dans le joli centre de Porto Covo.

La Rota Vicentina est un beau sentier. Cette côte ouest du Portugal est superbe, sauvage avec de belles falaises et des plages désertes. Elle n’est pas si facile que cela. Chaque fois que j’arrivais à la fin d’une partie de sable mou, j’étais soulagé. Mais je suis arrivé au bout. À quelques kilomètres au nord de São Torpes, se trouve la ville de Sines avec son port et ses industries. Je vais quitter le bord de mer.
J’ai bien profité de cette partie et je suis content de passer à la suivante. D’abord, parce que l’objectif est finalement d’avancer. Et en ouvrant un nouveau chapitre, il y a le plaisir de la découverte, celui maintenant du Portugal de l’intérieur.
4 – Portugal intérieur
27 mars : São Torpes (Morgavel) – Santiago do Cacém
Je quitte le bord de mer pour une longue partie de ma Vuelta-Volta : la remontée du Portugal par l’intérieur des terres jusqu’à la frontière espagnole avec 875 kilomètres pour arriver en Galice.
Après la superbe côte Vicentine, je vais être sur des chemins moins spectaculaires mais je vais découvrir un Portugal plus authentique et plus en relation avec l’histoire du pays.
Dès le départ, le calme surprend. Au bord de l’océan, le bruit de la houle est permanent. Là, je marche sur des petits chemins au milieu des chênes lièges, des eucalyptus ou dans des pinèdes et tout est silencieux avec à peine un peu le bruit du vent dans les arbres, parfois un grillon ou un oiseau.
Il n’y a pas les nombreux randonneurs du chemin côtier mais je ne suis pas absolument seul. Je croise quelques marcheurs. J’ai fait la jonction avec la Rota Vicentina, le chemin historique. Il y a deux tracés principaux : celui-là, à l’intérieur des terres et le sentier des pêcheurs au bord de l’océan. Le chemin historique est nettement moins populaire et se termine à Santiago de Cacém. J’aurai ensuite une journée sur un autre chemin, cette fois de Compostelle avec le Caminho central português. Au-delà de Grândola, je serai plusieurs jours sur un itinéraire que j’ai imaginé et cette fois vraisemblablement seul.
Le nom Santiago de Cacém n’est pas lié au chemin de Compostelle mais à l’ordre militaire de Saint-Jacques. C’était une de leurs possessions. Puissante institution, elle détenait de nombreuses places fortes au Portugal. Cet ordre religieux a joué un rôle important dans la reconquête portugaise. La ville a un certain charme avec le fort de l’ordre de Santiago, son église et les ruelles qui descendent de la colline.

Santiago do Cacém a été reconquise en 1217, deux siècles après le nord du Portugal. Cette reconquête a commencé avec un comté au nord de l’embouchure du Douro avec les deux ports de Portus (Porto) et Cale (Vila Nova de Gaia). Portus Cale est devenu le Portugal, le comté un royaume et progressivement la conquête s’est étendue vers le sud. En 1249, l’Algarve est entièrement reprise aux Maures. Deux siècles et demi avant l’Espagne, la reconquête est achevée et les frontières du Portugal sont figées depuis (hormis les archipels de Madère et des Açores découverts plus tard et la ville d’Olivence « chipée » par les Espagnols au XIXè).
28 mars : Santiago do Cacém – Grândola
Et bien-sûr, Grândola, Vila Morena…
« Grândola, Vila Morena
Terra da fraternidade
O povo é quem mais ordena
Dentro de ti, ó cidade »
(Grândola, ville sombre
Terre de fraternité
C’est le peuple qui seul commande
En toi, Ô cité !)
Le 25 avril 1974 à minuit vingt, la chanson « Grândola Vila Morena » est diffusée sur les ondes de Radio Renascença. Pour les capitaines rebelles, c’est le signal attendu. Avec leurs hommes, ils quittent leurs casernes. Rapidement, les Lisboètes descendent dans la rue. Les lieux du pouvoir sont rapidement maîtrisés. Marcelo Caetano qui a succédé au dictateur Salazar, se rend. Seule la sinistre PIDE, la police politique, résiste et fait quatre morts. Les rebelles, des œillets au bout des fusils sont acclamés par la foule. En quelques heures, la révolution des œillets met fin aux 48 années de l’Estado Novo.
En 2022, le Portugal a passé un cap symbolique ; depuis l’année dernière, le pays a connu maintenant plus d’années de démocratie que de dictature.

Je suis à Grândola, ville indissociable de cette révolution presque pacifique. J’ai eu l’air de la chanson en tête toute la journée alors que je marchais sur les bons et beaux chemins, bien balisés du Caminho central português. Comme hier, les parties au milieu des chênes lièges aux branches biscornues, torturées sont agréables. Le chemin était solitaire mais il y avait deux villages avec des bars au cours de l’étape. À São Bartolomeu da Serra, j’ai pu discuter avec un ancien émigré portugais de France. C’est presque étonnant que ce soit la première fois depuis que je suis dans le pays. Il y a environ 700000 portugais en France, 1,5 millions en comptant la descendance. José a pris sa retraite l’année dernière après quarante années en France. Il est revenu au pays et apprécie la tranquillité de son village de l’Alentejo après l’agitation parisienne.
Si Grândola est renommée, la ville en elle même n’a rien d’attrayant. Je suis un peu dans une partie de transition entre la côte et l’est du pays avec plus de relief et de sites historiques. Pendant trois jours, je vais traverser les plaines de l’Alentejo jusqu’à la capitale régionale, Évora.
29 mars : Grândola – Torrão
Je craignais un peu cette partie entre Grândola et Évora. J’avais raison. Déjà, le paysage est beaucoup plus plat et il n’y a pas de chemin balisé entre les deux villes. Je suis en plus dans l’Alentejo des grands domaines, les « herdades ». J’ai le souvenir des latifundios andalous. Ici, c’est pareil. Après la révolution des œillets, il y a eu une tentative de redistribuer la terre mais assez rapidement, les grandes propriétés ont reconstitué leurs domaines. Résultat, il y a des clôtures et des chemins privés partout. C’est vrai que je suis un habitué des franchissements des clôtures mais j’avais perdu mon entraînement. Depuis le départ, cela se passe bien mais aujourd’hui j’ai rattrapé mon retard. Ce n’est pas un exercice que j’affectionne. Une fois, un portail franchi, je suis toujours un peu tendu. Je marche vite pour sortir de cette situation et éviter de rencontrer un propriétaire peu accommodant.
Entre Grândola et Água Derramada, je me suis vite rendu compte que cela allait être difficile. J’ai franchi un premier portail avec un panneau annonçant « Herdade …. » en me disant, je verrai bien plus loin. Et là, il y avait un immense portail automatique. Le gardien a été sympa. Je me suis confondu en excuses et il a ouvert pour me permettre de continuer.
Plus loin entre Mil Brejos Batao et Rio de Moinhos, j’ai rencontré à nouveau de nombreuses clôtures, panneaux de « Réserve de chasse touristique »… Mais je ne suis pas en Arménie et on m’a pas tiré dessus.

Après Rio de Moinhos, j’ai eu la première satisfaction de la journée avec des balises sur un chemin et indiquant Torrão ma destination. Mais la joie a été de courte durée. Plus loin, Torrão était indiqué à 25km par le chemin balisé, dix de plus que par là où je pensais passer. J’ai donc coupé, franchi d’autres clôtures et j’ai fini par arriver à Torrão.
Cela a été une journée de tensions. J’ai marché, marché pour sortir de ces chemins et terrains privés et j’ai finalement fait près de cinquante kilomètres. Je suis bien logé à Torrão. Je vais pouvoir passer une bonne nuit pour récupérer et poursuivre demain avec une nouvelle journée dans le même environnement.
30 mars : Torrão – Avant Valverde
Dès hier soir, j’ai modifié mon itinéraire en évitant les secteurs qui me semblaient poser problèmes. Pour quitter Torrão, tout allait plutôt pas mal, du balisage, une ancienne chaussée romaine pour commencer puis une petite route goudronnée me semblait de bonne augure. Malheureusement, cette route butait sur l’immense portail automatique d’une herdade. Demi-tour, et me voilà à marcher sur dix kilomètres sur une route presque droite. Heureusement, la circulation n’était pas trop intense. Malgré tout, dans ces cas là, c’est un peu en mode apnée. Je ne pense à rien et j’avance.
J’ai profité d’Alcáçovas pour faire une bonne pause après cette première partie difficile. Les petites villes que je traverse sont plutôt agréables. Même si elles ne sont pas touristiques, elles ont du charme avec leurs vieilles maisons, certaines bien rénovées, d’autres à moitié abandonnées.

Le moral est remonté quand j’ai retrouvé des chemins dans la campagne. Cela m’a permis de bien avancer en direction d’Évora sans bitume. Cela aurait été parfait si vers la fin, je n’avais pas buté à nouveau sur des terrains privés. Un propriétaire pas très arrangeant m’a fait la leçon. Je me suis replié sur le bord d’un ruisseau et pour finir par déboucher, à nouveau sur de bons chemins après quelques franchissements de clôtures. La journée a donc été mi-figue mi-raisin, des hauts, des bas et un bivouac sous les chênes lièges pour terminer.
31 mars : Avant Valverde – Évora
Lors de ces étapes dans une ville, j’ai toujours l’impression de courir dans tous les sens pour faire ce que j’ai à faire. Je préfère largement une journée de marche. C’est plus reposant, plus calme, sur un rythme qui me convient bien. Il suffit d’avancer tranquillement en profitant du paysage. Avec parfois quelques petits imprévus comme ces derniers jours. La dernière petite étape de transition en a bien-sûr rencontrés.
J’ai eu quelques franchissements de clôtures dès le matin. Après la visite de la chambre funéraire préhistorique de Zambujeiro, je croyais être définitivement tiré d’affaire quand je me suis engagé sur un agréable chemin avec un panneau indicateur : Évora. Las, au bout d’un moment, je suis tombé sur un haut portail métallique avec du fil barbelé en haut. Fort de mon droit, vu le panneau indicateur, j’ai décidé de poursuivre. Un portail même haut, même avec du fil barbelé n’allait pas m’arrêter. Je l’ai franchi (fort habilement d’ailleurs et j’ai poursuivi d’un bon pas, Évora n’était plus très loin et je n’avais pas le temps de tergiverser ou faire demi-tour. Il m’a fallu encore franchir quelques clôtures respectables mais moins hautes pour terminer ma tranquille et petite journée de marche avant d’attaquer le gros de la journée.

Évora, capitale de l’Alentejo est la principale ville sur mon parcours portugais et c’est en plus une vieille et belle ville. Donc outre la visite des principaux monuments, j’en ai profité pour une grosse lessive après un mois de marche, faire un ravitaillement, changer mon téléphone portable qui donnait des signes de faiblesse. Cette dernière opération est d’ailleurs assez chronophage.
Je vais normalement retrouver un peu de tranquillité les jours prochains en suivant un chemin existant. Les trois derniers étapes ont été pénibles. J’espère avoir maintenant laissé derrière moi les plaines de l’Alentejo avec les herdades, les clôtures et les chemins privés.
1er avril : Évora – Avant Évoramonte
Je suis en face du château d’Évoramonte. Je me rapproche de la frontière espagnole, toujours à un bon rythme, et au cours de ma remontée vers le nord, je vais passer par toute une série de places fortes plus ou moins anciennes. Le traité fixant la frontière entre le Portugal et l’Espagne a beau être très ancien, la prudence restait de mise face au puissant voisin. « De Espanha nem bom vento nem bom casamento » (D’Espagne, ni bon vent, ni bon mariage) dit un dicton portugais. Le vent d’est est mauvais mais aussi les unions entre les deux couronnes. C’est à la suite d’un mariage que faute d’héritier, le roi de Castille, Philippe II est reconnu roi du Portugal en 1580. Les Portugais récupéreront leur indépendance en 1640, 80 années plus tard.

Après trois journées difficiles pour trouver mon chemin et après une étape à Évora loin d’être reposante, je retrouve avec plaisir un chemin balisé. Je vais suivre pendant quelques jours la Via Portugal Nascente, un chemin de Compostelle qui remonte vers la Galice par l’est du pays. Cela repose l’esprit de marcher sur de bons chemins, bien balisés. Il n’y a pas de difficultés, pas de clôtures à escalader. Quand il faut traverser des zones d’élevage, les portails ne sont pas cadenassés. Tout est beaucoup plus simple. Le chemin est balisé mais il doit être peu fréquenté. Il y a très peu d’hébergements. Je m’arrête assez tôt mais j’ai marché quarante kilomètres. L’endroit à proximité de maisons abandonnées est calme. Cela risque de ne pas être le cas plus loin en se rapprochant d’Évoramonte et de l’autoroute Lisbonne-Madrid.
2 avril : Avant Évoramonte – Estremoz
Le chêne liège est l’arbre emblématique de l’Alentejo. La nuit dernière, ma tente était plantée au milieu d’une plantation. J’étais dans un endroit très paisible et je poursuis aujourd’hui ma marche dans ces beaux paysages. C’est toujours aussi agréable. Malgré l’absence de pluie ces dernières semaines, les prairies sont encore vertes et fleuries. Les chemins toujours aussi tranquilles. Je ne vois personne.

Et pour agrémenter le tout, j’ai quelques sites historiques sur le parcours. Ce matin, je suis passé au pied de l’impressionnant château d’Évoramonte ; je n’ai pas fait le crochet pour le visiter et je me suis contenté des belles vues depuis mon chemin. Ce soir, je suis dans une nouvelle ville fortifiée : Estremoz.
Outre le charme de son centre historique, plusieurs faits importants de l’histoire portugaise s’y sont déroulés : le décès de la reine sainte, du roi amoureux, la bataille d’Ameixial, une importante victoire contre les Espagnols en 1663, la naissance d’António de Spínola, premier président portugais après la fin de la dictature. C’est pas mal pour une toute petite ville du cœur de l’Alentejo. Qui plus est, la tradition des figurines d’argile d’Estremoz est classée au patrimoine immatériel de l’humanité.
Donc c’est ici qu’est morte la reine sainte, Elisabeth du Portugal en 1336. Elle était mariée à Denis Ier, le roi troubadour auteur de nombreux cantigas. Son petit fils, Pierre Ier est aussi décédé ici. Il est lui connu pour ses amours avec Inès de Castro. Cette relation illégitime compromettait les intérêts du pays et Inès de Castro fut assassiné. Devenu roi, Pierre Ier la réhabilitat. La légende raconte que son cadavre fut exhumé pour être couronné devant les dignitaires du pays. Elle est depuis connue comme la reine morte couronnée.
3 avril : Estremoz – Cabeço de Vide
Je poursuis dans l’Alentejo. C’est la plus grande région portugaise et je la traverse sur une diagonale de 450 kilomètres de la côte Vicentine au sud-ouest au Tage au nord-est. Je suis toujours aussi sur un paysage assez plat mais j’ai maintenant à l’horizon la Serra de São Mamede. Elle culmine un peu au-delà de 1000 mètres d’altitude. Cela me fera un peu de relief dans deux jours.
Pour le moment, j’avance avec des longues journées. L’étape du jour était moins attrayante, plus plate, avec des grands espaces parfois plantés de blé. Le chemin a en plus suivi pendant une quinzaine de kilomètres l’ancienne voie ferrée de Portalegre. Sur un tel parcours, la moyenne horaire monte. Il n’y a aucun obstacle et les montées sont extrêmement progressives.

J’ai fait encore près de cinquante kilomètres. J’ai hésité à m’arrêter avant et planter la tente mais il n’y avait pas d’endroits extraordinaires et notamment sans eau. J’ai donc poursuivi jusqu’aux thermes de Cabeço de Vide. À l’hôtel, les pèlerins bénéficient d’un tarif spécial. Pour 14€ avec le petit déjeuner, j’ai une chambre très agréable avec salle de bain, balcon, télévision… Certes, c’est moins aventurier qu’une nuit sous la tente en surveillant sa consommation d’eau mais j’assume sans regrets.
4 avril : Cabeço de Vide – Portalegre
Je laisse la Via Portugal Nascente. Elle remonte directement vers le nord et je souhaite passer par la Serra de São Mamede et les beaux villages de Marvão et Castelo de Vide. Vu ma précédente expérience hors itinéraire balisé, j’ai un peu d’appréhension mais cela passe bien. Je suis dans une zone d’élevage, il y a des portails mais non cadenassés qu’il faut juste refermer après son passage.
De Cabeço de Vide à Portalegre, sur plus de 30 kilomètres, je marche sur des chemins. Il n’y a aucun village. Je traverse un espace presque vide. De vieilles fermes, abandonnées pour la plupart, quelques bâtiments d’élevage encore en activité, le bruit d’un engin agricole au loin, je ne vois presque aucune présence humaine hors un vététiste le matin, un tracteur et deux voitures l’après-midi.
Je suis dans une de ces régions rurales d’Europe qui se vident de leur population. Le district de Portalegre (l’équivalent de nos départements) était déjà le moins peuplé du Portugal. Selon le dernier recensement, c’est en plus celui qui a connu la plus forte baisse de sa population. En dix ans, elle a chuté de plus de 11%. Depuis 1950, la population du district a été divisée par deux. La densité n’est que de 17 habitants par kilomètre carré.
La « capitale » Portalegre a perdu 2500 habitants sur la dernière décennie et sa population n’est plus que 22000 habitants. Comme pour son district, elle cumule la plus petite population et la plus forte baisse du pays.

C’est dans ce Portugal rural, tout proche de l’Espagne que je conclus mon premier mois de ma Vuelta-Volta. De Tarifa, j’ai marché trente et un jours sans journée de repos. Les conditions sont bonnes et ne justifient pas de m’arrêter. J’ai eu un peu de pluie la première semaine mais depuis, je bénéficie d’un temps idéal. Les chemins sont bons (hormis la liaison entre Grândola et Évora), il y a peu de dénivelés alors j’avance à un rythme soutenu. D’après mes calculs, à Portalegre, j’ai marché 1000 kilomètres depuis mon départ. En un mois, cela fait une grosse moyenne quotidienne. Le physique va donc bien. Mais après certaines longues étapes, je suis épuisé. C’est pas hier soir que je serais allé en boîte de nuit !
Je regrette un peu le manque de contacts. Après le Caucase et la Turquie, j’ai été mal habitué. Je suis en Europe, qui plus est au sud où un marcheur ne suscite ni intérêt ni interrogations. Mon portugais se limite presque aux mots utiles pour mon quotidien. Alors je profite des paysages, des sites sur mon parcours. C’est tout sauf désagréable et la région où j’arrive, devrait me réserver encore de belles découvertes.
5 avril : Portalegre – Après Castelo de Vide
Portalegre n’est pas la seule ville d’Europe avec un centre ville qui se vide de ses commerces au profit des grandes surfaces en périphérie. Mais, ma promenade hier soir me rappelait certains endroits du nord-est de la France comme Vitry-le-François, Bar-sur-Seine…La baisse de la population ne fait qu’aggraver le phénomène. La rue principale était triste avec tous ses commerces fermés. À cela s’ajoutent des bâtiments abandonnés, délabrés. Les autorités tentent de rénover, revitaliser le centre mais je ne suis pas sûr que cela portera ses fruits.
Ce matin, je prends de la hauteur dans la Serra de São Mamede. Je retrouve le plaisir de marcher sur des sentiers avec du relief. Je me cale sur un rythme lent. Le chemin bordé de murs de pierre monte dans une pinède. Le paysage a un air ardéchois.
C’est une journée de visites. Je m’arrête pour visiter le musée et les ruines de la ville romaine d’Ammaia. Elle a compté environ 5000 habitants. Une infime partie du site est fouillée mais les pièces exposées dans le petit musée sont intéressantes avec notamment de la vaisselle en verre dans un état de conservation exceptionnel, presque comme neuve.
Je retrouve un bon chemin pour monter à Marvão. C’est un superbe village à l’intérieur de murailles et au sommet d’un éperon rocheux. José Saramago a écrit que depuis son fort, on voyait toute la terre. C’est vrai que la vue est étendue et justifie l’implantation de cette place forte. À l’est, le regard porte loin sur l’Estrémadure espagnole. Au nord, je peux voir la Serra da Estrela, le massif le plus haut du Portugal continental où je serai dans plusieurs jours.

Je poursuis par un agréable chemin jusqu’à Castelo de Vide. C’est aussi un joli village avec un fort. Il y avait une communauté juive importante avec une synagogue. Comme en Espagne, elle a été victime de l’Inquisition. C’est le roi Manuel Ier, suite à son mariage avec Isabelle d’Aragon qui, à la fin du XVè siècle, promulgue les premières lois contre la communauté. Mais contrairement à l’Espagne, il n’expulse pas les Juifs mais les contraint à se convertir. Devenus des « nouveaux chrétiens » beaucoup continuent à pratiquer secrètement leur religion. Un peu plus au nord, à Belmonte, une communauté a réussi à préserver leur religion malgré quatre siècles de persécutions. Quand ils étaient dénoncés, l’Inquisition était impitoyable. En 1739, António José da Silva, le plus grand dramaturge portugais, accusé de respecter le shabbat, a été brûlé sur une place de Lisbonne.
En 2013, une loi a facilité l’obtention de la nationalité portugaise aux descendants des Juifs qui avaient dû quitter le pays. C’est ainsi qu’un certain nombre d’oligarques russes dont Roman Abramovitch sont devenus Portugais.
Je me promène dans le village mais en cette semaine sainte, tout est complet. Je poursuis au-delà. La région a beau être très peu peuplée, la difficulté est de trouver un endroit non privé et loin des chiens. Je finis par m’installer un peu à l’écart du chemin. Le ciel est rouge à l’ouest et la pleine lune apparaît à l’est. Cela devrait aller pour passer la nuit ici.
6 avril : Après Castelo de Vide – Vila Velha de Ródão
Les températures devraient monter légèrement les prochains jours. Les nuits restent fraîches. Il faut se motiver pour s’extirper du chaud de son duvet et démarrer le matin.
Après la journée riche en visites touristiques, je retrouve mes basiques de l’Alentejo. Entre la Serra de São Mamede et le relief plus au nord, je suis encore pour cette étape sur des paysages plus plats dédiés essentiellement à l’élevage. Les chemins sont bons très fleuris avec ciste, lavande, genêt… C’est toujours aussi agréable mais même l’Alentejo a une fin. Dans l’après-midi, je descends sur le Tage. À cet endroit, il se fraie un passage entre des collines. Les portes de Ródão ont un petit quelque chose des portes de Fer où le Danube traverse les Carpates. C’est moins grandiose mais cela a de l’allure.

Le Tage est le troisième fleuve océanique de la péninsule que je traverse après le Guadalquivir et le Guadiana. Le prochain sera le Douro. Ces fleuves marquent souvent des passages importants. Là, je quitte le sud du Portugal et la région au-delà du Tage, l’Alentejo. Je l’ai traversé à un rythme assez intensif, en treize jours et 34 kilomètres quotidiens.
Je rentre dans les Beiras. Cette région est plus montagneuse. Je vais traverser des coins isolés. Un nouveau chapitre de ma remontée du Portugal commence.
7 avril : Vila Velha de Ródão – Alvito da Beira
Je quitte Vila Velha de Ródão par le « sentier des envahisseurs ». La vallée du Tage est une voie de passage y compris pour les armées ennemies, les Espagnols bien sûr et les derniers à avoir envahi le pays, les Français avec les troupes napoléoniennes.
En changeant de région, j’ai changé de paysages. Le sentier grimpe, domine le Tage avec de belles vues puis continue dans un relief plus accidenté. Je passe même une partie équipée de cordes pour sécuriser. Il y a plus de forêts, des pins, des eucalyptus et malheureusement des pentes dénudées après des incendies. La végétation a reverdi mais reste basse avec genêts, cistes, bruyères…

C’est ma première journée avec plus de mille mètres de dénivelés. Il va falloir que je m’y habitue. Je vais aussi être dans une partie très rurale avec uniquement des petits villages. Je n’ai pas identifié d’hébergement sur 135 kilomètres depuis Vila Velha de Ródão. Alors le campement à Alvito da Beira est idéal. Il y a une plage au bord de la rivière avec bar et restaurant pour ce soir. Je peux me laver et faire ma lessive au point d’eau. La tente est montée sur un bon terrain plat. Et je peux boire une bière après ma journée de marche.
Je discute avec Antonio. Il a émigré en France en 1973 et revient une à deux fois par an en vacances au pays. Il me montre des photos de ses deux années passées à l’armée en Angola. C’est une page douloureuse de l’histoire du pays. Le Portugal est la première nation européenne à bâtir un empire colonial mais c’est aussi la dernière à y avoir mis fin. De la conquête de Ceuta en 1415 à la rétrocession de Macao à la Chine en 1999, il s’est déroulé presque six siècles ! Après l’indépendance du Brésil, le pays a conservé ses autres colonies jusqu’à la révolution de œillets. L’Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau, Sao-Tomé-et-Principe, le Cap-Vert et le Timor-Oriental n’ont été indépendants qu’après 1974. La jeune démocratie portugaise a dû gérer la fin de son empire colonial mais aussi le retour et l’intégration de cinq cents mille Portugais qui vivaient dans ses colonies.
La discussion avec Antonio est intéressante mais ce soir, il y a le choc entre Benfica et Porto et tous les clients du bar d’Alvito da Beira se tournent vers la télévision. Le football est sacré ici et ce match n’est pas à louper.
8 avril : Alvito da Beira – Vilar Barroco
J’aime ces étapes dans les petits villages ici au Portugal ou ailleurs. Vu le monde dans le bar, la quasi totalité de la population d’Alvito da Beira devait être là. L’intérêt des habitants était monopolisé par le match mais c’est intéressant de simplement observer. Ici, on est clairement benfiquista. Écharpes, maillots, les couleurs rouges et blanches du club de Lisbonne étaient de sortie. Il me faudra monter beaucoup plus au nord pour trouver des supporters de Porto. Benfica a perdu mais le trente huitième titre de champion du Portugal est acquis.

Le relief est de plus en plus marqué avec des vallons encaissés. Malheureusement, tout ce secteur a brûlé en 2021. Le chemin est encombré de troncs carbonisés. Je galère un peu et j’apprécie l’invitation d’une famille dans le petit hameau de Pião pour un verre de vin avec pain et fromage. Je repars avec deux oranges du jardin qui feront du bien l’après-midi alors que la température monte.
Je termine mon étape sur l’Appalachian Trail, plus exactement l’International Appalachian Trail. Quand j’étais aux États-Unis, un randonneur m’avait parlé de ce chemin. Le concept est étrange. À priori, ces montagnes étaient liées avant que la Pangée se scinde avec l’océan Atlantique entre. D’un point de vue géologique, les Appalaches, les massifs du Groenland, des Îles Britanniques et jusqu’au Maroc seraient liés. Appalachian Trail peut-être mais en tout cas, je n’ai pas à craindre la bulle de hikers. Je ne vois personne sur ces chemins.
Vilar Barroco est un petit village de 50 habitants mais il y encore un bar-épicerie. C’est un refuge idéal après une journée un peu difficile avec dénivelé et chaleur et il y a à côté un endroit pour planter la tente.
9 avril : Vilar Barroco – Au-dessus de São Jorge da Beira
Hier soir à minuit pile les cloches de l’église de Vilar Barroco se sont mises à sonner. Les habitants (surtout habitantes) se sont dirigés vers l’édifice religieux pour chanter des psaumes rythmés par la sonnerie des cloches. On m’avait prévenu qu’à minuit, il y aurait du bruit. Je n’ai donc pas été surpris mais c’est curieux cette « messe de minuit » pour célébrer Pâques.
Je poursuis sur le Sentier International des Appalaches par un beau chemin en crête puis un autre très aménagé vers une cascade jusqu’au village d’Orvalho. Au bar, la télévision diffuse la messe de Pâques. Il y a deux jours, c’était le football, là c’est la religion. Il ne me manque plus que le fado pour avoir les 3F de l’Estado Novo de Salazar. Cet acronyme Fátima, Football, Fado symbolisait les piliers sur lesquels s’appuyait le pouvoir : la religion, la tradition et les distractions.

Malgré un ciel un peu voilé, les paysages sont agréables. Je rejoins un beau sentier le long du Zêzere, la plus longue rivière exclusivement portugaise. GR 38 Sentier International des Appalaches ce matin, GR33 Grande Route du Zêzere puis le GR22 Grande Route des Villages Historiques, je passe la journée d’un GR à l’autre. Nous sommes pendant les vacances scolaires, un weekend ; c’est la saison pour randonner ici, en été, ce n’est pas envisageable. De toute la journée, je ne vois personne, ni randonneurs, ni même promeneurs ou vététistes. Le Portugal rivalise avec l’Italie pour le nombre de sentiers balisés rapportés aux marcheurs qui les empruntent.
Je termine la journée au-dessus de São Jorge da Beira. Il y a une chapelle avec un auvent et j’y serai à l’abri du vent. Je suis à 900 mètres d’altitude et cette nuit devrait être plus fraîche que les précédentes.
10 avril : Au-dessus de São Jorge da Beira – Alvoco da Serra
Le patron du bar de Sobral de São Miguel me disait qu’il était inquiet par l’absence de pluie. Normalement, avril et mai sont des mois humides. Si la situation perdure, c’est de mauvaise augure pour l’agriculture et pour les risques d’incendie. Depuis que je suis au Portugal, j’ai du beau temps en permanence. Égoïstement, j’en profite. Notamment sur ces journées dans les montagnes. Je suis dans la Serra da Estrela, le massif le plus haut du pays. Je préfère la passer dans ces conditions. Même avec le soleil, il a fallu m’habiller lors de la pause déjeuner. J’étais à plus de 1000 mètres d’altitude, le vent était fort, il faisait frais. J’ai vu des images de la neige certaines années en avril. Ce ne sera pas le cas pour moi.

Ce coin du Portugal mériterait d’être plus connu. Je suis encore étonné par le peu de monde. Les montagnes sont belles, couvertes de mauve et jaune avec les bruyères et les genêts. Les chemins sont très agréables. En contrebas, dans les vallées, se nichent de petits villages aux maisons blanches. Ailleurs en Europe, il y aurait des chambres d’hôtes voire des hôtels. Ici, non. Même à Alvoco da Serra qui est juste sous le point culminant du Portugal continental, les structures d’accueil sont un peu boiteuses. Il y a des hôtels mais aucun restaurant dans le village. Je suis apparemment le seul client. J’ai un peu la même impression que dans certains villages perdus lors de mes marches lointaines avec peu ou pas d’occidentaux, une épicerie de base avec des produits uniquement pour les locaux et rien de vraiment structuré pour le tourisme. C’est surprenant après être passé par des endroits très fréquentés par les étrangers.
11 avril : Alvoco da Serra – Vale do Rossim
À 1993 mètres d’altitude, la Torre est le point culminant de la Serra da Estrela et du Portugal continental. Aux Açores, le Pico (les noms des sommets ne sont pas très recherchés…) la dépasse avec 2351m. D’Alcovo da Serra, c’est ma première vraie et longue montée de mon parcours. Il y a 1300 mètres positifs en continu. J’essaie de retrouver mon rythme lent, régulier, sans trop d’arrêt. Mais ça fait quand même une bonne grimpette. L’arrivée au sommet est par contre décevante. Il y a les anciennes tours radars abandonnées, des bâtiments fermés, le parking avec bus, voitures et touristes, un centre commercial vendant tous les produits pour ces mêmes touristes, les remontées mécaniques à l’arrêt (C’est la seule station de ski du Portugal).

Je prends un café et poursuis mon chemin. Le paysage est assez étonnant. La Serra da Estrela est un vaste dôme arrondi. Je reste en altitude sans trop de dénivelés dans un environnement minéral, granitique. Sur ce dôme, la végétation est plus chétive. Le vent, le froid en hiver ne doivent pas favoriser sa croissance. De-ci de-là, un lac rajoute une touche de bleu.
Je m’arrête à Vale do Rossim. Il y a un camping. Je suis à 1440 mètres d’altitude. La météo prévoit 3°C demain matin. Je ne vais pas avoir chaud cette nuit.
12 avril : Vale do Rossim – Linhares da Beira
Les prévisions météorologiques ne sont pas bonnes et il est prévu une aggravation en milieu de journée. À Vale de Rossim, il n’y a ni bar, ni restaurant et je ne me vois pas passer la journée sous la tente ou dans les sanitaires à 1440 mètres d’altitude. Je plie le matériel et pars d’un bon pas. Dès que je quitte l’abri relatif du camping, je me retrouve sur la piste qui suit à peu près la ligne de crête. Elle est balayée par un vent glacial. Il tombe quelques gouttes. Les conditions sont vraiment mauvaises et j’ai douze kilomètres sur ce dôme balayé par le vent avant de véritablement perdre de l’altitude. Je baisse la tête, les mains dans les poches pour ne pas avoir froid et j’avance. Heureusement, la pluie cesse, il reste ce vent redoutable. Je suis finalement chanceux de ne pas avoir eu ces conditions hier avec beaucoup de sentiers et le passage par la Torre à près de 2000 mètres d’altitude. Aujourd’hui, tout le parcours est sur des pistes. Je peux marcher sans lever la tête, la plupart du temps avec le vent latéral, parfois qui me pousse et d’autres fois, beaucoup plus pénible, de face.

Quand j’atteins le sommet de Santinha à 1595 mètres d’altitude et que je commence à descendre, je suis satisfait même si les conditions restent difficiles. Il se met à pleuvoir comme prévu quand je suis en vue de Linhares da Beira. Il est guère plus de midi. Je n’ai pas fait une seule pause. J’ai toujours avancé d’un pas rapide. J’ai marché vingt-neuf kilomètres, il me reste moins d’un kilomètre. Un petit abri me permet de grignoter avant d’arriver au village. Je peux m’installer au chaud.
13 avril : Linhares da Beira – Trancoso
Je quitte Linhares da Beira par une vieille chaussée médiévale. Il fait froid, il y a de la gelée blanche. Tous les alentours du village ont brûlé. Le grand incendie d’août 2022 s’est arrêté aux abords des premières maisons. Hier au bar, la patronne me parlait de la peur des habitants avec les flammes qui se rapprochaient, le village dans la fumée… Ça a été le plus gros incendie depuis un demi-siècle au Portugal. Le feu a duré onze jours, presque deux semaines complètes et 280 kilomètres carrés de forêts et de landes sont partis en fumée.
J’ai quitté les montagnes et retrouve les chemins paisibles dans la campagne. Je passe ma journée sur le GR22, Grande Route des Villages Historiques. Je n’ai pas à me soucier de mon itinéraire. Le balisage est excellent. Je profite du paysage, fait deux petites pauses dans des cafés de village. Cette marche tranquille me permet de faire sans peine un peu plus de quarante kilomètres jusqu’à Trancoso.

C’est d’ici qu’est partie une des histoires les plus singulières de la monarchie portugaise. Gonçalo Anes Bandarra était cordonnier à Trancoso et prophète local à ses heures perdues. Il a écrit vers 1540 des récits messianiques prédisant le retour d’un roi caché qui mettrait la couronne du Portugal à la tête d’un empire mondial. Quelques années plus tard, en 1578, le jeune roi Sébastien est tué à la bataille de Alcácer-Quibir parfois dénommée la bataille des trois rois. Les deux sultans marocains sont en effet aussi morts lors de ce combat. Les conséquences de la défaite sont lourdes pour le Portugal. La succession de la couronne est assurée par le roi d’Espagne. Le pays perd son indépendance. La dépouille de Sébastien n’a jamais été identifiée. Le roi mort, le corps disparu, l’indépendance perdue, le terreau est fertile à la reprise et la propagation de la prophétie de Gonçalo Anes Bandarra : le roi n’est pas mort (ou il va ressusciter) et il reviendra restaurer l’indépendance du Portugal. Le sébastianisme, mythe messianique est né. Pendant des années, des faux Sébastien se manifestent et même des siècles plus tard cette croyance du retour du roi sauveur du pays refait surface.
14 avril : Trancoso – Faia Brava
Après un tour dans le vieux centre de Trancoso, je laisse le GR22 pour un itinéraire plus direct. Contrairement à l’Alentejo, ici les chemins sont publics. Pas de portails, de clôtures, de barbelés, je marche entre de beaux murs de pierre. C’est vraiment un plaisir.

Après avoir randonné dans pas mal de pays d’Europe du Sud, le Portugal est une belle découverte. Le pays se prête bien à la marche (hors période estivale). Il y a un très dense réseau de sentiers bien balisés et bien entretenus. C’est vraiment dommage qu’ils soient si peu fréquentés.
Aujourd’hui, je traverse des petits villages mais sans bar. Les vieux sont assis sur des bancs, ils me regardent passer. Fait rare, une dame m’interpelle pour me poser des questions.
Je poursuis sur un rythme tranquille sans trop savoir jusqu’où je vais aller. En fin de journée, je trouve un petit ruisseau et un terrain plat. Ce sera parfait pour la nuit.
Je suis dans la vallée de la Côa. Ses gravures préhistoriques sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elles n’ont été étudiées qu’assez récemment et elles ont échappé de peu à la destruction. À partir des années 80, les archéologues ont relevé l’intérêt extraordinaire de ces gravures. Nulle part ailleurs dans le monde, se trouvent autant de représentations paléolithiques en plein air. Mais un projet de barrage menace de les engloutir. La mobilisation permet d’arrêter, en 1995, la construction du barrage. Depuis le site est protégé et il est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les gravures les plus anciennes datent de 20-30000 ans dispersées sur différents sites tout le long de la vallée du Côa. Cette découverte a fait évoluer la connaissance de cette période. Les archéologues pensent maintenant qu’au paléolithique, les gravures rupestres (à l’extérieur) étaient répandues et peut-être plus largement que l’art pariétal.
15 avril : Faia Brava – Barca d’Alva
Ma nuit a été tranquille, dans un endroit isolé de l’aire protégée de Faia Brava. Avoir de l’eau à côté améliore nettement le confort du bivouac. Hier soir, j’ai pu avoir un dîner normal avec ma traditionnelle purée sardines. Cela nécessite presque un litre d’eau (pour me rassasier, un sachet pour 4 personnes est idéal). Ce matin, pour les céréales et le café, il me faut aussi plus d’un demi-litre.
Je reprends mon chemin au-dessus de la vallée de la Côa. Hier, j’ai traversé des petits villages isolés sans commerces, des maisons parfois en mauvais état et une population âgée. Aujourd’hui, je passe à Almendra qui a conservé quelques signes de richesse passée. Il y a une superbe bâtisse avec des ouvertures ouvragées. Un habitant m’explique qu’elle appartenait au vicomte mais depuis que la monarchie a été abolie (en 1910), le vicomte est parti. Le toit est en partie effondré mais l’état portugais a semble-t-il prévu de restaurer le bâtiment. Un vaste manoir attire aussi l’œil à l’entrée du village. C’est celui d’une famille qui s’était enrichie au Mozambique et en Angola. Une ancienne fabrique d’huile et des maisons à l’abandon sont également les signes du passé plus glorieux d’Almendra. Mais tout n’est pas fini. L’épicerie a été reprise par un jeune qui cherchait à fuir la vie lisboète.
Quand j’ai préparé mon itinéraire, l’arrivée sur le Douro me paraissait comme potentiellement belle. Elle l’a été. D’Almendra, le chemin arrive sur les hauteurs et soudain le Douro apparaît. La vallée est assez encaissée et l’homme a sculpté ses flancs avec vignobles en terrasse et oliveraies. C’est superbe. L’importance et l’ancienneté de la culture de la vigne, ce paysage façonné par l’homme ont valu au Haut-Douro d’être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le chemin poursuit en balcon au-dessus du fleuve. Il y a quelques beaux domaines. Je suis dans la zone de production du Porto. Je termine à Barca d’Alva, au bord du Douro. C’est un petit village mais il y a de l’animation. Les bateaux qui font la croisière sur le Douro y font escale et je suis à la frontière espagnole. Je ne la passerai pas ici mais dans une semaine environ plus au nord.
16 avril : Barca d’Alva – Lagoaça
Je traverse le Douro et je prends de la hauteur par une belle chaussée pavée. En bas, j’étais dans un jardin d’Éden avec citronniers, vignes et oliviers et avec l’odeur des fleurs d’orangers. Je suis d’ailleurs surpris de trouver cette végétation méditerranéenne ici au nord du Portugal. Je m’attendais à des paysages plus verts, plus humides sous l’influence de l’océan Atlantique. Plus haut, le paysage se fait minéral avec presque des airs africains. Les flancs de la vallée du Douro sont escarpés. Je suis dans un univers de schiste avec une végétation plus maigre.
J’ai quitté la région des Beiras. Je suis maintenant dans celle de Trás-os-Montes (Au-delà des montagnes), la dernière de ma marche au Portugal. C’est la région la plus isolée et éloignée de l’ouest urbanisé du pays et comme Portalegre, la population du district de Bragance a chuté de 10% sur les dix dernières années. Pourtant la petite ville de Freixo de Espada à Cinta a des airs pimpants avec des villas récentes, modernes. Son centre historique abonde en fenêtres et portes de style manuélin (du nom du roi Manuel Ier). Il est écrit sur la brochure touristique que c’est la ville la plus manuéline du Portugal. Avec ses colonnes torsadées, ses motifs floraux, ses reliefs un peu tarabiscotés, on dit que ce style s’est inspiré de l’Inde.

Je poursuis vers Mazouco avec des superbes vues sur le Douro et le passage par une gravure rupestre du paléolithique. À défaut d’avoir fait le détour pour celles de la vallée de la Côa, je voulais voir celle-ci. Par des chemins un peu sauvages, je remonte vers Lagoaça. L’hôtel où je pensais dormir est fermé. Je vais me réhydrater au bar. Rapidement, on me dirige vers le frère de la propriétaire de l’hôtel. Cela semble s’arranger pour la chambre ce soir. Comme souvent dans ces cas là, il faut prendre son temps. Après trois tournées de bière, Antonio, le frère m’amène voir un point de vue sur le Douro puis on passe chez lui pour dîner. Il est relativement tard quand finalement, j’arrive à l’hôtel mais ces moments sont rares et il faut en profiter.
17 avril : Lagoaça – Mogadouro
Depuis hier, je longe en hauteur la vallée du Douro et la frontière espagnole. Mon dernier point de vue sur le fleuve est depuis un poste abandonné des gardes portugais qui contrôlaient ici les chemins de contrebande. Je surplombe le barrage d’Aldeadávila, un des nombreux le long du fleuve qui assurent une part importante de la production d’électricité du Portugal.
À Bruço, le bar est resté « dans son jus ». Celesta tient ce café depuis 52 ans. Elle a maintenant 88 ans. Elle n’est plus très jeune et il faut parler fort pour passer sa commande mais elle continue de travailler. Gil, un client, a eu une vie professionnelle riche. Il travaillait dans l’administration portugaise à Luanda en 1974 et 1975, au moment de l’indépendance. Il a beaucoup aimé l’Angola. La société y était plus ouverte, plus développée alors qu’ici, c’était le moyen âge, me dit-il.

Mon itinéraire laisse maintenant le GR36, Grande Rota do Vale do Douro Internacional, pour remonter vers le nord. Il n’y a plus de balisage mais, pour le moment, les chemins sont toujours aussi agréables. Cela me permet d’arriver assez tôt à Mogadouro. Après une rapide visite du centre historique, je m’installe à l’hôtel. Je peux profiter d’une après-midi tranquille après plusieurs longues étapes. J’apprécie de pouvoir me reposer.
18 avril : Mogadouro – Algoso
Dans ces villages du Trás-os-Montes, j’ai de grandes chances de trouver des personnes qui parlent français. À Penas Roias, je discute avec une Portugaise retraitée ici après une vie professionnelle en France.
– Mon mari était maçon, j’étais femme de ménage comme tous les Portugais, me dit-elle.
Au village suivant, São Martinho de Peso, Arthur a un accent parisien. Il est arrivé en France à l’âge de cinq ans et il a plus de facilités pour discuter en français qu’en portugais. Ses filles sont mariées avec des Français de souche. Mais, sa retraite, c’est ici qu’il veut la passer. Je le retrouve à Algoso au bar. Adelino se joint à nous. Il a travaillé en Bourgogne et lui aussi, est rentré au pays.

La république du Portugal reconnaît deux langues officielles. La deuxième pourrait être le français au vu de cette journée. Ce n’est pas le cas. Cela pourrait être aussi l’anglais en honneur de la très vieille alliance entre les deux pays. En 1308, Angleterre et Portugal signent un traité de libre commerce et en 1373 un traité d’alliance. Contre l’Espagne ou la France de Napoléon, ils étaient ensembles. Les Portugais parlent en plus souvent très bien anglais. Comme en Europe du Nord, les films sont en version originale sous-titrée ce qui permet de s’habituer à la musicalité de la langue. Mais la deuxième langue reconnue par la république portugaise n’est pas non plus l’anglais mais le mirandais. Je marche à la limite de l’ancienne aire géographique où cette langue était parlée. Il ne reste plus que 10000 locuteurs un peu plus à l’est autour de la ville de Miranda do Douro. Cette langue du groupe astur-léonais, donc plus proche du castillan que du portugais fait partie des langues menacées et son très faible nombre de locuteurs n’a pas empêché, en 1999, sa reconnaissance comme langue officielle du Portugal.
19 avril : Algoso – Pont de Grijó de Parada
Depuis hier, j’ai en ligne de mire les monts de Léon. Ils marquent la frontière avec l’Espagne. J’y serai dans trois jours. En attendant, il faut que je profite de la fin de mon parcours portugais. Les chemins sont toujours aussi agréables. C’est remarquable de pouvoir marcher autant de kilomètres sans bitume. Mais dans la région de Trás-os-Montes, c’est en plus différent du reste de ma traversée du pays. Je discute facilement. Ce matin, je rencontre à nouveau des émigrés. Un me dit que sur le million de portugais en France, 70% venaient du nord du Portugal. Même les petites mémés, tout de noir vêtues, m’arrêtent pour me poser des questions.
Avant Vimioso, Fernando et Celesta m’invitent chez eux pour déjeuner. J’ai déjà mangé un peu avant mais ils insistent et me voilà attablé à boire le vin de la maison et à prendre un repas complet. Ils n’ont pas travaillé en France mais un oncle habite entre Toulouse et Montauban.

Je poursuis mon chemin. Il fait beau. En plus d’un mois au Portugal, je n’aurai eu qu’une journée de mauvais temps et encore, il n’a plu qu’une fois arrivé. Dans l’après-midi, je traverse le joli pont sur la rivière Maçâ. Il fait chaud. Je ne résiste pas au plaisir d’une petite baignade avant de lézarder au soleil. Pour terminer la journée, je fais une nouvelle pause, cette fois au bar d’Outeiro face à une belle et impressionnante basilique. Il me reste à trouver un bon emplacement pour camper.
20 avril : Pont de Grijó de Parada – Bragance
La cabane était sommaire mais j’étais à l’abri du vent et de l’humidité. L’autre avantage est d’être rapidement prêt le matin et je peux attaquer la montée alors qu’il fait encore frais. Je suis dans une vallée encaissée, sauvage et une fois traversé le joli pont de pierre, la pente est raide.
Au premier village, un client m’offre le café. Au second, je discute avec la patronne qui a vécu 40 ans à Paris. À la sortie du village, un habitant m’interpelle pour me demander si j’ai besoin de quelque chose. C’est le classique de la région de Trás-os-Montes.
À Bragance, je suis à l’extrémité nord-est du pays. La ville est célèbre pour être le berceau de la famille qui a régné sur le Portugal après les soixante années de domination espagnole, en 1640 jusqu’à la fin de la monarchie en 1910. Et aujourd’hui les héritiers de la couronne portugaise sont de la maison de Bragance.
J’ai évoqué déjà quelques monarques du pays : Denis Ier, le roi troubadour et sa femme, la reine sainte Elisabeth, Pierre Ier le roi amoureux et son épouse Inès de Castro, la reine couronnée morte, le roi Sébastien qui doit revenir comme messie… mais aucun de cette famille de Bragance. Un de ces rois, João V est lui connu pour son libertinage. Il a notamment eu comme maîtresse une religieuse, la sœur Paula de Odivelas. Il la retrouvait clandestinement dans son couvent. De cette union illégitime naquit un enfant José de Bragança. Sacrés rois portugais !
21 avril : Bragance – Padornelo
Dès la sortie de Bragance, je retrouve ces petits chemins que j’ai tant aimés au Portugal. Je me dirige vers la frontière. Il y a encore quelques petits villages. Le dernier, Montesinho a gardé un certain cachet. À 1000 mètres d’altitude, il est isolé dans des montagnes couvertes de bruyères et de genêts. Il me faut encore prendre de la hauteur pour passer en Espagne. À travers les bruyères, je franchis la frontière. Peu de temps après, la pluie se met à tomber. C’était prévu mais j’espère que ce n’est pas un mauvais présage et que les cieux espagnols seront aussi cléments que ceux du Portugal. La dernière fois que j’ai eu vraiment de la pluie, c’était la première semaine en Andalousie. Cette fois, je suis en altitude. Je passe à 1550 mètres. Il y a du vent et tout de suite, il commence à faire froid. Je presse le pas pour arriver à Padornelo. L’étape est longue mais il y a un hôtel dans le village. Au col, je retrouve le balisage du camino Sanabrés où j’étais passé en 2014. Je fais ainsi un nouveau lien entre mes chemins. J’aime cette toile d’itinéraires que je tisse petit à petit.
J’ai terminé mon parcours au Portugal. J’y suis depuis le 15 mars, un peu plus de 6 semaines. Cela a été une belle marche. Hormis une partie dans l’Alentejo avec beaucoup de terrains privés et clôturés, je me suis régalé sur ces chemins avec de beaux paysages et la traversée de villes et villages avec un cachet. Le final dans la région de Trás-os-Montes m’a en plus permis d’avoir des contacts plus réguliers avec les Portugais.
J’avais prévu une fois passé la frontière de retourner en Andalousie pour reprendre ma Vuelta-Volta cette fois dans le sens antihoraire. Mais les prévisions météorologiques sont bonnes pour la semaine à venir dans la région (quoique de la pluie initialement non prévue est possible dimanche). Cette région est connue pour son climat humide et je vais être maintenant dans les montagnes. Je vais donc continuer encore un peu avant de descendre dans le sud.
J’ai trois paramètres à intégrer. Le premier est la météo ici donc relativement clémente. Le deuxième est la météo dans le sud. Pour le moment, il ne fait pas trop chaud mais il ne faut pas que j’attende trop. Mais comme je suis en avance sur mon planning, je tente le coup. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Je peux avoir une semaine correcte ici, je prends. Enfin, mes chaussures sont un peu en bout de course et je ne pourrai pas aller sur des terrains trop difficiles. C’est donc parti pour quelques jours supplémentaires direction le nord, dans les Montes de León, entre Galice et Castille et León.
5 – Montes de León
22 avril : Padornelo – Refuge Vega del Conde
Le passage de frontières m’a toujours fasciné. Il y a celles qui marquent une rupture complète, culturelle, économique comme entre la Grèce et l’Albanie, celles où l’histoire a créé un gouffre, c’était le cas entre le Tadjikistan ex république soviétique et l’Afghanistan. Celle entre le Portugal et la Galice est une des frontières les moins marquées. L’espace Schengen permet de passer d’un pays à l’autre sans aucune formalité. Le portugais et le galicien font partie de la même famille linguistique. Mais cela reste une frontière. Pour moi, une des premières différence est le repas. Au Portugal, rien n’est compris. On n’additionne : le pain en supplément, les olives sur la table, ce n’est pas offert, le petit fromage encore moins. Au final, un repas assez basique (morue, dessert et eau), dans un restaurant « classique » à Bragance m’est revenu à 20€. Une fois traversé des champs de bruyères, le menu espagnol est exactement le contraire. Ici tout est inclus : le pain, l’eau minérale, le litre de vin. À Padornelo, pour 12€, j’ai eu un repas complet, entrée, plat principal, dessert, vin, eau. On n’imagine pas ce qu’un champ de bruyères peut générer comme différences.
Autre différence, les cieux espagnols n’ont pas l’air de vouloir m’être favorables. Il était prévu du soleil et des nuages pour la journée. Le temps se couvre très rapidement. Quand je passe au point haut à 1810 mètres d’altitude, je suis dans la brume avec un peu de précipitations à la limite de neige. Il fait froid. Heureusement, dans le parc naturel des lacs de Sanabria, il y a beaucoup de refuges non gardés (plutôt des cabanes). Il y a de nombreux lacs d’origine glaciaires souvent rehaussé par des barrages. Dans Don Quichotte, Durandarte lui raconte que Belerma avait 6 filles et 2 nièces que Merlin a transformé en lacs. Le paysage me fait un peu penser à la Serra da Estrela avec de vastes étendues, peu de relief dans un univers de granit et une végétation assez maigre. Avec les fréquentes averses, les nuages, le paysage est austère. Dès qu’il y a un fugace rayon de soleil, tout s’éclaire et c’est magnifique avec les lacs et les flancs des montagnes mauves avec les bruyères.
Les refuges me permettent d’avancer par à coup en essayant d’être à l’abri quand la pluie se fait plus forte. Celui de Vega del Conde est un des derniers sur mon parcours. Il est en assez bon état. Il y a une source à côté. Le feu brûle dans la cheminée et me réchauffe. Je suis plutôt pas mal.
23 avril : Refuge Vega del Conde – Fonte da Cova
La soirée et la nuit ont été excellentes dans mon refuge isolé dans le parc naturel des lacs de Sanabria. Alimenter et regarder le feu dans la cheminée occupe bien la soirée et un bon matelas bien à l’abri des intempéries m’a permis de bien dormir.
Les dernières prévisions météorologiques que j’avais vues avant de ne plus avoir de réseau, donnaient pour dimanche des nuages le matin et de la pluie à partir de midi. Je démarre donc tôt. Les nuages se sont transformés en orballo, le crachin galicien. Il me faut passer à 2100 mètres d’altitude et je presse le pas. D’orballo, cela devient des averses avec des coups de vent. Heureusement que je marche, cela m’évite de me refroidir. Les conditions sont presque hivernales. Je pense au choix fait. À Antequera, en Andalousie, ils prévoient 34°C dans la semaine et je me vois en train de prendre une bière à l’ombre d’une terrasse.
Je passe juste sous la Pena Trevinca. Je ne fais pas le crochet jusqu’au 2127m du sommet. Il reste quelques névés. Je suis sur la crête balayée par le vent et il me reste du chemin. L’objectif est d’arriver à Fonte da Cova. À 1800 mètres d’altitude, le chemin rejoint un col où il y a un hôtel. Dans la descente, je croise un groupe de randonneurs motivés malgré les conditions. Je commence à être bien mouillé et ils me disent que l’hôtel est fermé. Le moral prend un coup. J’essaie d’envisager les différentes options. J’arrive au bar, grelottant et complètement trempé et c’est un grand soulagement quand la serveuse me dit qu’ils ont bien des chambres. C’est immédiatement au chaud et au sec et regarder à l’abri les éléments se déchaîner avec de temps en temps une petite éclaircie.
24 avril : Fonte da Cova – Biobra
C’est agréable, après être arrivé trempé, de repartir bien sec, propre et réchauffé. J’ouvre la porte pour démarrer, il y a une averse et Fonte da Cova est enveloppée dans la brume. Faux départ, je retourne prendre un café avant de me décide à y aller. Le parapluie est sorti, je me lance sur une piste de montagne. L’averse s’est transformée en orvallo. Je pense aux différentes options. Les prévisions météorologiques ne sont toujours pas si mauvaises ici. Mais est-ce que cela signifie marcher sous le crachin et dans le brouillard? Il est toujours prévu plus de 30°C à Antequera avec une légère baisse des températures à partir de vendredi. Les informations annoncent même jusqu’à 40°C dans la vallée du Guadalquivir cette semaine, une canicule tout à fait inhabituelle pour un mois d’avril.
Pas facile de prendre une décision, surtout que 20 kilomètres plus bas, il y a une ligne de chemin de fer avec des trains pour León et de là, le TGV pour Madrid puis l’Andalousie et son soleil.
En descendant, les averses et même l’orvallo cessent, je gagne des degrés, sors des nuages. Il y a même quelques rayons de soleil. À Puente de Domingo Flórez, j’ignore la gare et passe au supermarché pour les deux jours prochains. J’ai 68 kilomètres jusqu’à Piedrafita de Cebreiro où je retrouverai des moyens de transport en commun.
Le ciel se dégage. J’ai même de belles éclaircies. Si les conditions restent ainsi, c’est idéal pour marcher. Le paysage est moins lumineux mais c’est moins embêtant ici. Les forêts ont brûlé en 2022 et la montagne est truffée d’ardoisières. Un habitant me dit que c’est ici qu’il y a la plus grande production d’ardoises au monde. C’est la principale activité de la région et fait travailler trois à quatre mille personnes.
Je poursuis jusqu’à Biobra, un village un peu en hauteur. Il n’y a pas d’hébergement mais un café. Mercé et Pépin l’ont installé dans l’ancienne étable. Il n’y a aucune enseigne. Il faut contourner la maison pour rentrer. Avant, ils étaient dans le centre du village mais il y avait trop de monde. Je discute avec Julio qui a fait plusieurs chemins de Santiago, nous buvons quelques bières. L’avantage ici est de pouvoir discuter plus facilement qu’en portugais. Puis, je vais m’installer près de la fontaine du village.
25 avril : Biobra – O Cebreiro
Par rapport aux prévisions météorologiques, c’était mi-figue mi-raisin pour la journée dans le parc naturel des lacs de Sanabria, très mauvais pour mon passage à la Pena Trevinca. Aujourd’hui, j’ai retrouvé des conditions idéales. Le soleil l’a emporté sur les nuages. Les températures étaient agréables. Du coup, cela valide le choix de poursuivre ici alors que le thermomètre va monter en Andalousie.
Les conditions étaient idéales, j’en ai donc profité. J’ai traversé une région assez isolée, sauvage. Les chemins étaient bons et permettaient de bien avancer. Après une bonne pause à midi à Oencia, je repars avec comme objectif une quinzaine de kilomètres et un bivouac dans la montagne. À la sortie du village, un habitant me demande où je vais.
– Demain à O Cebreiro
– O Cebreiro? Mais vous y serez ce soir. Quand j’étais gamin, on allait à la messe pour la fête patronale du village et on mettait 5 heures.
Il y a 30 kilomètres de Oencia à O Cebreiro avec 1240 mètres de dénivelés. Le gamin devait gambader comme un lapin ou alors, il ne se souvient plus très bien. Mais il m’a mis une petite idée dans la tête. Il était 14 heures en quittant Oencia. J’ai commencé par me remettre à l’heure portugaise. La Galice est sur la même longitude. C’est légitime. Donc 13 heures, si je marche à 5 kilomètres heure, à 19 heures, j’arrive à O Cebreiro. Après tout, pourquoi pas ? Il faut quand même aussi prendre en compte que j’ai déjà 19 kilomètres et 910 mètres de dénivelés dans les pattes.
Je suis finalement arrivé à O Cebreiro. J’ai marché à mon rythme habituel. J’ai profité de ces bons chemins. Les paysages étaient superbes. Mes jambes allaient bien. Au final, 49 kilomètres et 2150 mètres de dénivelés positifs et j’ai raccordé ma Vuelta-Volta à ma marche d’Aix-la-Chapelle à Porto en 2012. Elle commence à être bien arrimée à mes autres parcours.
Cela me permet aussi de prolonger ma marche ici. En trois jours, je peux aller jusqu’à Villablino. De là, il y a des bus pour León. Le temps devrait se maintenir ici et les températures devraient baisser la semaine prochaine en Andalousie. Je poursuis donc entre Galice et Castille et León.
26 avril : O Cebreiro – Refugio Las Charcas
Une soirée à O Cebreiro, c’est une plongée dans l’univers très spécifique du Camino Francés. Le premier élément notable est le monde. Je ne verrai probablement pas avant longtemps une telle concentration de marcheurs. Le deuxième élément est leur diversité. Il y a tous les âges, toutes les nationalités. Je dîne avec un Américain. Il y a deux Coréens du Sud dans mon dortoir. J’entends parler français…La démarche de beaucoup est mal assurée. L’étape de O Cebreiro est une des plus difficiles du chemin.
Je suis arrivé tard et les rituels du Camino, la douche, la lessive étaient déjà bien avancés. La plupart des pèlerins étaient déjà à la terrasse des bars à boire la bière en groupes selon les affinités créées sur le chemin. Les plus pieux sortaient de la messe du pèlerin. C’est aussi un produit touristique à part entière. Mike, l’Américain avec qui je dîne est venu pour deux semaines. Ses hôtels sont réservés. Ses bagages sont acheminés. Il se sera offert un bout de chemin et de son histoire.
Ce matin, tôt, c’est le branle-bas de combat. Je ne suis pas pressé. Il faut que je me ravitaille pour les prochains jours et le supermarché à Pedrafita de Cebreiro n’ouvre qu’à 9 heures. À 7h30, l’auberge est déjà presque vide. Les pèlerins sont partis et pour beaucoup pour guère plus de vingt kilomètres.
Je quitte O Cebreiro alors que les derniers pèlerins partent en direction de Compostelle. Je ne risque pas de rencontrer beaucoup de monde les trois prochains jours. Je vais naviguer sur des crêtes qui approchent mes 2000 mètres d’altitude pendant plus de 80 kilomètres.
Je suis la ligne de partage des eaux entre Galice et León. À Castañeiras, au bout du bout du León, une habitante me dit que dans le hameau voisin de O Portelo, il était interdit pendant l’épidémie de Covid de circuler entre les trois maisons du León et celle en Galice. La guardia civil veillait au grain mais particularité, une des maisons avait deux entrées, une dans chaque province…
Le paysage se fait plus montagneux et la Penarrubia est mon premier sommet avec un caractère alpin. Au sommet, je rencontre un sympathique groupe de randonneurs galiciens. Nous faisons un petit bout de chemin ensemble puis je poursuis le bien jusqu’au refuge Las Charcas. Il y a un torrent, il est en bon état. Il est encore un peu tôt mais j’opte pour ce confort. Cela me laisse le temps de me laver, faire la lessive et préparer et entretenir le feu.
27 avril : Refugio Las Charcas – Refugio de los Cardos
C’est ma plus grosse journée. Un peu plus de 30 kilomètres et un peu plus de 2000 mètres de dénivelés. Les chiffres sont assez habituels lors de mes marches mais, là ce n’était sont plus les paisibles chemins portugais. C’était un vrai parcours de montagne dans un environnement sauvage. Je n’ai croisé qu’une seule route au col d’Ancares et je ne vu personne si ce n’est deux randonneurs au premier sommet le matin. J’ai passé la journée à monter et descendre sur les crêtes. Après chaque pic, je voyais le suivant. Le terrain était aussi plus difficile. Dans la végétation, si je perdais la trace, cela devenait vite impossible de progresser. Le sentier était parfois un peu aérien dans les rochers où il fallait mettre les mains.
J’aurais pu m’arrêter avant, mais emporté par mes précédentes étapes, j’avais prévu trois jours entre O Cebreiro et Villablino. J’ai réservé mes billets de train. J’ai donc essayé d’avancer comme je l’avais calculé. L’autre donnée était de trouver un endroit pour dormir. Les parties en crête offrent peu de possibilités et il n’y a pas d’eau. J’avais donc en ligne de mire le refuge de los Cardos.
Les dernières montées ont été très difficiles. J’étais épuisé mais j’ai bien fait d’aller jusque là. Le refuge est en très bon état avec la fontaine à côté. Il y a même de l’électricité fournie par un panneau solaire. Presque le confort d’un bivacco italien.
28 avril : Refugio de los Cardos – Villablino
J’avais déjà prévu d’éviter une partie de l’Alta Ruta Cantábrica qui, paraît-il, est très pénible dans la végétation, à batailler à chaque pas pour avancer. L’étape de la veille a été rude. Ce matin, je suis reposé mais j’opte pour un itinéraire plus tranquille. Du refuge de los Cardos, plutôt que de rejoindre ma trace au col de Trayecto, je descends vers la vallée. À Rebollar, j’ai la bonne surprise de découvrir un GR qui ne figurait pas sur mes cartes et peut m’amener jusqu’au col de Cerredo sans passer par la route. Le chemin est tranquille, passe en forêt, offre parfois de belles vues sur les pentes couvertes de bruyères en fleur.
J’atteins le col tranquillement. Ce ne sera pas la course pour attraper le bus de León.
La descente est tout aussi agréable d’abord sur un chemin puis sur la voie verte aménagée sur l’ancienne ligne qui desservait les mines. Le long de cette voie, les usines sont abandonnées. Depuis hier, je vois dans les vallées, les flancs des montagnes, les traces de l’activité minière. La vallée de Laciana où je suis, vivait de l’extraction de charbon et d’autres minerais. C’était le cas aussi pour les hautes vallées des Asturies comme versant nord du col de Cerredo. Toutes ces vallées asturiennes ou léonaises ont été le théâtre de luttes ouvrières. En 2012, la marche noire (marcha negra) est partie de Villablino en direction de Madrid. Plus loin dans le temps, en 1934, dans les Asturies, une révolution ouvrière a éclaté avec la création d’une éphémère république socialiste des Asturies. La répression par l’armée emmenée par Franco a été un prémice de la guerre civile. Ces événements ont inspiré Albert Camus dans sa pièce de théâtre « Révolte dans les Asturies ».
La plupart des mines ont fermé et en 25 ans, la population de Villablino a diminué de moitié. La ville n’est donc pas particulièrement attractive mais pour mon tour de la péninsule ibérique à pied, elle a de l’importance. C’est ici que je termine ma Vuelta-Volta dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est ici que je devrais terminer le tour complet de la péninsule ibérique à pied. Pour cela, il ne me reste plus qu’à remonter depuis Valle de Abdalajís à côté d’Antequera en direction des Pyrénées après avoir traversé la Sierra Nevada puis d’enchaîner Pyrénées et Monts Cantabriques. Il ne me reste plus que 2500 kilomètres environ…
J’ai terminé cette première partie plus loin que je l’avais prévu initialement. Depuis la frontière portugaise, j’ai marché 230 kilomètres. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre entre le Portugal et les Monts Cantabriques. Il n’y avait pas d’itinéraire existant et c’est pourtant une très belle partie avec les lacs de Sanabria, les beaux chemins ensuite, le passage par O Cebreiro et le parcours en montagne pour terminer. Il m’a demandé des efforts mais cela valait la peine.
Voilà 55 jours que je marche en continu depuis Tarifa, presque deux mois, environ 1750 kilomètres parcourus. Demain, j’ai ma première journée de repos avec deux trajets en train, d’abord jusqu’à Madrid puis vers Antequera. Je reprends dimanche direction Villablino depuis Valle de Abdalajís.
6 – GR7 Andalousie
30 avril : Valle de Abdalajís – Villanueva de Cauche
Je ne suis pas un grand amateur des « zero days ». Je trouve que cela casse le rythme. Avec le voyage en train à travers l’Espagne, j’ai encore plus eu l’impression de sortir de ma marche. Après des jours dans la nature, se retrouver en ville, les gares, le métro à Madrid, le match de rugby dans un pub irlandais en attendant la correspondance…c’est presque irréel alors que la veille je me réveillais seul dans un refuge des Monts Cantabriques. C’est d’autant plus irréel que je redémarre dans un environnement complètement différent.
Mais, il faut repartir et les conditions sont idéales pour le faire. Le corps s’est un peu reposé. Les chaussures sont neuves et identiques aux précédentes. Elles m’ont donné satisfaction en confort et en résistance. Après 1750 kilomètres, j’aurais même pu les garder encore un peu mais je ne me sentais pas passer la Sierra Nevada avec. Ce matin, il fait une température idéale, 16°C, un petit vent et un voile nuageux qui empêche le soleil de trop cogner. Je ne devrais pas avoir plus de 30°C durant la petite semaine de marche qui doit m’amener dans la Sierra Nevada.
D’ici les montagnes, j’ai deux incertitudes : les chemins car mon itinéraire s’écarte régulièrement du GR7 officiel et la gestion de l’eau. J’étais passé ici exactement le 5 mai 2014 et les paysages étaient verdoyants. Cette année, ils ont des couleurs estivales. Les paysans ramassent déjà le foin. J’espère que les fontaines et sources ne seront pas à sec. C’est tout à fait anormal me dit le chauffeur de taxi qui m’amène à Valle de Abdalajís.
Je repars de là. Le GR7 passe par Antequera et j’avais fait cette étape, il y a neuf ans mais j’ai choisi un itinéraire qui me fait passer par le Torcal d’Antequera plutôt que par la ville même. Je ne regrette pas cette option. C’est magnifique. Je traverse un paysage karstique avec des rochers protéiformes sculptés par l’érosion. La partie du haut est très touristique surtout au cœur de ce weekend de trois jours mais sorti du circuit qui part du centre des visiteurs, je marche sur des sentiers tranquilles.
Je craignais un peu cette journée avec le passage imaginé pour rejoindre le Torcal et j’ai eu un bon et beau sentier. Je craignais la température mais finalement, c’était très agréable avec l’altitude (le Torcal est à 1300m). Je pensais trouver un hôtel complet mais j’ai finalement une chambre. Cette reprise après la journée de battement, s’est déroulée parfaitement.
1er mai : Villanueva de Cauche – Ventas de Zafarraya
Après cette première journée où j’ai laissé le GR7 pour passer par le Torcal d’Antequera, je prévois de suivre cet itinéraire plus fidèlement aujourd’hui. À Villanueva de Cauche, il y a d’ailleurs un panneau d’information présentant ce sentier de grande randonnée. Mais rapidement, là où il est censé quitter la route pour une piste sur le flanc nord de la Peña Negra, je bute sur le premier obstacle. L’immense portail du Cortijo de la Fresneda barre l’accès. Ce prestigieux sentier qui va de Tarifa aux Pyrénées est bloqué. Il s’agit même de l’itinéraire européen E4 qui va jusqu’à Chypre. Je le connais bien puisque je l’ai emprunté à partir de là, puis par bouts en Crète, en Grèce, en Bulgarie, des Alpes aux Pyrénées.
C’est un peu comme si un paysan avait mis un portail bien cadenassé sur l’autoroute du sud. Le Cortijo de la Fresneda empêche les randonneurs de passer sur ce grand itinéraire européen. Il n’y a d’ailleurs aucune information sur le passage alternatif à emprunter. Je poursuis un peu sur la route. À un endroit, il est possible de franchir la clôture. Je le fais sans scrupule. Je suis un prestigieux chemin de grande randonnée.
À partir de là, j’ai décidé de faire mon chemin, laissant le GR7 et faisant fi des clôtures. Dans la journée, je vais en passer une bonne dizaine sans m’égratigner aux barbelés et sans rencontrer de propriétaires récalcitrants. Je suis dans des endroits assez isolés et ces clôtures sont plutôt pour le bétail. Ayant laissé le GR7, j’évite aussi une bonne partie de la route pour des sentes tranquilles au flanc des montagnes. Le paysage est assez sec, calcaire mais je passe devant des fontaines et c’est toujours une grande satisfaction de pouvoir remplir sa gourde d’eau fraîche. La canicule est terminée mais l’après-midi, le soleil est fort et j’apprécie de pouvoir me réhydrater.
J’avais comme objectif de faire une bonne quarantaine de kilomètres jusqu’aux Ventas de Zafarraya où il y a une pension. C’est ce genre d’établissement que j’aime en Espagne. Une chambre simple mais avec tout le confort pour 25€ la nuit et le bar et restaurant sur place.
2 mai : Ventas de Zafarraya – El Bacal
J’ai maintenant la Sierra Nevada en ligne de mire et j’espère être à son pied demain soir. D’ici-là, je suis dans une zone de transition moins attrayante. Ce matin, j’ai commencé par traverser un plateau dédié à l’horticulture avec serres, vastes champs d’artichauts, de salade, de choux… Le GR7 n’a pas sa place ici et j’ai buté sur une clôture électrique. Ne voulant pas terminer ma Vuelta-Volta électrocuté, je l’ai évité en franchissant une autre clôture qui donnait sur un terrain avec un panneau de mise en garde : « Propriété privée – Défense d’entrer ». Inutile de préciser que je ne vois aucun autre randonneur sur cet itinéraire de grande randonnée et je ne suis pas sûr qu’il ait vocation à devenir populaire.
J’ai poursuivi vers l’est mais cette fois en versant nord du relief. La végétation était un peu plus verte avec plus de forêts avant de retrouver des paysages plus secs en fin de journée.
Ce soir, je dors dans une aire de camping libre. Je suis dans un parc naturel et il y a quelques espaces pour passer la nuit. J’en ai traversé un ce matin avec toilettes, douches et eau. L’aire de camping d’El Bacal est plus sommaire. Les sanitaires sont fermés mais il y a de l’eau et c’est bien l’essentiel dans cette région.
3 mai : El Bacal – Restábal
Comme chaque soir, je passe un moment à étudier l’étape du lendemain. Hier, seul à l’aire de camping d’El Bacal, j’ai eu le temps d’envisager les différentes options. L’étape de la journée m’avait laissé sur ma faim et celle prévue ensuite ne me satisfaisait pas. J’avais notamment toute une partie hors chemins et sentiers figurants sur les cartes et sur les crêtes. Le risque était de se retrouver à galérer dans la végétation épineuse méditerranéenne et sans pouvoir trouver d’eau. Je n’avais aucun village sauf à la fin de l’étape au bout de 35 kilomètres. Si le chemin est difficile, cela fait long et je n’y avais pas identifié beaucoup de possibilités d’hébergement.
J’ai finalement opté pour la solution la plus facile : suivre le chemin de grande randonnée GR7. Je ne sais pas ce que m’aurait réservé le parcours initialement prévu mais le GR7 ne pas m’a déçu pour cette fois. Il était assez bien balisé. Il n’y avait pas d’obstacles type portail cadenassé ou clôture électrifiée. La fin de l’étape était en plus très belle. Après avoir eu des paisibles chemins en hauteur, j’ai commencé à perdre de l’altitude en suivant le lit d’une rivière à sec. J’avais l’impression de longer un oued africain à sec. Un peu avant Albuñuelas, un petit filet d’eau à commencer à permettre à la végétation de verdir. Puis le fond du vallon a pris des airs d’oasis dans un environnement minéral avec des petits potagers bien entretenus, orangers, citronniers, oliviers…
Albuñuelas est apparu un peu en hauteur, se fondant en partie dans le paysage et dominé par la Sierra Nevada. Le cœur du village est un labyrinthe de ruelles aux maisons blanches et fleuries comme dans une médina du Maghreb. Les siècles de domination arabe ont marqué l’architecture. J’ai continué à descendre au milieu de ces beaux jardins. Je suis bien logé à Restábal. Je ne regrette pas mon choix. Demain, je vais commencer à monter en direction du toit de la péninsule ibérique mais cela ne se fera pas en un jour.
4 mai : Restábal – Capileira
Je démarre tôt. L’étape est longue et je vais devoir gagner de l’altitude dans la Sierra Nevada. C’est toujours un plaisir de marcher aux heures fraîches du matin. Je reste à l’ombre pendant un bon moment et j’attrape le soleil alors que je suis à près de 1000 mètres d’altitude. Les vues sont belles sur les villages en contrebas et en direction de la Méditerranée.
Hier, j’avais un petit goût d’Afrique. Aujourd’hui, j’ai vraiment l’impression d’y être. Les maisons en pierre à toit plat, les terrasses sur les flancs de la montagne, je pourrais être dans l’Atlas marocain, les paysages seraient identiques. Plus loin, c’est presque le Pakistan avec les petits canaux d’irrigation que le sentier suit. Une fois entré dans le dernier vallon, la vue est spectaculaire avec l’antécime et trois villages des Alpujarras en contrebas avec leurs maisons blanches et les toits plats. Seul le clocher de l’église rappelle que je suis bien en Espagne.
Le plus haut, Capileira à 1412 mètres d’altitude, où je dors ce soir, est le plus spectaculaire. Je me promène dans ses ruelles étroites et en pente avec passages couverts, vues sur les toits. Demain, je vais continuer à monter en altitude avec peut-être le Mulhacén à 3479 mètres puis entamer ma traversée de la Sierra Nevada. Il y a plusieurs options en crêtes ou en contrebas. J’aviserai en fonction des conditions.
5 mai : Capileira – Refugio del Horcajo
J’entame mon troisième mois de ma Vuelta-Volta. C’est mon soixantième jour de marche. Et quoi de mieux pour marquer le coup que de passer par le point le plus haut de la péninsule ibérique. Je suis au sommet du Mulhacén, à 3479 mètres d’altitude et je ne pourrai pas aller plus haut durant cette longue marche. Atteindre le Mulhacén n’est pas un exploit en soit. C’est même une ascension à la portée de tous. Il y a une trentaine d’années, j’étais monté pratiquement à la cime avec ma Peugeot 205. Il ne me restait plus que la vaste et plate crête à parcourir à pied. De nos jours, le parc national met en service un bus pour les randonneurs qui souhaitent arriver facilement au Mulhacén. Point culminant de la péninsule ibérique mais comme la Torre au Portugal, c’est dans les îles que se trouve le toit de l’Espagne. Aux Canaries, le Teide culmine à 3718m.
Cette fois, je ne suis pas monté en voiture ou en bus et de Capileira, le sommet se mérite. Il y a 2210 mètres de dénivelés positifs. Mais pour moi, ils sont plus faciles que ceux sur les crêtes dans les Monts Cantabriques. C’est une montée presque continue et progressive. Le sentier est excellent. Les conditions parfaites. Il fait un grand ciel bleu. Il n’y a plus de neige. Le gardien du refuge de Poqueira me dit que normalement à cette date, il devrait y en avoir à cette altitude. Pour moi, c’est plus facile même si avec le sac à dos et l’altitude, il faut terminer très lentement, pas après pas.
Avec son titre de point culminant et sa facilité d’accès, il y a du monde au sommet et beaucoup d’étrangers. Je vois des Tchèques, des Norvégiens, des Allemands. Par contre, quand je poursuis sur l’autre versant, je suis à nouveau seul. Je descends jusqu’à 2200 mètres d’altitude. Je suis dans une zone d’alpages avec des troupeaux, ces bergeries à toit plat qui rappelle l’Atlas marocain. Il y a un refuge non gardé. Il est assez rustique mais propre et j’y serai bien pour la nuit.
6 mai : Refugio del Horcajo – La Calahorra
La Sierra Nevada, c’est déjà terminé. Après la partie plus alpine hier, j’ai évolué aujourd’hui dans un paysage beaucoup moins escarpé. Je ne savais pas si je pourrais par les crêtes. Elles sont au-delà de 2500 mètres d’altitude avec un passage à 2912m et je craignais un relief difficile et l’enneigement. Mon tracé initial rejoignait le GR240 à flanc en contrebas. En fait de crêtes, ce sont des vastes dômes. Je n’avais rien à craindre. Tu peux marcher partout, tout droit presque comme en plaine sauf que c’est entre 2600 et 2900 mètres d’altitude. Surprenant ! J’ai donc à la fois avancé à un bon rythme et beaucoup plus directement que sur le sentier qui serpente à flanc.
Après la journée d’hier, physiquement exigeante, celle d’aujourd’hui est plus dans la norme. Cela me permet d’arriver assez tôt à La Calahorra. Je peux un peu me reposer. La ville a du charme dominée par un beau château. Ce week-end, c’est la fête patronale. Il est prévu une procession religieuse avec la statue de saint Grégoire puis un bal. J’espère que l’animation ne m’empêchera pas de dormir. Demain, j’ai ma journée à faire et je ne sais pas ce que la Sierra de Baza va me réserver notamment pour l’eau.
7 mai : La Calahorra – Puerto de las Palomas
J’ai déjà écrit que le bivouac était pour moi un moyen de réaliser mes longues marches et pas un objectif et cela pour de nombreuses raisons. Une d’entre elles est de ne pas me sentir dans un pays étranger quand je dors sous la tente ou seul dans une cabane. Hier, quand je suis parti du refuge del Horcajo, je ne me sentais pas vraiment en Espagne. Mais le soir, à La Calahorra, je n’avais plus de doute. La statue de Saint Grégoire était portée en procession dans les rues de la ville précédée par des Andalouses avec leurs mantilles. Les fidèles scandaient par moment des « Viva San Gregorio ». La fanfare suivait, jouant entre autres l’hymne espagnol.
Je quitte La Calahorra par le GR7 que j’ai rejoint. Il contourne la Sierra Nevada par le sud pour éviter les parties en trop haute altitude. À la sortie de la ville, je rencontre mes premiers randonneurs sur ce fameux chemin. Kurt a commencé à Tarifa il y a un peu plus d’un mois et a été rejoint par Yung pour la partie dans la montagne. Nous marchons un peu ensemble sur ce vaste plateau à plus de 1000 mètres d’altitude. Ce n’est pas la partie la plus attrayante avec lignes électriques, espaces secs et déserts, immense centrale électrique solaire, agriculture intensive. Du coup, je vais au plus direct, évite les contours du GR7 et laisse les deux Néerlandais. Ici, il n’y a pas de clôtures et des chemins, j’en profite. L’autre satisfaction est de trouver plusieurs points d’eau dans la Sierra de Baza. Je termine l’étape au petit refuge de las Palomas à 2000 mètres d’altitude. Il y a une fontaine à 500 mètres. J’ai en face de moi la Sierra Nevada et le Mulhacén la tête dans les nuages. C’est certainement ma dernière vue sur ce massif. Je ne suis pas mal même si demain matin en me réveillant, je me demanderai si je suis dans une cabane des Pyrénées, en Italie ou quelque part dans les Balkans.
8 mai : Puerto de las Palomas – Baza
Hier, avec les raccourcis par rapport au tracé initial du GR7 et une longue journée de marche, je me suis facilité l’étape du jour. Du col de las Palomas, je n’ai qu’une petite vingtaine de kilomètres en descente pour quitter la sierra et rejoindre la ville de Baza. J’y arrive un peu après midi et j’ai ainsi toute l’après-midi tranquille. C’est rare et cela fait du bien.
Il n’y a pas énormément de sites à visiter. La ville est surtout connue pour sa statue d’art ibérique, la dame de Baza datée du IVè siècle av.J.C. L’original se trouve au Musée National Archéologique de Madrid. Il y a ici un musée consacré à cette statue et aux fouilles effectuées mais il est fermé le lundi. C’est la même chose pour les bains arabes. Je fais donc un rapide tour dans la vieille ville.
Demain, l’étape risque d’être longue. Il faut s’économiser. La température devrait voisiner les 30°C et je dois en plus marcher sur un autre altiplano entre la Sierra de Baza et celles de Castril et de Cazorla. Ce seront mes derniers massifs montagneux andalous. Je m’approche de l’extrémité est de cette région.
9 mai : Baza – Castril
Je quitte Baza avant le lever du soleil. Il y a de l’appréhension avant cette étape, peut-être même plus que pour celle par exemple du Mulhacén. Pourtant, elle ne présente à priori pas de difficultés majeures. Il y a la distance, 42 kilomètres, certes importante mais qui n’est pas exceptionnelle. Il y a la chaleur avec 30°C annoncé dans un environnement sec. Il y a enfin le risque d’ennui avec la traversée de cet altiplano entre les sierras de Baza et Castril et un parcours assez rectiligne. C’est l’ensemble de ces paramètres qui m’inquiète.
De Baza, je commence par le plus dur, une route droite. Il y a peu de trafic mais je n’aime pas le bitume. Le paysage est comme prévu aride, sec. Je suis dans des badlands, une terre pauvre où ne pousse qu’une maigre herbe déjà brûlée par le soleil et la sécheresse. Mais la lumière du matin lui donne un certain charme. Je longe des plantations de pistachiers. Quelques fleurs attirent mon regard et après 15 kilomètres, je retrouve un chemin et rejoins la vallée du rio Castril. Il y a plus de verdure. À Cortes de Baza, des belles maisons troglodytes se cachent sur les flancs de la colline. Je discute avec un couple belge qui en a acheté une. Elle est jolie mais même si à l’intérieur la température reste fraîche en été, je ne me vois pas vivre dans un environnement si sec et des températures supérieures à 40°C en été.
Après Cortes de Baza, le chemin devient agréable, le long du rio avec des parties à l’ombre. Je profite de la rivière pour me rafraîchir. L’eau est vraiment froide mais cela fait du bien car la dernière partie du chemin est plus ingrate. La piste quitte la rive pour passer à flanc, sans ombre et avec la chaleur de l’après-midi.
La récompense de la journée est l’arrivée à Castril. Le village est au pied de la Sierra éponyme dans un superbe site, blotti contre des rochers. Les maisons dans le centre sont toutes très fleuries. Finalement, la journée s’est mieux passée que je le pensais.
Demain, je me retrouve à nouveau dans la sierra. La température va perdre quelques degrés et je vais gagner de l’altitude. Cela devrait être plus agréable. La question est toujours la même : vais-je trouver de l’eau ? Des processions religieuses pour faire venir la pluie ont été organisées dans la province de Jaén où je me dirige. Les Andalous sont spécialistes des processions mais l’effet de celles-ci se fait parfois attendre. Pour la pluie, ce ne sera pour les jours qui viennent. L’année dernière, ils avaient trop d’eau. J’en avais fait l’expérience quand j’avais débuté ma marche à Caravaca de la Cruz. Cette année, c’est le contraire et si cela perdure, l’été va être terrible ici.
10 mai : Castril – Don Domingo
Jusqu’à Caravaca de la Cruz et la fin de cette partie de ma Vuelta-Volta, j’ai 140 kilomètres dans une de ces territoires presque déserts de l’Espagne. Je vais marcher dans une zone montagneuse aux confins de trois régions : l’Andalousie, la Castille La Manche et Murcie dans un espace presque vide de population. En Europe, vu sa topographie, l’Espagne est un des pays où la population est la plus concentrée. Une formation politique est même née pour représenter ces territoires avec en 2019 une grande marche sur Madrid. « España vaciada » pourrait obtenir 15 députés si des élections se déroulaient aujourd’hui et jouer ainsi un rôle clé dans la formation d’un gouvernement.
Hier soir, j’ai à nouveau modifié mon parcours. J’avais prévu de passer par les crêtes. J’ai opté pour un chemin plus bas avec au moins un point d’eau identifié. Le chemin remonte vers la source du rio Castril qui sort au fond d’un vallon. Je suis dans un massif calcaire donc très minéral et sec mais c’est magnifique. Un vieux et bon sentier monte vers le col de la Asperilla. J’ai de vastes vues sur les montagnes. C’est presque désert d’autant plus que la piste jusqu’à la source était coupée pour travaux. Il n’y a donc pas de touristes mais la montagne n’est pas vide. Il y a régulièrement des bergeries avec des troupeaux de moutons et donc je trouve facilement de l’eau.
Je poursuis jusqu’au hameau de Don Domingo. Une dizaine d’habitants vit ici au bout de la route à 1540 mètres d’altitude. Je passe un moment à discuter assis sur un banc avant de m’installer dans le lavoir à côté de la fontaine.
11 mai : Don Domingo – Pedro Andrés
La température a baissé ce matin. Je marche d’un pas rapide pour me réchauffer. J’ai finalement eu des températures très supportables pour ma partie andalouse. Je suis toujours sur un itinéraire propre qui doit maintenant m’amener à Caravaca de la Cruz. Je n’ai donc pas eu beaucoup d’informations sur le parcours. Ce sont les conditions idéales pour les bonnes et aussi parfois mauvaises surprises.
Je commence plutôt bien en évitant la route. Elle est peu fréquentée puisque en terminus dans le hameau de Don Domingo, mais c’est du bitume et tout bitume évité est pour moi une satisfaction. Arrivé sur le mirador du rio Frío, je découvre un sentier qui ne figure pas sur les cartes Opentopomap. Il descend dans le canyon et semble non seulement attractif mais aussi plus direct. Après quelques vérifications sur internet, je valide l’option. C’est une réussite. Le chemin est balisé, parfois un peu difficile à suivre mais magnifique dans un canyon sauvage. Je ne vois bien sûr personne. La rivière coule tout le long apportant verdure et fraîcheur. La journée a bien commencé.
À la sortie du canyon, une autre belle surprise m’attend : les Cuevas del Engarbo. C’est un habitat sous voûte rocheuse qui abrite des peintures rupestres préhistoriques. Elles ne se visitent pas mais le site est beau.
Je poursuis sur des sentiers, pour la plupart balisés dans des paysages dignes de l’ouest américain. Pour terminer, je passe devant un autre très beau site : les Cuevas de las Quinterias, un village abandonné aussi sous voûte rocheuse et en partie troglodyte. L’habitat est assez récent et à l’intérieur des maisons, il reste du mobilier, lits, chaises. Il y a peut-être un demi-siècle, des gens vivaient ici.
Je n’attendais rien de spécial de cette étape et je suis allé de surprise en surprise. C’est un des plaisirs de ces longues marches.
J’ai maintenant quitté l’Andalousie. Je suis ce soir en Castille La Manche, dans la province d’Albacete. Demain, je rentre dans la région de Murcie pour mes deux dernières journées de marche de cette partie.
12 mai : Pedro Andrés – Sous le Cerro Mojón
Je démarre tôt. J’ai 61 kilomètres jusqu’à Caravaca de la Cruz à faire en deux jours et passé Nerpio, il y a 52 kilomètres dans la montagne sans localités. C’est une partie assez sèche m’a-ton-dit. J’aimerais en plus bien m’avancer pour pouvoir demain après-midi aller en transport en commun jusqu’à Castalla où j’ai arrêté ma marche l’année dernière.
Jusqu’à Nerpio, le sentier longe la rivière. C’est vert et tranquille. Je monte ensuite vers la Sierra de Segura. Je laisse les plantations de noyers (c’est la spécialité du coin) pour la pinède. Ici, il n’y a pas de source et donc pas d’élevage. Je passe devant des fermes abandonnées mais sans repérer des points d’eau. Plus haut, à côté d’une de ces fermes, une ancienne fontaine coule au goutte à goutte. Ne sachant pas à quoi m’attendre pour la suite, je joue la sécurité. C’est l’occasion pour faire une bonne pause.
J’ai bien fait de prendre cette eau car, par la suite, je ne verrai plus de source, fontaine ou rivière. Heureusement, il ne fait pas chaud et je n’ai pas besoin de me réhydrater. Dans la descente, je mets même ma petite polaire. Puis la pluie se met à tomber. Les processions des Andalous de Jaén ont porté leurs fruits ! Je sors le parapluie. Au moins, je ne le porte pas pour rien. Je continue à marcher tard. Entre l’espoir que la pluie cesse pour m’installer tranquillement, la recherche d’un bon coin pour bivouaquer pas facile à trouver dans cet environnement rocailleux avec une végétation méditerranéenne et le souhait d’avancer, les kilomètres défilent. Je finis par m’installer dans une pinède. Il pleut toujours. La nuit va tomber. J’ai parcouru cinquante kilomètres. Demain, il ne me reste qu’une petite étape pour arriver à Caravaca de la Cruz.
13 mai : Sous le Cerro Mojón – Caravaca de la Cruz
La dernière nuit de cette séquence dans le sud de l’Espagne n’a pas été le reflet des deux semaines. Il a plu une bonne partie de la nuit et ce matin, les températures sont fraîches. Je plie la tente mouillée et pars pour une petite étape jusqu’à Caravaca de la Cruz.
J’avais démarré là l’année dernière pour suivre le GR7 jusqu’à Montserrat mais des successions de précipitations venues de la Méditerranée m’avaient fait renoncer à poursuivre. De Castalla, j’avais repris l’avion à Alicante et j’étais rentré à la maison.
Deux raisons m’avaient fait choisir Caravaca de la Cruz comme point de départ. La première, très pratique est que la ville se situe au pied des dernières montagnes significatives. Je pouvais sans trop de craintes de mauvaises conditions aller d’ici jusqu’aux Pyrénées au début du printemps. La deuxième raison est symbolique. Caravaca de la Cruz est une ville de pèlerinage importante dans la péninsule. Elle abrite comme son nom l’indique une relique de la croix du Christ. C’est une des villes saintes reconnues par le Vatican avec d’autres prestigieuses cités comme Rome, Jérusalem et Saint-Jacques de Compostelle. Jean Paul II lui a accordé ainsi un privilège perpétuel avec une année jubilaire tous les sept ans. Dans les récits de certains pèlerins du XVIIè, la ville était une des étapes avec Santiago et parfois aussi Guadalupe ou Montserrat. Ainsi en marchant de Caravaca de la Cruz jusqu’à cette dernière, j’effectuais un chemin symbolique. J’ai tronçonné cette partie en petits bouts et il ne me reste maintenant qu’à marcher de Castalla à l’Èbre, en gros le GR7 dans la région de Valence.
J’ai donc pris le bus via Murcie et Alicante pour repartir demain matin à Castalla.
J’ai terminé mon GR7 en Andalousie avec en 2014 la partie jusqu’à Antequera et la suite cette année. Je suis ravi de ces deux semaines. J’ai pris beaucoup de libertés avec le tracé officiel et je ne regrette pas ces choix. Le Torcal d’Antequera, Capileira au pied de la Sierra Nevada, la traversée des montagnes en passant par le Mulhacén, la Sierra de Castril et la belle découverte des canyons dans le sud de la Castille La Manche resteront des beaux souvenirs de cette Vuelta-Volta. J’ai à nouveau 500 kilomètres à marcher pour arriver à l’Èbre donc sur le rythme actuel, deux grosses semaines.
7 – GR7 Valence
14 mai : Castalla – Banyeres de Mariola
C’est la période des fêtes en Espagne. Fête des Maures et des Chrétiens la semaine dernière à Caravaca de la Cruz ou fin avril ici à Banyeres de Mariola, fête de San Isidro ce weekend à Castalla, patron des agriculteurs et de la ville, fête du couronnement de la Vierge ce weekend aussi à Onil…Cela a l’air d’être important vu le nombre de maisons et balcons pavoisés en l’honneur de cet événement. Pour moi, il faut prendre en compte ces paramètres pour me loger et par exemple à Castalla et Onil, tout était complet.
J’ai changé de région et à mon spontané Buenos días, on me répond parfois par un Bon Dia catalan ou plus exactement valencien. C’est la langue maternelle d’un tiers de la population de la Communauté. Contrairement au catalan, le valencien est plus pratiqué sur le littoral urbanisé alors que le castillan domine largement dans les montagnes de l’arrière pays.
L’environnement lui n’a pas changé. Les paysages restent secs, méditerranéens et je ne pense pas que les quelques pluies de ces deux derniers jours suffisent à leur donner l’aspect de la montagne basque.
Après mes grosses étapes andalouses, j’attaque moderato ma marche dans la Communauté de Valence. Je m’arrête à Banyeres de Mariola après vingt kilomètres. Je ne suis pas fatigué, je n’ai pas trop transpiré avec la fraîcheur ambiante, je gère juste mes étapes en fonction des hébergements disponibles.
15 mai : Banyeres de Mariola – Vallada
Le dimanche après-midi est très calme à Banyeres de Mariola. La ville occupe un beau site dominé par un château mais c’est d’abord une ville à tradition industrielle. Au bout de la rue de la Reconquête, sur la plaça Major, il y a un kébab turc tenu par des Pakistanais et le seul bar que j’ai trouvé ouvert. Puis en fin de journée, le roulement du tambour, le son de la dulzaina, hautbois traditionnel et une Vierge arrive portée en procession. Les fidèles marchent d’un pas saccadé. Certains ont revêtu l’habit traditionnel, les femmes avec de larges jupes, et coiffées de mantille, les hommes avec pantalon court, serré à la taille et certains coiffés d’un mocador, foulard serré sur la tête. Dans le bar, la télévision diffuse une autre procession, cette fois à Valence. Dimanche dans une ville un peu assoupie de la province d’Alicante.
Aujourd’hui, j’ai eu le meilleur de la journée au tout début de l’étape. De Banyeres de Mariola, le sentier longe un petit ruisseau avec une eau qui sort en abondance de la Font de la Coveta. Il fait frais, les rives sont verdoyantes. Quelques kilomètres plus loin, je vois en contrebas Bocairent, avec son vieux quartier médiéval sur une colline dominant la plaine. J’essaie quand même de faire abstraction des quartiers modernes avec des immeubles assez laids qui se sont greffés au centre historique.
Je me balade dans les petites ruelles puis passe par la chapelle del Santo Cristo avec à nouveau des belles vues avant de poursuivre pour une partie moins attrayante. Le chemin traverse des collines de garrigue. Il n’y a pas d’ombre, pas d’eau. L’Andalousie à côté, c’est la Normandie. Je risque d’avoir ces conditions sur la section suivante. De Vallada, il y a 84 kilomètres jusqu’au prochain village avec deux points d’eau identifiés entre. J’ai donc prévu trois journées pour les faire. Demain à 25 kilomètres, je dormirai aux Casas Benali où je peux camper voire prendre une chambre. J’ai ensuite 27 kilomètres jusqu’au point d’eau suivant (en espérant que la source n’est pas à sec) et enfin 31 kilomètres le troisième jour.
16 mai : Vallada – Casas de Benalí
C’est sauvage ! Je ne voyais personne sur les chemins. Je pense que j’ai encore moins de probabilité de rencontrer quelqu’un sur cette partie. Une fois passé sous l’autoroute, le GR7 s’engage au fond de gorges. La rivière est à sec mais le sentier est agréable avec de belles vues. Je suis toujours étonné de voir des traces d’activité humaine dans des lieux aussi hostiles. Anciens murs en pierres pour les cultures en terrasse, maisons abandonnées… il y a peut-être un siècle, des gens vivaient ici. Comment faisaient-ils pour l’eau ? Il y a une source mentionnée sur la carte, elle se résume à une petite flaque d’eau boueuse.
Le GR7 poursuit sur un plateau dans un paysage de garrigue semblable à hier. Pour terminer, il se perd un peu dans la végétation, et traverse une propriété privée et clôturée. Le classique de ce chemin de grande randonnée. Alors arriver aux Casas Benali, c’est presque comme découvrir un oasis dans le désert. C’est un ancien hameau avec sa chapelle à proximité d’une source. La vue à l’est s’étend jusqu’à la Méditerranée. Un couple de néerlandais l’a racheté et l’a aménagé avec chambres et camping. C’est propre, confortable. Il y a même une piscine. Il fait frais, il y a du vent, je n’en profite pas et me contente d’une bière à savourer tranquillement sur le canapé.
J’ai avancé de 26 kilomètres dans ce « désert ». J’espère que demain, la source à 27 kilomètres d’ici coule toujours.
17 mai : Casas de Benalí – Cortes de Pallás
Soirée batave aux Casas de Benalí. 99% des campeurs étaient néerlandais et 1% français. Le camping est tout petit, l’ambiance très détendue. Alors que le soleil se couchait, allongé dans un hamac, j’ai même eu droit à un petit concert par un trio avec guitare sèche et harmonica.
Deuxième jour de ma traversée du désert. Le silence surprend. Il y a quelques rares gazouillis d’oiseaux, parfois la brise agite les arbres mais sinon, il n’y a aucun bruit. Je ne vois aucune présence humaine. Pourtant, il y a quelques champs labourés au milieu de la pinède, un troupeau de chèvres à un col, des ruches. Je marche sur des pistes. Le pas est rapide. J’ai envie d’arriver à la fontaine del Caroche pour connaître mon sort. J’y suis guère après 13 heures. Elle coule bien. C’est bon, je suis rassuré. J’avais envisagé de dormir ici mais il est tôt et hier, j’ai identifié un autre point d’eau plus loin. Je perds de l’altitude, arrive à une zone de culture avec notamment des oliviers. Il est 17 heures, je suis à la fontaine de Sacaras. Elle coule aussi même si plus faiblement. Cela pourrait être un bon endroit pour bivouaquer…
Mais des Casas de Benalí à Cortes de Pallás, il y a 57 kilomètres. Comme je suis joueur, je me dis que je tenterais bien mon âge en kilomètres journaliers. Ce petit jeu, chaque année est un peu plus difficile. Le niveau monte et le physique baisse. Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies. Je marche sur des pistes où le rythme est plus élevé. Il fait beau et frais. Je ne sue pas en marchant et cela limite ma consommation d’eau. Je laisse derrière moi la Fuente de Sacaras et continue mon chemin.
La fin de la journée est superbe. Cela permet d’éviter la lassitude. Je suis sur un sentier sur une vire au-dessus du lac de Cortes de Pallás. Sous moi, le lac, dans le ciel des vautours et à mes pieds ce beau sentier. J’arrive à Cortes de Pallás. Il est presque vingt heures. J’ai réussi mon petit jeu. C’est peut-être la dernière fois. J’ai eu une grosse journée mais je suis moins fatigué que lors de l’étape sur les crêtes des Monts Cantabriques.
J’ai terminé ma traversée du désert. Aujourd’hui, je n’ai vu qu’un seul être humain. En milieu de journée, j’ai croisé un 4*4 sur la piste. C’est tout sur 57 kilomètres et 12 heures de marche.
18 mai : Cortes de Pallás – Siete Aguas
En 1609, Philippe III d’Espagne ordonne l’expulsion des Moriscos, les musulmans convertis au christianisme après la reconquête. Ils sont accusés de toujours pratiquer secrètement l’islam. Cela fait deux siècles et demi que la région de Valence a été reconquise et pourtant dans certaines régions, les Moriscos représentent une part importante de la population. C’est le cas à Cortes de Pallás. Pendant plusieurs mois, la population résiste, se cache dans ces montagnes isolées. Quand finalement, ils sont expulsés, les conséquences pour le village sont lourdes. De 1500 habitants, la population chute à 120.
De nos jours, c’est l’exode rural qui vide l’arrière pays. L’économie de Cortes de Pallás repose sur l’agriculture avec oliviers, miel… et un peu sur le tourisme. La commune bénéficie aussi des rentrées d’argent d’Iberdrola, la compagnie qui gère les barrages hydrauliques.
Aujourd’hui, mon parcours est moins sauvage. Dans la matinée, je peux même prendre un café au bar de Ventas de Gaeta. Autre nouveauté, à Tabarla, il y a une rivière avec de l’eau. Sinon, la marche est toujours aussi solitaire. Cela fait presque 200 kilomètres que je marche depuis Castalla et je n’ai vu que trois promeneurs, aucun randonneurs et quelques vététistes.
Je ne perds donc pas de temps dans les discussions sur le chemin. Je suis ce soir à Siete Aguas après 44 kilomètres dans la journée. J’en ai fait plus de 100 en deux jours. Je ne ressens pas de fatigue particulière mais les journées sont chargées. J’arrive tard. Demain, je retrouve un rythme plus normal. Cela devrait me permettre de profiter d’un peu plus d’heures tranquilles dans un village.
19 mai : Siete Aguas – Chulilla
Il est un peu plus de 18 heures. Je bois une bière tranquillement sur la place principale de Chulilla. J’ai en face de moi la forteresse. Le village commence à s’animer en cette fin d’après-midi. Après deux étapes marathon et un peu plus avec fin de l’étape à vingt heures, j’apprécie ce temps libre. Je suis arrivé à l’heure où les Espagnols déjeunent, c’est à dire en milieu d’après-midi. Je me suis reposé. J’ai visité le village. Il se situe dans un beau site dominant les gorges du rio Turio qui forme en cet endroit une courbe autour de Chulilla et dominé par le fort. Il me reste plus qu’à attendre l’heure du dîner, c’est à dire tard.
Comme prévu, j’ai retrouvé un rythme plus normal. Vingt neuf kilomètres, c’est plus raisonnable. Parti sous un ciel gris et des températures fraîches, j’ai même eu de la pluie. Rien de méchant mais avec ce qui est tombé hier soir, cela ne peut que faire du bien à la nature. Les chemins étaient agréables, le soleil est revenu et après une pause à Sot de Chera, j’ai terminé avec de belles vues sur Chulilla.
20 mai : Chulilla – Andilla
À Andilla, je retrouve le GR7 que j’avais laissé depuis deux étapes pour un parcours plus direct et qui me semblait plus intéressant. Je ne sais pas comment est l’itinéraire officiel mais je ne regrette pas du tout le passage par Sot de Chera et Chulilla. Ce dernier notamment est un beau village et ce matin, j’ai pu découvrir le superbe canyon qui l’enserre. Le sentier le surplombait à l’endroit où il est le plus étroit.
J’ai poursuivi ensuite hors bitume, sur des pistes et des sentiers pour terminer par une belle arrivée sur Andilla. C’est aussi un beau village mais beaucoup plus petit avec 350 habitants sur l’ensemble de la commune. Il y a quand même un bar et une « casa rural » où je dors ce soir. Le gestionnaire étant parti, c’est la municipalité qui a pris le relais. J’ai donc contacté la maire. Pour 25€ la nuit, j’ai le gîte complet avec cuisine, terrasse…
Je m’installe et commence par mettre le chauffage. Je suis à près de 1000 mètres d’altitude et la propriétaire du bar m’a dit qu’il faisait trois degrés ce matin. Les montagnes au-dessus dépassent les 1400 mètres et marquent la limite avec l’Aragon. Cela me fait bizarre d’être déjà aux portes de cette région. Mais j’en suis juste à l’extrémité méridionale, au sud de la province de Teruel et loin encore de la crête frontière avec le Luchonnais.
21 mai : Andilla – Montanejos
Je débute dans la verdure et la fraîcheur du fond de vallon. Depuis quelques jours, il pleut un peu chaque jour, surtout en fin de journée et la végétation reverdit. Cela me change des paysages de ces dernières semaines. Mais cette note verte ne dure pas très longtemps. J’arrive dans un secteur qui a connu un terrible incendie en 2022. Un habitant d’Arteas de Arriba me dit que le feu s’est déclaré le 15 août juste au-dessus du hameau. Il a fallu presque un mois pour le maîtriser complètement. Vingt mille hectares ont brûlé. Les villages suivants, Bejís, Torás sont entourés de paysages calcinés. Je marche pendant près de vingt kilomètres dans cet environnement avant de retrouver une nature préservée.
J’avais initialement prévu de dormir dans ce secteur après une courte étape. Mais je n’ai pas trouvé de logement. En plus le temps était idéal pour marcher alors que les jours prochains, les risques de pluie sont plus importants. J’ai donc continué et je suis allé jusqu’à Montanejos, le but de l’étape prévue initialement pour demain. Je n’ai pas trouvé avant d’endroit pour bivouaquer. Il n’y avait pas d’eau. J’ai ensuite traversé une nouvelle zone d’incendie, cette fois récents avec une forte odeur de brûlé. J’ai donc terminé tard et cela m’a permis d’assister à un combat de bouquetins mâles. C’était fascinant avec le bruit du choc des cornes.
Une autre longue étape sur le GR7 avec ces deux étapes en une. Combien de kilomètres ai-je parcouru ? Je ne sais pas exactement. J’ai pris certains raccourcis. D’autres que j’avais prévus, ne passaient pas. Initialement sur mon tableau d’Andilla à Montanejos, il y a 55 kilomètres. J’ai donc dû en faire une bonne cinquantaine. Ce soir, c’est nuit au camping de Montanejos. Tout est complet ici. Il y a ce week-end un festival de musique électronique. Mais même s’il y a du bruit, je devrais bien dormir.
22 mai : Montanejos – Zona de acampada del Planàs
Montanejos est une ville thermale. En arrivant hier soir, je pensais trouver un petit hôtel de curistes (l’offre est abondante), tranquille, pas cher et avec un dîner complet servi à une heure fixe (20 heures ou 21 heures, on est en Espagne). Cela s’est avérée bien différent. Cette nuit, vers 4 heures du matin, des jeunes écoutaient de la musique électronique à l’entrée du camping. D’autres, dans le bloc sanitaire buvaient de la bière ou consommaient d’autres substances. Et ce matin, alors que je quitte Montanejos, petite station thermale de la province de Castellón de la Plana, je croise des noctambules qui terminent leur soirée.
Je suis à nouveau le GR7. Le chemin prend de l’altitude. Le paysage est sauvage avec des gorges et de la forêt avant de s’ouvrir sur de hauts plateaux.
L’arrivée à Villahermosa del Río est belle. Les maisons blanches sur la colline, le clocher de l’église qui domine, lui donnent l’air d’un décor de crèche napolitaine. Je devais m’arrêter là pour la nuit mais… j’ai continué. Le temps gris avec quelques averses semblait se maintenir et si je prolongeais l’étape, la suite était plus facile à gérer. J’ai poursuivi toujours sur des bons sentiers, bien balisés, d’abord le long d’un ruisseau puis en direction d’un col à 1380m d’altitude. Sur les flancs des montagnes, il y a quelques maisons, des petits hameaux très isolés, accessibles uniquement par de longues pistes. Je suis dans un parc naturel avec un sommet, la Penyagolosa à 1815 mètres. C’est le point culminant de la Communauté de Valence (hors enclave d’Ademuz).
De l’autre côté du col, près d’une chapelle, il y a une zone de camping très confortable avec toilettes et douches (froide). C’est parfait pour terminer la journée, tranquille à 1270 mètres d’altitude.
23 mai : Zona de acampada del Planàs – Benassal
Plus je vais vers l’été, plus c’est l’hiver. Il fait froid ce matin, le ciel est gris avec un petit vent glacial. Depuis la fin de l’Andalousie, le temps change progressivement et il y a de fortes chances que je termine cette partie avec un temps agité. Encore j’ai de la chance, il n’y a que quelques brèves averses. Les régions d’Alicante, Murcie et l’Andalousie subissent des inondations. Dans certaines communes, les écoles sont fermées, des routes coupées. Je suis passé à temps dans le sud, après la canicule et avant les trombes d’eau. J’espère que les Andalous de Jaén ont arrêté leurs processions !
Pas très loin de la côte urbanisée, cet arrière pays est très sauvage et le sentier toujours aussi peu fréquenté. Je vais bientôt terminer mon GR7. J’ai marché des centaines de kilomètres sur ce chemin et j’en suis toujours à deux randonneurs rencontrés, les Hollandais à La Calahorra. Quel contraste avec le monde sur le Camino Francés à O Cebreiro ! Et c’était le début de la saison… Surfréquentation d’un côté, personne de l’autre, ce déséquilibre n’est pas juste. Sur ce GR7, il y a de très belles parties. C’est encore le cas aujourd’hui. Malgré le temps gris, les paysages sont beaux. Je suis en altitude, la plupart du temps au-dessus des 1000 mètres avec de vastes plateaux et des vallées encaissées. Le sentier est bon et bien balisé sur des anciens chemins comme je les aime. En les parcourant, je pense à tous ces gens qui ont marché ici pendant des siècles. Ils sont parfois en partie dallés et avec des vieux murs de soutènement en pierre sèche. Le chemin d’aujourd’hui était utilisé par les habitants de Culla pour aller en procession à San Juan de Penyagolosa. Il reliait aussi des fermes et hameaux aujourd’hui presque tous abandonnés.
C’est incroyable le nombre de maisons en ruines que je vois sur ce GR7, souvent dans des sites superbes mais d’accès difficile et avec peu d’eau. Cela me fait penser un peu à certains coins des Cévennes mais en France, les chemins sont devenus des routes goudronnées, l’électricité est arrivée et souvent aussi l’eau. Du coup, les habitants sont restés ou de nouveaux arrivants ont restauré les maisons. Visiblement ici, les gens sont partis avant que le progrès ne vienne à eux.
24 mai : Benassal – Morella
Il a suffi que j’écrive hier un passage sur l’absence de randonneurs sur le GR7 pour que, dès aujourd’hui, la situation change. Le nombre de personnes rencontrées a augmenté significativement. Je suis passé de 2 à 3 marcheurs sur le GR7. Ce n’était pas sur le sentier mais au petit-déjeuner à l’hôtel de Benassal. Peter est Slovaque et il est parti de Tarifa début avril et compte arriver en Roumanie sur les bords de la Mer Noire en novembre. Un sacré itinéraire avec la traversée des Alpes, des Tatras en Slovaquie et d’une partie des Carpates ! J’espère qu’il pourra mener à terme ce beau projet mais sa marche est semée d’embûches. Dans la Sierra Nevada, il a glissé sur un névé et il s’est retrouvé bloqué dans la montagne. Il ne pouvait pas remonter et il a essayé de descendre mais sans succès. Il a dû appeler les secours pour une évacuation en hélicoptère. À Benassal, il est embêté par un tendon douloureux et ce matin, il pensait prendre une journée de repos.
Je suis donc parti seul pour poursuivre ma remontée vers le nord du GR7 et j’ai encore eu une étape superbe. C’était notamment le cas avant et après le beau village d’Ares del Maestrat avec des paysages magnifiques, sculptés par l’homme avec les murs en pierre sèche le long des chemins ou soutenant les champs en terrasse. L’art de la construction en pierre sèche est classé au patrimoine immatériel de l’humanité et dans son rapport, l’UNESCO écrit : « Les structures en pierre sèche sont toujours réalisées en parfaite harmonie avec l’environnement et la technique est représentative d’une relation harmonieuse entre les êtres humains et la nature. » C’est exactement cela ces derniers jours. Les murs dessinent le paysage, ils ondulent en fonction des courbes de niveau, ils suivent et parfois se confondent avec les vires des canyons ou les éléments naturels. C’est impressionnant le travail que cela a dû représenter pour édifier des kilomètres et des kilomètres de murs. Cela vaut bien la muraille de Chine et justifie ce classement de l’UNESCO. Malheureusement, avec l’exode rural, des pans entiers s’effondrent au fil du temps.
J’ai terminé la journée dans la cité fortifiée de Morella. J’étais un peu déçu car j’attendais beaucoup de la vue à l’arrivée par la colline d’en face. Mais, une bonne averse a un peu gâché la perspective. En fin de journée, j’ai profité de belles éclaircies pour visiter le fort qui domine la ville. Morella contrôlait un axe entre Valence et Saragosse et se situe juste entre Aragon, Catalogne et Valence. La basilique Sainte-Marie-Majeure était malheureusement fermée mais son portail est magnifique. J’ai visité Morella un peu au pas de course. J’avais envisagé de rester ici demain. Il était prévu de fortes pluies mais finalement les dernières prévisions sont meilleures et je vais donc poursuivre mon chemin.
25 mai : Morella – Refugi Font Ferrera
J’avais deux opportunités d’avoir des belles vues sur Morella : hier avec le soleil de l’après-midi éclairant la cité fortifiée et ce matin en partant avec le soleil à l’est. Mais la belle Morella s’est refusée à moi. Dans les deux cas, j’étais sous la pluie. Ce matin, j’étais plutôt confiant, c’était sec et à l’est, le temps était clair mais après à peine 5 minutes de marche, une bonne averse a douché mes espoirs. J’ai patienté sous mon parapluie puis je suis reparti. Les prés étaient maintenant bien trempés et la journée s’annonçait mal.
Finalement, la suite s’est avérée meilleure. J’ai retrouvé des bons sentiers avec une belle partie dans des gorges puis le passage par le joli village de Vallibona. J’ai même eu quelques rayons de soleil. En fin de journée, la brume est descendue. C’est toujours un peu étrange de marcher dans ces conditions. La vue est limitée, la campagne est silencieuse, l’atmosphère un peu « ouatée ». Et bien sûr, il n’y a pas âme qui vive.
Ce soir, j’ai quitté la Communauté de Valence et je suis rentré en Catalogne. Le refuge de Font Ferrera est juste à la limite des deux régions. Je suis seul. Le gardien est redescendu car il n’avait aucune réservation mais il y a une partie libre. Je vais pouvoir passer la nuit au sec et au chaud. Dehors, il bruine, il y a toujours cette brume et ce silence absolu dans ce refuge vide à 1170 mètres d’altitude.
26 mai : Refugi Font Ferrera – Paüls
La journée d’hier devait être la plus mauvaise. Cela n’a pas été le cas ; c’est aujourd’hui que j’ai eu vraiment du mauvais temps. Je n’ai pas trop l’habitude. Il a plu abondamment cette nuit et cela continue toute la matinée. Les chemins commencent à être gorgés d’eau. Cela ne peut être que bénéfique pour cette région qui souffre de la sécheresse mais pour marcher, c’est moins agréable. Je suis toujours dans la brume, avec l’altitude, il fait froid et au bout d’un certain temps, je suis trempé. De manière curieuse, c’est aujourd’hui que je rencontre mes premiers randonneurs espagnols (hors Mulhacén). D’abord trois qui font un tour de 4 jours dans le parc naturel dels Ports où je me trouve. Un peu plus loin, c’est un groupe de jeunes que je croise. Les Espagnols doivent être cousins des Polonais et sortir quand les conditions sont mauvaises.
Vers midi, j’arrive à une route et un bar-restaurant. J’en profite pour faire une bonne pause à côté du poêle. C’est un petit bonheur pour le randonneur de repartir presque sec. Pendant cette pause, la pluie a cessé et j’ai même droit à un fugace rayon de soleil. Mais les nuages résistent et finalement, je n’ai pas vu grand chose du parc naturel dels Ports. J’ai quitté les montagnes. À Paüls, mon premier village catalan, je ne suis plus qu’à quelques kilomètres de l’Èbre, terme de cette partie de ma Vuelta-Volta.
27 mai : Paüls – Benifallet
« El ejercito del Ebro
Rum balabum balabum bam bam
Una noche el rio paso
Ay Carmela, ay Carmela »
Je fredonne « El paso del Ebro« , la traversée de l’Èbre. À l’origine, chant des guérilleros espagnols lors de la guerre d’indépendance contre les troupes napoléoniennes, il a été ensuite adapté par les républicains lors de la guerre civile espagnole avant de devenir un chant révolutionnaire repris et interprété en de maintes occasions.
À mon très modeste niveau, j’ai traversé l’Èbre et c’est une étape importante de ma Vuelta-Volta. Après le Guadalquivir, le Guadiana, le Tage, le Douro, j’ai bouclé ma série des grands fleuves ibériques. J’ai surtout bouclé une Vuelta-Volta. J’avais déjà marché au nord en différentes occasions de la Méditerranée à la Galice. En mars et avril, j’ai remonté le flanc ouest de la péninsule de Tarifa aux Monts Cantabriques. J’ai maintenant fait de même côté Méditerranée. J’ai marché les 1600 kilomètres de Tarifa à Montserrat et même au-delà jusqu’aux Pyrénées. Cela ne s’est pas fait en une seule fois mais c’est un projet ancien qui aboutit ici à l’Èbre. J’avais commencé une petite partie en 2014 lors de ma traversée de l’Espagne à pied avec le GR7 de Tarifa à Antequera. En 2020, j’avais tout organisé pour marcher entre Caravaca de la Cruz et Montserrat mais j’avais renoncé et préféré rester confiné dans mon appartement. En 2022, j’étais reparti de Caravaca mais une succession de perturbations venues de la Méditerranée m’avait fait abandonner au niveau d’Alicante. Quelques semaines plus tard, j’avais marché à l’autre bout de l’Èbre. Plus au nord, j’ai déjà marché entre Toulouse, Montserrat et Barcelone et également le long de la côte entre la frontière et la capitale catalane. Il me restait donc mille kilomètres à pied répartis pour moitié en Andalousie avec entre autres la Sierra Nevada et l’autre moitié avec le GR7 du niveau d’Alicante jusqu’à l’Èbre. J’avais quelques doutes sur cette partie. L’année dernière, le chemin entre Caravaca de la Cruz et Castalla m’avait laissé sur ma faim. Il y a certes encore quelques parties ennuyeuses dans la garrigue mais globalement, le GR7 dans la région de Valence est magnifique avec un relief montagneux, de beaux paysages, des canyons, toutes ces traces anciennes laissées par l’homme : hameaux abandonnés, murs de pierre et une succession de très jolis villages. Ces 500 kilomètres, je les ai menés à un rythme soutenu en 14 étapes soit une moyenne quotidienne de 36 kilomètres et quelques journées très longues.
Depuis le 5 mars, j’ai marché 82 jours avec un seul jour de repos (celui du trajet en train du nord au sud de l’Espagne). J’ai parcouru 2800 kilomètres de ma Vuelta-Volta soit 34 kilomètres quotidiens pendant 82 jours consécutifs. Tout cela pour justifier que demain, je prends un autre jour de repos. Un peu de plage, une soirée à Barcelone et lundi, je repars de Monistrol de Montserrat au pied de l’abbaye pour aller direction les Pyrénées.
8 – Pyrénées Versant sud
29 mai : Monistrol de Montserrat – Au-dessus de Sant Llorenç Savall
Sur la carte de mes longues marches, ma Vuelta-Volta est déjà bien arrimée. De Montserrat, j’ai déjà marché en direction de la France le long de la Costa Brava et en direction de l’Ariège. Alors pourquoi ce troisième chemin et ne pas aller directement dans les Pyrénées? J’ai imaginé un itinéraire reliant deux sites emblématiques de la Catalogne : le Canigou et l’abbaye de Montserrat. Il me paraît intéressant et vient ainsi compléter mes traversées nord-sud des Pyrénées. Par extension avec d’autres de mes marches, il permet de relier les Alpes, le Massif Central avec Barcelone. L’année dernière, j’ai commencé à suivre ce chemin depuis le massif du Canigou jusqu’à Olot. Il me reste à marcher jusque là depuis Monistrol de Montserrat. Sur cette courte jonction de 4 à 5 jours, j’ai envie de découvrir la Serra de Montseny et la zone volcanique de la Garrotxa.
Et dès la première journée, je suis agréablement surpris. Je démarre avec des très belles vues sur le massif de Montserrat et ses cimes caractéristiques. Je marche ensuite dans le parc naturel de Sant Llorenç del Munt i l’Obac. Il y a là aussi de très belles formations rocheuses. Le chemin est agréable pratiquement toujours sur des sentiers et il est bien balisé. Je suis maintenant le GR5, j’ai définitivement abandonné le GR7 qui continue plus à l’ouest en direction de l’Andorre et côté français jusqu’en Alsace. Depuis Tarifa, il suit plus ou moins la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée (sans contourner quand même le bassin de l’Èbre). Je l’ai parcouru sur de longues sections en France dans le Morvan, dans le Massif Central et en allant vers les Pyrénées.
Après une longue pause à Sant Llorenç Savall, je poursuis un peu plus haut pour bivouaquer dans un endroit tranquille.
30 mai : Au-dessus de Sant Llorenç Savall – Aiguafreda
Je poursuis sur le GR5 et je suis à nouveau agréablement surpris. Le sentier passe au nord de la banlieue de Barcelone. Des hauteurs, je domine le Vallés, cette plaine séparée de la ville de Barcelone par le petit massif où se trouve le Tibidabo. Densément peuplé, près de 1,5 millions de personnes y habitent et pourtant, je marche dans des espaces sauvages. Hier, dans le parc naturel de Sant Llorenç del Munt i l’Obac, il y avait quelques promeneurs, aujourd’hui, je suis à nouveau seul. Il y a comme sur le GR7 des fermes abandonnées en ruine. Je passe presque toute la journée sur des sentiers, parfois en forêt, d’autres fois sur des vires de canyon. Je pourrais être dans l’ouest américain, je suis à moins de 20 kilomètres d’une station de métro.
Avec les orages prévus cet après-midi, je démarre tôt. Hier soir, j’ai modifié mon parcours. Il n’y avait pas de possibilités d’hébergement sur celui initialement prévu. Je préfère finalement rester sur le GR5 jusqu’à Aiguafreda où il y a un petit hôtel comme je les aime en Espagne, simple et pas cher. Quand j’entame la descente, les nuages noirs s’accumulent. Le tonnerre gronde. Quelques gouttes tombent mais je termine la journée avant l’orage. Ce n’est qu’une fois installé dans ma chambre, qu’il éclate. Et j’y suis nettement mieux que sous la tente.
31 mai : Aiguafreda – Sant Hilari Sacalm
L’objectif du jour est de traverser la Serra de Montseny en espérant que les cieux restent cléments. Ce n’est pas l’Everest mais d’Aiguafreda, à 410 mètres d’altitude, il me faut passer au sommet de Matagalls à 1697m. Je commence la journée par cette ascension. C’est une montée directe sans une succession de hauts et de bas. J’aime ça. Avec l’altitude, le paysage prend des airs de montagne. Après un mois dans la végétation méditerranéenne, j’apprécie de marcher dans des verdoyantes hêtraies.
J’arrive au sommet vers midi. Le temps commence à se couvrir. La pluie se met à tomber en descendant mais cela reste modéré. Le temps n’est pas orageux et quand j’arrive à Arbúcies, le ciel est un peu plus lumineux. J’avais prévu de faire étape là mais les prévisions météorologiques sont moyennes pour demain et je préfère avancer cet après-midi sans pluie.
Je suis maintenant sur le GR83 Camí del Nord o del Canigó. Il se nomme « Chemin du Nord » pour commémorer la marche des républicains espagnols sur la route de l’exil en France après leur défaite. Le GR est tracé de la côte au nord de Barcelone jusqu’à Prades en passant au pied du Canigou. Je vais le suivre moi aussi jusqu’au dernier village avant la frontière.
1er juin : Sant Hilari Sacalm – Les Planes d’Hostoles
Malgré les pluies de ces derniers jours, la Catalogne souffre toujours de la sécheresse et le niveau du lac de Susqueda est particulièrement bas ; mais ces pluies ont permis à la végétation de reverdir. C’est particulièrement le cas ici dans cette zone de pré-montagne. Ce matin, l’atmosphère est humide après la pluie de la nuit. Des bancs de brume flottent dans l’air. Je traverse des plantations de sapins de Noël (la spécialité de Sant Hilari Sacalm). Je pourrais être dans les Vosges. Dans la descente vers Osor, la végétation est même luxuriante. C’est étonnant le changement en peu de kilomètres alors qu’il y a deux jours, j’étais dans des paysages plutôt secs. Malgré quelques rayons de soleil, l’humidité reste présente et comme prévu, l’après-midi est grise et pluvieuse. À nouveau rien de méchant, après une pause à l’abri devant la mairie de Susqueda, je poursuis jusqu’aux Planes d’Hostoles.
En progressant vers les montagnes du nord de la Catalogne, je rentre dans les fiefs des indépendantistes catalans et certaines attitudes ont tendance à m’énerver. Aujourd’hui, j’ai appelé pour un renseignement sur un horaire de bus et l’on me répond en catalan. Je pose la question en castillan et mon interlocuteur comprend ma demande et se rend compte que je ne suis pas espagnol. Quand j’ai demandé si c’était possible de me répondre en castillan ou en anglais, j’ai entendu un soupir d’exaspération, comme si je demandais quelque chose de difficile. Pour une entreprise commerciale, cela a le don de m’agacer.
2 juin : Les Planes d’Hostoles – Olot
L’année dernière quand j’avais marché de l’Èbre à Montserrat, j’avais aperçu les sommets enneigés des Pyrénées lors de la dernière étape. Cette année, elles se sont faites désirées. Le temps brumeux, nuageux ou pluvieux les a cachées. Ce matin, le ciel est bleu, l’air a été lavé par les orages de la veille et en montant vers le parc naturel de la zone volcanique de la Garrotxa, je commence à distinguer des cimes enneigées. C’est à la fois un beau spectacle et aussi le signe que je termine une partie de ma longue marche et qu’une nouvelle va commencer.
À Olot, j’ai pris le bus pour Beget. J’avais fait cette étape l’année dernière et même si le temps de transport cumulé n’est pas très éloigné de celui à pied, c’est plus reposant. Il me faudra bien toute mon énergie pour les prochains jours dans les montagnes. Je suis au dernier village avant la frontière juste sous la Comanegra, le sommet le plus méridional de la France continentale. Je vais maintenant mettre le cap à l’ouest par les montagnes en suivant dans un premier temps le GR11 espagnol. Jusqu’où ? Le temps et l’enneigement en décideront. Les vues sur les cimes ce matin n’ont pas eu tendance à me rassurer. Comme je l’ai écrit en introduction, je vais arriver dans la partie centrale de la chaîne trop tôt dans la saison. Cela me permettra de faire une pause et de choisir le bon moment pour profiter dans de bonnes conditions des hauts sommets pyrénéens. Physiquement et moralement, je ne ressens pas le besoin de m’arrêter. Depuis mon départ, j’enchaîne des sections assez courtes avec des changements de paysages et d’environnement. Cela maintient la motivation et évite la lassitude comme lors de la traversée de la Turquie l’année dernière.
Ici, quand je parle de ma marche, on me demande si c’est dans le cadre d’une « promesa ». Promesse voire pénitence, comme souvent en Espagne où il n’est de chemin que vers Compostelle, une longue marche est ramenée au fait religieux. Je tente d’expliquer que c’est d’abord du plaisir malgré parfois des conditions un peu difficiles (mais je n’ai pas à me plaindre cette année), les efforts physiques, ou la fatigue.
J’ai encore eu une belle étape sur ce GR83 avec la traversée du parc naturel de la zone volcanique de la Garrotxa. Les cônes et cratères sont un peu masqués par la végétation mais le sentier était bon, agréable avec une dernière partie dans une superbe hêtraie. Je continue donc à prendre du plaisir et j’espère que cela va continuer dans ce sens pour la suite de ma Vuelta-Volta.
3 juin : Beget – Ribes de Freser
Beget fait partie des plus beaux villages d’Espagne (de Catalunya comme c’est corrigé sur le tableau à l’entrée). Il est particulièrement isolé dans le fond d’une vallée et très bien préservé avec ses maisons en pierre et contrairement à l’année dernière, j’ai pu visiter la magnifique église du XIIè. Dans le sud de l’Espagne, la reconquête s’est faite après la période de l’art roman. Les églises sont plutôt de style renaissance avec des intérieurs baroques qui me laissent de marbre. Au contraire, la simplicité de l’art roman me touche et l’église de Beget en est un très bel exemple avec son clocher caractéristique, des arcs lombards et à l’intérieur, un Christ en croix du XIIè. C’est une véritable merveille avec une très belle expression du visage.
Hier, en préparant mon parcours, je me suis rendu compte que finalement et contrairement à ce que j’ai écrit, je ne vais pratiquement pas suivre le GR11. Le choix de passer par la Serra del Cadí et d’éviter la Cerdagne et l’Andorre, me fait bifurquer 3 kilomètres après Beget pour un itinéraire plus au sud. Je suis jusqu’à Camprodon sur un chemin de l’exil. Le sentier est en forêt donc sans vues sur la crête frontière. La suite est au contraire au-dessus de la forêt en crête mais le temps se couvre rapidement. Les orages étaient prévus, ils sont arrivés tôt. Les sommets au nord ont été bouchés en milieu de matinée et vers midi, j’ai vu l’orage arriver vers moi. Par chance, une cabane se trouvait en contrebas. J’y suis arrivé alors que les premiers grêlons et gouttes se sont mis à tomber. J’étais à l’abri, j’avais la compagnie d’un couple catalan et c’était l’heure de la pause déjeuner. Cela ne pouvait pas mieux tomber. L’orage a poursuivi sa route, j’ai repris la mienne sous une pluie faible puis sans pluie au passage du point haut, le Taga à 2040 mètres d’altitude et finalement sous le soleil pour descendre à Ribes de Freser. J’ai pu profiter cette fois des vues sur la crête frontière et notamment vers le Puigmal.
Je m’en sors pas trop mal sur cette première journée dans les Pyrénées avec un temps orageux. Je vais devoir gérer ce risque les prochains jours. J’espère que la chance va continuer à être avec moi.
4 juin : Ribes de Freser – Refugi Niu de l’Áliga
Je termine mon troisième mois de marche. Le compteur dépasse maintenant les 3000 kilomètres et je fais étape à 2520 mètres d’altitude au refuge Niu de l’Áliga. J’ai réussi à y arriver peu après les premières gouttes. Ce temps instable avec fort risque d’orages génère un peu de tension et m’oblige à m’adapter, l’objectif étant d’éviter autant que possible d’être dans la montagne quand le temps se gâte. J’ai avancé mon départ vers 6 heures, j’essaie de ne pas trop trainer et de ne pas trop déborder sur l’après-midi.
Aujourd’hui, je n’avais pas identifié d’abri et l’étape était longue avec plus de 30 kilomètres et plus de 2000 mètres de dénivelés. Comme hier matin, le ciel est bleu limpide et si je n’avais pas consulté les prévisions météorologiques, je pourrais penser que je vais avoir une belle journée. Petit à petit, quelques petits nuages blancs apparemment inoffensifs apparaissent. Puis ils se font plus nombreux, plus gris. Je fais des pauses courtes. J’essaie de ne pas perdre de temps.
Finalement aujourd’hui, j’ai plus de répit qu’hier. Ce n’est que vers le col de Pal, avant la dernière montée que les premières gouttes commencent à tomber. J’ai 400 mètres de dénivelés jusqu’au refuge. Le temps ne semble pas tourner à l’orage. La pluie reste modérée et j’arrive presque sec. C’est ma première nuit dans un refuge gardé. En haut de la station de ski de la Molina, il est très confortable avec douches chaudes, chauffage, électricité… Il est encore tôt, je peux profiter de ce confort pour une fin de journée tranquille.
5 juin : Refugi Niu de l’Áliga – Cortal dels Cortils
J’aime ces soirées dans les refuges. Il y a cette impression d’être dans un lieu à la fois isolé dans la montagne et protégé des intempéries. Hier au sommet de la Tosa, alors que les nuages cachaient puis dévoilaient les sommets, c’était particulièrement le cas. Et puis il y a la convivialité du dîner. Nous étions 10 au refuge hier soir. J’étais le seul non catalan. J’ai pas mal discuté avec un pianiste de Barcelone qui a fait des tournées jusqu’en France.
Je suis maintenant pleinement dans les Pyrénées. Les isards gambadent sur les crêtes, les marmottes sifflent à mon approche et le relief est marqué. J’ai fait le choix de traverser la Serra del Cadí et aujourd’hui, j’ai droit à un beau spectacle.
Comme tous ces derniers jours, le ciel est complètement dégagé le matin. J’ai face à moi la Serra del Cadí et la Pedraforca avec sa forme caractéristique. C’est magnifique. Le sentier est bon, bien balisé et je suis presque frustré de m’arrêter à la cabane du Cortal dels Cortils. Les nuages commencent à s’accumuler. Il est prévu de la pluie à partir du milieu d’après-midi. Il est encore tôt mais le chemin passe ensuite sur des crêtes, monte à 2648 mètres d’altitude et en cas d’orage, j’ai 21 kilomètres avant de trouver un abri. Je m’arrête donc dans cette cabane typiquement pyrénéenne. C’est rustique mais en cas d’orage, j’y serai bien à l’abri. Je devrais encore plus avoir cette impression d’isolement dans la montagne cette nuit. Il y a de grandes chances que je sois seul. La cabane est dans un vallon sur un sentier peu fréquenté.
9 – Monts Cantabriques