Le récit de la traversée des Appalaches à pied en suivant le mythique Appalachian Trail. 3500 kilomètres de la Géorgie, au nord d’Atlanta au Maine au niveau de Montréal en traversant 14 états : la Géorgie, la Caroline du Nord, le Tennessee, la Virginie, la Virginie de l’Ouest, le Maryland, la Pennsylvanie, le New Jersey, l’état de New York, le Connecticut, le Massachusetts, le Vermont, le New Hampshire et le Maine.
Sommaire
1 – Introduction
2 – Géorgie – Caroline du Nord – Tennessee
3 – Virginie
4 – Maryland – Pennsylvanie – New Jersey – New York
5 – Nouvelle Angleterre (Connecticut – Massachussets – Vermont – New Hampshire – Maine)
Fin du récit
Pour les informations générales, cartes, conseils pratiques, lexique … voir la page générale sur l’Appalachian Trail.
1 – Introduction
En 2017, cap sur l’Amérique. Des Appenins aux Appalaches, il n’y a pas qu’une proximité sémantique. Les deux chaînes de montagnes s’étirent sur plus de mille kilomètres du nord au sud. Sur l’Appalachian Trail, je devrais aussi retrouver des chemins comme en Calabre sur la ligne de partage des eaux, à moyenne altitude et dans de vastes forêts.
Mais la comparaison s’arrête là. La première grande différence est que je vais passer de l’Italie, ses plus de deux mille ans d’histoire et sa culture au nouveau continent. Les petits villages accrochés aux pentes des collines, dominés par le clocher de l’église vont laisser place aux petites villes de l’Amérique profonde avec ses motels, ses fast-food et ses stations services alignés le long de la rue principale. Je vais devoir boire mon café américain en pensant avec nostalgie au petit expresso italien avec le cornetto. Par contre, question bière, les américains devraient se défendre…
L’autre grande différence est que j’ai remonté les Appenins sans pratiquement rencontrer un seul randonneur. Cette marche était presque une première à la recherche de sentiers oubliés, parfois disparus. L’Appalachian Trail, lui, a été imaginé, il y a près d’un siècle, dans les années 20. Le chemin est extrêmement bien documenté. Le balisage permet de le parcourir presque sans avoir besoin de carte. Des abris, sorte de petites cabanes fermées sur 3 côtés, jalonnent tout son parcours. Il est aussi de plus en plus populaire. Ils sont des millions chaque année à parcourir des bouts de ce chemin et un bon millier à faire la traversée complète. Je débute de la pointe sud en plein dans le gros de la saison. Chaque jour, à cette époque de l’année une cinquantaine de randonneurs y débute leur remontée vers le nord. C’est un peu le chemin de Compostelle du nouveau continent. Je vais donc retrouver les ambiances animées mais avec un côté « Into the wild », la plupart du temps dans des endroits isolés dans la montagne. Les localités traversées sont rares. Il faut souvent prévoir 3 jours d’autonomie, voire plus. Cette fréquentation peut compliquer la logistique. Les abris, souvent pour une petite dizaine de personnes peuvent être complets et donc le portage de la tente s’impose.
Une tente, plusieurs jours d’autonomie, il faut aussi gérer cela. J’ai étudié mon parcours pour trouver assez régulièrement des approvisionnements et limiter le poids du sac. Cela donne environ 4 mois pour les 3500 kilomètres de distance et 150 kilomètres de dénivelés positifs soit une moyenne journalière autour de 30 kilomètres. Cela se rapproche de mon parcours italien.
J’avais longtemps ce projet dans un petit coin de ma tête mais cet aspect un peu trop sauvage, les journées en autonomie, l’absence d’histoire m’avaient fait préféré des treks en Europe ou au Népal. Je me suis finalement décidé fort de mon expérience italienne. J’avais dans mon sac à dos pratiquement tous les éléments pour être autonome, tente, sac de couchage, matelas… et la marche, comme en Calabre dans les montagnes avait du charme.
C’est donc parti pour les Etats-Unis. Quand je vais dans un pays, il n’est pas rare qu’une catastrophe se produise pendant ou peu de temps après. J’ai connu le tremblement de terre au Népal et ai traversé l’Italie centrale juste avant qu’elle soit aussi touché. J’ai quitté la Syrie le 12 mars 2011 et le 15 mars une manifestation violemment réprimée marque le début du conflit. Je me demande comment j’ai encore pu visité le Yémen en voyage organisé en 2007. Pour chasser le chat noir, j’ai pris mes devants. La catastrophe a déjà eu lieu aux Etats Unis le 8 novembre 2016 avec l’élection de leur nouveau président …
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Géorgie – Caroline du Nord – Tennessee
1er & 2 avril : De New York à la Géorgie
Il est près de minuit à la gare de bus Greyhound de Richmond, capitale de la Virginie. Elle est presque déserte à cette heure là. Seuls les voyageurs du bus pour Atlanta, à minuit quinze, patientent. Au snack bar, Pumpkin (trail name*, Citrouille en français), une jeune femme de Washington nous raconte l’histoire d’un ours déchiquetant des randonneurs. Il y a aussi celle où il s’acharne sur le sac à dos d’un pauvre boy-scout. Il avait eu le malheur d’y mettre un Big Mac. C’est un des dangers, plus méconnu des Mac Donald. L’odeur est si tenace que les ours s’y laissent prendre. J’écoute avec Orla (le vrai prénom), une jeune irlandaise qui a déjà à son actif un bout de PCT **, de Camino Francès et portugais. Mon Appalachian trail a débuté.
Orla a pris le bus comme moi à New York et va aussi jusqu’à Gainesville. Elle a réservé dans le même gîte à Dahlonega et se lance aussi dans la traversée complète des Appalaches. Cinq heures de bus plus tard, à Washington, une jeune femme dans la rangée d’en face, nous entend discuter randonnée. C’est Pumpkin, qui elle aussi, se lance sur la traversée des Appalaches. Je me retourne dans le bus pour voir s’il n’y a pas d’autres thru-hikers***. Non, 3 déjà dans le même bus, c’est pas mal pour ce très populaire Appalachian trail.
Après plus de 24 heures de voyage, un accident au milieu de la nuit, j’arrive au Hiker Hostel de Dahlonega. Les premières discussions tournent autour des différents serpents dangereux sur le chemin. Puis, une bonne bouteille de vin rouge du Gard aidant et un plat de pâtes partagés, je retrouve une ambiance très chemin de Compostelle. Nous sommes une vingtaine ce soir à dormir à Dahlonega. Au milieu de la majorité américaine, nous sommes quand même 3 européens, Orla, Jason un anglais et moi. Après un long trajet et une nuit dans le bus, je ne traîne pas. Demain début des hostilités.
* trail name voir le lexique dans la présentation de l’Appalachian Trail
** PCT, Pacific Crest Trail, voir le lexique dans la présentation de l’Appalachian Trail
*** voir le lexique dans la présentation de l’Appalachian Trail
3 avril : Springer Mountain – Gooch Mountain shelter
It rains cats and dogs. Il pleut des chats et des chiens. Cet idiotisme anglais est bizarre. La version française correspond mieux à la réalité de cette première journée : il pleut comme vache qui pisse ou il tombe des cordes, des trombes, des seaux d’eau. Mais bon, démarrage pluvieux, sentier heureux. Je suis préparé à cela. Le climat dans les Appalaches est humide au printemps.
Au nord de la Géorgie, à une centaine de kilomètres d’Atlanta, Springer Mountain est un modeste sommet de 1152 mètres d’altitude. Au milieu de la forêt, c’est un vague mamelon, presque plat, dont la pointe sommitale serait presque indétectable si une plaque ne permettait pas de la situer. C’est d’ici que débute le célèbre et très fréquenté Appalachian Trail. À l’autre bout, près de la frontière canadienne, le mont Katahdin marque la fin du chemin.
En marche* pour 3500 kilomètres de la Géorgie au Maine. Je m’enfonce dans la brume et sous la pluie. Je me retrouve assez rapidement seul. La forêt se referme derrière moi. L’ambiance est bizarre, mystérieuse au milieu de ces rhododendrons et ces arbres. Des oréades surgiraient au détour du sentier que je n’en serais pas surpris. La matinée est ponctuée par des violentes averses. Je suis assez rapidement trempé mais je continue. Finalement, je fais une étape relativement longue et quand j’arrive à Gooch Mountain Shelter, il est complet. Je plante ma tente. C’est parti. Ce 3 avril 2017, je suis devenu Froggy**, thru-hiker*** NOBO*** sur l’AT***.
* je suis particulièrement qualifié pour utiliser ce slogan repris par d’autres
* trail name voir le lexique dans la présentation de l’Appalachian Trail
*** voir le lexique dans la présentation de l’Appalachian Trail
4 avril : Gooch Mountain shelter – Neel gap
The bubble : la bulle, c’est ce gros paquet de randonneurs qui partent entre début mars et début avril en direction du nord. J’y suis en plein. L’abri de Gooch Mountain était plein. Autour, des dizaines de tentes étaient plantés. D’autres ont opté pour le hamac accroché entre deux arbres avec une toile pour protéger de la pluie. Il y a une grosse animation. De mon côté, la journée a été assez longue. Je ne socialise pas. J’expédie le dîner et la nuit n’est pas encore tombée quand je me glisse dans mon duvet.
Ce matin, le ciel est dégagé, la température est idéale. Je marche sur un bon sentier en forêt. Vers 10 heures du matin, au Woody Gap (Gap : col), je connais ma première expérience de trail magic (magie du chemin). Elles sont quatre dames, autour de la soixantaine, qui viennent chaque jour pendant une semaine attendre les randonneurs à ce col. Hier, c’était sous des trombes d’eau. Aujourd’hui malgré le beau temps, elles attendent sous un vent frais au coin du feu. Elles font cela bénévolement, en dehors de toute organisation, simplement pour rendre service. Ce sont les trail angels (anges du chemin). Une d’entre elles a fait l’Appalachian Trail. Deux sont venues de l’Illinois à un millier de kilomètres de là pour aider leurs amies. Sur une grande table, elles offrent des gâteaux, fruits, plats chauds. Je prends des haricots avec de la saucisse, quelques fruits et après les avoir chaleureusement remercié, je poursuis mon chemin. Plus loin, deux bénévoles entretiennent le chemin qui pourtant est impeccable dans le secteur. C’est l’Amérique de la générosité.
Ce soir, j’ai retrouvé un peu de confort au Neel gap. Un dortoir, une douche chaude pour récupérer. Deux grosses journées m’attendent avec pluie et froid selon les prévisions météorologiques.
5 avril : Neel gap – Blue Mountain Shelter
Zero day. Avec le mauvais temps, les américains ont vite ce mot à la bouche : une journée à 0 kilomètre. Hier soir, les prévisions étaient mauvaises et certains dans le dortoir planifiaient leur zero day. De mon côté, je n’ai jamais aimé ces journées sans avancer, avec l’impression de faire du surplace. Et puis l’étape m’a bien permis de récupérer : dortoir, douche et bon repas. Je m’étais préparé à manger des cheeseburgers congelés à réchauffer au micro-ondes. C’est à peu près tout ce que j’avais trouvé de correct au point de ravitaillement de Neel Gap. C’est formidable : 2 minutes au micro-ondes et c’est prêt ! Et puis, les trails angels sont arrivés : quatre femmes, deux hommes, toujours autour de la soixantaine et pas particulièrement des randonneurs. Ils avaient avec eux salade, lasagnes, donuts… largement de quoi améliorer l’ordinaire. Un bon repas, une bonne douche et me voilà prêt à repartir dans les forêts de Géorgie. Comme prévu, la pluie arrive rapidement. Pas des chats et des chiens qui tombent mais une bonne pluie continue. J’avance dans la brume. Il fait sombre et le ciel est zébré par des éclairs. Le silence est troublé par les violents coups de tonnerre.
Je m’arrête à midi à Low Gap Shelter. Ceux qui campaient la veille ont opté pour un zéro day. L’abri est complet. Je reste un moment à l’abri. J’hésite entre attendre là et planter ma tente sous la pluie ce soir et poursuivre. À la faveur d’une accalmie, je me décide à poursuivre. J’arrive finalement à l’abri de Blue Mountain. Il est 3 kilomètres au dessus d’une route et ceux que le mauvais temps n’a pas inspiré, ont battu en retraite dans les villes plus bas. Il reste de la place. Je m’installe. J’ai finalement fait 30 kilomètres et 1500 mètres de dénivelés. Pas de zéro day pour moi.
6 avril : Blue Mountain Shelter – Dicks Gap
J’étais heureux d’être dans un abri hier soir. Vers 21 heures, un orage extrêmement violent s’est abattu sur Blue Mountain. Les éclairs zébraient la nuit presque en permanence. Le tonnerre grondait et des trombes d’eau tombaient. Il a plu des chats et des chiens pendant plusieurs heures. Enfoncé dans mon duvet, j’ai eu une pensée pour ceux qui dormaient sous la tente.
Avec le vent violent, l’abri, ouvert sur un côté étaient rempli d’une brume humide comme sous l’effet d’un brumisateur. Avec la fraîcheur ambiante, l’option brumisateur m’a paru, comment dire, superflue. En effet, la température a brutalement chuté. Ce matin, je quitte l’abri sous une averse de neige. Toute la journée, je marche dans le froid avec des rafales de vent violentes et de fréquentes averses de neige.
Je comprends qu’il y ait beaucoup d’abandons les premiers jours sur l’Appalachian Trail. Avec les conditions rustiques pour dormir, le climat, les dénivelés, il vaut mieux partir entraîné et prêt dans sa tête à affronter ces conditions. C’est étonnant de voir tous ces américains qui se lancent sur ce difficile sentier sans avoir fait beaucoup de marche auparavant. Je double des tas de marcheurs à l’embonpoint très américain. Des femmes avec des postérieurs si larges qu’elles risquent d’avoir des difficultés sur les parties étroites du sentier, ahanent dans les montées. Ces personnes sont des héros pour se lancer dans une telle aventure ! Héros, il l’est aussi, ce jeune avec une prothèse à partir du genou qui a prévu de faire un tiers du chemin.
Je n’ai ni cet handicap, ni l’embonpoint d’autres. La saison de ski de randonnée m’a permis de me maintenir en forme mais la journée a été assez rude. Avec ce mauvais temps, je n’ai pas eu trop l’occasion de faire des pauses. Et puis, j’avais comme objectif de dormir dans un endroit chaud et sec. 30 kilomètres et 1550 mètres de dénivelés plus loin, j’arrive au Top of Georgia Hostel. Douche, lessive et repas chaud sont très appréciés après ces deux grosses étapes sous le mauvais temps. Je vais maintenant quitter la Géorgie. Le temps devrait être plus calme mais toujours aussi froid.
7 avril : Dicks Gap – Standing Indian Shelter
Comment se projette-t-on en se lançant sur une marche de plus de 4 mois et 3500 kilomètres ? En fait, le mont Katahdin, dans le Maine, la fin du sentier est tellement loin à l’horizon qu’il est imperceptible. Je me projette sur les étapes proches : quelques jours en Géorgie, les monts Smokey après 15 jours de marche. La suite est trop lointaine. Dans ma tête, c’est finalement rapide. J’ai déjà terminé la partie du chemin en Géorgie. Je suis maintenant dans les montagnes de Caroline du Nord. C’est pas mal. Un quart de ceux qui sont partis du mont Springer n’arrive pas au bout de la Géorgie. Les abandons, le mauvais temps font que le chemin est moins fréquenté qu’au début. Je peux passer une bonne heure sans voir personne. Au premier abri que je passe, certains y font un jour zéro. J’ai du mal à comprendre. Certes, il fait froid mais il fait beau. Ils passent leur journée à essayer de se réchauffer dans le confort rustique de l’abri. C’est vraiment dommage. Le sentier est féerique avec la neige tombée.
Alors que le précédent abri était bondé, je trouve largement place à celui de Standing Indian. Il y a quelques tentes mais personne à l’intérieur. Je peux prendre mes aises. La journée a été belle et ce soir, je vais dormir tranquillement, bien enfoncé dans mon duvet pour une nuit qui s’annonce glaciale à Standing Indian Shelter à 1410 mètres d’altitude.
8 avril : Standing Indian Shelter – Rock Gap (Franklin)
Le sentier est glacé ce matin. La température est tombée largement en dessous de zéro cette nuit. J’espère ne pas avoir souvent de telles conditions. Je suis dans une situation limite pour mon équipement. Mon duvet est donné pour 2°C en température de confort. Autrement dit, en température négative, la situation n’est pas des plus confortables. J’ai pu quand même bien récupérer. La contrepartie de ces choix est la relative légèreté de mon sac à dos. Il pèse 8,3kg hors eau et nourriture. Avec ce poids, j’ai tout pour dormir (tente, matelas de sol, duvet), cuisiner et m’habiller. Je m’en sors pas mal et cela me permet d’avancer à un bon rythme.
C’est encore le cas aujourd’hui avec 32 kilomètres. Depuis le début, le sentier est remarquablement bien entretenu : un chemin de terre en forêt ni caillouteux, ni boueux. On y marche tranquille sans regarder en permanence où mettre les pieds. Comme il est tout aussi remarquablement balisé, c’est une marche sans soucis. En plus, aujourd’hui, il y avait moins de dénivelés. Depuis le départ, il est « pud » (persistently up and down – en permanence à monter et descendre). Les 3 dernières journées, j’ai au final allègrement dépassé les 1500 mètres de dénivelés quotidiens. Ces jours là, les montées de la fin de journée sont rudes.
Avec un peu plus de 1000 mètres, l’étape d’aujourd’hui est plus raisonnable.
Arrivé à Rock Gap, je décide d’aller au camping 2 kilomètres plus bas. La première voiture s’arrête pour m’y amener. Là, la petite épicerie n’a pas grand chose. Je décide d’aller à Franklin, une petite ville de Caroline du Nord. C’est un couple, Beverly et Jim, qui m’y amène. Le camping les a appelé et ils viennent me récupérer là pour m’amener en ville. Randonneurs, eux mêmes, ils font cela gratuitement pour rendre service aux thru-hikers.
En soirée, c’est un vétéran du chemin qui vient me récupérer à l’hôtel pour m’amener au supermarché et il me ramène quand j’ai terminé mes courses. Lui aussi bénévolement. Il a 90 ans. Il a commencé en 1943 à marcher sur l’Appalachian Trail et a fait le chemin complet en plusieurs étapes dans les années 70.
Il débarque plus tard dans le dortoir pour faire un bain de pied à une randonneuse pendant que dans le jardin, la sono diffuse à fond de la musique reggae. Surprenant Appalachian trail !
9 avril : Rock Gap (Franklin) – Wayah Shelter
Ce matin, je prends le petit déjeuner à l’église Baptiste de Franklin. Pendant 4 semaines, elle offre le petit déjeuner aux randonneurs qui dorment dans la ville. Un américain du coin me disait qu’on était ici dans la Bible belt, la ceinture de la Bible. Cette zone s’étend du nord au sud des États-Unis, à l’ouest de la côte et des grandes villes. Les églises protestantes y sont très implantées.
Il est huit heures et quart quand je suis de retour à l’hôtel. Aucun des randonneurs n’est encore levé. Hier à Standing Indian Shelter, c’était pareil. Aucune activité ne provenait des tentes quand j’ai quitté l’abri. Il m’arrive souvent de passer vers 10 heures du matin devant des campements encore en place ou en train d’être pliés. C’est curieux. Après les zero days, j’ai découvert les nearo days (jours proches de zéro kilomètres). À ce rythme, il faudra à certains plusieurs années pour arriver dans le Maine. Le jeune américain qui était dans mon dortoir, était parti le 21 mars, deux semaines avant moi. Il dormait quand j’ai récupéré mon sac à dos pour partir. Il y a une catégorie de jeunes américains qui semble faire ce chemin comme des vacances festives. Soirées animées, grasses matinées et si on a trop fait la fête, zéro ou nearo day.
Une navette me ramène à Rock Gap où je reprends mon chemin. Cette descente en ville m’a laissé une impression bizarre : d’un côté la générosité américaine et de l’autre une ambiance assez éloignée du monde de la randonnée.
Ce serait dommage de ne pas marcher aujourd’hui. J’ai une belle journée printanière. Pas question de zéro ou nearo day mais une étape plus raisonnable avec 24 kilomètres.
10 avril : Wayah Shelter – Wesser (NOC)
Je suis redescendu à une altitude très basse. À Wesser, sur les bords de la rivière Nantahala, je suis à 525 mètres d’altitude. La végétation commence juste à reverdir. Plus haut, les forêts ont conservé leur parure hivernale. Cela fait plaisir de revoir de la verdure. D’autant plus que les derniers jours, j’ai, à plusieurs occasions, marché dans des forêts ravagées par les incendies de l’automne dernier. C’était un paysage désolé avec par endroit, encore l’odeur du brûlé. Lors de mon entretien pour l’obtention du visa B2 (6 mois) à l’ambassade des États-Unis à Paris, cela faisait partie des questions que m’avait posé l’agent des services de l’ambassade : comment j’allais passer les zones qui ont brûlé ? Toute cette zone a connu des incendies violents fin 2016.
À Wesser, je retrouve aussi l’animation. Autour du centre de vacances, il y a une base de canoë kayak, un restaurant, un magasin de sport. Du coup, c’est animé. J’en profite pour me déshydrater avec une pression. C’est la première depuis mon départ. Les deux autres hôtels où je me suis arrêté, interdisaient l’alcool. Les États-Unis ont gardé un rapport strict et puritain pour ce genre de chose. Il est interdit de boire en public dans certains endroits. À Wesser, la pression est à 6 dollars (service non compris). Pas sûr que je n’opte pas pour un coca la prochaine fois. Pour la bière, il vaut mieux s’arrêter au bar de Bossost (Val d’Aran, en Espagne pour les non connaisseurs).
11 avril : Wesser (NOC) – Brown Fork Gap Shelter
C’est ma première journée à plus de 2000 mètres de dénivelés. Du Nantahala Outdoor Center, l’Appalachian Trail monte de 1000 mètres presque directement. Ensuite, on retrouve le chemin « pud » (en permanence à monter et descendre). Je suis parti tôt pour monter avec la fraîcheur. Depuis 2 jours, il fait relativement chaud l’après-midi. Après 3 heures de marche, je passe le premier abri. Certains sont encore à plier leurs affaires. Et quand j’arrive à Brown Fork Gap Shelter, il reste encore pas mal de place. Je peux m’installer tranquillement et récupérer après cette grosse journée.
12 avril : Brown Fork Gap Shelter – Birch Spring Gap
Les abris sont habituellement du style de celui de hier soir : trois murs et un toit pour une capacité de 6 à une douzaine de personnes. Il y a normalement un point d’eau à proximité. Autre élément de confort : il y a pratiquement systématiquement, un peu à l’écart, un « cagadou ». Luxe ultime, il est équipé d’un trône, ce qui est un élément de confort incontestable.
Quand il y a encore de la place, je préfère dormir dans l’abri. Malgré la promiscuité, c’est plus pratique. Il n’y a pas le matin, le pliage de la tente et les affaires prennent moins l’humidité. Ce matin, j’ai pu décoller guère après 7 heures du matin. À midi, après un trajet en navette, je me ravitaille au Fontana Village et en profite pour manger au restaurant. Hamburger, frites, Coca-Cola, c’est pas ce qu’il y a de plus diététique mais il n’y a pas plus américain.
Je reprends le chemin après cette pause. J’avais prévu de dormir à l’abri de Fontana. Il est surnommé le Hilton. C’est un grand abri de 23 places avec eau courante et douches. Il est encore tôt. Je profite des commodités et après une douche et la lessive, j’attaque la montée dans les Smoky Mountains. Ce soir, c’est nuit sous la tente à Birch Spring Gap.
13 avril : Birch Spring Gap – Derrick Knob Shelter
Pratiquement l’intégralité du sentier des Appalaches passe en zone protégée. Je suis maintenant dans le parc national des Smoky Mountains. La protection y est renforcée. Il faut acheter un permis pour le traverser. Pour cela, il faut accepter une dizaine d’articles, du style : j’emporterai mes déchets, respecterai les règles du parc, dormirai uniquement dans les endroits prévus…
Celui sur les règles concernant les ours est précis :
« Je serai préparé à suspendre proprement mon sac et tous les articles odorants sans avoir besoin nécessairement d’un système de cables. Les articles odorants incluent notamment la nourriture, sachets de nourriture, déchets, dentifrice, crème, protection lèvres, nourriture pour les chevaux, etc. Je comprends que les ours reconnaissent les sacs comme source potentielle de nourriture et ne laisserai pas mon sac traîner autour du campement ou de l’abri ».
C’est explicite. D’abord, les ours ici sont sensibles, à l’image de la société américaine, à l’hygiène. Ils ne rechignent pas à se brosser régulièrement les dents. Ensuite, je me rends compte que hier j’ai pris des risques. Sans faire attention, j’avais laissé mon produit de protection des lèvres dans la poche de mon pantalon, à l’intérieur de la tente. Il n’était pas avec le reste comme je m’y étais formellement engagé. Par chance, aucun ours ne devait avoir les lèvres gercées et du coup, je suis encore là pour écrire sur la suite de ma marche.
Je suis pourtant assez consciencieux. Contrairement à la majorité, j’utilise la méthode PCT (Pacific Crest Trail) pour suspendre mon sac. Déjà, il faut que le sac soit à 4 mètres de haut et à 2 mètres du tronc pour que l’ours du sol ou en montant dans l’arbre, ne puisse pas l’atteindre. La plupart suspendent leur sac à une branche et attache la corde au tronc. Grave erreur ! L’ours n’est pas con et voyant le festin suspendu, comprend rapidement qu’en arrachant la corde, il lui tombera au pied. La méthode PCT permet d’éviter ce risque. Un morceau de bois bloque la redescente du sac contre un mousqueton. L’ours n’est pas con mais il a de grosses pattes. Il n’arrive pas à tirer la corde, enlever le morceau de bois et laisser redescendre le sac. Donc, je devrais être tranquille et cette nuit, je n’oublie pas d’y mettre aussi mon produit de protection des lèvres. On n’est jamais trop prudent.
14 avril : Derrick Knob Shelter – New Found Gap (Gatlinburg)
Le Clingmans Dome est le sommet du sentier des Appalaches. Avec 2025 mètres d’altitude, il est certes modeste mais cela veut dire qu’à partir de maintenant, je vais avoir plus de dénivelés descendants que montants. Il me reste quand même environ 140 kilomètres à monter. Depuis le début, je n’arrête pas d’accumuler les dénivelés. Hier, a été une journée épuisante. Le sentier était « pud » (pour rappel, persistently up and down, en permanence à monter et descendre). Il n’y avait aucun moment plat et les descentes étaient relativement raides et ne permettaient pas de récupérer. Fatigué, je n’avais que grignoté la veille et j’avais expédié le petit déjeuner le matin. Je suis arrivé rincé à Derrick Knob Shelter.
Aujourd’hui, la montée au Clingmans Dome était progressive sans passer son temps à redescendre pour remonter ensuite. Là haut, je me retrouve dans la foule des touristes. C’est vendredi saint, férié, pour beaucoup d’américains. La foule des grands jours se presse au sommet de la tour d’observation. Je ne traîne pas au milieu du monde et attaque la descente. À peine arrivé au col, Bill pasteur, me propose de me descendre 20 kilomètres plus bas, à Gatlinburg, petite ville touristique du Tennessee. Après le coup de fatigue de la veille, je me laisse tenter. Un bon repas et un bon lit devrait me requinquer.
Après près de deux semaines dans la nature, quel choc ! Gatlinburg, 3000 habitants peut héberger 40000 visiteurs par nuit. Elle reçoit 10 millions de touristes par an et avec ce week-end pascal, tout est presque complet. Nous sommes pris dans un bouchon pour rejoindre la ville. Un ours aperçu en bord de route a créé l’attraction et provoqué le ralentissement. La ville est un gigantesque parc d’attractions. Il y a une succession de maisons d’horreur, boutiques au goût douteux pour touristes, restaurants, hôtels. Les rues sont noires de monde, envahies par les touristes, casquette sur la tête et short xxxl.
Ensuite, je dois me résigner à prendre une chambre au tarif haute saison. Pour finir, j’atteris dans une pizzeria avec musique à fond les baffles… La bonne nouvelle vient du serveur. Quand je commande ma bière, il me demande mon passeport pour vérifier que j’ai bien plus de 18 ans. Moins de deux semaines à marcher et j’ai déjà rajeuni de plus de 30 ans…
15 avril : New Found Gap (Gatlinburg) – Tri Corner Knob Shelter
Bill, le pasteur, vient comme promis me chercher le matin à l’hôtel pour me remonter à New Found Gap, 20 kilomètres au dessus de Gatlinburg. La ville a connu des terribles incendies cet automne. Elle a été cernée par les flammes. Des dizaines de maisons ont été détruites et des habitants sont morts. La totalité de la population a dû être évacuée. Deux adolescents qui s’amusaient avec des allumettes sont à l’origine de l’incendie et ont été arrêtés. Bill est très marqué par cette catastrophe.
Je repars repu et reposé sur le chemin. 1972 miles jusqu’au mont Katahdin, pas de quoi effrayer un jeune homme comme moi. Au premier abri, je rencontre Huba-Huba, un jeune lyonnais qui fait lui aussi l’Appalachian Trail. Les occasions de parler français sont rares et nous faisons un bout de chemin ensemble. Entre jeunes, cela crée des affinités.
16 avril : Tri Corner Knob Shelter – Standing Bear Farm
Je termine ma traversée des Smoky Mountains. J’ai eu de la chance avec la météo. Cette partie de l’Appalachian Trail est redoutée pour le froid et le temps changeant. Depuis New Found Gap, j’avance sur un bon sentier en crête, un pied dans le Tennessee, un pied en Caroline du Nord. De temps en temps, une trouée dans la végétation offre une vue sur les montagnes. C’est un paysage d’estampe chinoise, toute en douceur, avec une succession de montagnes arrondies et couvertes par les forêts.
Ce soir, je dors à Standing Bear Farm. C’est dans un endroit isolé. L’ensemble est rustique. Il y a une vingtaine de randonneurs. Certains jouent de la guitare. Je bois ma bière (après avoir bien-sûr vérifié que j’étais majeur).
17 avril : Standing Bear Farm – Walnut Mountain Shelter
Hier soir, pour Pâques, les propriétaires de la Standing Bear Farm ont offert le dîner aux randonneurs présents. Salade, jambon grillé, purée, haricots verts, salade de fruits, gâteau à la crème…les thru-hikers se sont jetés sur les mets comme des morts la faim. C’est toujours comme cela, que ce soit hier soir ou avec les trails magics, cela donne l’impression d’une bande de vautours autour d’une carcasse. Si on est pas un peu concentré, on arrive après la bataille et il ne reste rien. Je n’échappe pas à la règle. J’avais pourtant déjà dîné, certes modestement avec une boîte de raviolis achetée sur place. Cela ne m’a pas empêché de me servir généreusement et d’apprécier la pitance.
Aujourd’hui, retour à l’ordinaire. Je campe à côté de l’abri de Walnut Mountain. Et l’ordinaire dans ces cas là, c’est un plat lyophilisé. Je tourne autour du boeuf teriyaki, du chili con carne et des lasagnes. C’est assez nourrissant et finalement pas mauvais. Enfin, demain à Hot Springs, si je peux utiliser la cuisine, je ne me priverai pas. Je rêve d’un repas simple, copieux et fait maison.
18 avril : Walnut Mountain Shelter – Hot Springs
Après 441 kilomètres, Hot Springs est la première localité traversée par l’Appalachian Trail depuis le départ à Springer Mountain. C’est une petite ville thermale au fond d’une vallée des Appalaches. Une rue principale, une banque, quelques commerces dont beaucoup vivent surtout grâce aux randonneurs. Le magasin de sport propose à peu près tout ce dont ils peuvent avoir besoin. La laverie automatique tourne à plein. Beaucoup en profitent, et moi le premier, pour faire une grosse lessive.
À ce stade, la moitié de ceux qui ont commencé la traversée des Appalaches, a abandonné. Le profil des randonneurs que je rencontre, a changé. Fini les américains en surpoids qui ahanent dans les montées. Soit ils ont fondu, soit, et plus vraisemblablement, ils font partie de ces 50% d’abandons. Les premiers jours, un simple nuage était annonciateur d’une future tornade et certains envisageaient un zéro day. Pour d’autres, fatigués après une journée de marche, ils planifiaient un nearo day. C’est fini. Je me fais parfois doubler sur le chemin. Hier soir, sur la montée vers Walnut Mountain Shelter, nous étions 5 à se tirer la bourre pour faire cette ascension le plus rapidement. Quand j’arrive à l’étape, certains décident de poursuivre au delà. Autant au début, on était presque aspiré vers l’immobilisme ou le rythme lent, autant, c’est maintenant le contraire. J’essaye de rester sur mon tempo : étapes autour de 30 kilomètres avec entre 1000 et 2000 mètres de dénivelés. Aujourd’hui, c’est donc presque un nearo day pour moi : 21 kilomètres, 630 mètres de dénivelés. J’arrive à Hot Springs à 11 heures du matin. Lessive, ravitaillement et récupération sont au programme. J’en profite aussi pour faire sécher mes affaires. La nuit dernière et la journée ont été pluvieuses. Demain, je reprends, propre et sec, mes étapes habituelles.
19 avril : Hot Springs – Hemlock Hollow Farm (Log Cabin Drive)
Après une nuit dans le confort de sa chambre d’hôtel, il est difficile de démarrer sous la pluie par un petit matin blême. Je quitte Hot Springs et retourne dans les bois. Il y a de la brume, il pleut et pendant plus de 4 heures, je marche sans rencontrer âme qui vive. L’atmosphère est étrange, mystérieuse. Tout est paisible, il n’y a pratiquement aucun bruit.
Cette marche sous la pluie est finalement agréable. Sur cet Appalachian trail, j’ai adopté le parapluie et je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait avant. Je pense notamment à ma traversée de l’Italie. Avec un poncho ou une veste imperméable, je suais et une fois qu’on est bien mouillé, la pluie traverse tout. Là, je reste au sec, je respire, je prends du plaisir à marcher sous la pluie.
L’après-midi, le temps s’éclaircit mais je ne prends pas de risques. Les prévisions météorologiques sont médiocres et je ne prends pas encore beaucoup de plaisir à camper sous la pluie. C’est dans un agréable hostel avec des cabanes en bois le long d’un ruisseau que je fais étape ce soir.
20 avril : Hemlock Hollow Farm (Log Cabin Drive) – Rector Laurel Road
Je n’ai toujours pas vu d’ours mais aujourd’hui sur le chemin, il y avait une déjection animale que certains ont identifié comme provenant de l’ours. N’étant pas spécialiste des selles ursines, je ne peux confirmer.
À défaut d’ours, il y a toute une faune particulière sur l’Appalachian Trail. Hier soir, est arrivé un grand américain avec la bannière étoilée accrochée à son sac à dos. Ce n’est pas son patriotisme qui était bizarre. C’est rare sur le chemin mais tout à fait habituel dans la société américaine. Il est rentré d’un pas décidé dans le dortoir. Je ne l’ai pas entendu dire bonjour et ses premiers et derniers mots ont été :
– Je vais à Erwin en un jour et demi.
J’ai prévu de mon côté, 3 grosses journées pour faire les 84 kilomètres jusqu’à cette ville du Tennessee. Il y avait aussi dans le dortoir, un homme d’un certain âge, assez taciturne, qui, en guise de conversation, grommelait dans sa barbe. Un américain qui parle normalement, grommelle déjà. Là, c’était une suite de borborygmes inintelligibles. De temps en temps, j’acquiesçais de la tête.
Globalement, il y a beaucoup de jeunes, avec leur longue barbe. Ce n’est pas mon cas. Je ne suis ni jeune et en tout cas depuis hier soir, je suis rasé. Ils font l’Appalachian Trail avec un budget réduit. Du coup, ils évitent souvent les hébergements payants. À Hot Springs, il y avait toute une série de tentes plantées, de l’autre côté de la rivière French Broad, en face du camping. Ils ne s’arrêtent dans les hostels que pour boire de la bière. Celui de hier soir était sans alcool donc avec peu de passage.
Il y a aussi une faune que je qualifie de marginaux mais c’est peut-être avec ma vision de vieux : des jeunes tatoués de partout, avec piercings et souvent sur le chemin avec un chien.
Certains pères font l’Appalachian Trail avec un de leur enfant. Hier soir, c’est plus rare, c’était une mère avec son fils. Quand elle était sortie du lycée, son père lui avait interdit de faire seule le chemin. À la sortie de l’université, elle avait trouvé du travail tout de suite. Elle compensait maintenant cette frustration avec son fils. Lui, snail (l’escargot, son trail name) jouait avec son téléphone sur la terrasse de l’hôtel. Je ne lui ai pas demandé, mais je ne suis pas sûr qu’il ne regrettait pas que son grand-père ait interdit à sa mère de partir dans un centre de vacances en Floride.
Globalement, il n’y a pas énormément de questions ou d’intérêt pour un français sur le chemin. Hier soir, je crois que personne ne m’a demandé d’où je venais. Et je ne pense pas que c’est parce que j’ai maintenant un accent qui me ferait passer pour un américain.
Quand j’ai quitté l’hôtel, le grand échalas dormait encore. Je ne l’ai pas vu me doubler. Il ne lui reste plus qu’une demi journée pour faire les 50 kilomètres restant.
Ce soir, nouvelle expérience, je dors dans un très rustique hostel. Les toilettes sont au fond du jardin. L’ensemble est plutôt sale. Vers 16 heures, 4 jeunes randonneurs reviennent de la ville, chargés de packs de bière. Ils ont largement de quoi tenir une partie de la soirée et de la nuit. Je migre sagement dans la caravane en face.
21 avril : Rector Laurel Road – Spivey Gap
La soirée a été finalement calme. Je repars alors que tout le monde dort encore.
La végétation est en train de repartir. Les sous-bois reverdissent. Violettes, trilles, anémones, dents de chien, iris fleurissent. Les arbres se garnissent. La montée à Bald Mountain (Mont Chauve) au milieu d’un tapis de fleurs est un enchantement. Le sommet, comme son nom l’indique, est dégarni et, de ces 1681 mètres d’altitude, on jouit d’un beau panorama.
Chris, mon partenaire de randonnée du Népal, m’a envoyé un message. Il passe dans le secteur. J’entame la longue descente, sous la pluie, jusqu’à Spivey Gap. Au col, un ancien thru-hiker, Badger, a organisé un grand trail magic : barbecue, fruits, sodas, bière… J’en profite en attendant l’arrivée de Chris. C’est ensuite avec lui et sa copine que je termine la journée : bouteille de Bordeaux et magret de canard au barbecue en réponse à celui que je leur avait préparé à Toulouse. C’était une belle journée dans les Appalaches.
22 avril : Spivey Gap – Chestoa Bridge (Erwin)
La nuit a été bien arrosée. Il a plu une bonne partie de la nuit. Ma tente est trempée ce qui n’est jamais très agréable quand on la replie.
Que fais-je demain ? La météo n’est pas bonne. Je peux rester ici à Erwin. Mais, il n’y a pas grand chose à faire et passer toute une journée à s’ennuyer sous la pluie… En plus, je suis arrivé tôt. J’avais un temps envisagé d’aller plus loin mais un orage m’est tombé dessus pour la dernière demi-heure. Suffisamment pour bien me tremper, pas suffisamment pour m’enlever l’idée de marcher demain sous la pluie. Mes affaires ont eu le temps de sécher cette après-midi.
Je pense que j’aviserai demain.
23 avril : Chestoa Bridge (Erwin)
7h du matin, 90% de chances de précipitations (je peux, grâce à mon sens aigu de l’observation, vous affirmer que le pourcentage est en fait de 100%), 1mm
8h, 100%, 1mm
9h, 100%, 4mm
10h, 100%, 4mm
11h, 100%, 4mm
12h, 100%, 2mm
13h, 90%, 1mm
14h, 70%, 1mm
15h, 60%, 2mm
16h, 60%, 2mm
17h, 90%, 3mm
18h, 100%, 7mm
19h, 100%, 5mm
20h, 100%, 3mm
21h, 100%, 3mm
22h, 90%, 2mm
23h, 80%, 2mm
Alerte météo et inondations : « de fortes pluies avec risques d’inondations sont attendues dimanche sur l’est du Tennessee. Les cumuls de pluie pourront atteindre localement 100mm. Ce phénomène pourrait entraîner des débordements sur des rivières, torrents… »
Zero day aujourd’hui…
24 avril : Chestoa Bridge (Erwin) – Clyde Smith Shelter
Bon, c’est bien de regarder le journal de France 2, un dimanche pluvieux dans mon hôtel d’Erwin. Mais, je ne suis pas venu pour cela. À 14 heures, les résultats du premier tour sont tombés, j’ai passé une bonne partie de l’après-midi à écouter les interventions classiques d’une soirée électorale. Il est temps de se remettre au boulot. Il me reste tout de même 2973 kilomètres pour terminer mon travail et après une journée sans rien faire, il va falloir mettre les bouchées doubles pour y arriver.
Après un « zero day », les jambes sont comme neuves. Et cette journée à fainéanter appelait une réponse. La réponse est cinglante : 43 kilomètres, 2200 mètres de dénivelés et même pas mal aux jambes. Il faut dire que les conditions étaient idéales. Le gros de la montée se faisait le matin. La suite était plus plate. Le temps était idéal pour marcher : froid et gris. Il n’y avait aucune raison de s’abandonner à la contemplation. En fin de journée, une petite bruine s’est mise à tomber et c’est sous une brume à laquelle je m’habitue, que je suis arrivé à l’abri de Clyde Smith.
25 avril : Clyde Smith Shelter – US19E (Mountain Harbor Hostel)
J’enchaîne avec une nouvelle grosse étape de 38 kilomètres. 80 kilomètres en 2 jours avec près de 4000 mètres de dénivelés, c’est pas mal. Je me suis du coup recalé sur mon programme et ai effacé cette journée à 0 kilomètre. Il est jamais bon de traîner un 0 pendant longtemps.
Aujourd’hui, il y avait la motivation de rejoindre la route US19E avec une nuit dans un hostel. La nuit dernière, j’ai dormi dans un abri. Cela faisait quelques temps que cela ne m’était pas arrivé. L’expérience n’a pas été formidable. Arrivé vers 17 heures à l’abri Clyde Smith, il était déjà bien rempli. Quand j’ai demandé s’il restait de la place, personne ne s’est manifesté et surtout pas ceux qui s’étaient étalés sur deux couchettes. Je suis arrivé à trouver mon espace. Les randonneurs ce soir là, donnaient l’impression de naufragés de la montagne. Ils avaient passé la journée de pluie dans la montagne. Les affaires mouillées pendaient de partout. C’était un peu peine perdue, tant l’atmosphère était gorgée d’humidité. Plusieurs étaient enfoncés dans leur duvet et je crois que la conversation avec eux s’est réduite à néant. J’ai un peu discuté avec un seul des jeunes randonneurs. Ce matin, quand j’ai quitté l’abri, personne n’était levé. Certains n’avaient pas quitté leur sac de couchage depuis hier 17 heures…
J’ai laissé les naufragés de l’abri de Clyde Smith et ai poursuivi ma marche dans la brume et l’humidité. C’est dommage car cette étape est sensée offrir de beaux points de vue. Je laisse derrière moi un dernier sommet à 6000 pieds (près de 2000 mètres d’altitude), la Roan Mountain. Je retrouverai ce niveau d’altitude que dans plusieurs mois, le 14 juillet selon mon programme, avec le mont Washington dans le New Hampshire.
Ce soir à l’hôtel, il y a plus de gens de mon âge et tout de suite. On discute de différentes marches en Europe, au Népal. L’intérêt est plus grand et tout de suite, c’est plus sympa.
26 avril : US19E (Mountain Harbor Hostel) – Dennis Cove Road (Black Bear Resort)
Quelle belle journée ! D’abord, il y a le ciel bleu. J’avais un peu perdu l’habitude ces derniers temps. Ensuite, une température idéale, en short et tee-shirt, j’ai marché sans avoir ni chaud, ni froid. Le sentier est toujours aussi impeccable : il monte et descend graduellement. Il est sans cailloux, bien balisé. Je marche sans avoir besoin de faire attention. Avec ce beau temps, je me laisse aller à la contemplation. De temps en temps, des trouées dans la forêt permettent de jouir de belles vues. La végétation est en train de prendre de superbes couleurs printanières.
Je profite de ces conditions idéales pour marcher. j’aligne une nouvelle journée avec 40 kilomètres. En fait, quand, il fait mauvais, j’avance et quand il fait beau, j’en profite et j’avance. Il faut dire que j’ai passé le cap des trois semaines. Je suis en pleine forme. Je crois que mon corps a compris à quoi il fallait qu’il s’attende. Sur la balance, hier soir, j’étais à 160 pounds, un 73 kilos qui correspond à, je crois, mon poids sans gramme de graisse.
Cette belle journée se termine dans un hostel au bord d’une rivière de montagne, dans une vallée isolée. C’est calme et exceptionnellement, ils ont même de la bière, ce qui est rare dans ces contrées de l’Amérique puritaine.
27 avril : Dennis Cove Road (Black Bear Resort – Vandeventer Shelter
Les trails magics sont formidables. Cette après midi, au dessus du barrage de Watauga, j’avais un coup de mou. Certainement, la conséquence des trois dernières grosses journées. Avant d’attaquer la montée vers l’Iron Mountain, Frog avait installé son trail magic. Il a fait l’Appalachian Trail l’année dernière. Il est venu se Cincinatti, à 560 kilomètres de là, pour une semaine. Il offre boissons, biscuits, barres chocolatées…Je me suis installé sur un des fauteuils pliants et après m’être ravitaillé, je suis reparti en pleine forme pour monter sur l’Iron Mountain.
Il y a quelques jours, au passage d’un col, dans la brume et sous la pluie, c’est Rob qui accueillait les randonneurs dans son van. Il a passé plus de 4 heures, là, à offrir sodas et gâteaux…Je dois dire que j’apprécie à chaque fois.
Autre heureuse initiative, il y a pratiquement dans chaque hostel des « hikers box », des boîtes pour les randonneurs. Ceux qui arrêtent le chemin ou se délestent de poids superflus, y déposent nourriture, équipement… L’autre jour, j’avais laissé ma gourde le matin à l’abri. Pas de problème, j’ai trouvé mon bonheur dans la « hiker box » le soir.
Ce soir, quelques gouttes sont tombées juste à mon arrivée à l’abri de Vandeventer. J’avais envisagé de camper plus loin. Je m’arrête là.
28 avril : Vandeventer Shelter – Camping après Abingdon Gap Shelter
La zone vers le lac de Watauga est fréquentée par les ours. Pour éviter d’éventuels problèmes, ils ont fermé l’abri au bord du lac et il est interdit de camper sur 4 miles. Mais je n’ai pas vu d’ours. De même, depuis mon départ, je suis dans des régions pro-Trump mais comme les ours, ils ne se montrent pas. Chaque fois que des américains ont abordé le sujet politique, ils étaient atterrés par leur président. Souvent, c’étaient des personnes de mon âge ou plus âgés et ils suivaient un peu les élections françaises (ce qui n’est pratiquement jamais le cas pour les jeunes que je rencontre). Jouant les Cassandre, ils pensent que nous allons subir le même sort qu’eux. Ils sont très sceptiques sur les sondages. Dimanche dernier, quand j’ai écouté la télévision américaine, le principal angle de vue sur les élections françaises était le parallèle entre Trump et Le Pen.
Ce n’est pas ce soir que je vais voir un supporter de Trump. Je campe au bord du chemin, isolé, à plus d’un kilomètre du précédent abri. J’ai fait 38 kilomètres aujourd’hui. Certains se sont lancés ce matin à 3 heures dans le Damascus Dash. Il s’agit de relier l’abri de Vandeventer à Damascus en une étape. Il y a quand même 53 kilomètres. C’est trop pour moi.
Je suis tranquillement installé dans ma tente. C’est silencieux. À peine entend-on le vent dans les arbres. Je ne rencontrerai pas de pro-Trump, c’est sûr ; pour les ours, c’est à voir…
29 avril : Camping après Abingdon Gap Shelter – Damascus
Tôt ce matin, j’ai passé la limite entre le Tennessee et la Virginie et après une courte étape, je suis arrivé à Damascus. La ville est une étape importante sur le chemin. Elle est réputée comme étant une ville accueillante pour les randonneurs de l’Appalachian Trail. Pour beaucoup, c’est la fin de la première partie : la remontée du nord de la Géorgie puis de la Caroline du Nord et du Tennessee. La suite, la Virginie est l’état le plus long à traverser. Il me faudra plus d’un mois pour arriver au niveau de Washington. Enfin, Damascus se situe presque au quart du chemin. J’ai marché 467 miles (750 kilomètres) et il ne m’en reste plus que 1719 (2770 kilomètres).
Damascus, comme les autres petites villes que j’ai traversé, me surprend. Je m’attendais à voir des localités un peu déshéritées du fin fond des Appalaches. J’avais l’image d’une Amérique rurale passée à côté de la croissance de la nouvelle économie par opposition à la Californie ou les métropoles de l’est. C’est aussi comme cela que les médias français présentent parfois ces deux Amériques, celle qui vote Trump et l’autre Démocrates. En fait, toutes ces petites villes, Damascus comme Dahlonega, Hot Springs ou Franklin, respirent une certaine prospérité. Les maisons sont pimpantes avec des jardins tirés au cordeau. La rue principale est bordée de commerces et des différentes églises protestantes. Autre surprise, je n’ai pratiquement vu que des blancs. Nous sommes pourtant dans le sud des États-Unis mais ici, c’est plutôt l’Amérique WASP (blanche, anglo-saxonne et protestante). Apparemment ces villes accueillent une population aisée ou de retraités à la recherche de villes paisibles au cœur des montagnes.
Damascus est pour moi une halte pour se reposer après une courte étape et gérer ravitaillement et lessive. Demain, je remonte dans les montagnes et attaque la longue traversée de la Virginie.
1 | 29km | D+1050/D-1270 | Avec l’aller retour depuis la route forestière 42 jusqu’à Springer Mountain. Bon sentier en forêt. Le dénivelé se fait progressivement en une succession de montées et descentes. Étape un peu longue pour une première. | |
2 | 25km | D+1180/D-1140 | Étape identique à la veille avec une bonne montée vers la fin pour arriver à Blood Mountain. | 3 | 30km | D+1540/D-1270 | Toujours un bon sentier sans difficultés. | 4 | 31km | D+1550/D-1960 | De Neel Gap à Dicks Gap, prévoir plutôt trois étapes. | 5 | 28km | D+1610/D-930 | On prend de l’altitude. Beaux paysages enneigés lors de mon passage. | 6 | 32km | D+1020/D-1340 | Parcours avec peu de dénivelés marqués à l’exception des montées vers Standing Indian et Albert Mountain. Belles vues des deux sommets. Nuit et réapprovisionnement à Franjlin. | 7 | 24km | D+1370/D-1100 | Bonne montée de Wayah Gap à Wayah Bald. | 8 | 27km | D+860/D-1810 | Belle vue de la tour de Wesser Bald puis longue descente. | 9 | 26km | D+2020/D-1400 | Du NOC, 1000 mètres de dénivelés directs ensuite pud classique. | 10 | 30km | D+1470/D-1520 | En chemin, aller retour en navette pour se ravitailler à Fontana Village et douche et lessive au « Hilton ».Bonne montée ensuite. | 11 | 28km | D+1560/D-1200 | « Pud » toute la journée. | 12 | 29km | D+1320/D-1120 | À part le dernier kilomètre, montée progressive à Clingmans Dome. | 13 | 25km | D+1170/D-900 | Belles vues, agréable sentier. | 14 | 30km | D+720/D-1920 | Bon sentier souvent en crête. Descente progressive. | 15 | 32km | D+1900/D-1140 | Longue étape avec du dénivelé dès le départ. | 16 | 21km | D+630/D-1520 | Petite étape pour ravitaillement et récupération à Hot Springs. | 17 | 27km | D+1430/D-1150 | Agréable hostel à Log Cabin Drive. | 18 | 33km | D+1380/D-1170 | Belle étape avec de belles vues. | 19 | 35km | D+1830/D-1720 | Montée d’entrée, beau passage par Bald Mountain. | 20 | 18km | D+450/D-920 | Petite étape avec peu de dénivelés. | 22 | 43km | D+2200/D-1360 | Grosse étape après un zero day. 1km en plus depuis Mountain Inn. | 23 | 40km | D+1630/D-2100 | Nouvelle grosse étape malheureusement dans la brume (normalement de belles vues de Roan Mountain et des Bald). | 24 | 41km | D+1770/D-1830 | Avec le beau temps, belle journée. | 25 | 29km | D+1430/D-1130 | Beau passage par les cascades de Laurel Fork et belles vues sur le lac de Watauga. | 26 | 38km | D+1380/D-1340 | Parcours en crête avec de belles vues mais finalement pas si plat… | 27 | 15km | D+200/D-700 | Bienvenue en Virginie. |
3
Virginie
30 avril : Damascus – Elk Garden
Repartir après une journée presque sans marcher est toujours un peu bizarre. On est pris par l’ambiance du lieu. L’hostel de Damascus est complet, rempli de marcheurs pratiquement tous jeunes, longues barbes et mines de baroudeurs. Des dizaines de tentes sont plantées sur la pelouse.
Ça discute en buvant une bière sous le porche. La musique est plutôt genre reggae, voire planant. Ça fume aussi gentiment. De temps en temps, fuse un « Fuck Donald Trump » (je ne traduis pas…). Il faut que je m’adapte à la différence d’âge et de culture et que je développe la « cool attitude ». On se salue d’un « Hey brother ». C’est plutôt sympa « Salut frère », ils pourraient dire « Salut père » ou « Salut vieux ». Cela correspondrait plus à la réalité. J’ai l’âge d’être le père de la plupart de ceux qui sont là. Ensuite, on ne sert pas la main ; le contact se fait chacun le poing fermé. C’est pas seulement parce qu’on est cool mais surtout pour des raisons hygiéniques. Cela évite de se transmettre des microbes. Vous voyez que tout cela n’est pas simple et nécessite un certain temps d’adaptation. Mais je progresse. Maintenant, il y a des marcheurs que je vois ou revois régulièrement comme Little Bear (Petit ours), Ounces (Onces), Munch (Peintre norvégien), Goddess (Déesse), Amazon, Double stick (Double bâton), Waffle (Gaufre) ou First Aid (Premier secours)…
Le soir, l’animation déborde largement au-delà des heures de silence stipulées sur un grand panneau (10 heures du soir à 6 heures du matin). Il est 2 heures du matin quand cela redevient calme.
À 6 heures, je me lève. Je m’éclipse en silence, pas revanchard parce que je suis cool. Tout le monde dort. Je retrouve la marche dans la quiétude de la forêt. À ces heures là, il est rare de rencontrer d’autres randonneurs. Au premier que je vois, j’adresse un « Hey brother ». J’ai la cool attitude. Cela devrait me permettre de faire de nouvelles rencontres car Munch, Waffle et compagnie soit envisageaient un nearo day après un réveil tardif, soit, carrément un zero day pour après la fête, faire la refête.
1 mai : Elk Garden – Hurricane Mountain Shelter
Est-ce qu’ils sont tous restés à Damascus à faire la fête ? Depuis hier, la montagne est presque déserte. C’était dommage hier avec une belle journée.
Cela peut se comprendre aujourd’hui. Les prévisions n’étaient pas mauvaises avec de la pluie prévue en début d’après-midi. En fait, j’en ai eu pratiquement toute la journée. Et par moment, c’étaient des trombes d’eau avec un vent tempétueux. L’étape est sensée être belle avec des passages par des crêtes dénudées. Cela devient un gros inconvénient avec ce temps. Le vent balaye les sommets, j’avance courbé. Je suis trempé par cette pluie qui m’arrive sur le côté. En fin de journée, cela se calme. J’en profite pour quitter l’abri où je patientais pour aller au suivant. Nous ne sommes que 3. Je peux m’étaler pour faire sécher mes affaires. Demain, cela devrait s’arranger.
2 mai : Hurricane Mountain Shelter – Partnership Shelter
Je boucle mon premier mois. Tout se passe comme prévu. Je suis en forme, sans problèmes physiques. J’ai eu, au début, quelques échauffements aux pieds mais pas d’ampoules. J’ai certains soirs des muscles ou la cheville douloureux mais cela s’arrange avec une nuit de repos. Je suis maintenant sur un bon rythme et les 31 kilomètres avec 1020 mètres de dénivelés d’aujourd’hui m’ont presque laissé un goût de pas assez. Mais l’abri de Partnership, avec eau courante, douche froide et possibilité de se faire livrer une pizza le soir, a trop d’attraits pour aller plus loin.
Tout est aussi bien réglé. Je me lève vers 6 heures du matin pour un départ autour de 7 heures. C’est plus ou moins long selon si j’ai la tente à plier. Le sac est fait avec minutie. J’ai le strict minimum et oublier un élément est tout de suite embêtant. Chaque objet est rangé au même endroit et avant de partir, je revérifie une deuxième fois ne pas avoir oublié le triptyque de valeur : le portefeuille (papiers, argent, carte de crédit), le téléphone et l’appareil photo.
J’ai trouvé l’équilibre pour mes repas. Au petit-déjeuner, je prends un grand bol de céréales type muesli avec lait en poudre chaud. Pour le déjeuner, les tortillas sont impeccables. Ces galettes de maïs mexicaines ne s’écrasent pas, se conservent bien et sont nourissantes. Je les mange avec du salami (pas toujours facile à trouver) et du fromage (sans goût, juste pour donner la nostalgie du fromage français). Je termine avec un fruit le premier jour et des fruits secs ensuite. Enfin pour le dîner, un plat cuisiné lyophilisé et des fruits secs font l’affaire. Quelques barres de céréales complètent l’ensemble dans la journée.
Je suis aussi dans mes prévisions. Avec 850 kilomètres, je viens de passer le quart du chemin. Comme j’ai prévu 4 mois pour la totalité, cela se tient. L’arrivée est prévue le 2 août avec aucun jour de repos. Mon billet retour est le 8 août donc j’ai une toute petite marge. Quand je discute avec des américains, ils sont souvent incrédules. Ils me demandent jusqu’où je pense arriver ou quelle partie je pense sauter. Pour ma part, je suis confiant.
Le chemin est aussi conforme à mes attentes. C’est un plaisir de marcher sur ce bon sentier bien balisé. La marche en forêt est agréable, encore plus maintenant que la végétation est repartie. Les paysages sont harmonieux comme encore aujourd’hui avec rivière, vues sur la champs en contrebas… Je ne m’attendais pas à des vues spectaculaires. C’est le cas. Je pensais que le chemin serait plus escarpé. Pour le moment, les nombreuses montées et descentes se font par des successions de lacets. Ils sont parfois si serrés que l’on a l’impression de serpenter pour pas grand chose. En Europe, les randonneurs auraient coupé, ici cela ne se fait pas.
Je n’ai pas de lassitude. Comme je l’ai déjà écrit, mon horizon est souvent limité au prochain ravitaillement donc 2 à 3 jours après. Une fois que j’y suis arrivé, je repars pour une nouvelle aventure jusqu’au prochain point de ravitaillement.
Un mois donc en forme, heureux, j’attaque mon deuxième mois.
3 mai : Partnership Shelter – VA610, Old Rich Valley Road (Quarter Way Inn)
J’ai laissé, il y a deux jours, les flancs arrosés et ventés du Mont Rogers. À 1746 mètres d’altitude, c’est le point culminant de la Virginie. Je suis maintenant descendu en altitude. Je vais rester autour des 1000-1200 mètres d’altitude et progressivement continuer à descendre. Le principe en Virginie est souvent une descente dans une vallée puis une remontée sur une crête que l’on suit sur des kilomètres.
C’est un peu ce que j’ai eu aujourd’hui avec un passage dans la vallée d’Atkins. C’était, depuis le début, mon premier passage dans un paysage presque plat. J’ai marché au milieu de la campagne avec fermes, champs, bétail et traversé un corridor de transit avec voie ferrée, autoroute, stations services, motels…C’était une des voies de passage des pionniers dans leur conquête de l’ouest.
De toute façon, c’est pas sur les Appalaches que l’on va taquiner les hauteurs. Les américains, jamais en manque de superlatifs, disent que c’est la plus vieille chaîne de montagnes du monde. « America first » comme dirait le très honorable président Donald Trump. Enfin, difficile de prouver qu’il y a 350 millions d’années, il n’y avait sur terre que les Appalaches. C’est une « fake news »… Les spécialistes s’accordent sur le fait qu’il y a d’autres massifs plus anciens.
Les Appalaches ont donc eu en 350 millions d’années le temps de s’éroder. Le point le plus haut, le mont Mitchell culmine à un modeste 2037 mètres. Pas de quoi s’enflammer mais suffisamment pour cumuler les dénivelés avec 1380 mètres aujourd’hui sur une étape plate.
4 mai : VA610, Old Rich Valley Road (Quarter Way Inn) – VA623 (Saint Luke’s Hostel)
Il y a des jours comme ça où tout ne tourne pas rond.
Dans chaque abri, il y a un petit registre où on peut noter son passage, un commentaire. C’est ce que je fais ce matin. Cela permet à mes « brothers » de Damascus de savoir quand je suis passé là. Aujourd’hui, je rajoute « passage rapide pour éviter la pluie cette après-midi ». Puis, je repars distrait … en direction du sud. Aucune circonstance atténuante cette fois, je n’étais pas dans le brouillard et la tempête des Abruzzes. Comme excuse, je pourrais dire que ces chemins dans la forêt se ressemblent tous un peu.
J’ai bien dû marcher 2 kilomètres avant de croiser First Aid, justement un « brother » de Damascus.
Souriant, je lui demande s’il repart vers Damascus et Springer Mountain. Après vérification sur le GPS, je me rends compte de mon erreur et je dois dire que j’ai eu l’air un peu con. Demi-tour donc et marche accélérée justement pour éviter la pluie cette après-midi…
Plus tard, dans la montée vers Chestnut Ridge, je passe un jeune américain, très propre sur lui, sans barbe qui me salue d’un très respectueux « Hello sir ». Hey Brother, je ne suis pas si vieux que cela. « Sir » non, frère oui. J’ai failli lui en coller une. J’ai préféré donner un petit coup d’accélérateur dans la montée et le scotcher sur place. Le jeunot a pu voir que le vieux avait encore la forme.
Avec une journée mal engagée, je n’ai pas pris de risques ce soir. La pluie et le froid sont au programme. Je me replie dans un hostel dans la vallée. Je ne suis pas seul à faire ce choix. Nous sommes 22 thru-hikers. Hier, j’étais seul au Quarter Way Inn. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
5 mai : VA623 (Saint Luke’s Hostel) – Helveys Mill Shelter
L’hôtel Saint Luke est situé dans une paisible vallée, entourée de montagnes et avec ça et là quelques fermes. Certaines appartiennent à des Amish et hier nous avons croisé une charrette tirée par des chevaux.
L’hôtel, lui était moins paisible avec ces 22 thru-hikers. Cela faisait du monde dans un bâtiment qui est une maison et non un hôtel. Il fallait chercher sa place dans le salon pour le dîner. Le responsable s’en est pas mal tiré et a réussi à nourrir tout ce monde. Le soir, certains ont veillé fort tard. Je dormais depuis longtemps.
Ce matin, le temps de préparer gaufres, œufs brouillés et bacon, le décollage a été plus tardif que d’habitude. Je me contente d’une étape à moins de 30 kilomètres. Cela faisait plusieurs jours que cela ne m’était pas arrivé.
Après l’animation de la veille, j’opte pour une nuit dans un abri juste après Bland. Compte tenu de la pluie prévue cette nuit, beaucoup risquent de dormir en ville. Nous ne sommes que 2 pour le moment et j’apprécie le calme de l’abri, sur une colline au milieu de la forêt.
6 mai : Helveys Mill Shelter – Wapiti Shelter
Les saints de glace seviraient-ils aussi de ce côté-ci de l’Atlantique? La température a chuté. Ils prévoient de la neige et des températures négatives sur les hauteurs où j’étais il y a quelques jours.
Rapidement, je m’équipe et marche avec ma doudoune. J’avance d’un bon pas pour me réchauffer. Le terrain est plus facile aujourd’hui. Le sentier reste sur la crête avec juste de légères montées et descentes. Cette journée est très solitaire. C’est la première fois que je ne vois pas un seul randonneur sur toute l’étape.
Après 39 kilomètres, je m’arrête à l’abri de Wapiti. Petit à petit, d’autres marcheurs arrivent mais nous ne sommes que six. Après un moment au coin du feu, je m’enfonce dans mon duvet. La nuit s’annonce froide.
7 mai : Wapiti Shelter – Senator Shumate Bridge (Pearisburg)
Bon, je ne vais pas faire dans la nuance. Je n’aime pas trop stigmatiser ou faire des généralités mais franchement, sur une échelle de très antipathiques à très sympathiques, je classerais les jeunes américains rencontrés à antipathiques. C’est parce qu’il y a des exceptions, des jeunes avec qui ont peut discuter, que le curseur n’est pas à très antipathiques (comme quoi, je nuance un peu).
Aujourd’hui, c’est assez représentatif. Ce matin, je croise un couple de randonneurs autour de la cinquantaine. Rapidement, ils me demandent d’où je viens. Là, tout de suite, ils me disent que c’est un week-end important en France. On en vient à parler des élections chez nous et de Trump qu’ils trouvent affligeant.
Lors de ma pause dans un abri, un jeune arrive, casque sur les oreilles. Il me remarque à peine. J’essaie d’engager la conversation. Il me répond brièvement puis remet son casque sur les oreilles.
Plus loin, je double un couple d’un certain âge. Rapidement, Papa Jo (son trail name) me demande si je suis français. Bon sur le coup, j’ai été un peu vexé. Je pensais que mon accent s’était amélioré… Il a une filiale à Sophia Antipolis et est déjà passé à Toulouse. On discute un petit peu puis je poursuis ma route.
Arrivé à un point de vue, j’entame la discussion avec un jeune. Le résultat est du même ordre qu’avec le premier.
C’est vrai que je généralise car dans la descente vers Pearisburg, je rencontre une jeune américaine avec qui on a un véritable échange. Mais est-elle représentative ? Elle a étudié à Madrid, elle a déjà voyagé au Népal.
Les exemples comme ceux là sont fréquents. Hier soir, à l’abri de Wapiti, j’ai un peu échangé avec une femme de la quarantaine qui faisait l’Appalachian Trail avec son fils de 13 ans. Quand 3 jeunes sont arrivés, la discussion s’est limitée à nos noms respectifs.
Le soir où j’ai dormi au Saint Luke’s Hostel, sur les 22 randonneurs présents, je n’ai vraiment parlé qu’avec OMG (Oh ! My God, trail name), une femme de la quarantaine et Angelo, un allemand.
Sur les chemins, l’autre jour, j’ai discuté un moment avec Stefan, un Suisse allemand. Je repense à Gabriel quand il me parlait d’eux. Et bien Gabriel, il n’y a pas plus convivial qu’un Suisse Allemand sur le sentier !
L’autre soir, quand je plantais ma tente à Elk Garden, j’ai aussi longuement discuté avec un couple de mon âge. Ils étaient déjà venus en France et bien-sûr, étaient anti-Trump.
Je caricature, peut-être…mais la jeune américaine rencontrée ce matin, était elle aussi critique sur ces jeunes qui sortent de leurs études et font le chemin comme un prolongement des fiestas étudiantes.
On est assez loin de l’esprit randonnée que l’on trouve en montagne ou sur le chemin de Saint-Jacques.
8 mai : Senator Shumate Bridge (Pearisburg) – Wind Rock
Dans la série des critiques, les petites villes américaines sont un enfer pour les piétons. Les commerces sont éparpillés le long d’une grande route et pour aller d’un bout à l’autre, il faut parfois marcher sur 2 à 3 kilomètres. Hier, à Pearisburg, j’ai eu du mal à faire mon ravitaillement. J’étais installé dans un motel au bord d’une quatre voies. L’architecture avait un certain charme désuet des années cinquante. En regardant de plus près, l’ensemble était assez décati. Autour, des stations services avec le restaurant mexicain, le fast-food, la pizzeria et drive-in pour être servi sans quitter sa voiture.
Le supermarché en face est un cauchemar pour le randonneur français qui fait ses courses : des mètres de linéaire de chips mais aucune charcuterie, même pas un petit salami. Rien de vraiment destiné aux marcheurs qui s’arrêtent pourtant tous ici. J’ai marché ensuite un bout le long de cette quatre voies jusqu’à la pharmacie. Elle est immense, type supermarché en libre-service. Mais, ils ne vendent rien pour purifier l’eau.
Bref je repars de Pearisburg sans être ravitaillé comme je le souhaitais. Le prochain arrêt en ville est dans 4 jours. J’espère que je ne manquerai de rien.
Quand je pense à ceux qui envisagent un zero day ici. Passer une journée complète à Pearisburg, non merci ! C’est vraiment la journée pour se mettre en marche. Il n’y a pas d’autres options possibles. Il fait un beau temps, l’air est frais et les jours suivants s’annoncent perturbés. Pourtant, ils sont nombreux à gâcher cette journée avec un zero day à Pearisburg. J’ai toujours aussi du mal à comprendre ceux que je vois, après plus de 3 heures de marche, devant leur tente. Ils vont attaquer leur marche en fin de matinée…
De mon côté, pas de problème, je boucle une étape de 45 kilomètres avec 2180 mètres de dénivelés. J’ai bien optimisé cette journée de beau temps. Il peut pleuvoir demain après-midi. La journée était belle notamment sur la crête à la limite entre les deux Virginie. Ce soir, je campe au sommet d’une montagne. Il n’y a qu’une seule autre tente. Tranquille, je regarde le soleil se coucher.
Post scriptum
Je reviens sur ce que j’ai écrit hier avec une petite anecdote. Lors de ma pause déjeuner, un jeune randonneur s’arrête et commence à discuter. On échange un petit moment. Je me dis intérieurement que mes critiques étaient peut-être injustes. Quand je lui demande d’où il vient, il me répond qu’il est anglais… Du Suisse Allemand à l’anglais, les Européens ont peut-être plus de points communs qu’avec les américains.
9 mai : Wind Rock – Niday Shelter
Je démarre tôt. La pluie est annoncée pour l’après-midi. À l’abri de Laurel Creek, quelques gouttes ne me découragent pas. Je poursuis. En milieu d’après-midi, je passe au sec l’abri de Sarver Hollow. Ce n’est que peu après qu’elle arrive. Rien de méchant mais suffisant pour rendre glissants les rochers sur la crête.
Depuis quelques jours, je ne vois pas grand monde sur le chemin et je m’attends à trouver l’abri de Niday tranquille. Hélas, ce n’est pas le cas. Il est bondé. Les meilleurs emplacements de camping sont déjà pris. Il y a des « brothers » partout…
Je plante ma tente sous la pluie. Après plus de 80 kilomètres en deux jours, je prévoyais une étape plus tranquille pour demain, 27 kilomètres jusqu’au Four Pines Hostel. Visiblement, tout ce beau monde a aussi prévu d’y aller. Ça sent l’hostel avec fiesta jusqu’à point d’heure…
10 mai : Niday Shelter – VA624 (Four Pines Hostel)
J’ai longtemps hésité : m’arrêter au Four Pines Hostel et me retrouver avec « la bulle » de thru-hikers ou continuer jusqu’à McAfee Knob, célèbre point de vue. La nuit dernière a été particulièrement arrosée. Ce matin, je plie mon équipement soit trempe, soit très humide. McAfee Knob est 16 kilomètres plus loin soit une journée à plus de 40 kilomètres. J’opte pour la sagesse et m’arrête à l’hostel. J’essaierai de distancer cette bulle, un autre jour.
L’hostel Four Pines est assez typique. Il fonctionne avec donativo. Il y a d’un côté, un garage avec des rangées de couchettes en bois et de l’autre, la salle commune avec mobilier de récupération de bric et de broc. La salle commune sent la soirée animée par la bulle de thru-hikers en quête de fiesta. Je m’installe sagement dans le garage. Les affaires sèchent. Je suis arrivé assez tôt et j’en profite pour me reposer après ces deux dernières grosses journées.
Aujourd’hui, pour la première fois, il y avait un semblant de passage technique pour descendre de la Dent du Dragon. Rien de bien méchant quand même. Demain, le temps est à nouveau perturbé. Je vais voir si je peux aller jusqu’à Daleville.
11 mai : VA624 (Four Pines Hostel) – Daleville
Daleville n’est pas l’endroit rêvé pour un randonneur : un échangeur autoroutier qui dessert une quatre voies bordée de stations services, restaurants de chaîne, centres commerciaux et motels. C’est là que je passe la nuit. C’est par un beau sentier que l’on arrive dans cet environnement urbain. Le chemin traverse un corridor vert embaumé par les fleurs printanières. Il y a bien le bruit de la circulation mais on ne voit aucune trace de civilisation et tout d’un coup, on débouche là dessus.
La journée a été splendide marquée par le passage par McAfee Knob. Ce sommet est l’image emblématique de l’Appalachian Trail. Le rocher surplombe le vide et tout bon thru-hiker se fait photographier dessus. C’est un bel endroit dominant les montagnes de Virginie.
Je m’étais organisé pour y être avec un rayon de soleil. La météo prévoyait des éclaircies le matin et de la pluie l’après-midi. Je suis donc parti tôt et j’ai essuyé un bel orage le matin. L’après-midi a été plutôt ensoleillée… mais j’étais déjà loin de McAfee Knob. J’avais comme objectif de rejoindre Daleville, une étape conséquente de 42 kilomètres. C’est pas le charme de l’endroit qui m’a fait accélérer. C’est plutôt pour laisser derrière moi la bulle de thru-hikers avec qui j’étais les deux dernières nuits. Je pense l’avoir maintenant à une journée derrière. Il doit y en avoir d’autres devant mais j’ai peut-être un intervalle plus tranquille.
Demain, la météo est mauvaise et je vais sûrement en profiter pour faire une petite journée de récupération. Enfin, à voir avec les prévisions pas toujours exactes.
12 mai : Daleville – Wilson Creek Shelter
Ce matin quand je quitte la chambre de mon motel, il fait froid et il bruine. La motivation est proche de zéro. L’hôtel est complet pour cette nuit. Je vais à celui d’en face qui est aussi complet. Il y a ce week-end des cérémonies de remise de diplômes dans les alentours et les familles ont réservé des chambres. La réceptionniste contacte un autre hôtel de l’autre côté de l’échangeur autoroutier où il reste des chambres.
Finalement, au lieu d’aller à gauche de l’autre côté de l’autoroute, je pars à droite vers le sentier. Il bruine, j’ouvre mon parapluie et attaque la montée. Le premier abri, au sommet d’une montagne, est venté et froid. Je tente le coup en poursuivant jusqu’au suivant. Il y a de la place. Il est tôt mais je ne prends pas le risque d’aller au troisième, 10 kilomètres plus loin. La météo est mauvaise pour cette nuit. Autant rester ici au sec et marcher les jours prochains avec le beau temps.
13 mai : Wilson Creek Shelter – Jennings Creek, VA614 (Middle Creek Campground)
Il semble que cette période de temps perturbé se termine. Il a plu sans discontinuer pendant plus de 12 heures. J’étais content d’avoir une place dans un abri. Heureusement, la pluie s’est arrêtée à l’aube. L’air est encore chargé d’humidité. Ce matin, je marche dans la brume. Le froid est accentué par un petit vent. Quand le soleil fait son apparition, l’air est cette fois, moite.
Les prochains jours s’annoncent clairs. Tant mieux, je vais essayer d’aller à Waynesboro sans redescendre dans la vallée pour me ravitailler. Cela représente 170 kilomètres que j’envisage de parcourir en 5 jours. Cela risque d’être ma plus longue période d’autonomie. 5 jours, cela commence à faire du poids dans le sac à dos.
Du coup, je ne pousse pas aujourd’hui et m’arrête dans un camping où je peux compléter mon ravitaillement et en profiter pour me gaver de calories.
Avec le beau temps, le chemin est magnifique. Les rhododendrons sont en fleurs. Le bord du sentier est bordé de muguet sauvage, de curieuses orchidées (sabots de la Vierge) et d’un tas d’autres fleurs. Les prochains jours s’annoncent prometteurs.
14 mai : Jennings Creek, VA614 (Middle Creek Campground) – Marble Spring
Je suis installé ce soir dans un col près d’une bonne source. Il n’y a que 3 personnes qui campent. C’est isolé, tranquille, à l’image de cette journée. Je pense avoir définitivement laissé derrière moi la bulle de thru-hikers et je ne suis pas encore tombé sur la suivante. J’ai marché toute la journée en ne voyant qu’une poignée de randonneurs. C’était particulièrement agréable de retrouver cet environnement paisible, en plus avec du beau temps et une température idéale.
Ce soir, je ne vais quand même pas faire la java. La journée a été chargée avec pas mal de dénivelés.
15 mai : Marble Spring – Pedlar River Bridge
Cette journée est un copier-coller de la veille : beau temps, du dénivelé et peu de monde. Il semblerait qu’une partie des thru-hikers est en train de migrer vers Damascus pour les Trail Days. Cette fête de l’Appalachian Trail attire la grande foule et de nombreux randonneurs y vont spécialement. Faire 600 kilomètres aller-retour pour faire la java à Damascus, non merci. J’imagine des dizaines (centaines?) de tentes dans le jardin public avec des brothers barbus en train de boire bière sur bière… Tant mieux pour moi s’ils sont repartis là bas. Je profite paisiblement du chemin.
16 mai : Pedlar River Bridge – Rock Spring
Le sentier est remarquablement entretenu, c’est encore le cas pour cette étape. Une armée de volontaires y travaille sous la houlette de l’Appalachian Trail Conservancy. Dans chaque état, un ou plusieurs clubs ont en charge une section du sentier. Et enfin dans les clubs, des volontaires entretiennent une partie du chemin. C’est le cas de 3 femmes que j’ai croisé sur le chemin. Autour de la cinquantaine, bien mises, on aurait pu tout aussi bien les voir dans un comité paroissial de l’église locale. Au lieu de cela, elles étaient responsables de deux miles au sein de leur club. Hier, elles débroussaillaient leur section qui était déjà en superbe état. Le Club Alpin de Reggio di Calabria devrait venir faire un stage ici.
J’ai eu une nouvelle belle journée avec des passages sur des sommets dénudés. L’étape était exigeante avec la montée à Bald Knob mais ce soir, je suis remarquablement installé à Rock Spring. Je suis seul à camper. L’emplacement est beau et en bordure d’une belle source.
17 mai : Rock Spring – Rock Point
39 kilomètres aujourd’hui, mais que c’est dur. Je souhaitais m’avancer le plus possible de Waynesboro pour avoir une journée plus tranquille demain. Quand je regarde certaines étapes il y a quelques jours, je me demande comment j’ai pu allègrement dépasser les 40 kilomètres.
C’est peut-être la chaleur. La température flirte avec les 30 degrés et la montée à Three Ridge Mountain a été rude cette après-midi. Au sommet, après avoir bien sué sur ce versant sud, je rencontre Kiwi Legs (Jambes de kiwi). Elle est néo-zélandaise comme son nom l’indique. Elle doit avoir autour de quarante ans et elle est partie de Springer Mountain le 4 avril, un jour après moi…Impressionnant quand je vois, à mon niveau, l’exigeance du chemin ! Elle a prévu d’arriver au mont Katadhin fin juillet, quelques jours avant moi. Il va falloir que je tienne mon rang et que la France ne connaisse pas une nouvelle humiliation face à la Nouvelle-Zélande.
Dans un autre style, je vois assez régulièrement ces 3 derniers jours Shortcut (Raccourci). Son nom est explicite. C’est le genre de personne qui t’explique quand tu es redescendu épuisé de Three Ridge Mountain, que le raccourci qu’elle a pris, est aussi long que l’Appalachian Trail. Il fait 5 kilomètres de moins et évite de monter à 1200 mètres d’altitude.
En plus, elle rajoute que c’est la plus belle partie de tout le sentier. Avec photos à l’appui, elle me montre les cascades les plus belles du chemin. Ouais, bof, elle a dû prendre un raccourci et éviter les cascades de Laurel Fork. Ce qu’elle a loupé, c’est un beau crotale des bois qui traversait le chemin. Et chacun sait que quand le crotale des bois traverse le chemin, il est toujours prioritaire.
18 mai : Rock Point – US250 (Waynesboro)
Après le crotale, l’ours ou plutôt, les ours. Je suis parti tôt ce matin, à 5h15 pour éviter la chaleur et avoir l’après-midi complète à Waynesboro. Le premier ours que je vois, était pile sur le chemin. Quand il m’a vu, il est parti en courant. C’est dire la tête que je dois avoir après 5 jours dans les montagnes. Du coup, à peine arrivé à l’hôtel, ça était douche et rasage. Le second ours brun que j’ai vu, c’était un kilomètre plus loin. Il grimpait à un arbre. La photo n’est pas très nette mais je n’allais pas me planter au pied de cet arbre ! En tout cas, je peux vous assurer, que si un ours vous poursuit, ne pensez même pas monter à un arbre. L’ours battrait le champion olympique de la discipline.
Ce soir, j’ai choisi de me réfugier en ville. Point de crotale ou d’ours mais douche, lessive, ravitaillement, bière,bon steak et discussions au bar avec des locaux.
Je ne suis pas mécontent de mes 5 jours et 170 kilomètres en autonomie dans les montagnes. J’ai bien géré l’alimentation, ai campé dans de beaux endroits isolés. J’ai aussi bien avancé en évitant de redescendre dans la vallée. L’étape de Waynesboro avec le confort d’un lit d’hôtel, un bon repas n’est pas non plus désagréable.
Demain, je repars sur le sentier. Comme à l’aller, c’est un bénévole qui me transporte gratuitement pour faire les 8 kilomètres jusqu’au col. C’est l’Amérique qui peut être formidable.
19 mai : US250 (Waynesboro) – Black Rock Hut
C’est Jim qui me remonte ce matin à Rockfish Gap. Il fait partie des bénévoles de Waynesboro que l’on peut appeler pour faire le trajet. Il est 8 heures du matin quand j’attaque le chemin. L’heure est tardive mais, on l’excusera, Jim ne pouvait pas plus tôt.
Repu, frais comme un gardon, propre comme un sou neuf, je marche d’un bon rythme. La fatigue des jours précédents est évacuée. Il faut dire que le chemin s’y prête bien. Il y a beaucoup moins de gros dénivelés et je fais les 33 kilomètres et 1450 mètres de dénivelés plus tranquillement.
Je suis maintenant dans parc national de Shenandoah. Si la quasi totalité de l’Appalachian Trail se trouve en zone protégée (National Forrest), il ne traverse que deux parcs nationaux sur les 3500 kilomètres de parcours, celui-ci et les Smoky Mountains à cheval sur la Caroline du Nord et le Tennessee. La particularité du parc de Shenandoah est qu’il est finalement pas très sauvage. La route Skyline Drive le traverse en parallèle au sentier. Plusieurs camping, lodges, lieux de ravitaillement se trouvent le long de la route. Avec un parcours en crête sans trop de dénivelés et une logistique plus aisée, cette traversée devrait être plus facile que les journées précédentes.
La vie sauvage y est par contre riche. C’est, notamment, un des endroits où les ours sont les plus présents.
20 mai : Black Rock Hut – South River Picnic Area
Le mile est trompeur. J’ai inconsciemment tendance à l’assimiler au kilomètre. Quand je vois un panneau indiquant 1 mile à marcher, j’ai l’impression que cela va aller aussi vite que pour un kilomètre alors que c’est plus proche de deux. Certains jours, en fin de journée, il est particulièrement long. D’autres, comme aujourd’hui, je les enchaîne sans presque m’en rendre compte. Les 28 miles (45 kilomètres) de l’étape se sont presque faits dans la facilité. Pourtant, ce n’était pas tout plat puisque je cumule les 1880 mètres de dénivelés.
La journée a été belle. Après le temps lourd, moite, orageux de la veille, la température a brusquement chuté dans l’après-midi. La marche en a été que plus facile. Le sentier, toujours impeccable, montait et descendait dans les bois. Souvent bordé de tapis de fleurs, il était embaumé des senteurs de chèvrefeuille, des acacias fleuris et d’autres essences. Comme je l’ai écrit en introduction, l’Appalachian Trail n’est pas le chemin à faire pour les vues à couper le souffle. Mais celui qui aime marcher dans la nature trouvera beaucoup de plaisir à le faire.
21 mai : South River Picnic Area – Rock Spring Hut
Cela sera peut-être banal bientôt, mais j’ai vu un ours ce matin. C’était un jeune ; pas un ourson, il était seul et déjà assez grand. Cette fois, il n’a pas eu peur. L’opération lavage et rasage de Waynesboro a dû produire ses effets. Tout mignon, il a fait quelques pas vers moi. J’ai cru un instant reconnaître l’ours en peluche de mes premières années. J’aurai aussi avancé dans sa direction pour une séquence retrouvaille émouvante. Puis, de lointains souvenirs sont remontés à ma mémoire. Non, mon nounours était marron et avait perdu un œil à la fin. À moins d’une lourde opération chirurgicale et d’une teinture intégrale, cela ne peut être lui. La méfiance l’a emporté et j’ai préféré reculer doucement. Vous n’aurez pas la scène émouvante qui fait pleurer dans les chaumières avec ralenti et flou artistique pour célébrer les retrouvailles.
La journée se déroule sur un rythme de vacances. Je m’arrête en début de matinée au camping de Lewis pour prendre un café. Il n’a pas vocation à procurer une quelconque émotion à contrario de l’expresso italien. Ce n’est pas qu’il est mauvais, il est insipide, comme d’ailleurs le fromage américain. Ce matin, il a la vertu de me réchauffer. La température a chuté de 20°C en 24 heures.
À midi, c’est à Big Meadows que je fais ma pause. Repas chaud, glace, bière, c’est toujours ça de pris et je repars sur le chemin. Le temps s’écoule et je n’avance guère. À 15 heures trente, je joue la sécurité et m’arrête à l’abri de Rock Spring. Le prochain abri est à 17 kilomètres. La nuit s’annonce pluvieuse et je préfère dans ces cas-là l’abri à la tente. Pendant ce temps-là, Kiwi Legs doit continuer de marcher. Elle ne s’est pas arrêtée ce matin pour le café et je pense qu’elle a évité la pause gastronomique. Comme d’habitude, les Blacks restent sur la discipline pendant que les français se laissent aller avec de petits plaisirs. Éternelle histoire qui nous vaut une défaite à la fin.
22 mai : Rock Spring Hut – South Marshall Mountain
La nuit dans l’abri s’est avérée la bonne solution. Il a plu abondamment jusqu’au petit matin. Elle s’est heureusement arrêtée avant mon départ. Du coup, les conditions sont parfaites pour marcher. Il fait frais et le soleil est souvent caché par les nuages.
La journée d’hier à fainéanter appelait comme d’habitude une réaction. Je marche d’un bon pas toute la journée sans fatigue et avec plaisir. Il faut dire que je me suis dopé ce matin. Au Skyline Resort, ils servaient des expressos bien serrés. J’en ai pris deux pour le plaisir de boire du bon café.
À 16 heures, j’ai fait 36 kilomètres. Je me charge de calories avec un repas typiquement américain : hamburger, frites, glace aux mûres (spécialité du coin) et boisson énergétique et je repars.
Neuf kilomètres plus loin, j’arrive à l’abri de Gravel Spring. Il est dans un creux, dans la brume humide et puis c’est un peu l’affolement : un ours a détruit une tente.
Je décide de continuer et de chercher un emplacement pour camper sur les hauteurs. Deux kilomètres plus loin, je m’arrête au sommet de South Marshall. J’ai fait 47 kilomètres et 1750 mètres de dénivelés. Le soleil commence à décliner, un rocher domine le couchant. L’endroit est idéal pour planter la tente. Mais avant cela, je regroupe toute la nourriture et les produits de toilettes et vais suspendre l’ensemble à un arbre. Cette fois, je respecte scrupuleusement la méthode Pacific Crest Trail et vérifie une dernière fois qu’il ne reste pas une barre de céréales ou le produit pour les lèvres dans une poche.
Une fois installé, j’assiste au coucher de soleil. La journée a été belle. Je me suis régalé et si la tombée du jour n’était pas arrivée, je pense que j’aurais pu continuer encore un peu.
23 mai : South Marshall Mountain – US522 Mountain Home Cabbin
L’hostel Mountain Home Cabbin est un bel endroit. Il est juste en bordure de l’Appalachian Trail. La maison principale date de 1840. Le bâtiment où se trouvent les hébergements, était celui des esclaves.
Je suis arrivé en fin de matinée, après une courte étape pour éviter la pluie prévue pour l’après-midi. Le soir, j’ai acheté une bouteille de vin (californien), préparé une salade de tomates et de fraises. Nous ne sommes que trois pour dîner. Je propose à chacun du vin puis de la salade. Il y a un retraité qui a déjà traversé à pied les États-Unis ouest en est en partant de San Diego en Californie et en terminant dans le Maine sur la côte Atlantique. En début de soirée, Shortcut (Raccourci) arrive. Elle a zappé la partie entre le camping de Lewis et Skyline Resort (40 kilomètres). Elle a fait du slackpacking (étape sans sac à dos) hier. Nous passons une bonne soirée.
Le quatrième, je ne le compte pas. C’est un brother, barbu comme il se doit. Il a pris un zero day. Quand j’arrive avant midi, il termine sa nuit. L’après-midi, il fait la sieste. Le soir, quand je lui propose un verre de vin, il refuse et reste au lit avec son téléphone portable. Il aura passé 90% de sa journée au lit. Après le repas, quand nous remontons dans le dortoir, il descend dans la cuisine. Degré de communication proche de zéro, voire négatif. J’ai presque envie de le baffer.
24 mai : US522 Mountain Home Cabbin – Rod Hollow Shelter
Il a plu toute la nuit. Au sec, confortablement installé dans un bon lit, c’est presque un plaisir d’écouter la pluie tomber. Au moment de repartir, elle a cessé de tomber. J’ai plutôt de la chance. Les nuits sont pluvieuses mais souvent la journée est plus calme.
L’atmosphère est quand même chargée d’humidité. Le sentier est boueux par endroit. Il fait frais, le temps est gris. J’avance. Le chemin est typique de l’Appalachian Trail : monter, descendre dans les bois. 37 kilomètres, j’en ai encore sous la semelle. Un moment je suis tenté de rejoindre Harpers Ferry en deux jours mais il vaut mieux que j’y arrive le matin pour trouver un hébergement.
Avec le mauvais temps prévu, je préfère aussi une nouvelle fois, jouer la sécurité. Je m’installe à l’abri de Rod Hollow. Il y a de la place. Je serai au sec pour cette nuit.

25 mai : Rod Hollow Shelter – Blackburn AT Center
Il a à nouveau plu toute la nuit et au réveil, ce sont des trombes d’eau qui s’abattent sur l’abri de Rod Hollow.
Magie du chemin ou pas, au moment de partir, la pluie cesse et j’ai même droit à du ciel bleu et un rayon de soleil. Comme hier, l’air est chargé d’humidité. L’eau dévale les torrents.
Au programme de la journée, j’ai le fameux roller coaster : 20 kilomètres avec une succession de 10 montées et descentes. Un peu casse-jambes mais finalement guère différent de ce que j’ai depuis 1000 miles. Je franchis en effet ce cap symbolique aujourd’hui.
Magie du chemin toujours, les orages annoncés n’éclatent que juste au moment où j’arrive au Blackburn Center. L’hébergement est plus confortable qu’un abri. Je suis dans un petit dortoir fermé, il y a un poêle et ce soir, la personne qui garde le centre va nous préparer un dîner.
En attendant, je me réchauffe près du poêle. Nous sommes fin mai…
26 mai : Blackburn AT Center – Harpers Ferry
Harpers Ferry est une étape importante sur l’Appalachian Trail. Symboliquement, elle se situe à la moitié du parcours. Le réel mi-parcours se trouve une centaine de kilomètres plus loin.
C’est aussi la fin de la remontée des Virginie avec un tout petit bout de Virginie Occidentale à la fin et un très long morceau en Virginie. Je suis rentré dans cet état avant Damascus. Il m’aura fallu 26 journées pour arriver à la limite du Maryland. 900 kilomètres, c’est la plus longue section sur l’Appalachian Trail. Je l’ai parcouru allègrement avec une très honorable moyenne de 35 kilomètres journaliers.
C’est aussi une belle partie du chemin. Avant le départ, j’en était resté à ce que j’avais lu sur cet état : le long tunnel vert. Je m’imaginais marcher dans la forêt avec peu de points de vue. C’est en fait un parcours assez varié avec des montagnes dénudées, un peu de rochers, de la faune sauvage et bien-sûr quand même pas mal de forêts.
Harpers Ferry est aussi la ville où se trouve le siège de l’Appalachian Trail Conservancy, l’association qui gère le chemin. Dès mon arrivée, je suis passé par leurs bureaux. Traditionnellement, ils enregistrent et prennent en photo les thru-hikers. Cela m’a permis de voir qu’à ce jour, nous ne sommes que trois, partis en avril et arrivés à Harpers Ferry. Un marcheur que je ne connais pas, parti le 1er avril et la terrible Kiwi Legs qui y est arrivé un jour avant moi.
Demain, c’est relache pour moi. Je prends un zero day. Je vais aussi en profiter pour me balader à Harpers Ferry, un des seuls endroits historiques du chemin. Kiwi Legs, elle, prends 3 jours avec son mari qui vient la voir. Je repartirai devant.
28 | 38km | D+1800/D-1050 | Belle vue des Buzzard Rocks. Emplacements pour camper à Elk Garden (toilettes) | 29 | 32km | D+1180/D-1310 | C’est sensé être une belle étape malheureusement mauvais temps. | 30 | 31km | D+1020/D-1240 | Eau courante, douche froide à l’abri. | 31 | 35km | D+1380/D-1630 | Ravitaillement de base aux stations services et restaurant là où l’Appalachian Trail croise la US11. | 32 | 33km | D+1690/D-1260 | Belle étape avec prairies, rivières, marche en crête avec vues. | 33 | 29km | D+1050/D-1290 | Étape un peu courte mais le prochain abri et point d’eau est loin. | 34 | 39km | D+1210/D-1380 | Une des premières journées avec des parties avec peu de dénivelés. | 35 | 31km | D+1080/D-1400 | Belles vues depuis les crêtes. 2km en plus pour revenir sur Pearisburg. | 36 | 43km | D+2180/D-1430 | Belles vues le long de la limite entre les deux Virginie et depuis Wind Rock. 2km en plus pour venir depuis Pearisburg. | 37 | 37km | D+1380/D-2040 | Belles vues des crêtes avant Niday Shelter. | 38 | 27km | D+1280/D-1290 | Passages dans les rochers du côté de la dent du Dragon. | 39 | 42km | D+1680/D-1840 | Le McAfee Knob est le grand moment de la journée. Beaux passages ensuite par les Tinker Cliffs et les crêtes. | 40 | 18km | D+940/D-740 | Petite étape de récupération sous la pluie. | 41 | 27km | D+840/D-1110 | 2 kilomètres en plus pour le camping. | 42 | 34km | D+2010/D-1560 | 2 kilomètres en plus depuis le camping. | 43 | 37km | D+1480/D-1890 | Deux bonnes grimpettes. Pas trouvé un bon emplacement de camping à Pedlar River Bridge. | 44 | 35km | D+1740/D-980 | Bonne montée vers Bald Knob.Bel emplacement de camping à Rock Spring. | 45 | 39km | D+1860/D-2060 | Bonne montée vers Three Ridge Mountain. | 46 | 25km | D+740/D-1000 | Étape tranquille pour se reposer et se ravitailler à Waynesboro. | 47 | 33km | D+1450/D-1250 | Dénivelés plus doux sur cette journée. | 48 | 45km | D+1880/D-1810 | Comme hier, bon sentier qui monte et descend en douceur. | 49 | 28km | D+1100/D-960 | Étape avec plein d’occasions de s’arrêter (café, restaurant…). | 50 | 47km | D+1750/D-1850 | Belle étape, dénivelés en douceur, café, restaurant… | 51 | 20km | D+500/D-1120 | Logement confortable au Mountain Home Cabbin | 52 | 37km | D+1360/D-1380 | Journée humide et un peu boueuse. | 53 | 29km | D+1570/D-1410 | Étape avec le fameux roller coaster. | 54 | 20km | D+420/D-820 | Petite étape de transition pour terminer les Virginie. |
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Maryland – Pennsylvanie – New Jersey – New York
27 mai : Harpers Ferry – Crampton Gap Shelter
Harpers Ferry se situe à un emplacement stratégique, à la confluence des rivières Potomac et Shenandoah. C’est un couloir de passage de Washington vers l’ouest.
La ville est en plus à la limite de la Virginie, sécessionniste et esclavagiste pendant la guerre civile mais fait partie du Maryland, esclavagiste aussi mais qui est resté côté unioniste lors de la guerre de sécession.
Harpers Ferry a donc été le théâtre de plusieurs batailles passant d’un camp à l’autre.
C’est aujourd’hui une ville touristique où chaque bâtiment avec un soupçon d’histoire est largement mis en valeur comme c’est souvent le cas aux États-Unis. L’autre jour, le long d’un ruisseau où d’anciens esclaves avaient habité, plusieurs panneaux d’information expliquaient leur histoire. Il était impossible de deviner un morceau d’un ancien mur au milieu de la végétation.
Les ruines du hameau de Serreméjean à Chasseradès, en Lozère, berceau familial, sont autrement plus impressionnantes. Elles feraient ici l’objet d’un grand centre touristique avec restaurants, boutiques de souvenirs….
C’était la page historique de l’Appalachian Trail. Je n’aurai plus guère l’occasion de vous embêter avec cela d’ici la fin.
Pour cause de week-end prolongé du Mémorial Day et de difficultés pour trouver un hébergement, le zero day s’est finalement transformé en nearo day. Parti en début d’après-midi de Harpers Ferry, j’ai finalement fait 17 kilomètres jusqu’à l’abri de Crampton Gap. C’est pas si mal. J’ai changé de « pneumatiques » et il faut que je fasse gaffe à ne pas avoir d’ampoules tout de suite.
28 mai : Crampton Gap Shelter – Falls Creek
Je suis au nord de la ligne Mason-Dixon qui séparait les états du sud et du nord. Sur le chemin, je suis passé sur plusieurs lieux de batailles de la guerre de sécession. Les montagnes se situaient sur la ligne de front.
Ce soir, je campe au tout début de la Pennsylvanie. Il y a deux jours, je quittais la Virginie. Harpers Ferry est en Virginie Occidentale. Hier, je suis rentré dans le Maryland et aujourd’hui, j’en ai terminé avec cet état. J’en suis maintenant à mon septième. J’ai l’impression de bien avancer après les 900 kilomètres en Virginie.
Aujourd’hui, en tout cas, j’ai bien marché. Toutes les conditions étaient réunies pour cela. Je sortais de deux petites journées. Le temps nuageux et frais était idéal pour la marche. Le sentier en forêt était en général bon avec juste quelques parties un peu rocailleuses. Le relief était peu accidenté même si au final, j’arrive à 1600 mètres de dénivelés. Enfin, à 10 heures du matin, j’ai eu droit à un Trail magic de luxe au Washington State Park. L’horaire était parfait, juste au moment où le petit déjeuner est oublié et que le corps a besoin de se recharger en calories. Les trails angels, Rob et Caroline sont à nouveau des particuliers qui font cela bénévolement, juste pour faire plaisir aux thru-hikers. Ils sont venus de l’Ohio avec tout l’équipement pour cuisiner. Ce matin, à mon heure de passage, j’ai eu droit à un petit déjeuner digne d’un hôtel : bacon, saucisse, œufs brouillés, pain, salade de fruits, barres chocolatées, sodas, boissons énergétiques, glaces… le grand luxe ! Certains après le petit déjeuner, attendaient que Rob serve cette fois, le déjeuner.
Rassasié, j’ai continué mon chemin en forme. À la fin de la journée, le compteur affiche les 50 kilomètres. La nuit tombe quand je plante la tente et la pluie se met à tomber quand la tente est plantée. Que du classique !
29 mai : Falls Creek – US30 Fayetteville (Trail of Hope Hostel)
Après la journée marathon d’hier, je suis revenu à un rythme plus normal. Je n’ai pas de problème d’ampoules avec mes nouvelles chaussures ou d’échauffement musculaire mais ce n’est pas la peine de tenter le diable. Je n’ai pas besoin d’arriver avec plusieurs jours d’avance. J’en ai toujours deux d’avance, ce qui me laisse une certaine souplesse.
Je pense que je suis sorti de la bulle. Les brothers, en se levant à 10 heures du matin et en prenant des zero days, ont pris plusieurs jours de retard sur moi. Je marche tranquillement dans la journée. Les nombreux randonneurs du week-end du Mémorial Day terminent leur marche. Les personnes que je rencontre, sont aussi plus sympathiques. À ce stade, ce sont des randonneurs plus expérimentés, plus sérieux, et ces dernières soirées, j’ai pu avoir des échanges agréables. Ce soir, au Trail of Hope Hostel, je me suis proposé pour préparer un bon plat de pâtes que j’ai partagé avec deux étudiantes du Middle West. Je vais finir par apprécier l’ambiance de l’Appalachian Trail.
30 mai : US30 Fayetteville (Trail of Hope Hostel) – James Fry Shelter
Je viens de passer le point qui marque la moitié du chemin. Pour l’année 2017, il se situe exactement à 1094,9 miles. Compte tenu des modifications de tracé, il évolue un peu chaque année.
1094,9 miles, 1762 kilomètres parcourus mais encore 1762 kilomètres à faire. Difficile de penser qu’il me reste autant que ce que je viens de faire. J’ai l’impression que Springer Mountain est très loin et il me reste à refaire la même distance. Cela correspond en gros à traverser toute la France et avancer assez loin à pied en Espagne…
Je ne peux pas me projeter aussi loin. Je reste sur mon horizon limité aux prochains points de ravitaillement, Boiling Springs demain, Duncannon ensuite. Petit à petit, je vais avancer en Pennsylvanie et ainsi de suite. Il me reste encore beaucoup de kilomètres mais, en tout cas, 45 de moins que ce matin.
31 mai : James Fry shelter – Carlisle (Hôtel)
Les Appalaches ont la particularité d’avoir les parties les plus hautes au sud et au nord. La partie centrale est elle beaucoup plus basse. Je vais la traverser jusqu’en Nouvelle Angleterre.
Aujourd’hui, les points hauts culminaient autour de 330 mètres d’altitude et la fin de l’étape se déroulait dans une plaine agricole. Marcher sur le plat est une habitude que j’ai un peu perdue, mais je m’adapte. Ce n’était pas désagréable, d’autant plus que le sentier traverse un couloir vert et ombragé.
L’autre grand nouveauté de la journée est d’avoir eu un franc soleil. Ces derniers jours ont été en permanence sous les nuages et souvent dans une brume humide. Depuis que j’ai quitté le parc national de Shenandoah, je crois avoir eu de la pluie toutes les nuits. Heureusement, les journées ont été moins perturbées. Selon les prévisions, j’ai droit à un petit répit jusqu’à la fin de la semaine.
1er juin : Carlisle (Hôtel) – Clarks Ferry Shelter
Sur les bords de la rivière Conodoguidet, je retrouve un peu de calme à peine troublé par le passage de canards sauvages ou le chant des oiseaux. Plus loin, des lapins ou des biches à queue blanche détalent à mon approche.
J’ai laissé derrière moi la plaine de Carlisle avec ses autoroutes, industries, un bruit de fond permanent. Cette zone urbanisée se prolonge à l’est vers Harrisburg puis les grandes métropoles de Washington, Baltimore et Philadelphie. Après les petites villes de montagne, c’est l’Amérique active, l’Amérique qui travaille. Et elle travaille, cette Amérique. Deux semaines de congés par an, ça ne fait pas rêver. Et avec cela, il faut payer la santé et l’éducation des enfants. Mon amie de Washington, certes indépendante, cotise 1000$ par mois pour la couverture santé d’une famille de 3 personnes. Avec cela, il lui reste quand même, par an, 10000$ à sa charge. C’est 30000€ qui partent par an sur le poste santé. Les études de ces deux filles vont lui coûter 250000$. Ce n’est pas étonnant que des retraités continuent à travailler ou que des actifs ont plusieurs emplois.
Maintenant, pour les français qui râlent, regardez votre feuille d’impôt. Est-ce que vous payez 50000€ par an ? Cela correspond à ce qu’elle va payer rien que pour les postes santé et éducation pendant plusieurs années. Maintenant, mettez-vous à la place des américains et ralez un bon coup…
Je n’ai pas de raison de râler aujourd’hui. Beau temps, température idéale, les conditions idéales pour une bonne journée. En fin d’après-midi, j’ai quitté Duncannon et le bruit de la circulation pour remonter dans les montagnes, loin de l’Amérique qui pollue et ne se préoccupe pas du reste de la planète.
2 juin : Clarks Ferry Shelter – Rausch Gap Shelter
Je ne suis pas resté hier soir à l’hôtel Doyle de Duncannon. L’établissement est plus que centenaire. Il est connu pour ses installations vieillissantes, vétustes et pour sa propreté douteuse. C’est une institution sur l’Appalachian Trail et comme souvent dans ces cas là, je me méfie. C’est souvent des repaires de barbus…
Il y a ainsi toute une série de rites, traditions sur le chemin. Il est de coutume de manger un demi gallon de glace à la moitié du chemin. Une barquette de 1,9 litre, c’est sûrement une invention du service marketing d’un fabricant de glace. Je ne sais pas si la suite du challenge est de manger le gallon entier à la fin du chemin. Il paraît qu’il y a aussi un pancake challenge.
Il y a aussi les challenges de distance comme les 31 miles avant Damascus ou celui des 4 états en 24 heures : quitter la Virginie, passer en Virginie Occidentale puis dans le Delaware pour arriver en Pennsylvanie. Il y a tout de même 77 kilomètres…Tout cela intéresse particulièrement les barbus.
J’aurai pu passer une journée excellente avec ce beau temps et un bon sentier sur les crêtes si je n’avais pas eu un début de panique. À midi, au moment de la pause au bord d’une rivière, je suis arrivé sur une concentration de barbus. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas rencontré autant. Certes, moins qu’à Damascus, mais il devaient bien être une petite dizaine. Le reste de la journée a été gâchée. Ma seule préoccupation était de trouver le moyen de les distancer…
3 juin : Rausch Gap Shelter – PA183 (Rock’n Sole Hostel)
Ce matin, je suis doublé par Seed (Graine), une jeune américaine, assez fluette. Elle court même dans les descentes. Plus loin, à la faveur d’une pause, je la rattrappe. Elle semble épuisée. Elle est tombée la veille et son visage est marqué par des plaies. Intrigué, je lui demande pourquoi elle va si vite et pourquoi elle n’est pas descendue à Luckdale, la petite ville accessible au précédent col.
Lasse, son visage tuméfié, elle me répond :
– Je veux échapper à la bulle.
J’ai presque l’impression que c’est un film d’horreur : une bulle de jeunes barbus derrière qui engloutit les thru-hikers qu’elle rattrape. Je me retourne. C’est bon, ils ne sont pas là.
L’option naturelle de la journée aurait été de s’arrêter à l’abri 501, une étape de 28 kilomètres avec à la fin un abri de luxe. Il a l’eau courante, des douches solaires. En y regardant de plus près, l’endroit est à éviter. On peut se faire livrer des pizzas et je suis sûr que les brothers trouveraient le moyen de se ravitailler en bière. L’horreur ! Une soirée avec la bulle, la meute de barbus mangeant des pizzas, buvant de la bière et riant grassement sur des blagues foireuses.
Je continue plus loin. 43 kilomètres aujourd’hui pour arriver à un hostel. La description est rassurante : hostel sans alcool et non fumeurs. Déjà, c’est rédhibitoire pour les barbus. La demi-pension est à 40$, ce qui est également un frein important. Le barbu peut être autant économe sur le logement qu’il peut être dépensier sur la bière.
Une que je retrouve, c’est Shortcut (Raccourci). Par un tour de passe-passe dont elle a le secret, elle avait repris deux jours d’avance sur moi. Par contre, c’est fini pour Kiwi Legs. Shortcut m’apprend qu’elle a arrêté à Harpers Ferry pour des problèmes de genoux. Une victoire de la France sur les Blacks sur abandon, laisse un goût d’inachevé…
4 juin : PA183 (Rock’n Sole Hostel) – Windsor Furnace Shelter
J’ai entamé hier mon troisième mois. Je tiens toujours la forme. 63 jours que je suis parti de Springer Mountain, 62 jours de marche puisque je n’ai pris qu’un jour de repos. La moyenne quotidienne frise les 20 miles, 32 kilomètres. 62 jours avec chaque jour 32 kilomètres à pied et aucun problème de tendon, genou ou ampoules. J’ai de quoi être satisfait.
Dans la journée, j’ai passé Port Clinton. J’ai préféré pousser un peu plus loin et laisser définitivement la bulle derrière moi. Il faut se méfier, les bulles, ici, sont plus rapides qu’au début où elles avançaient à la vitesse d’un escargot. Il suffisait d’une bonne journée de marche pour la laisser derrière soi.
J’ai maintenant la fin de la Pennsylvanie en ligne de mire, 3 à 4 jours de marche pour atteindre le New Jersey et le prochain point de ravitaillement.
5 juin : Windsor Furnace Shelter – Bake Oven Knob Shelter
Connaissant le sens civique des américains, leur honnêteté et leur propension à respecter les lois, j’ai été surpris de voir qu’il y a, comme ailleurs des incivilités. C’est le cas, par exemple, pour ce qui est des déchets jetés en pleine nature. Les cochons du Parc des Nebrodi en Sicile ont des cousins de ce côté-ci de l’Atlantique.
Malgré les multiples panneaux incitant à ne laisser aucune trace, autour de certains abris, des « amoureux » de la nature laissent leurs sacs d’ordures. Des canettes, gobelets, déchets divers jonchent parfois les bords des routes.
Ces indélicatesses touchent moins la communauté des thru-hikers. Les abris loin des routes sont peu souillés. Globalement, la marche se déroule dans des paysages vierges. Même si le temps est à nouveau nuageux, c’est encore le cas aujourd’hui. Le chemin est bon, presque plat en crête. Quelques passages rocheux valent à la Pennsylvanie sa réputation, pour moi usurpée, de Rocksylvanie. Je préfère à cette image celle des lauriers des montagnes en fleurs, emblème de l’état.
6 juin : Bake Oven Knob Shelter – Leroy Smith Shelter
Il fait gris, humide, parfois avec un peu de pluie ou de bruine. Les rares points de vue sont bouchés par les nuages. Les passages rocailleux sont glissants. Ce n’est pas la meilleure journée de l’Appalachian Trail…
La principale satisfaction est d’avoir maintenant la bulle derrière. Il y a un peu de monde ; c’est pour la plupart des jeunes américains mais, cela se voit de suite, ce ne sont pas des brothers. La première différence est qu’ils ne se déplacent pas en meute. Il y a plus de mixité. Parmi les marcheurs, il y a des section hikers qui ne font qu’une partie du chemin et des flip-floppers. Ces derniers partent d’Harpers Ferry, vont jusqu’au mont Katadhin, retournent à Harpers Ferry pour faire la partie sud. C’est un moyen d’éviter la bulle mais ceux qui sont actuellement avec moi risquent fort de se faire rattraper par elle.
Avec ces nouvelles personnes, les soirées à l’abri sont agréables. Hier soir, il y avait une polonaise, une jeune du Maine et un jeune américain qui avait voyagé en Europe. Il était d’ailleurs passé par Toulouse et avait fait la traversée des Pyrénées versant espagnol. Ce soir, c’est plus tranquille, nous ne sommes que deux à l’abri.
7 juin : Leroy Smith Shelter – Delaware Water Gap
La Pennsylvanie c’est fini ; enfin presque, il me reste le pont sur la rivière Delaware à traverser pour rentrer dans le New Jersey. Les trois derniers jours, j’ai eu cailloux et temps gris. Ce matin, il faisait même froid avec 7°C. 7°C à basse altitude, presque à mi-juin, le vénéré président Donald Trump a réussi à mettre fin au réchauffement climatique ! Mais le mauvais temps est aussi terminé. Dans quelques jours, les prévisions météorologiques annoncent des températures au-delà des 30°C.
La Pennsylvanie c’est fini et je suis satisfait. Les derniers jours ont été durs. Je vais maintenant traverser une série d’états sur des distances plus courtes. New Jersey, état de New York, Connecticut et Massachusetts vont s’enchaîner. Je vais avoir l’impression d’avancer.
J’ai assisté hier soir à une scène assez extraordinaire sur la jeunesse américaine. Des jeunes du coin étaient venus à l’abri pour boire quelques bières autour d’un feu de bois. La copine d’un des jeunes lui a téléphoné pour lui annoncer qu’elle était enceinte. J’ai compris quand il m’a dit qu’il allait être papa, le « Oh ! M….e » au téléphone en réaction à l’annonce de sa copine. Elle a dû être contente ! Il m’a expliqué ensuite qu’il était embêté car il allait falloir l’annoncer à ses parents qui sont très chrétiens, m’a-t-il dit. Le jeune avait 23 ans !
8 juin : Delaware Water Gap – Brink Shelter
Dans le désordre, une journée ensoleillée sans grosses chaleurs, des vues, des lacs, des étangs, des marais, un chemin beaucoup moins rocailleux, un crotale, des ruisseaux de montagne, un abri agréable et tranquille… Après 3 journées un peu moroses, je me suis régalé pour cette première étape dans le New Jersey. J’avais prévu une journée tranquille après quelques grosses étapes et je termine avec 40 kilomètres au compteur. À ce rythme, dans deux jours, je suis dans l’état de New York.
9 juin : Brink Shelter – Unionville
Ce soir, je suis donc aux anges : un lavage sommaire mais efficace au point d’eau, une lessive tout aussi sommaire et efficace, les courses pour se ravitailler, une (plutôt deux) bière au bar et une pizza pour terminer. La vie est belle, je retrouve mes habitudes d’européen.
Cette soirée conclut une nouvelle belle journée dans le New Jersey. C’était comme hier sans le crotale mais avec en plus cette fin d’étape à Unionville.
J’avais décidé de me calmer. 40 kilomètres hier, 43 aujourd’hui, 50 demain ? Arrêtez de me provoquer…
10 juin : Unionville – Wildcat Shelter
48 kilomètres aujourd’hui pour conclure cette belle traversée du New Jersey. La fin a été un peu rude avec un passage par les rochers et la chaleur qui commence à se faire sentir.
Le New Jersey a été la belle surprise de l’Appalachian Trail. Pour terminer ces paysages variés, j’ai aujourd’hui traversé une zone de marais.
Je suis maintenant dans l’état de New York. Le passage par cet état est court et je vais arriver rapidement dans le Connecticut.
48 kilomètres, 1500 mètres de dénivelés après deux étapes de 40 et 43 kilomètres, le rythme est élevé. Pour le moment, je n’ai pas de signaux de danger venant du corps ; je n’ai toujours pas d’ampoules, ni d’échauffement musculaire.
Demain devrait être quand même une journée de récupération. Les trois jours qui viennent, les températures vont dépasser les 30°C. J’ai toujours du mal avec les grosses chaleurs. Je vais donc lever le pied avec peut-être même une après-midi à la plage au bord d’un lac.
11 juin : Wildcat Shelter – William Brien Memorial Shelter
New York n’est vraiment pas loin. Il paraît que par temps clair, il est possible de distinguer les gratte-ciels de Manhattan depuis les hauteurs de l’Appalachian Trail. Je ne peux pas confirmer. Le chemin reste en pleine nature et la proximité de la ville ne se fait sentir que par les avions dans leur phase descendante vers les aéroports new-yorkais.
Autre signe de la proximité de la ville, c’est la foule au bord du lac Tiorati. Pas mal de latinos, notamment sont venus pour pique-niquer sous la relative fraîcheur des arbres. Relative, car comme prévu, il fait très chaud et comme prévu aussi, j’en bave. Le terrain est accidenté. Les montées sont raides et il faut parfois s’aider des mains. À 14 heures, épuisé, j’arrive au bord du lac. Je ne repars qu’en fin de journée quand les températures commencent à baisser.
12 juin : William Brien Memorial Shelter – Graymoor Center
Pour moi, il m’aura fallu 71 jours pour remonter le trajet d’une vingtaine d’heures de bus que j’avais fait début avril pour rejoindre la Géorgie.
Pour le reste, j’ai vu un ours mais le pauvre, il était dans un zoo. Le sentier a la particularité de traverser le zoo de Bear Mountain. Le fait vraiment marquant de la journée est la température qui n’est pas loin aujourd’hui des 100°. Ce sont des fahrenheit bien sûr, mais 35°C, cela commence à être dur. J’ai donc attaqué vers 5 heures du matin pour terminer en début d’après-midi. Le centre Graymoor a une douche froide bienvenue et des espaces ombragés. Ce sont les seules choses qui importent en cette journée caniculaire.
Demain, il faudra à nouveau composer avec les températures. Cela devrait redescendre mercredi et je pourrai reprendre une activité normale.
13 juin : Graymoor Center – Lac Canopus
Comme souvent, les grosses chaleurs me laissent sans énergie. J’ai l’impression d’avoir les jambes si fatiguées qu’elles ont du mal à soutenir le poids du reste du corps. Je suis parti un peu après 5 heures du matin pour une petite étape. À midi, arrivé au lac de Canopus après 23 kilomètres, je n’en peux plus. Je monte la tente et passe l’après-midi à me reposer.
Le soir, le ciel est orageux, annonciateur d’une baisse des températures bienvenue.
Je vais pouvoir repartir normalement demain, si les jambes le veulent bien…
14 juin : Lac Canopus – Wiley Shelter
Hier, j’avais l’énergie d’un brother, au réveil, à 11 heures du matin. J’avais besoin d’être rassuré. 51 kilomètres aujourd’hui, c’est bon, je suis toujours en forme. 10°C de moins ont fait la différence. Je conclus ainsi avec une étape significative ma traversée de l’état de New York. Demain matin, je rentre dans le Connecticut.
Depuis que je suis passé devant la dernière bulle, il y a peu de monde sur le chemin. Je préfère. J’ai eu quelques nouvelles de cette bulle par un randonneur qui était au camping hier soir. Il s’est lui aussi retrouvé au milieu en Pennsylvanie mais cette bande de brothers avait prévu une pause pour visiter la brasserie Yuengling. Je dois dire que cette bière est une de celles que je préfère aux États-Unis mais de là, à s’arrêter une journée pour visiter la brasserie ! J’imagine tous ces brothers barbus en visite… ils vont vider tous les stocks de bière !
55 | 17km | D+540/D-280 | Départ en début d’après-midi de Harpers Ferry. | 56 | 50km | D+1600/D-1630 | Longue étape relief doux. | 57 | 29km | D+840/D-880 | Premier aperçu des rochers de Pennsylvanie sur la Rocky Mountain. | 58 | 45km | D+1080/D-1120 | Première journée avec de longues parties plates avec un bon chemin. | 59 | 33km | D+790/D-830 | Fin de l’étape dans la plaine. | 60 | 36km | D+1220/D-990 | Belle étape avec le beau temps. | 61 | 40km | D+980/D-1000 | Nouvelle belle étape, beau sentier en crête et beau temps. | 62 | 43km | D+1210/D-1080 | Comme la veille. | 63 | 33km | D+790/D-920 | Étape tranquille hormis la descente et montée raides avant et après Port Clinton. Déjeuner au restaurant de l’hôtel de Port Clinton. | 64 | 43km | D+1040/D-870 | Alternance de bons chemins forestiers et parties rocailleuses notamment avant et après l’abri d’Allentown Hiking Club. | 65 | 38km | D+970/D-970 | Encore des parties rocheuses. | 66 | 32km | D+650/D-980 | Dernière étape en Pennsylvanie avec toujours des rochers. | 67 | 40km | D+1300/D-1050 | Belle étape variée. | 68 | 43km | D+1000/D-1180 | Nouvelle belle étape variée. | 69 | 48km | D+1500/D-1310 | Passage par les marais puis les rochers dans l’état de New York. | 70 | 29km | D+1360/D-1330 | Par le lac Tiorati, environ 2 miles en moins que l’AT. Très chaude journée. Montées raides. | 71 | 27km | D+1120/D-1270 | Très chaude journée. Arrêt en début d’après-midi. | 72 | 23km | D+920/D-780 | Nouvelle très chaude journée. Étape sans difficultés ni attraits particuliers hormis le lac. | 73 | 51km | D+1610/D-1760 | Pas de difficultés et même parfois un excellent chemin. |
5
Nouvelle Angleterre (Connecticut – Massachussets – Vermont – New Hampshire – Maine)
15 juin : Wiley Shelter – Caesar Brook Campsite
En rentrant dans le Connecticut, j’entame la dernière partie de l’Appalachian Trail : la remontée de la Nouvelle Angleterre. C’est un gros morceau. De la limite de l’état de New York au mont Katahdin, il y a 1181 kilomètres à parcourir. Mais, maintenant que j’ai bien avancé, la différence entre le fait et le reste à faire commence à être significative. Ce soir, j’en suis à mon 2383ème kilomètre et il ne m’en reste plus 1141 à faire. Une broutille.
Après les 51 de la veille, j’ai progressé de 42 kilomètres aujourd’hui. C’est pas mal. Les conditions sont bonnes, les journées sont maintenant longues et il n’y a pas grand chose à faire hormis de marcher. J’ai quand même fait un petit crochet pour voir un pont couvert caractéristique de la Nouvelle Angleterre et j’en ai profité pour une pause café et pâtisseries à la stations-service voisine. Pratiquement toutes les stations-service où je me suis arrêté, sont tenues par des indiens. C’est le cas également de beaucoup d’hôtels. Je suis étonné par le nombre d’indiens aux États-Unis. On les retrouve aussi souvent en excursion dans les parcs que j’ai traversé. Ils se déplacent en gros groupe. C’était le cas dans les Smoky Mountains ou l’autre jour dans l’état de New York.
Demain, le temps devrait progressivement se gâter. J’ai prévu une journée plus tranquille et de dormir le soir dans un lit. Cela fait un petit bout de temps que cela ne m’est pas arrivé.
16 juin : Caesar Brook Campsite – Salisbury
Je termine la journée à Salisbury. C’est une petite ville de Nouvelle Angleterre qui respire la prospérité. Des boutiques de produits locaux, pâtisseries « françaises » bordent la rue principale. Le supermarché ressemble aux supermarchés européens avec produits frais et de qualité.
Au fur et à mesure que je remonte, les règles sur la vente de l’alcool se rapprochent des nôtres. Dans le sud, j’ai traversé des comtés « secs ». La vente d’alcool y est interdite partout. Dans certains autres comtés, elle est interdite le dimanche. Il y a certains états où il faut aller dans des magasins dédiés pour en acheter. Il n’y a pas une canette de bière ou une bouteille de vin en vente dans les supermarchés. J’ai dîné dans des restaurants où il faut se contenter d’un verre d’eau ou d’un soda pour accompagner son repas. À Unionville, je pouvais acheter de la bière à l’épicerie mais je ne pouvais la boire qu’à l’intérieur d’une maison. C’était interdit devant l’épicerie ou ailleurs dans la rue.
Bref, ce soir, c’est Byzance. Je bois du vin. Il y a du pain (j’en avais oublié le goût à force de manger des tortillas) et la cuisinière est française, originaire des Sables d’Olonne.
Les prochains jours, je devrais continuer dans des bonnes conditions. La météo m’a conduit à m’organiser pour organiser des étapes plus confortables.
17 juin : Salisbury – Homes Road (Sheffield)
New Jersey, New York, Connecticut et maintenant le Massachusetts, je remonte rapidement tous ces états. Sur les 14 traversés par l’Appalachian Trail, j’en suis à mon onzième.
Par contre, la journée a été rude. La pluie de la veille, la brume, l’humidité ont rendu les rochers glissants. Sur toute la première partie de l’étape, il y a plusieurs montées et descentes raides. Je glisse et tombe deux fois, heureusement, sans dommage. J’avance beaucoup plus lentement que d’habitude. L’attention permanente à sécuriser mes pas requiert en plus de l’énergie. Je termine la journée exténué. Heureusement, je suis confortablement installé à Sheffield et je vais pouvoir récupérer avec une bonne nuit de sommeil.
18 juin : Homes Road (Sheffield) – US20 Lac Greenwater
Les animaux un peu impressionnants sont moins présents. Le crotale est de plus en plus rare au fur et à mesure que je remonte vers le nord. Tant mieux, ce n’est pas un animal très sympathique. Le dernier que j’ai vu, c’était dans le New Jersey. J’en resterai probablement à 3 croisés au bord du chemin.
J’en suis aussi à 3 ours mais je peux continuer à en voir. Je continue à suspendre ma nourriture quand je campe. Le dernier méfait dont j’ai eu connaissance était à la limite du New Jersey et de New York. Un ours s’est acharné sur un quart laissé sur la table de pique-nique d’un abri. Il valait mieux sûrement être à distance.
Les longues, impressionnantes mais inoffensives couleuvres noires semblent ne plus être présentes. Il y a quelques petits serpents mais ils se cachent rapidement à mon passage.
Plus sympathiques, les biches à queue blanche qui souvent s’enfuient à mon arrivée mais parfois aussi, restent immobile, près de moi, à me regarder. Je reste alors un moment pour un face-à-face, chacun observant l’autre. Écureuils par milliers, tortues parfois, salamandres et tant d’autres espèces complètent le tableau de la faune. Mais, c’est surtout les tous petits animaux qui sont présents.
Avec les températures élevées, de l’humidité, des lacs, des étangs, des marais, la région est une destination rêvée pour les moustiques. Rajoutez à cela, des mollets de randonneurs qui s’aventurent dans leur domaine et vous comprendrez leur bonheur de vivre ici. Le soir et le matin, sans une lotion anti-moustiques, c’est le banquet assuré pour eux. Dans la journée, il y en a toujours quelques uns pour rappeler qu’ici, on est chez eux.
Les petites mouches, elles, ne piquent pas mais, pour une raison que j’ignore, aiment se poser sur mes yeux. C’est particulièrement le cas quand, en sueur, je suis en train de monter. J’ai beau en tuer des dizaines, il y en a toujours des nouvelles qui arrivent.
Plus embêtant, je suis dans une zone infestée de tiques porteuses de la maladie de lyme. Heureusement, le sentier ne traverse que peu de prairies. Mais la vigilance est permanente. « No rush », un thru-hiker rencontré aujourd’hui, s’est arrêté 15 jours après avoir contracté la maladie.
Enfin, je ne devrais pas tarder à arriver dans les habitats des terribles « black flies ». Ces petites mouches noires, elles, piquent et elles abondent au mois de juin en Nouvelle Angleterre. Initialement, je devais y être après le gros de la période mais je suis en avance sur le programme. J’avais le choix : la bulle ou les mouches noires…
Je ne suis donc pas seul sur le chemin mais entouré par quantité d’êtres vivants qui ne me veulent pas tous du bien. Ce soir, à l’abri dans ma chambre d’hôtel, je ne suis pas dérangé.
19 juin : US20 Lac Greenwater – Dalton
L’objectif de la journée était simple : arriver à Dalton vers midi. Non pas pour profiter des charmes de cette ville du Massachusetts mais pour éviter les pluies torrentielles prévues. La météo avait émis un avis d’alerte pour la zone pour l’après-midi.
Levé un peu après 4 heures du matin, je suis à 5 heures sur le chemin. Le jour se lève et quelques rayons de soleil me permettent de profiter de belles vues sur les lacs et les étangs. Il est midi passé quand, comme prévu les premières gouttes tombent ; comme je le pensais, j’arrive à Dalton au bout des 31 kilomètres de l’étape.
Je m’étais un peu emballé à Salisbury, petite ville à l’européenne avec commerces variés et groupés dans le centre. Dalton est elle, une ville typiquement américaine. La rue principale est très circulante. Mon motel est en plein centre avec en bruit de fond, la circulation.
Autour, il y a deux stations services. Les magasins de celles-ci sont les seuls lieux accessibles à pied pour se ravitailler. Comme d’habitude, le choix y est limité. L’essentiel est constitué de produits pour grignoter, chips, barres chocolatées et sodas en tous genres. Tout ce qu’il faut pour devenir obèse. Seul un thru-hiker peut s’en sortir sans grossir. Les prix y sont aussi très élevés.
L’autre commerce du centre-ville est le magasin d’alcool. On doit être dans un comté réglementé. La taverne pour éventuellement boire une bière est fermée deux jours par semaine : le dimanche (jour du Seigneur?) et le lundi (pour récupérer du dimanche?).
Pour dîner ce soir, point de cuisinière française et de vin, je vais à l’Angelina. Ce n’est pas un franchisé d’un bar branché toulousain. Il n’y a ni bière, ni alcool. L’endroit est typiquement américain. Les différentes chips et les réfrigérateurs de sodas sont en libre-service et pour manger, j’opte pour un cheeseburger avec mayonnaise et des frites avec ketchup. J’ai connu plus glorieux comme soirée.
Le côté positif de la journée, c’est que j’ai eu une après-midi tranquille à regarder les violents orages s’abattre sur le parking du motel en me disant qu’il valait finalement mieux être là que sur le chemin dans les bois.
20 juin : Dalton – Mont Greylock
Au sommet du mont Greylock, je suis à plus de 1000 mètres d’altitude, 1063 mètres exactement. La dernière fois que cela m’était arrivé, c’était 1000 kilomètres plus au sud à la fin du parc national de Shenandoah en Virginie, il y a 28 jours. Par contre, pour ce qui est de la distance restante pour arriver au mont Katahdin, elle est tombée à moins de 1000 kilomètres. Il me reste 971 kilomètres à marcher. Au rythme parcouru le mois précédent, cela me ferait arriver avant le 20 juillet…Il faut que je me calme !
Aujourd’hui, je suis resté sous la barre des 30 kilomètres, ce qui est rare. Quelle belle journée ! Les violents orages ont semblé servir d’exutoire à toute l’humidité de ces derniers jours. La brume, la moiteur ont disparu, laissant place à un beau ciel bleu, limpide avec juste quelques nuages. Au lieu d’une journée à monter et descendre, il n’y avait que deux montées mais des bonnes montées régulières. La dernière, de 700 mètres de dénivelés était particulièrement agréable sur un bon chemin montant progressivement.
Enfin, c’était une étape confortable, presque à l’européenne. En fin de matinée, je me suis arrêté à Cheshire où j’ai déjeuné avec un repas chaud suivi d’un café. Ne nous emballons pas, c’était à la boutique de la station-service, seule possibilité dans le village et j’ai déjeuné avec un cheeseburger suivi d’un long café américain sans saveur. Je termine la journée dans le lodge au sommet du mont Greylock. Douche chaude, bière (chère) et dîner sur place, le luxe ! J’en profite avant les 5 prochains jours à nouveau dans la nature.
21 juin : Mont Greylock – Congdon Shelter
Vermont, j’attaque la série des trois derniers états septentrionaux. Vermont, New Hampshire et Maine sont tous les trois frontaliers avec le Québec. Je suis maintenant au nord des États-Unis dans la dernière partie du chemin. Vermont, New Hampshire et Maine ou Vermud, No Hope et Pain (Boue, Aucun Espoir et Peine) dans la mythologie de l’Appalachian Trail. Chaque état traîne une réputation, souvent mauvaise qui participe à la légende du chemin. Donc je débute une partie de boue, puis sans espoir pour terminer par de la peine. Le programme n’est pas très alléchant ! On dit aussi que quand on arrive dans le Maine, on a fait 80% de la distance et il reste 80% des difficultés.
Je me méfie de tous ces raccourcis. Les américains n’ont parfois pas le sens de la mesure. Ces raccourcis ont souvent d’abord pour but d’impressionner les personnes extérieures au chemin. Cela en rajoute à la difficulté de l’Appalachian Trail et de grandir par là même le thru-hiker.
La Pennsylvanie est la Rocksylvanie. C’est un peu vrai pour la fin de cet état mais est bien sûr exagéré. Le New Jersey est l’état des ours mais ce n’est pas là que j’en ai vu. La Virginie est le tunnel vert. J’ai trouvé que c’était un état où il y avait pas mal de passages avec des vues. C’est aussi l’état du Virginia blues, due à la longueur de la traversée. Je ne l’ai pas eu. Donc j’attaque le Vermont, à voir si je vais me plaindre de la boue. Pour ces premiers kilomètres, cela restait acceptable.
22 juin : Congdon Shelter – Story Spring Shelter
Le paysage a changé. Les conifères ont remplacé les feuillus sur toutes les hauteurs et les points hauts s’approchent ou dépassent les 1000 mètres d’altitude. Du sommet de Glatensbury, on pourrait se croire en Scandinavie.
Si les thru-hikers sont rares, avec la période estivale, il y a beaucoup de randonneurs qui font un bout de chemin (les sections hikers). Ce soir à l’abri de Story Spring, il n’y a qu’un seul autre thru-hiker mais un costaud. High Life, c’est son trail name, est parti de Springer Mountain le 13 avril. Il y a aussi quelques flip-floppers. Quelque soit la catégorie, personne ne prend des libertés avec la mise en sécurité de la nourriture. Un ours s’est approché ces derniers jours de l’abri et a récupéré un sac de nourriture pendu trop bas. Le mien doit bien être à 5 mètres de haut. À moins qu’un ours monte sur les épaules d’un autre, cela devrait suffire.
23 juin : Story Spring Shelter – Bromley Mountain
C’est à 22 heures hier soir que l’ours a fait sa première incursion. Il a commencé à emporter le sac à dos d’un campeur avant de l’abandonner en entendant les cris de son propriétaire. Au lieu de s’éloigner, il a alors tenté de s’approcher de l’abri où je dormais seul. Tous les autres randonneurs avaient en effet préféré camper pour ne pas être embêtés par les blacks flies et les moustiques. Je l’ai vu arriver à la lueur de ma lampe torche mais il est reparti en arrière en entendant mes cris.
À 4 heures du matin, est-ce sa présence ou bien parce que c’est l’heure habituelle où je sors de mon sommeil, j’aperçois sa tête à l’entrée de l’abri en train de regarder s’il n’y avait pas moyen de trouver pitance à l’intérieur. Il était à l’angle opposé de là où je dormais mais un abri de l’Appalachian Trail n’est pas le château de Versailles et il ne devait y avoir pas plus de 3 mètres qui nous séparaient. Il n’a pas insisté et est reparti en en entendant mes cris.
Son habitude de s’approcher de l’abri et des êtres humains risque de causer sa perte si les rangers décident d’en finir avec lui.
Réveillé à 4 heures du matin, j’ai commencé à marcher un peu avant 6 heures. La journée a été belle dans le Vermont sans la pluie annoncée. Ce soir, je dors au sommet d’une station de ski dans un local fermé. Pas de risque d’intrusion d’ours donc.
24 juin : Bromley Mountain – Minerva Hinchey Shelter
La journée a été contrastée. Elle a débuté dans l’humidité. Il a plu une bonne partie de la nuit et il pleut encore pendant une bonne paire d’heures dans la matinée. Je marche sans grande envie. Le sol est gorgé d’eau. Tout est humide.
Puis les nuages ont commencé à se desagréger et le soleil a percé. Le paysage est du coup beaucoup plus seyant. Je profite de belles vues sur les montagnes boisées ; l’après-midi, je ne résiste pas à une première baignade de l’année dans l’étang de Little Rock. L’eau est bonne et après 4 jours dans les montagnes, cela fait du bien.
Je termine en rallongeant un peu l’étape. L’objectif est de réduire celle de demain pour profiter d’une soirée à l’hôtel.
25 juin : Minerva Hinchey Shelter – Kent Pond (Killington)
Je viens de passer 5 jours (quatre nuits) dans les montagnes sur l’Appalachian Trail. Cela signifie au début d’avoir un sac à dos plus lourd avec 5 jours d’autonomie. Les nuits dans les abris sont rustiques. Ici dans le Vermont, la présence des moustiques, des blacks flies et l’humidité n’encourage pas à passer du temps pour la toilette. L’autre soir, au sommet du mont Bromley, sortir pour satisfaire un besoin naturel était une épreuve. On était rapidement assailli par un nuage de blacks flies.
Ce soir, j’apprécie donc le confort du lodge Mountain Meadows. Le salon au larges baies vitrées donne sur le joli lac de Kent. Nous discutons avec d’autres randonneurs dont High Life, le thru-hiker parti le 13 avril avant de partager une pizza.
Propre, une grande lessive faite, je dors dans un bon lit. Aujourd’hui, je suis passé sous la barre des 500 miles jusqu’au mont Katahdin.
26 juin : Kent Pond (Killington) – VT12 Barnard Gulf Road
Je suis installé dans une grange au bord de la route Vermont 12. Daniel, le propriétaire autorise les randonneurs a y dormir. Initialement, j’avais l’intention d’aller plus loin mais peu après 16 heures le temps a changé. Les températures sont tombées et une pluie froide et continue s’est mise à tomber. J’ai abandonné l’idée de monter la tente quelque part dans les bois ou de faire les 14 kilomètres jusqu’au prochain abri. La grange est confortable. Je suis au sec. À l’étage, sous les toits, la chaleur de la journée s’est accumulée. Au milieu de vieux meubles et vieilles affaires, il y a deux matelas et il y a même l’électricité. Je suis vraiment mieux ici que dans le froid et sous la pluie à camper.
Pourtant j’étais parti pour une grosse journée. Lavé, chargé de calories et reposé par une nuit dans un bon lit, je me suis senti comme au premier jour mais avec des mollets musclés par 2800 kilomètres. J’ai marché toute la journée avec plaisir et entrain. Le sentier, dans les bois, était bon. J’aurais bien fait du rab mais comment céder à la tentation d’une nuit dans un loft aménagé dans une grange traditionnelle de la Nouvelle Angleterre ?
27 juin : VT12 Barnard Gulf Road – Hanover
Hanover est la seule ville réellement traversée par l’Appalachian Trail. Elle ne compte qu’une dizaine de milliers d’habitants mais elle a toutes les composantes d’une ville. Le centre regroupe de nombreux commerces et surtout une prestigieuse université.
Le Dartmouth College est un des plus vieux établissement des États-Unis. Fondé par les anglais, il fait partie de l’Ivy League qui regroupe des universités créées elles aussi avant l’indépendance et aussi célèbres que Harvard, Yale ou Columbia. Le Dartmouth College est petit par sa taille. Il accueille moins de 6000 étudiants mais la ville est façonnée autour du campus avec ses espaces verts, sa bibliothèque et ses différentes facultés.
Hanover est une belle ville prospère de Nouvelle Angleterre et c’est aussi la porte d’entrée du New Hampshire, l’avant dernier état que je vais traverser.
J’en ai terminé avec le Vermont. Je ne sais pas qui a inventé le mauvais jeu de mot Vermont-Vermud ; hormis la première journée où le chemin était boueux, le reste de la traversée de cet état se fait sur de bons chemins. La traversée du New Hampshire est un des sommets de l’Appalachian Trail avec le passage par les White Mountains. Cette partie est le pendant au nord des Smoky Mountains au sud. Le point le plus haut dépasse aussi les 2000 mètres d’altitude mais à cette latitude, le chemin est au dessus de la limite de la végétation. Cela promet de belles vues, si le temps est de la partie. Pour le moment, il est plutôt incertain.
J’écrivais que j’en avais terminé avec le Vermont. Ce n’est pas tout à fait vrai puisque, ce soir, je suis revenu dormir sur l’autre rive de la rivière Connecticut, dans le Vermont. Hanover bien que traversé par l’Appalachian Trail ne compte pas de structures pour accueillir les randonneurs. Il y a un hôtel plutôt de luxe avec des chambres autour des 200$ et sinon, il faut aller dans les villes autour pour trouver des établissements plus abordables. Il y a surtout les trail angels. Il est possible d’appeler ces anges du chemin pour être gracieusement hébergé à leur domicile. Ce soir, je dors chez Greg qui habite côté Vermont. Ses enfants sont grands et ont quitté la maison. Il accueille régulièrement des randonneurs chez lui. Après la nuit au sec dans la grange de Daniel, je suis dans la maison de Greg. J’ai pu utiliser la machine à laver et le sèche-linge. Le soir, Greg était sorti et j’ai préparé mon repas comme à la maison. La journée, assez longue, s’est terminée confortablement. À West Hartford, 10 miles avant Hanover, Randy hélait, depuis sa terrasse, les marcheurs qui traversaient le pont sur la White River. Il proposait café, sodas et à manger. J’ai eu droit à des œufs brouillés, toasts et viande avec un café. En arrivant sur Hanover, j’ai pris un coca mis à disposition pour les marcheurs devant la première maison puis une tranche de cake quelques mètres plus loin et enfin pour terminer, je suis accueilli chez Greg. Les américains peuvent être formidables.
28 juin : Hanover – Smarts Mountain
Après mon loft dans une grange, mon logement chez l’habitant, j’ai droit ce soir à une chambre avec vue. En haut de la tour d’observation au sommet des monts Smarts, je domine sur 360° les montagnes. La vue est belle mais le coucher de soleil a été un peu décevant. Je mise maintenant sur le lever demain matin.
Cette première journée dans le New Hampshire a été rude avec plus de 2000 mètres de dénivelés et 38 kilomètres. Greg m’a emmené au point où j’avais laissé l’Appalachian Trail la veille mais il était 8 heures passée quand j’ai débuté l’étape. Je suis donc arrivé en fin de journée, juste à temps pour m’installer dans ma tour.
La marche a été très solitaire aujourd’hui. De toute la journée, je n’ai vu qu’une poignée de marcheurs. Il n’y a pas les randonneurs du week-end. Les NOBO qui sont sur le secteur sont majoritairement partis en février, ce qui n’est pas un gros mois de départ. Les SOBO ne sont pas encore parvenus à notre rencontre. J’ai croisé hier le premier mais il avait débuté avant l’ouverture du mont Katahdin en partant plus au sud puis faire l’ascension du mont, une fois ouvert. Je devrais croiser la mini-bulle des SOBO dans les tous prochains jours.
Certains profitent de la proximité d’une localité pour faire une journée « slackpack » (sans le sac à dos). C’était le cas pour Downward Cow (vache qui descend), un jeune de Géorgie que j’avais rencontré la veille. Aujourd’hui, il s’était fait déposé au nord d’Hanover et rejoignait en direction du sud, la ville. Personnellement, le slackpacking est plutôt contre mes principes.
29 juin : Smarts Mountain – NH25 Glencliff
Je sais, c’est caricatural. Arrivé au Hikers Welcome Hostel, les jeunes américains sont autour de la table. Ils regardent en partie un DVD d’une série américaine humoristique, tout en consultant leur téléphone portable. La main libre est plongée dans un paquet de chips ou pour saisir la canette de soda. Pendant ce temps, à l’étage, les vieux prennent le temps de discuter.
Contrairement à hier, il y avait plus de monde sur le chemin et notamment des thru-hikers. Vers midi, cela se bousculait sous les bâches où Omelet Guy (Carl de son vrai nom), un trail angel, s’affairait. Comme son nom l’indique, il prépare à la chaîne des omelettes. Trois randonneurs étaient déjà là à profiter de ce trail magic quand je suis arrivé. Rapidement, Lucky, (un jeune irlandais parlant bien français et qui a travaillé à Souillac), Burned Socks (Chaussettes brûlées, une jeune américaine), Ace (Hache) et Doc ont grossi la tablée de randonneurs affamées. Le record de Omelet Guy est d’avoir servi une omelette de 24 œufs à un thru-hikers. Je me contente d’une de 3 œufs avec oignons, poivrons et jambons. Accompagnée de 2 muffins, un gâteau au chocolat, une banane, du jus d’orange et d’un café, je repars en forme. La pluie se met à tomber mais comme dit le dicton « Peu importe s’il a plu si tu marches repu ». Je rajouterai « avec un parapluie ». L’après-midi a été bien arrosée et les trois jours qui viennent risquent de l’être tout autant. J’ai intérêt à m’adapter avec des petites journées pour me retrouver dans la partie la plus haute des White Mountains qu’à partir de lundi.
30 juin : NH25 Glencliff
J’ai longtemps hésité ce matin. Il a plu toute la nuit et en tout début de matinée. La journée s’annonçait grise mais sans pluie.
Finalement, après le 23 avril, le 30 juin est mon deuxième « zero day ». Demain, je reprendrai ma marche normalement en essayant de trouver un abri pour passer une nuit qui s’annonce très arrosée. Je devrais ensuite traverser les White Mountains avec un temps plus clément.
1er juillet : NH25 Glencliff – Eliza Brook Shelter
Il tombe des cordes sur l’abri d’Eliza Brook. Le torrent que nous devons traverser demain est en crue. Je suis arrivé avant le gros des précipitations mais j’ai quand même marché les 3 dernières heures sous la pluie. Elle est arrivée plus tôt que prévu et la dernière partie de l’étape a été délicate. J’ai marché avec beaucoup d’attention au milieu de la boue et des rochers glissants. Arrivé à l’abri, c’est avec soulagement que j’ai pu trouver une place et éviter de monter la tente sous ces trombes d’eau.
Après la pluie, le beau temps, c’est en tout cas les prévisions de demain. La matinée a été plutôt belle et j’ai pu profiter des premières belles vues sur les White Mountains depuis le mont Moosilauke. J’espère qu’il en sera de même pour les prochains jours.
2 juillet : Eliza Brook Shelter – Liberty Spring Campsite
Le pluviomètre de Franconia Notch indique 75mm de pluie hier soir. C’était peut-être encore plus dans les montagnes. Heureusement, le niveau du torrent a baissé ce matin mais l’eau dégouline de partout. Pendant un temps de cailloux en cailloux, j’arrive à éviter de patauger dans l’eau mais plus haut, c’est peine perdue. Il n’y a pas d’autres solutions que de marcher au milieu d’un espèce de marécage. Les pieds baignent dans l’eau et quand je passe le mont Kinsman dans les nuages, je maudis les prévisions météorologiques qui m’annoncent actuellement un beau soleil.
Heureusement, au lac de Lonesome, il finit par percer. Tout de suite, le paysage prend un caractère plus seyant. L’endroit est beau et j’en profite pour faire un long arrêt au refuge et faire sécher mes affaires.
Le long des chemins dans les White Mountains, existe un réseau de huts (refuges). Pour y dormir, cela tourne autour de 130$ la nuit. Cela comprend la nuit en dortoir, pas de douche mais quand même le dîner et le petit déjeuner. Avec ces prix là, la Suisse passerait pour une destination low cost.
Il y a une solution pour les thru-hikers pour y dormir gratuitement, c’est le work for stay (travailler pour dormir). En échange de quelques heures de travail, on peut y rester. Je laisse cela aux jeunes. Par contre, au refuge au bord du lac de Lonesome, je profite d’un petit déjeuner gratuit. Passé l’heure, tout ce qui reste est offert et il y avait ce matin largement de quoi remplir mon estomac.
L’étape est courte en distance. Ce n’est pas ici que je vais battre des records de distance. À la montée vers le mont Kinsman, je dois m’aider fréquemment des deux mains pour passer les rochers. La descente avec cette humidité est tout aussi délicate. De toute façon, je n’avais pas grand intérêt à aller plus loin que le campement de Liberty Spring. Le bivouac est interdit. On ne peut camper à proximité des refuges. Il ne reste que les abris, assez rares, ou les campements officiels pour faire étape. J’ai donc organisé ma traversée des White Mountains en fonction.
3 juillet : Liberty Spring Campsite – Zealand Falls Hut
Je suis de corvée nettoyage du réfrigérateur au refuge Zealand Falls. Contrairement à ce que j’écrivais, ce soir, je dors dans un refuge. En descendant du mont Guyot en direction de Zealand Falls Hut, je discutais avec Gofar et Ace, deux jeunes que j’avais déjà rencontré. Je leur expliquais que je pensais camper un peu après le refuge. En fait, contrairement à ce que j’ai aussi écrit, il est possible de camper à plus de 600 mètres des refuges, abris, campements et à 60 mètres des chemins. Je leur disais aussi que je laissais le « work for stay » pour les jeunes.
Arrivé au refuge, ils ont finalement demandé pour moi aussi. Cela m’arrangeait. La journée a été longue sur des chemins escarpés. Et voilà comment je me retrouve à faire le ménage.
Je tiens presque ma journée de référence. Presque car le temps annoncé beau a mis un peu de temps à arriver. Pour le reste, c’était une étape de montagne avec de belles vues.
4 juillet : Zealand Falls Hut – Lakes of the Clouds Hut
4 juillet, Jour de l’Indépendance. Pour la fête nationale américaine, je suis juste dessous le mont Washington, beau symbole. Les sommets de cette partie des White Mountains portent tous le nom d’un président. C’est la Presidential Range et je dois dire que cette journée est à classer comme la plus belle depuis mon départ. J’ai enfin eu un ciel dégagé toute la journée. Juste quelques nuages cachaient de temps en temps le sommet du mont Washington. J’ai donc marché avec entrain pour faire les 30 kilomètres et presque 2000 mètres de dénivelés jusqu’au refuge Lakes of the Clouds.
Et oui, je dors à nouveau dans un refuge ! Compte tenu de sa situation en altitude, on m’avait dit qu’il était possible de dormir dans le rez-de-chaussée pour 10$. Je trouvais la solution intelligente. Cela permet aux thru-hikers d’avoir un toit dans ces montagnes et cela évite le « work for stay ». C’est vrai que je trouve cette formule de travail pour rester un peu bizarre. On attend dans un coin que les clients dînent. Puis quand ils ont terminé, les thru-hikers comme des gueux affamés terminent les plats avant de se mettre à travailler. Je ne crache pas dans la soupe, j’ai fait honneur au repas hier.
Donc aujourd’hui, arrivé au refuge, j’ai expliqué que, thru-hiker, je souhaitais dormir mais que je pensais qu’il valait mieux laisser le « work for stay » pour les jeunes américains. Elle a dû trouver cela étrange ou mon anglais est encore trop incertain, toujours est-il qu’elle m’a inscrit comme thru-hiker pour le « work for stay ». Donc ce soir, j’ai droit à un bon repas avant la corvée de vaisselle !
5 juillet : Lakes of the Clouds Hut – Wildcat Mountain Pic D
Au départ du refuge de Lakes of the Clouds, un panneau avertit que le secteur du mont Washington a le climat le plus rude d’Amérique. Certains sont morts dû à ces conditions et même en été, en cas de mauvais temps, il est recommandé de ne pas aller plus loin.
Le climat et la végétation du mont Washington, à 1916 mètres d’altitude, s’apparentent à ceux du nord du Canada. Le record mondial de vitesse du vent y a longtemps été détenu avec 372 kilomètres/heure enregistrés le 12 avril 1934. Il n’a été dépassé que lors d’un cyclone en Australie en 1996. Comme les américains aiment les records mondiaux, ils écrivent qu’ils détiennent ce record hors cyclone. La température y est descendue jusqu’à -43°C un hiver.
C’est dire si je suis chanceux. Ce matin, j’ai un grand ciel bleu avec juste un léger vent. Je suis d’autant plus chanceux qu’à 7 heures du matin, je suis seul au sommet. Les clients du refuge attaquent leur petit-déjeuner. Le premier train à crémaillère n’arrive que vers 10 heures et la route qui grimpe au sommet n’est pas encore ouverte. Par temps clair, la vue va jusqu’à l’Atlantique à l’est et le Canada au nord. Ce n’est pas le cas aujourd’hui mais je profite quand même d’un superbe panorama sur les montagnes.
La suite de la journée est tout aussi belle en passant sur les crêtes d’un cirque. Je termine l’étape sur les hauteurs et installe ma tente sur une petite tour d’observation. Elle n’a pas la hauteur de celle des monts Smarts mais je suis quand même pas mal installé.
6 juillet : Wildcat Mountain Pic D – US2 Gorham
J’en ai terminé avec les White Mountains. J’ai été gâté par le temps et ai pu profiter pleinement de superbes paysages. La dernière partie a été rude. Les montées et descentes étaient très raides, rocheuses et il fallait fréquemment s’aider des deux mains.
Je sens la fatigue due aux efforts de ces derniers. C’est dire que l’étape au White Mountains Hostel est appréciée. Après 6 jours dans les montagnes, une douche, la lessive sont bienvenus. Il y a tout de même un dernier effort pour conclure la traversée des White Mountains : le ravitaillement dans l’hypermarché de Gorham. Je ne sais pas ce qui est le plus épuisant, les courses ou la course en montagne. En tout cas, c’est fait et demain, je repars.
7 juillet: US2 Gorham – Full Goose Shelter
Depuis le départ, quand on me demande ce que je fais, je réponds que je marche sur l’Appalachian Trail de Géorgie au Maine. Je suis dans le Maine ! C’est le quatorzième et dernier état traversé par le chemin. C’est aussi un morceau consistant du chemin avec 454 kilomètres. D’après les SOBO rencontrés, la partie sud par laquelle j’attaque est difficile. On va bien voir. En tout cas, j’avance avec maintenant plus de 3000 kilomètres dans les jambes.
Hier soir, j’étais épuisé et envisageait une journée plus courte ; puis comme toujours, après une bonne nuit, lavé et le ventre plein, je suis reparti en forme ce matin. Après la partie montagneuse et escarpée dans les White Mountains, j’ai retrouvé mes classiques de l’Appalachian Trail : successions de montées et descentes et chemin convenable dans les bois. Au final, je termine la journée avec 2500 mètres de dénivelés et 34 kilomètres. Hier épuisé, aujourd’hui reparti et puis, je suis dans le Maine !
8 juillet : Full Goose Shelter – East B Hill Road
Je termine avec la partie la plus technique. Depuis les White Mountains, le sentier est devenu technique. Au programme ce matin, le Mahoosuc Notch est réputé pour être le mile le plus ardu de l’Appalachian Trail. C’est un chaos de gros rochers que l’on escalade ou parfois l’on passe par des passages si étroits et bas qu’il faut se glisser sans son sac à dos. J’ai eu ensuite quelques rudes grimpettes avant de retrouver, à la fin, un terrain plus classique.
J’ai maintenant croisé le gros de la vague des SOBO. Ceux d’aujourd’hui étaient plus causant que ceux rencontrés jusque là. Finalement les SOBO sont comme les NOBO, aussi antipathiques. La seule différence est finalement la longueur de la barbe ; ils sont sur le chemin depuis moins longtemps. Je me suis retrouvé dans des abris ou refuges avec certains et les échanges ont été brefs. Quand je les ai interrogé sur leur chemin, j’ai eu l’impression qu’ils détenaient des secrets d’état. Quand je leur ai proposé de partager quelques informations intéressantes (lieux d’hébergement…) sur leur prochain parcours, je n’ai reçu que du désintérêt.
Jusqu’à maintenant, ceux que je croisais étaient aussi peu sociables. Casque sur les oreilles, les plus polis enlevaient une oreillette quand je leur parlais. Les moins polis gardaient le casque et l’échange était réduit au minimum. Dans tous les cas, j’avais l’impression de les embêter.
Ce soir, en tout cas, je suis tranquille. Je campe seul au bord d’un torrent.
9 juillet: East B Hill Road – Bemis Mountain Shelter
Les miles défilent moins vite que je le souhaiterais. Je voulais me rapprocher de Rangeley pour avoir une étape plus courte demain mais je me suis arrêté à 30 kilomètres. Le début de la journée a été rude avec toujours de rudes montées. C’est ma troisième journée consécutive avec plus de 2000 mètres de dénivelés et les jambes commencent à fatiguer. Demain, la journée devrait quand même être plus tranquille et me permettre de récupérer à Rangeley.
10 juillet : Bemis Mountain Shelter – ME4 (Rangeley)
Je m’enfonce dans les terres sauvages du nord américain. Des sommets, je ne vois presque aucune trace de civilisation. Je domine des horizons de forêts, montagnes et lacs. Les points de ravitaillement sont maintenant souvent espacés et loin du chemin. J’ai rejoint en auto-stop, Rangeley à 15 kilomètres de l’Appalachian Trail.
Après ces dernières dures journées, l’étape est appréciée. C’est une jolie petite ville au bord d’un lac. Je suis confortablement installé dans un motel et comme chaque fois en de telles circonstances, je fais le plein de calories. L’étape a été plus facile que les jours précédents mais comme d’habitude, le plus difficile a été le ravitaillement : 3 kilomètres à pied aller-retour pour aller au supermarché. Il faudra que je rajoute cela à mes 3500 kilomètres de l’Appalachian Trail.
11 juillet : ME4 (Rangeley) – Carrabassett River
C’est mon centième jour (98 jours de marche et 2 jours de repos) depuis mon départ de Géorgie. Le compte à rebours est enclenché. Je suis passé sous la barre des deux cents miles restant. Symboliquement, ce n’est pas rien et j’ai un peu allongé la journée pour y être. Il ne me reste plus que 100 miles et des poussières, même si les poussières sont encore 97 miles au delà des 100.
Les 2000 miles parcourus seront atteints demain matin. Je serai alors un 2000 miler, un marcheur ayant parcouru la distance d’un trait.
J’entrevois aussi les derniers : derniers ravitaillements à Caratunk et Monson, derniers sommets significatifs demain avant le mont Katahdin…
Dans 10 jours environ, je devrais y être.
12 juillet : Carrabassett River – Little Bigelow Shelter
Noran, le thru-hiker avec qui je partage l’abri de Little Bigelow est un sacré marcheur. Il est triple crowner (triple couronné) car il a fait les trois longs chemins des États-Unis : l’Appalachian Trail, le Pacific Crest Trail et le Continental Divide Trail. L’Appalachian Trail, il l’a fait en 95 jours, à peine plus de 3 mois. Et pour rajouter à l’exploit, parti le 30 mars, arrivé au mont Katahdin, il a décidé de faire le yo-yo. C’est l’expression consacrée pour ceux qui repartent dans l’autre sens…
Je ne ferai pas le yo-yo. Arrivé au mont Katahdin, ce sera du repos. J’espère y arriver. Ce matin, pour la première fois, une classique douleur musculaire de la veille perdure. Au lieu de faire une étape tranquille, j’enchaîne avec une nouvelle grosse journée de 38 kilomètres et 2380 mètres de dénivelés. En fait, il est annoncé une journée pluvieuse pour demain et je préfère passer les sommets de Bigelow avant. Cela permet d’éviter les rochers glissants et de profiter des belles vues. De là haut, par temps clair, on voit le mont Katahdin. Ce n’est pas le cas aujourd’hui mais, même brumeuse la vue est belle : des lacs, sommets et collines à perte de vue. Le Québec est juste à côté. Il y a d’ailleurs pas mal de Québécois sur le chemin. Les inscriptions touristiques sont en anglais et en français. La frontière est à 45 minutes en voiture.
Au sommet de Bigelow, il me restait encore un bon bout de chemin pour rejoindre l’abri. Avec la pluie prévue, je souhaitais éviter de camper. La jambe un peu douloureuse et après une journée de 13 heures, je suis arrivé à l’abri de Little Bigelow.
J’en viens à espérer la pluie demain matin, histoire d’avoir une journée tranquille pour récupérer.
13 juillet : Little Bigelow Shelter – Pierce Pond (Harrison)
La pluie prévue est arrivée, abondante, dans la nuit. Je fais presque la grasse matinée en émergeant de mon sac de couchage à 7 heures du matin. À 9 heures, il ne pleut que faiblement. La douleur musculaire persiste mais se manifeste surtout dans les montées et les descentes raides. Cela tombe bien, l’étape est presque plate. Je me décide donc à me lancer sur le chemin.
Je passe une bonne partie de la matinée sous la pluie. Le chemin est par endroit boueux et les chaussures qui ont accumulé 1600 kilomètres, n’offrent qu’une résistance limitée à l’assaut de l’eau. Les pieds sont vite trempés mais j’avance correctement. Le soir, je suis dans un bungalow, je suis douché, le poêle est allumé, les affaires sèchent. J’ai finalement pas trop mal géré cet épisode pluvieux.
14 juillet : Pierce Pond (Harrison) – Moxie Bald Mountain Shelter
Ce 14 juillet, c’est jour de fête. J’ai d’abord très bien dormi dans mon châlet en rondin, très « ma cabane au Canada, blottie au fond des bois ». Le lieu est isolé au milieu de la forêt et au bord d’un torrent. Tim, le propriétaire y vit à l’année. En hiver, il a une dizaine de kilomètres en motoneige puis 15 autres kilomètres en voiture à faire pour se ravitailler.
J’ai dormi dans une petite cabane dominant le torrent. Il y a une petite terrasse avec son rocking-chair. Le poêle a réchauffé l’intérieur et séché les affaires.
J’ai pu faire une nouvelle grasse matinée. Le petit-déjeuner est servi à 7 heures du matin et de toutes façons, il ne sert à rien de se presser. La première barque qui traverse la rivière Kennebec, à 6 kilomètres de là, est à 9 heures du matin. C’est la partie la plus facile de l’Appalachian Trail. Il suffit de se laisser porter par les flots. La brume s’élève au-dessus des collines alentour, le ciel est bleu. C’est beau. Le club qui gère cette portion du chemin a mis en place cette traversée suite à plusieurs drames.
À Carantunk, j’ai profité de l’arrêt ravitaillement pour prendre un café accompagné d’une pâtisserie. Puis j’ai déroulé le chemin. La douleur musculaire a disparu.
Il y a des jours où j’ai marché dans la forêt humide, pataugeant dans la boue, sans point de vue, sale, en ayant faim parce que tu gères le stock de nourriture. Ces jours là, tu te dis « Quel con, tu es ! Vivement que cela termine ! ». Puis, il y a des jours comme aujourd’hui où tout va bien. Il fait beau, le chemin est bon et tu en viens à regretter d’en avoir presque fini.
Aujourd’hui, 14 juillet, était jour de fête. 52 ans et toutes mes jambes (deux en fait).
15 juillet : Moxie Bald Mountain Shelter – ME15 (Monson)
Monson, dernière localité avant la fin de mon chemin. C’est aussi le début des « 100 miles wilderness », les 160 kilomètres sauvages. Pendant 5 jours environ, l’Appalachian Trail traverse de vastes étendues désertes, au milieu de forêts et de lacs. Comme d’habitude, les américains exagèrent un peu. Il y a une route après 93 kilomètres de marche, un camping de l’autre côté d’un lac, 20 kilomètres plus loin et quelques routes privées de ci de là.
Comme chaque fois que je rejoins une ville, l’étape est longue. Je veux aller vite pour avoir l’après-midi tranquille et les miles défilent au ralenti. Pourtant le chemin ne présentait pas de difficultés mais je l’ai trouvé fatigant. Le temps gris, un peu de pluie, le sentier boueux n’ont rien arrangé. Je suis finalement arrivé vers 14 heures.
C’est samedi soir. Les jeunes du coin, un peu eméchés font les cacous sur la route, le restaurant est animé. Il y a un groupe qui joue de la musique et un feu d’artifice dans la soirée, sûrement trop tard pour moi. Je dîne avec trois sympathiques américaines de la petite ville voisine. Un peu d’animation avant de m’enfoncer dans les 160 kilomètres sauvages.
Les prochaines nouvelles seront dans 5 à 6 jours avec, je l’espère, une photo au sommet du mont Katahdin.
16 juillet : ME15 (Monson) – Cloud Pond Shelter
Le bruit des voitures sur la route Maine 15 s’estompe ; je suis dans les « 100 miles wilderness ». Comme je m’y attendais, il y a quelques routes forestières. Plus surprenant, l’Appalachian Trail traverse une voie ferrée. Il ne manquerait plus que de se faire écraser par un train dans l’espace le plus sauvage du chemin. Au sommet de la montagne Barren, j’ai même du réseau de mon opérateur de téléphonie mobile. Je peux consulter mon compte Facebook… Décidément, tout fout le camp !
17 juillet : Cloud Pond Shelter – Carl A. Newhall Shelter
Ce n’est pas facile de gérer ces dernières journées. Insidieusement, la tête lâche prise et pour faire l’Appalachian Trail, l’essentiel est dans la tête. J’essaie de ne pas me projeter sur l’arrivée. Je me concentre sur ma journée et à l’intérieur de la journée sur un point proche : un ruisseau à traverser, le prochain abri. Le danger est de vouloir aller loin pour terminer plus rapidement et de faire une étape en forçant.
Aujourd’hui, sur un sentier pas facile avec ses rochers et ses racines glissants, je ne suis pas allé aussi loin que je pensais. Arrivé à l’abri Carl A. Newhall, je n’ai pas voulu forcer. J’avais déjà fait 28 kilomètres et le prochain abri était 11 kilomètres plus loin. Ce n’est pas le temps des records. Demain sera un autre jour.
18 juillet : Carl A. Newhall Shelter – Potaywadjo Spring Shelter
La journée d’hier m’a laissé de la frustration. J’étais dans l’effort et ai terminé l’étape fatigué sans avoir fait une performance extraordinaire.
Aujourd’hui, j’ai un peu pris ma revanche. Il faut dire que les conditions s’y prêtaient. Le sac à dos est chaque jour plus léger. Hier, il faisait chaud, humide ; j’ai beaucoup transpiré dans cette moiteur.
19 juillet : Potaywadjo Spring Shelter – Rainbow lake (côté est)
L’endroit n’est pas désagréable, je campe au bord du lac de Rainbow. Je suis seul, tranquille. Avant de préparer mon repas, je me suis offert une petite baignade. Cela fait du bien après une journée de marche. L’étape a été moins longue que la veille, le chemin était à nouveau plus difficile.
J’avais un temps envisagé d’aller jusqu’à Abol Bridge et faire le mont Katahdin demain. Cela faisait une journée à 53 kilomètres, certes longue mais qui paraissait faisable sur le papier. Un peu avant 18 heures, l’emplacement au bord du lac a eu raison de mes ambitions. Je ne terminerai l’Appalachian Trail qu’après-demain.
20 juillet : Rainbow lake (côté est) – The Birches Shelter
En traversant le pont d’Abol, le mont Katahdin se dresse devant, tout proche. J’ai déjà aperçu le sommet ces derniers jours mais l’Appalachian Trail prend un malin plaisir, ces derniers jours, à zigzaguer, comme pour prolonger le plaisir. Cette fois, j’y suis presque. Je dors dans l’abri au pied du sommet. Demain, il y a 8 kilomètres de montée pour terminer les 3525 kilomètres de l’Appalachian Trail. Après tous ces efforts, ce sommet passerait presque à mes yeux pour une difficile ascension. Il ne culmine qu’à 1606 mètres d’altitude. Je devrais y arriver…
21 juillet : The Birches Shelter – Mont Katahdin
Je vais passer une semaine à Belfast, au sud de Bangor, sur la côte du Maine. J’y suis arrivé directement après être descendu du mont Katahdin. L’objectif est de récupérer avec peu d’activités, quelques visites et surtout me remplumer. Je pense m’attacher à cette mission avec autant d’assiduité que celle que j’ai eu pour marcher de Géorgie au Maine. La tâche sera d’autant plus facile que la nourriture américaine est particulièrement riche en calories.
Cette dernière montée vers le mont Katahdin a été technique. Certaines parties étaient proches de l’escalade et j’ai eu une pensée pour les SOBO qui débutent par là. Parti tôt pour éviter la pluie, après 3 dernières heures d’efforts, j’ai atteint seul le sommet.
J’ai pu pousser un grand cri de satisfaction et de soulagement. Il y a eu des jours difficiles, des moments d’émerveillement, beaucoup de sueur, 7 kilos en moins… mais je l’ai fait.
Du 3 avril au 21 juillet, j’ai marché sur 3525 kilomètres (sans compter tous les kilomètres pour trouver un hébergement, faire un crochet pour un point de vue…). J’ai passé 3 mois à monter et descendre. Officiellement, il y a 133 kilomètres de dénivelés positifs. Mon altimètre affichait souvent beaucoup plus que le chiffre officiel.
Il m’a fallu 108 jours de marche et 2 jours de repos pour aller du mont Springer au mont Katahdin. 108 jours avec en moyenne 33 km et 1230 mètres de dénivelés (officiels). C’est beaucoup et plus vite que la plupart des autres thru-hikers. Ce 21 juillet, j’étais le 131ème de l’année à terminer le chemin.
L’Appalachian Trail a été rude, plus que je ne le pensais. Le défi physique a pris le pas sur d’autres motivations. J’ai fait des étapes plus longues que prévues. Certains jours, je me mettais des objectifs ambitieux pour pimenter l’étape.
En relisant ma présentation de l’Appalachian Trail, le chemin a été conforme en de nombreux points à celle-ci.
Il s’agit d’abord d’une longue marche en forêt. Les points de vue, notamment dans le sud sont rares. J’ai par contre beaucoup apprécié la partie nord avec les White Mountains et le Maine.
Il y a peu de villes ou villages traversés. Je pensais trouver des petites localités oubliées et frappées par la crise. Au contraire, à quelques exceptions, je suis passé par des endroits qui semblaient prospères avec de belles maisons entourées de jardins bien entretenus. Même dans le sud, la population était presque exclusivement blanche.
Quelque soit l’endroit, il y a une tranquillité, une sérénité, un sentiment d’extrême sécurité. Les maisons, voitures restent ouvertes.
La grosse déception aura été cette « bulle » de thru-hikers. Elle n’est pas représentative de la société américaine. Ils sont presque tous sur le même moule : jeunes, blancs, masculins et peu ouverts sur l’extérieur. Il y a eu bien sûr beaucoup d’exceptions mais je reste sur une impression négative.
La grosse satisfaction vient des autres américains rencontrés, randonneurs plus âgés ou ceux croisés au hasard des chemins. Ils sont très cordiaux, aimables, accueillants. Et puis, il y a tous ces extraordinaires « Trail Angels » qui passent une partie de leur temps libre dans la forêt à offrir à manger aux marcheurs.
Souvent, les américains me demandaient : et maintenant, le PCT (Pacific Crest Trail), l’autre grand chemin des États-Unis. Je ne pense pas. J’écrivais l’année dernière au sujet de ma traversée de l’Italie que c’était une marche épicurienne : la beauté des paysages, des monuments, les plaisirs des bons expressos, glaces, la nourriture. L’Appalachian Trail aura été une expérience où le mental a beaucoup joué. J’ai marché souvent dans la forêt, souvent humide ; j’ai eu beaucoup de pluie, notamment le soir et la nuit. Et le soir, tu sais que tu n’auras pas de gelato ou d’un bon repas. Tu te retrouves sous ta tente ou dans un abri rustique à manger de la purée déshydratée. Et le matin, tu remets tes chaussures humides pour une nouvelle étape dans la forêt.
Le prochain projet : trop tôt pour y penser. Les chaussures, usées, sont parties à la poubelle. Dans l’immédiat, c’est une glace et une bière au bord du port de Belfast.
74 | 42km | D+1900/D-1820 | Alternance de montées (parfois raides) et descentes et long passage plat le long de la rivière. | 75 | 30km | D+1200/D-1210 | Étape agréable. | 76 | 39km | D+1560/D-1300 | Première partie rendue difficile par l’humidité : rochers glissants, montées et descentes raides. Pas de vues à cause de la brume. | 77 | 42km | D+1670/D-1560 | Chemin plus facile que la veille. | 78 | 31km | D+890/D-970 | Étape sans difficultés. | 79 | 28km | D+1430/D-750 | Belle étape avec vues, bonnes montées et stop pour déjeuner à Cheshire. | 80 | 33km | D+1330/D-1730 | Début du Vermont, un peu de boue mais cela reste correct. | 81 | 37km | D+1650/D-1430 | Belles vues du sommet de Glastenbury. | 82 | 39km | D+1430/D-1290 | Bon chemin, belles vues depuis Stratton Mountain. | 83 | 43km | D+1340/D-1830 | Bon chemin, belle étape. | 84 | 35km | D+1600/D-1600 | En descendant du mont Killington, je n’ai pas réussi à récupérer l’Appalachian Trail, du coup j’ai fait 2 miles de moins environ que le chemin normal. | 85 | 32km | D+1570/D-1780 | Bon chemin dans les bois. Belle vue au lookout. | 86 | 38km | D+1750/D-1830 | Arrivée dans le New Hampshire. | 87 | 36km | D+2250/D-1430 | Pas mal de dénivelés pour cette première étape dans le New Hampshire. | 88 | 32km | D+1270/D-1920 | Journée plus tranquille. | 90 | 28km | D+2000/D-1590 | Première montée significative dans les White Mountains. | 91 | 19km | D+1510/D-1100 | Parties raides où il faut s’aider des deux mains vers le mont Kinsman. | 92 | 29km | D+1860/D-2240 | Avec petit crochet au mont Liberty. Quelques belles ascensions. | 93 | 30km | D+1910/D-1210 | Avec passages par les monts Eisenhower et Monroe. Superbe partie à partir du mont Webster. | 94 | 29km | D+1940/D-2260 | Avec passages par les pics intermédiaires sauf pic Adams. Superbe journée. Montée raide à la fin. | 95 | 29km | D+1420/D-2360 | Étape difficile avec des montées et descentes raides. | 96 | 34km | D+2500/D-1810 | Retour aux classiques : up and down, distance et dénivelés. | 98 | 30km | D+2050/D-1670 | Encore pas mal de dénivelés. | 99 | 28km | D+1020/D-1380 | Relief plus tranquille. | 100 | 38km | D+2330/D-2180 | La partie sur les montagnes Saddleback est belle. | 101 | Carrabassett River – Little Bigelow Shelter |
38km | D+2380/D-2500 | À nouveau, une grosse journée. | 102 | Little Bigelow Shelter – Pierce Pond (Harrison) |
30km | D+690/D-900 | Petite étape sous la pluie (de toutes façons, il était difficile d’arriver avant 14h pour le dernier ferry à Carantunk). | 103 | Pierce Pond (Harrison) – Moxie Bald Mountain Shelter |
37km | D+1480/D-1420 | Bon chemin pratiquement tout le long avec deux jolis petits sommets. | 104 | Moxie Bald Mountain Shelter – ME15 (Monson) |
29km | D+630/D-620 | Étape prévue pour avoir l’après-midi à Monson. | 105 | ME15 (Monson) – Cloud Pond Shelter |
31km | D+1500/D-1170 | Up and down sur toute la première partie. | 106 | Cloud Pond Shelter – Carl A. Newhall Shelter |
28km | D+1170/D-1330 | Chemin pas très « marchant » (racines et rochers glissants). | 107 | Carl A. Newhall Shelter – Potaywadjo Spring Shelter |
49km | D+1400/D-1760 | Bon chemin et beaucoup de plats. | 108 | Potaywadjo Spring Shelter – Rainbow lake (côté est) |
39km | D+880/D-720 | Chemin moins bon que la veille. | 109 | Rainbow lake (côté est) – The Birches Shelter |
31km | D+640/D-600 | Petite étape avec un bon sentier après Abol Bridge. | 110 | The Birches Shelter – Katahdin et retour via Abol |
15km | D+1310/D-1260 | Et enfin le sommet de Katahdin. |