Récit traversée de l’Italie

Le récit de la traversée à pied de l’Italie, de l’extrême ouest de la Sicile jusqu’en France. J’ai prévu de remonter la botte par son épine dorsale, le long de la chaîne de montagne des Apennins. Une découverte du Bel Paese, un parcours dans l’Italie rurale loin des stations balnéaires et des grandes villes touristiques.



Sommaire

1 – La Sicile
2 – La Calabre
3 – Basilicate et Campanie
4 – Molise, Latium et Abruzzes
5 – Ombrie et Toscane
6 – Ligure
Fin du récit


Introduction

Aix la Chapelle-Porto en 2012? Une promenade bucolique le long de chemins de randonnées tracés. Du Khumbu au Rolwaling en 2015? Une marche de lodge en lodge sur des sentiers parcourus par les autochtones et parfois des colonnes de touristes.
Pour de l’aventure, de l’exotisme, de la difficulté, pas besoin d’aller loin : la traversée de l’Italie à pied depuis la Sicile jusqu’en France. C’est mon programme du printemps 2016. Fini les chemins bien balisés, oubliées les cartes précises avec les sentiers marqués, quant à l’hébergement, je pourrai en parler à la fin.
Pour une telle aventure, j’ai eu besoin de mois de préparation. J’ai récolté des bouts de traces GPS que j’ai essayé de relier entre eux à grand renfort d’examen de vues satellites Google earth et de déchiffrage des cartes « topographiques » (entre guillemets car sur celles que j’ai pu consulter, les tracés principaux doivent dater de l’époque mussolinienne…) italiennes. Quelle va être la réalité terrain ? Vais-je me trouver dans une situation andalouse avec des kilomètres de barbelés, des portails de 2 mètres de haut à escalader ? Les chemins sur ces fameuses cartes « mussoliniennes » ont-ils disparu en même temps que le dictateur ?
J’ai aussi passé des heures à faire des recherches sur internet avec des mots clés différents. Suffisamment pour me rendre compte que je devrais rencontrer beaucoup, beaucoup moins de monde que sur les 100 derniers kilomètres entre Sarria et Santiago…
Enfin, je me suis mis à l’italien. Mes précédents séjours dans la péninsule m’ont permis de me rendre compte que les français ont en point commun avec nos cousins transalpins l’excellente maîtrise de leur langue maternelle à défaut de celle des langues étrangères. Me voilà muni, en tout cas du bagage nécessaire pour m’en sortir : vorrei una birra alla spina. Je pense que même sans base d’italien, cela se comprend.
Me voilà en tout cas prêt pour découvrir le Bel Paese.

Ce que j’ai prévu :

Je débuterai ma marche du bout du bout de la Sicile. Les îles Egades à l’extrême ouest. Pour traverser l’île, je suivrai essentiellement la Via Francigena en Sicile et parfois le Sentiero Italia. Le Sentiero Italia est plus un projet que l’autoproclamé plus long trek du monde. Il doit relier Trieste à la Méditerranée par l’arc alpin puis traverser toute l’Italie en suivant en gros la ligne de partage des eaux, le long des Apennins puis la Sicile jusqu’à Palerme et enfin la Sardaigne. Il doit car pour le moment des bouts sont tracés mais la difficulté c’est de les relier. Enfin, je vais bien voir.
Il me faudra marcher environ 500 kilomètres pour traverser la Sicile. Passé le détroit de Messine, c’est le Sentiero Italia qui va me servir de colonne vertébrale pour ma remontée de la Calabre. C’est un parcours sauvage qui devrait m’attendre avec beaucoup de montagnes et la traversée d’un chapelet de parcs nationaux et régionaux : Aspromonte, Serre, Sila, Pollino. C’est à nouveau 500 kilomètres que je devrai parcourir pour atteindre la limite de la Basilicate.
J’aurai marché 1000 kilomètres depuis le départ et je serai toujours en Calabre… encore loin de la France ! Toujours sur le Sentiero Italia, après la courte traversée de la Basilicate, le relief va progressivement s’adoucir pour traverser la Campanie (région de Naples). De là, il existe une option Via Francigena qui permet de rejoindre Rome mais la traversée d’une ville de 3 millions d’habitants me rebute. Je pense donc continuer à chercher à relier les bouts de Sentiero Italia pour la traversée du Latium (Lazio, région de Rome) avec des petites incursions dans les régions du Molise et des Abruzzes
A la frontière de l’Ombrie, il existe différents chemins. Di qui passò Francesco (Là est passé François) est un chemin sur les traces de saint François d’Assise et Con le ali ai piedi (Avec des ailes au pied) permet de rejoindre le sanctuaire dédié à l’archange Saint Michel dans la péninsule du Gargano. Avec l’aide de saint François et des ailes au pied, je devrais m’en sortir.
En Toscane, je pourrai rester sur les traces de saint François par la montagne jusqu’à la Verna puis rejoindre Florence ou rejoindre la Via Francigena. Je pense opter pour cette deuxième option et goûter à une traversée de la Toscane des collines, Sienne, San Gimignano…
Me voilà arrivé en Ligure. Là aussi deux options se présentent : le long de la côte par la Via della Costa ou en hauteur par la Alta Via dei Monte Liguri. Ce sera sûrement en juin, il commencera à faire chaud. Depuis le départ, je n’aurai pratiquement jamais marché en bord de mer. Qui dit bord de mer, dit camping pour se loger. Et puis si proche de la fin, il est important de gommer un bronzage de randonneur (vous savez la marque des chaussettes, du short et du tee-shirt…), bref alors ce sera : … Sauf qu’il y a Gênes et son million d’habitants serrés le long de la côte. Cela risque donc d’être un panaché des deux, mer et montagne donc.
Après, ce sera selon, je peux faire du rab en France.
Je ne pars pas aussi léger que lors de mes dernières longues traversées. La tente, le matelas de sol et un duvet léger me permettront de gérer les difficultés de logistiques dans les sauvages montagnes italiennes. Eh oui, c’est une aventure à deux pas d’ici (un peu plus que deux tout de même…).
En tout cas, je suis prêt, c’est parti !

1 – La Sicile

25 mars : Marettimo

Les îles Egades, petit confetti d’Europe perdu dans la Méditerranée. A Marettimo, je suis sur l’île la plus occidentale. Le Cap Bon en Tunisie n’est qu’à 150 kilomètres de là. Marettimo est au bout du continent, plus tout à fait en Europe, pas encore en Afrique. Le petit port avec, lovées au fond de l’anse, ses petites maisons de pêcheurs blanches et leurs volets bleus trouverait sa place de l’autre côté de la mer en Tunisie.
J’aime ces lieux perdus, cette impression de bout du monde, en tout cas le bout d’un monde. Il y a deux ans déjà à Tarifa, c’était le cas.
A pied, il n’est pas possible d’aller plus loin. Maintenant, il ne me reste plus qu’à remonter progressivement, à passer de la Sicile au continent, du Mezzogiorno à l’Italie du Nord, à m’immerger, à découvrir ce pays ou plutôt ces régions italiennes très différentes.
C’est parti et rapidement le corps retrouve de belles sensations. Tous les sens sont en éveil : la vue avec Marettimo, ce caillou rocheux, montagneux planté au milieu des eaux turquoises de la Méditerranée, l’odorat avec cette odeur de pin, de thym, de romarin, ce mélange de plantes méditerranéennes mêlé à un soupçon d’iode, l’ouïe avec le bruit du vent dans la pinède, de la houle sur les rochers et …le silence de la nature, sans voitures et sur des petits chemins déserts.
Oublier Palerme, ce superbe mélange d’architecture byzantine, arabe, normande, espagnole, ces églises et palais ornés de fantastiques mosaïques mais aussi, oublier la ville, la circulation, les voitures, le bruit.
Oublier les visites. Et oui, c’est épuisant de visiter une ville. Place maintenant à un rythme plus tranquille avec 3000 petits kilomètres à parcourir à pied.
Oublier aussi le long trajet jusqu’en Sicile. Je ne suis pas mécontent d’attaquer, d’en avoir fini avec les transports et correspondances et de ne plus avoir à compter que sur la force de mes jambes.
Les contrôleurs aériens français, en butte avec leurs difficiles conditions de travail ont considérablement rallongé mon voyage jusqu’à Palerme. Au lieu d’une petite demi-journée de voyage, j’ai eu droit à une nuit non prévue à Rome et 12 heures de train pour descendre au bout de la Calabre, traverser le détroit de Messine et la Sicile jusqu’à Palerme. Presque la moitié du trajet que je vais refaire maintenant à pied, dans l’autre sens… Ce projet pourrait, du coup, sembler vain, futile.

Non, Marettimo est l’endroit idéal pour l’entamer. J’ai presque l’impression de commencer par le dessert. C’est parti et bien parti avec un petit saut de puce pour faire le tour de l’île. 20 kilomètres et plus de 1000 mètres de dénivelés, c’est suffisant pour une première journée.

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Ma traversée de l’Italie débute sous de bons auspices. Reste à espérer, nous sommes le Vendredi Saint, que ce ne sera pas un long chemin de croix.

26 mars : Favignana

C’est la fin de ma petite mise en bouche dans les îles Egades avec le tour de l’île principale de Favignana.
Ces îles sont connues, enfin un tout petit peu connues avec deux événements. Les spécialistes de l’antiquité savent que c’est au large de Favignana qu’a eu lieu, lors des guerres puniques, une bataille navale décisive entre Rome et Carthage. La victoire de Rome porta un coup fatal à Carthage.
Sinon, vers le mois de mai, a lieu la célèbre mattanza ou tonnara. Les thons sont encerclés et piégés par des filets puis achevés à l’harpon. Âmes sensibles s’abstenir. Les grands bâtiments de transformation du thon sont les témoins de cette activité, activité principale des îles Egades avant le développement du tourisme.

Favignana
Favignana

Par rapport à la belle journée d’hier, celle d’aujourd’hui est un ton en dessous. Mais je savais que je n’arriverai pas à être à ce niveau tous les jours. D’abord le temps est plus variable. Déjà que les températures sont fraîches pour la saison et la Sicile, quand un grain s’abat sur l’île en fin de matinée, couvert sous mon poncho, j’ai l’impression de me retrouver dans ma traversée de la Belgique en 2012. Le paysage et puis rapidement une éclaircie me ramène en Sicile. À midi, je peux m’installer pour bronzer sur une plage.
Le paysage n’a pas non plus l’âpre beauté de Marettimo, cette montagne au milieu des eaux turquoises de la Méditerranée. Une grande partie de l’île est plate. J’arrive quand même à avoir mon petit bout de sentier escarpé. Un tronçon marqué sur ma carte se perd dans la végétation, les rochers et les éboulis. En surplomb de la mer, j’arrive quand même à passer.
Le reste de la journée, je suis tranquillement la côte pour boucler les 29 kilomètres pour faire le tour de l’île.
Demain, j’attaque véritablement ma traversée de la Sicile.

27 mars : Trapani – Cortigliolo

Cette fois, j’avance. En faisant les tours de Marettimo puis de Favignana, j’avais un peu l’impression de tourner en rond. C’étaient des tours de chauffe.
Il fallait habituer les pieds à leurs nouvelles chaussures. Les pieds sont non seulement des éléments primordiaux pour le marcheur mais ce sont également des éléments très sensibles. Avec de nouvelles chaussures, il faut y aller en douceur. Sinon, ils pourraient faire un rejet. Ils vont passer 3 mois ensemble, il vaut mieux que cela colle entre eux.
Il fallait aussi réveiller les muscles du marcheur. J’ai beau faire régulièrement du sport, la marche fait travailler certains muscles spécifiques. Avec les dénivelés de Marettimo et la distance de Favignana, je crois qu’ils sont en train de se rendre compte de ce qui les attend.
Cette première véritable étape est une réussite. Elle se déroule pratiquement intégralement hors bitume.

Les îles Egades au loin, Trapani depuis le Sentiero Italia en montant à Erice
Les îles Egades au loin, Trapani depuis le Sentiero Italia en montant à Erice

Je m’élève progressivement au dessus de Trapani. La vue sur la ville et les îles Egades au loin est belle. Le sentier est balisé avec les premiers panneaux Sentiero Italia. Il mène jusqu’à la frontière française puis par l’arc alpin jusqu’à Trieste. J’espère trouver ce balisage du côté de la Calabre, Campanie, Latium…

Château d'Erice
Château d’Erice

Erice est le sommet de l’étape. On peut y monter avec les oeufs depuis Trapani. Trop facile, ce n’est pas pour moi. Là haut, le petit village médiéval est en partie dans la brume. Le soleil et les nuages créent une belle ambiance.
Après Erice, le chemin que j’imaginais sur la carte pour redescendre vers le littoral passe bien sur le terrain. Je domine le littoral, et tout le secteur que je vais parcourir demain.
Bref un bon dimanche pascal avec 20 petits kilomètres pour ne pas se faire mal.

28 mars : Cortigliolo – Scopello

C’est ma première grosse étape : 31 kilomètres et plus de 1000 mètres de dénivelés. C’est à nouveau une journée presque intégralement sur des sentiers balisés et aménagés. Je longe la baie de Bonagia puis fait le tour du mont Cófano. Il y a peu de dénivelés, beaucoup de fleurs. C’est une promenade agréable.
Après le golfe de Cófano, j’attaque la difficulté de la journée : une montée presque directe, toute droite et raide pour passer dans la réserve de Zingaro. Au col, à 655 mètres d’altitude, je suis dans une ambiance hivernale. Un vent du nord, froid balaie la crête. Je suis dans la brume. Tout est humide.

Monte Cófano
Monte Cófano

C’est un sacré contraste avec le bord de mer. Là, il y a un soleil qui réchauffe l’atmosphère. Les eaux limpides de la mer sont une invitation à la baignade mais le fond de l’air est vraiment trop frais pour se laisser tenter.
Arrivé dans la réserve de Zingaro, je commence à rencontrer du monde. À Scopello, c’est presque une affluence estivale. La place est noire de monde, les terrasses de café sont pleines. C’est un sacré contraste avec la partie que j’ai parcourue depuis Erice. Tout y est encore fermé. Je pensais que Pâques allait marquer le lancement de la saison. Non, hier j’ai eu toutes les peines du monde à trouver un restaurant pour dîner et ce matin, ce n’est qu’après 17 kilomètres, que j’ai trouvé un bar où soulagé, j’ai pu prendre mon repas.

29 mars :  Scopello – Alcamo

Après ces quatre premières étapes en bord de mer sur de beaux sentiers avec à la fois du relief et des vues splendides sur la mer, il faut me résigner. Je quitte le bord de mer. À priori, je ne le retrouverai vraiment que sur la côte Ligure avant d’arriver en France.
J’ai eu droit à un festin ces quatre premières journées avec de beaux sentiers, des beaux panoramas. J’attaque maintenant une étape de transition. Pour l’entamer, le petit déjeuner de la pension Tranchina est idéal : marmelade avec les oranges du jardin, miel maison, huile d’olive fabrication locale. Me voilà dans de meilleures dispositions que hier matin où il m’a fallu marcher 17 kilomètres avant de boire une boisson chaude.

Scopello
Scopello

Le rayon de soleil sur la tonnara (usine de transformation du thon) et les farigliones (pics rocheux dans la mer) de Scopello est un petit clin d’oeil qui résume bien ces quatre premières journées.

Castellammare del Golfo
Castellammare del Golfo

Ensuite, je rejoins le joli port de Castellammare del Golfo et avant de rentrer dans les terres, j’ose une baignade dans les eaux fraîches de la Méditerranée. Il faut dire que les températures ont franchi un premier palier. Je devrai maintenant avoir pour les quatre prochaines journées du soleil et autour de 24°C. J’en profite pour faire une longue pause sur la plage avant de quitter le littoral.
C’est finalement une journée pas désagréable. Demain, une étape plus plate m’attend pour rejoindre San Giuseppe Jato.

30 mars :  Alcamo – San Giuseppe Jato

Je suis sur un cammino Francigena de Sicile. Une association réhabilite les anciens chemins de pèlerinage. La via Francigena est le terme traditionnellement attribué à la voie qui mène à Rome depuis Canterbury en Angleterre. Cette dénomination a été utilisée au moyen âge par extension à d’autres voies de pèlerinage. C’est le cas pour le chemin que j’emprunte. Il reliait Mazara del Vallo sur la côte ouest à Palerme.
J’emprunterai par la suite un autre de ce chemin qui reliait Palerme à Messine. Messine était le port majeur d’embarquement pour les pèlerins vers la Terre Sainte.
Est-ce un effet de mimétisme ? Après Alcamo, le paysage se fait plus plat. Des éoliennes se dressent sur les collines. La Castille ? Je tombe même sur une flèche jaune comme celles qui jalonnent le Camino Francès tous les 100 mètres. J’hésite à la suivre. Non, quand je regarde devant et derrière moi, il n’y a personne. Cela ne peut être le chemin de Compostelle. Les paysans que je rencontre, intrigués, me demandent où je vais. Quand je réponds que je vais en France, ils ne comprennent pas :
– ah ! Français mais où tu vas ?
– vado a Francia a piedi
Là, ils me prennent pour un fou. Ça va mieux quand je leur dis que la Sicile est « bellissima ». C’est vrai que même aujourd’hui, sur une étape de transition, la campagne est belle au printemps. Les pluies des quinze derniers jours et la chaleur qui revient ont favorisé la végétation. La campagne est verte avec beaucoup de fleurs.

Entre Alcamo et San Giuseppe Jato. Au fond le mont Jato et le mont Kumeta
Entre Alcamo et San Giuseppe Jato. Au fond le mont Jato et le mont Kumeta

Après cette journée tranquille, sur de bons chemins sans difficultés. C’est une tout autre journée qui m’attend demain. J’ai prévu de rejoindre la réserve de Ficuzza par le site archéologique de Monte Jato, le versant sud du mont Kumeta et le lac de Piana degli Albanesi et les flancs du mont Leardo. L’étape est longue avec plus de 30 kilomètres si tout se passe bien et du dénivelé. C’est surtout une étape où je n’ai pas eu d’informations au préalable. Je l’ai imaginé à partir de vues satellites et des piètres cartes topographiques italiennes. Du satellite à la réalité sur le terrain, à voir…

31 mars :  San Giuseppe Jato – Ficuzza

Bon, j’ai réussi à relier San Giuseppe Jato avec Ficuzza mais pas vraiment comme je le pensais. Mais je suis satisfait. L’étape a été à nouveau pratiquement intégralement hors bitume. Les paysages étaient plus âpres que hier mais avec le relief, le lac de Piana degli Albanesi, les panoramas, c’était beau. Les vues s’étendaient au loin, au sud vers Corleone et au nord sur un petit massif qui domine Palerme et jusqu’à la mer.
Passé le site archéologique de Monte Jato, je n’ai pas trouvé l’amorce du chemin en hauteur sous le mont Kumeta.  Ses flancs m’ont paru plus escarpés que vus depuis le satellite. J’ai un peu lâchement renoncé à suivre des chemins de chèvres pour descendre vers une route en contrebas. Vu de satellite, elle n’était pas engageante. Ces courbes bien tracées laissaient supposer une route à forte circulation. Heureuse surprise, cette route aménagée sur une ancienne voie ferrée est fermée à la circulation et se termine en chemin agricole. Ottimo ! Comme on dirait ici.
C’est le passage qui me paraissait le plus facile qui s’est avéré au contraire problématique. Pour passer de l’autre côté du lac de Piana degli Albanesi, une petite route sous le barrage est empruntée par
– le Sentiero Italia
– le Cammino Francigena de Palerme à Agrigente
– l’Itinerarium Rosaliae.
Avec tout cela, pas de soucis, d’ailleurs, un petit panneau indicateur me dirigeait tout droit vers …un portail cadenassé. Je garde un traumatisme du passage en 2013 en Andalousie avec ces kilomètres de barbelés et ces portails de deux mètres de haut. Je préfère tenter le passage, normalement interdit sur le barrage. Après avoir obtenu l’autorisation d’ouvriers, je poursuis pour tomber sur un autre portail cadenassé. J’ai malheureusement perdu mon entraînement andalou et je fais une chute, pas méchante en l’escaladant. Je m’en tire avec quelques bleus et égratignures.
De l’autre côté, et je prouve ma bonne foi, je suis bien sur l’itinéraire de Rosalie…

Le lac de Piana degli Albanesi et le mont Kumeta
Le lac de Piana degli Albanesi et le mont Kumeta

Pratiquement chaque saint a en Italie son chemin. Il est normal que la très vénérée Rosalie, patronne de Palerme ait le sien. Mais là, sur le coup je suis un peu déçu. On ne sait plus à quel chemin se vouer…
Arrivé au col de Sant’Agata, je laisse Rosalie bien que son chemin aille aussi à Ficuzza. Notre relation n’a pas débuté sous les meilleures auspices et je préfère en rester là. Je fais bien car un agréable chemin en crête me permet de rejoindre Ficuzza.

Entre le mont Leardo et le mont Rossella
Entre le mont Leardo et le mont Rossella

Je ne suis pas mécontent d’arriver. D’abord, d’avoir réussi par de beaux chemins à arriver au terme de l’étape et puis après 35 kilomètres et 1300 mètres de dénivelés de pouvoir me reposer.
Il me faut récupérer car demain une nouvelle longue étape m’attend.

1er  avril : Ficuzza – Montemaggiore Belsito (Stazione)

Hier soir, arrivé à Gorgo del Drago, j’avais deux options : planter la tente ou prendre la demi-pension. J’ai cédé à la tentation et ai opté pour la deuxième solution.
Après cette longue étape, ça fait du bien d’être dans une belle adresse ! D’abord, d’avoir des gens sympas, accueillants, de se reposer dans un bon lit et de prendre un dîner gargantuesque : une bouteille de rouge, une dizaine d’antipasti (saucisson, fromage, champignons, aubergines, beignets…), les pasti (pâtes aux champignons) puis le primo piatto (ragoût), le secondo piatto (escalopes) et une assiette de fruits pour digérer le tout. Bon, c’était trop. J’ai calé au secondo piatto. En tout cas, je sais que je vais éliminer les excès.

Cimmina
Cimmina

Après les deux journées précédentes en pleine nature, je traverse aujourd’hui toute une série de petits bourgs. Rien de bien important, les maisons et petits immeubles sont serrés les uns contre les autres. Il n’y a pas une grande animation. Le linge sèche aux balcons. Des chiens aboient. Le vent souffle dans les rues. Quelques personnes âgées se promènent. L’Italie a un des plus faibles taux de natalité du monde, alors dans ces campagnes, les enfants sont rares et sûrement les rois. Hier à Gorgo del Drago, le petit Mattéo fêtait son premier anniversaire. Pour l’occasion, la famille avait organisé un repas avec une … quarantaine de convives. Le petit Mattéo, la moue boudeuse, passait de bras en bras pour une photo.
Ce passage à travers des petites localités permet aussi de se rendre compte du fonctionnement de certains services publics. Pour ceux qui râlent en France (oui, un français qui râle, cela existe), un petit voyage en Sicile peut être instructif.
Le ramassage des ordures ménagères a l’air d’avoir un fonctionnement très erratique. Aux abords de certains villages, des monceaux de sacs poubelle s’amoncellent autour des containers, sans parler des encombrants qui doivent être là depuis des lustres. Entre Castellammare del Golfo et Alcamo, les bords de la petite route que j’ai parcourue étaient jonchés de sacs poubelle qui eux aussi devaient être là depuis longtemps.
Les routes sont dans un état pitoyable. Celles qui s’apparentent à nos départementales perdent leur bitume par moment sans parler de fréquents et méchants nids de poule. Quand aux petites routes, certaines goudronnées un temps sont aujourd’hui redevenues des chemins parfois même difficiles en quatre quatre. Tant mieux pour le marcheur que je suis.
Je finis malgré tout aujourd’hui sur quelques longues sections bitumées et de manière surprenante sur des routes qui finissent en cul de sac.
Je fais à nouveau 35 kilomètres pour cette étape. Demain, cela devrait être du même acabit.

2  avril : Montemaggiore Belsito (Stazione) – Caltavuturo

Après 3 grosses journées de marche, j’ai rejoint depuis Montemaggiore Belsito, un cammino Francigena de Sicile. Celui-ci relie Palerme à Messine par la montagne.
Je retrouve aussi à Caltavuturo mon ami Nompart de Caumont. En 1420, lors de son pèlerinage à Jérusalem et avant de passer à Saint-Gaudens et Villeneuve de Rivière, il avait traversé la Sicile pour rejoindre Palerme. À cette occasion, il était passé à Caltavuturo.
Je ne sais pas en quelle saison, il est passé dans le coin, mais si c’était comme moi au printemps, il a dû se régaler.

Sclafani Bagni, Caltavuturo et les Madonie dans la descente du col de Granza
Sclafani Bagni, Caltavuturo et les Madonie dans la descente du col de Granza

Je m’approche du massif des Madonie et en passant au col de Granza, à 960 mètres d’altitude, j’avais ce massif devant moi avec le bourg de Caltavuturo devant et le village de Sclafani Bagni perché sur son rocher. C’était superbe même si avec le ciel gris, le relief n’était pas mis en valeur. En plus, au col, il soufflait un vent frais à décorner les boeufs. Les conditions étaient idéales pour marcher mais moins pour profiter du paysage. Cela m’a permis de bien avancer. Avec 28 kilomètres et 1400 mètres de dénivelés, l’étape se mérite. Elle se rajoute à deux autres grosses journées.
Maintenant sur le cammino Francigena, je devrais avancer à un rythme plus tranquille.

3 avril : Caltavuturo – Petralia Sottana

Dimanche 3 avril, je prends mon petit déjeuner au bar des Sports de Caltavuturo. Calogero est fidèle à son poste. Comme chaque matin, il ouvre son bar à 6 heures 30. À 69 ans, il n’envisage pas d’arrêter. La radio diffuse la messe. Normal pour le bar des Sports ? En tout cas, pas anormal dans cette Italie encore très catholique. Hier soir, devant la petite église attenante au couvent, ils étaient nombreux, endimanchés, à la sortie de la messe.
Je vais marcher toute la journée au flanc du massif des Madonie qui flirte avec les 2000 mètres d’altitude. Au risque de se répéter, j’ai encore droit à une belle journée avec de beaux chemins et de belles vues. Le bonheur du marcheur.

En direction de Polizzi Generosa
En direction de Polizzi Generosa

Je passe d’abord à Polizzi Generosa, un joli village perché sur son rocher.
Sur ces vieux chemins de pèlerinage, Polizzi Generosa avait un hôpital Saint-Nicolas fondé en 1167 par un certain Pierre de Toulouse… Au cours de la riche histoire de la Sicile, nombreux sont ceux qui sont venus, se sont installés ou ont essayé de s’installer dans l’île : les phéniciens, les grecs, les romains, les vandales, les ostrogoths, les wisigoths, les byzantins, les arabes, les normands, les angevins, les souabes, les aragonais, les espagnols, la maison de Savoie, les autrichiens, les bourbons… Bref, rares sont ceux qui n’ont pas tenté de le faire. L’adresse devait être bonne pour attirer autant de monde. À l’époque romaine, la Sicile est son grenier à blé. Frédéric II empereur du Saint-Empire romain a d’abord été roi de Sicile et sa sépulture se trouve dans la cathédrale de Palerme.
Ce mélange de cultures a produit certaines des splendeurs que j’ai pu admirer à Palerme avec les mosaïques et églises aux influences byzantines, arabes et normandes.
Après Polizzi Generosa, je monte jusqu’à 1200 mètres d’altitude. Je marche sur des pistes tranquilles en partie dans des pinèdes avec les montagnes sur ma gauche et des vastes panoramas sur mes plaines. Cette belle journée s’achève à Petralia Sottana. Le village à 1000 mètres d’altitude fait face aux Madonie. Alors que le soleil descend et éclaire les toits de Petralia, à la terrasse d’un café, la bière est bonne.

Petralia Sottana et les Madonie
Petralia Sottana et les Madonie

4 avril : Petralia Sottana – Gangi

Je suis maintenant dans les hauteurs. Je vais passer les trois prochains jours au-dessus des 1000 mètres d’altitude d’abord dans le parc des Madonie puis dans celui des Nebrodie.
Après Petralia Sottana (dessous), je traverse Petralia Soprana (dessus), à 1150 mètres d’altitude. C’est à nouveau une jolie petite localité perchée sur sa colline.
Mais, le plus spectaculaire de cette courte étape est l’arrivée sur Gangi. De loin, c’est étrange. La première impression est d’avoir une colline rocheuse au milieu de la verdure. Puis en s’approchant, les maisons se dessinent. Elles sont serrées, entassées sur tous les flancs de la colline. Il n’y a pas un espace libre, pas un espace vert. C’est une sorte de grande termitière humaine. Une fois dans le village, c’est un dédale avec ruelles, escaliers et passages couverts.

Gangi et l'Etna que l'on devine au fond
Gangi et l’Etna que l’on devine au fond

L’arrivée sur Gangi est aussi marquée par la silhouette de l’Etna. Son cône blanchi par la neige se devine en fond. Le volcan se dresse au dessus du détroit de Messine et sa silhouette va maintenant me servir de repère sur la fin de ma traversée de la Sicile.

5 avril : Gangi – Capizzi

L’atmosphère est étrange sur cette crête en direction de la réserve de Sambughetti. La lumière est un peu blafarde. Le vent frais souffle fort. Je marche avec le bruit des éoliennes. Les hélices font des ombres mouvantes autour de moi. Le paysage est désert. Il n’y a aucune habitation. Je distingue juste quelques villages ou hameaux au loin. Ce ne sont qu’une succession de collines, mamelons et vallons dans un océan de vert.
Une fois dans la réserve naturelle de Sambughetti, c’est le calme qui surprend. Je marche à l’abri du vent. Il n’y a plus le bruit des éoliennes. Je suis sur un chemin dans la forêt. C’est toujours aussi désert. Le silence est juste troublé par quelques gazouillis d’oiseaux.

Dans le parc des Nebrodi avant Capizzi
Dans le parc des Nebrodi avant Capizzi

Je rentre ensuite dans le parc des Nebrodi. Ce paysage de moyennes montagnes est superbe avec ça et là les touches blanches des arbres en fleurs.
Je termine cette longue étape à Capizzi qui apparaît au sommet de sa colline. L’Etna, lui grand seigneur reste drapé dans la brume. Il est à peine visible à l’œil nu, mais je finirai par l’avoir.
Le 26 juillet, après la Saint Jacques, a lieu à Capizzi une grande procession en l’honneur de leur saint patron. Ce jour là, il est de tradition d’abattre un mur (plutôt de le frapper). Parmi les multiples interprétations de ce séculaire rituel, ce mur symboliserait un antique temple païen. Une autre interprétation est que le mur représente la maison de Sancho de Heredia. En 1435, ce félon, sous les ordres du roi d’Aragon, a fait enlever les reliques de saint Jacques pour les transférer à Messine. Capizzi perdait là les précieuses reliques qu’elle avait légitimement reçues.
Demain, je poursuis mon parcours dans le parc des Nebrodi. Cette fois, cela devrait être encore plus sauvage puisque le refuge où je pensais dormir étant fermé, cela sera sûrement une nuit en bivouac.

6 avril : Capizzi – Nebrodi

Les siciliens que je croise sont incrédules quand je leur explique ce que je fais. Ce matin, j’expliquais à un rencontré au bord du chemin, que j’arrivais de Trapani à pied. Là, effaré, les yeux levés au ciel, il a fait un premier signe de croix. Alors quand j’ai parlé d’aller en France à pied, je pense que son second signe de croix n’était pas à la mesure de son désarroi. Je crois qu’il aurait été plus rassuré si je lui avais dit que j’avais découvert une planque de la mafia et que je m’apprêtais à aller la dénoncer à la police.
La marche n’est pas aussi populaire qu’en France. Un des sports appréciés ici est la grillade dominicale en bord de mer entre amis et enchaîner derrière le suivi du calcio à la radio.
Il va sans dire que le chemin que je prends, qui n’est pas balisé, pour rejoindre la dorsale des Nebrodi est absolument désert.
Je suis ensuite à l’intérieur du parc national. Avec celui des Madonie et celui de l’Etna, le parc des Nebrodi est un des parcs les plus connus de Sicile. Je suis sur un GR, à la fois Sentiero Italia et dorsale des Nebrodi. C’est sûrement une des meilleures périodes pour marcher même si à cette altitude, les arbres n’ont pas encore reverdi et les fleurs commencent juste à sortir. Je suis pourtant toujours absolument seul dans ces montagnes. Il n’y a pas âme qui vive.

Le chemin sur la dorsale des Nebrodi
Le chemin sur la dorsale des Nebrodi

Pourtant, la marche, sur ces chemins forestiers, avec une température idéale est agréable. Et puis après 15 jours, le corps s’est adapté. Il ne se manifeste presque plus. Il prend du plaisir. Les marcheurs occasionnels ou même à la semaine ne vivent que la partie ardue de l’exercice.
Ce qui est sûr, c’est que ce soir, en bivouaquant dans les montagnes, je ne devrais pas être dérangé par les voisins.

7 avril : Nebrodi – Floresta

C’est dans un cadre enchanteur que j’ai trouvé un endroit pour poser ma tente, un peu en dessous d’une crête où à droite se dessinait le cône de l’Etna, toujours drapé dans la brume et à gauche la mer Tyrrheniénne avec les îles Éoliennes.
L’endroit était bien sûr très tranquille mais avec tout le confort : à côté d’un ancien refuge fermé, avec un point d’eau, à l’abri du vent fort de la nuit, et à l’intérieur d’un enclos, ce qui me permettait de ne pas être embêté par les cochons sauvages assez présents dans le parc.
À part le bruit du vent, mon sommeil n’a pas été troublé. Le parc est pourtant fréquenté. Il y a des traces de passage de voitures. Au bord du lac Maulazzo, des amoureux de la nature viennent profiter de ce cadre idyllique. Les assiettes, bouteilles et gobelets en plastique, canettes de bière, les détritus divers sont récents. Un parc national attire donc des amateurs d’espaces naturels préservés mais certainement plus le week-end pour le pique-nique dominical.

Lac Maulazzo - Nebrodi
Lac Maulazzo – Nebrodi

Je termine ma traversée des Nebrodi avec un ciel gris et sous un vent violent, et même tempétueux par moment. Sur les crêtes, je peine à avancer sous les bourrasques. J’ai revêtu tout ce que je pouvais porter, je suis vers 1600 mètres d’altitude et l’air est frais.
La traversée des Nebrodi était sauvage ; dans ces conditions, l’impression n’en est que plus renforcée. Hormis deux cochons noirs sauvages, je n’aurais rencontré aucun être vivant ces deux jours. Les détritus ça et là me laissent malgré tout supposer qu’il y a aussi la présence de cochons blancs.

8 avril : Floresta – Montalbano Elicona

C’est dans une ambiance hivernale que je quitte Floresta. À 1275 mètres d’altitude, c’est le plus haut village de Sicile. Ce matin la météo prévoyait une minimale à 6°C et demain 2°C. La neige n’est pas loin. Le vent est toujours fort et la pluie vient renforcer cette sensation de froid. Je ne traîne pas sur les chemins. Heureusement, en s’éloignant des montagnes et en descendant en altitude, le temps devient plus clément. C’est avec un rayon de soleil que j’arrive face à Montalbano Elicona. La vue est belle et le bourg a reçu le titre de plus beau village d’Italie en 2015.

Montalbano Elicona
Montalbano Elicona

Il résume cette histoire de la Sicile. Le château a été construit par les normands. Ensuite occupé par les Souabes, Frédéric III d’Aragon en fait sa résidence d’été.
Ma courte étape me laisse largement le temps de découvrir et de flâner dans Montalbano, ses petites ruelles et son château.

9 avril : Montalbano Elicona – Castroreale

Je perds de l’altitude pour rejoindre la plaine côtière. Du coup, je suis dans des zones moins sauvages et la plupart du temps, je marche sur des routes. Pas des routes très fréquentées mais du bitume, et en général, le marcheur n’aime pas. Les tentatives pour y échapper se soldent par des échecs. En suivant la trace que j’ai, je termine dans les ronces. En faisant confiance à mon intuition, je termine dans les ronces. Pourtant, jusque là, j’ai été plutôt chanceux. Résultat : mes bras et jambes déjà amochés par d’autres hasardeuses tentatives et quelques chutes se parent de nouvelles égratignures.
L’odeur des fleurs d’orangers en traversant les plantations, la vue sur la côte Tyrrheniénne toute proche peinent à rehausser le niveau de cette étape.

Castroreale
Castroreale

Heureusement, Castroreale est à nouveau un joli village perché et ce soir j’y retrouve des amis et ma filleule. Castroreale, l’endroit où il faut être en ce samedi soir.

10 avril : Castroreale – Monforte San Giorgio

Journée très positive aujourd’hui. D’abord j’ai passé une bonne soirée la veille. Ensuite, je pars le sac léger. En effet avec la pluie et le froid, j’ai revêtu à peu près tout ce que compte ma garde-robe.
Je suis ensuite content de trouver ces mauvaises conditions météo maintenant que je marche au niveau de la mer et pas quand j’étais dans les montagnes. En les regardant complètement bouchées et la température fraîche ici, j’imagine les conditions si j’avais eu cela le soir où j’ai bivouaqué à 1200 mètres d’altitude et quand j’ai marché sur les crêtes à 1600 mètres.
La température fraîche facilite grandement la marche. À cette altitude, il pourrait faire vraiment chaud.
J’ai la chance d’éviter deux grosses averses comme le climat méditerranéen sait en produire : la première, au moment de partir, ce qui m’a permis d’attendre tranquillement au sec dans mon Bed and breakfast, la seconde dans la traversée d’un village où j’ai pu m’abriter sous un balcon.
La pluie n’est finalement pas si forte car j’arrive à traverser la rivière Mela alors que son aspect n’était guère engageant. Armé de deux bâtons, j’ai pu sans trop de peine m’aventurer dans les flots torrentiels.

La rivière Mela à Santa Lucia
La rivière Mela à Santa Lucia

La pluie permet aussi de faire toute une série d’expériences comme le temps pour que mon équipement perde son étanchéité ou que mes pieds finissent par être complètement trempés.
Bref soyons positifs, une belle journée. Sinon demain, le soleil revient.

11 avril : Monforte San Giorgio – Tremestieri

Le bateau quitte le port de Tremestieri. Après 18 jours de marche et 480 kilomètres parcourus, je quitte la Sicile.
La dernière journée vient conclure en beauté cette belle traversée. Ce matin, il fait beau et frais, les conditions idéales pour le marcheur. J’aborde cette étape avec beaucoup d’incertitudes. Elle fait partie de celles que j’ai virtuellement construites par bout de traces GPS et d’observation de photos satellites. Quand je me lance, je ne sais pas ce qui m’attend, si cela va être une journée galère ou pas.
La satisfaction est d’autant plus grande quand je réussis à passer et en plus de belle façon. Aujourd’hui pas de ronciers, pas de barbelés à franchir ou de portails à escalader, pas de passages dans une végétation abondante et gorgée d’eau. Au contraire, je marche pratiquement tout le temps sur des sentiers, de beaux sentiers sur des anciens chemins muletiers. Je n’ai pas de bitume, même pas des pistes empruntées par des jeeps avec les traces de passage des cochons blancs.
Je passe sur des sentiers avec panneaux d’informations, je longe, au frais un torrent, je grimpe dans une pinède toujours sur un bon chemin. Sur la crête des monts Peloritains, la vue est splendide. D’abord, un vaste panorama sur la côte Tyrrheniénne et Monforte San Giorgio au fond, puis une vue plongeante, presque directe depuis les 900 mètres d’altitude où je me trouve, sur le détroit de Messine, Reggio Calabria et le massif de l’Aspromonte où je vais les prochains jours. L’Etna, lui est resté grand seigneur jusqu’au bout et reste drapé dans la brume. Je termine au bord de l’eau et malgré le temps frais, ne résiste pas au bain dans la grande bleue.

Le détroit de Messine avec au fond le massif de l'Aspromonte, prochain terrain de jeu
Le détroit de Messine avec au fond le massif de l’Aspromonte, prochain terrain de jeu

Ciao bella Sicilia. Si on m’avais dit que l’on pouvait traverser l’île d’ouest en est, pratiquement que sur de beaux chemins, avec des passages par de splendides côtes aux eaux turquoises, par des montagnes sauvages, par une succession de beaux villages, je serais venu.
Bon, je suis venu quand même avec beaucoup d’incertitudes. Je repars avec beaucoup de satisfactions.
Certes la marche en Sicile est un exercice solitaire. Il ne faut pas s’attendre à partager une bouteille de rouge le soir à l’albergo avec des dizaines de marcheurs. Je n’ai pas eu de nuits dans un dortoir de 40 avec compétition de ronfleurs. Je n’ai même pas rencontré de marcheurs sauf dans la réserve de Zingaro.
La marche en Sicile est une découverte, une source d’émerveillement et d’étonnement. Loin de certains lieux très touristiques, j’ai été séduit par de nombreux villages, par la campagne verte et fleurie au printemps.
La marche suscite, chez les Siciliens, plus l’incrédulité que l’intérêt. Ces brèves échanges permettent quand même de découvrir un peu cette Sicile encore assez traditionnelle, très attachée à cette terre, à ces coutumes et à la religion.
Ciao bella Sicila et maintenant place à la Calabre. Après la Sicile malgré tout assez touristique, avec pas mal de villages traversés, la Calabre est pour moi une sorte de terra incognita. J’ai l’impression de m’engager dans des montagnes sauvages avec peu de localités, carrément hors des circuits touristiques. Je m’attends à une marche plus solitaire que la Sicile où je n’ai vu aucun marcheur…La Calabre me semble plus âpre, plus rude que la campagne, les montagnes et le littoral siciliens. Comment vais-je passer ces 500 kilomètres de traversée de la Calabre ? C’est la grande incertitude. Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir marché ouest en est, j’attaque véritable ma remontée de l’Italie vers ma destination finale.

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La Calabre

12 avril : Reggio Calabria – Gambarie

Je laisse les voitures pare-chocs contre pare-chocs dans les bouchons du matin à l’entrée de Reggio Calabria. Avec satisfaction, je trouve rapidement les premières marques rouges et blanches du Sentiero Italia. Le chemin grimpe raide au-dessus de la ville. Le bruit des voitures sur l’autoroute s’estompe. Derrière moi, je laisse le détroit de Messine, la Sicile et l’Etna toujours dans sa bouderie. Je suis dans les montagnes calabraises.
Le premier passage dans les broussailles aurait dû m’alerter. J’ai mis cela sur le compte d’une erreur ; j’avais certainement loupé un embranchement. Après Arasi, je renonce carrément à m’engager sur ce qui est balisé rouge et blanc, Sentiero Italia. Pourtant, pour que je renonce, il en faut. Mes jambes se sont habituées à des passages difficiles. Mais là, c’est trop, c’est un vaste espace de broussailles et de ronces. Je fais demi-tour et suis la route.
Plus loin, un chemin toujours balisé Sentiero Italia, est engageant. Je le prends. Le beau chemin se fait sentier puis se fait rien du tout : ronces, arbres couchés, arbustes piquants, …Il y a de tout sauf un sentier.
Je finis quand même à passer mais non sans mal. Je rêve déjà de la Sicile.
À la troisième bifurcation, une belle balise, récente avec une flèche et marquée Sentiero Italia, 101 est tentante. Mais je suis devenu méfiant. Un mauvais esprit l’a peut-être mise là. Je préfère aller à la pêche aux informations. Je vais à la maison en face et là, la femme m’explique que le sentier est bien là mais qu’il n’est « mantenuto ».
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C’était donc bien un esprit malin qui avait placé la balise là. On ne me la refera pas une autre fois. Je reste sur la route. Bilan : 16 kilomètres de bitume sur cette étape, heureusement sur une route pas très fréquentée. Vive le Sentiero Italia, et dire que je suis sensé le suivre sur des centaines de kilomètres…
L’étape est déjà longue avec 30 kilomètres, difficile avec environ 1500 mètres de dénivelés ; les passages dans broussailles sont une difficulté supplémentaire. J’arrive à Gambarie fatigué.
À 1300 mètres d’altitude, Gambarie est une petite station de ski. Un télésiège permet de monter à 1800 mètres d’altitude. Cet hiver elle a à peine pu fonctionner alors qu’ils ont eu beaucoup de neige l’année dernière. À la latitude où elle se trouve et avec le réchauffement climatique, elle est certainement menacée. Une station de ski hors saison, ce n’est pas toujours très reluisant. Gambarie est dans ce cas. On se dit que dans les années soixante ou soixante dix, elle a eu son heure de gloire. Pratiquement toutes les maisons sont fermées, c’est normal mais beaucoup sont mal entretenues et certainement commencent à tomber en ruines.
Voilà le portrait de ma première journée calabraise.

13 avril : Gambarie – Piani di Zervò

Est-ce la difficile journée d’hier qui a attaqué les dernières neurones qu’ils me restaient ? Ce matin, en quittant Gambarie, les marques GR sont tellement présentes que j’ai l’impression de marcher au milieu de sapins de noël ornés de boules rouges et blanches. Elles scintillent devant mes yeux.
Pire, j’avance sur un bon sentier tapissé de feuilles mortes qui amortissent la marche, sous les frondaisons d’épaisses futaies. Je gambade leste sur ce chemin. Ivresse de l’altitude ? Je ne monte pourtant qu’à 1500 mètres. Non, je suis sur les beaux sentiers du parc national de l’Aspromonte.

Sentier dans le parc de l'Aspromonte
Sentier dans le parc de l’Aspromonte

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Je passe toute la journée sur d’agréables sentiers dans la forêt.
Après près de 30 kilomètres, un homme, le visage marqué par les années vient à ma rencontre :
– Welcome in Calabria, me dit-il tout de suite, et de me demander en suivant, si je cherche un endroit pour dormir.
L’endroit est séduisant, il y a un point d’eau.
– Je peux dormir là, j’ai une tente
– Non, me répond-t-il, il peut y avoir des loups.
Cette étrange journée ne pouvait se terminer qu’au sanatorium. Je suis au Piani di Zervó. L’endroit a d’abord accueilli des tuberculeux puis des anciens toxicomanes. Une petite communauté créée par un prêtre a repris l’établissement. Ils ne sont que 4, le directeur et 3 résidents dans l’immense bâtisse en partie abandonnée. L’intérieur est glacial et c’est à côté d’un grand feu de cheminée que nous dinons. Le bénédicité, un repas simple, la prière ensuite et je vais me coucher.
Blotti dans mon sac de couchage, j’apprécie le modeste confort du lieu. Je suis au coeur du sauvage Aspremont. Le prochain village que je traverse se trouve à 60 kilomètres.

14 avril : Piani di Zervò – Passo della Limina (San Nicodemo)

Je poursuis ma traversée de l’Aspromonte sur le chemin des bandits. Il n’est pas étonnant que dans ce vaste espace vierge, ils aient trouvé des endroits pour se cacher ou poursuivre leurs activités illégales. L’autre fait d’arme de l’Aspromonte est une bataille où Garibaldi a été blessé.
Comme hier, je marche sur un bon sentier dans de vastes forêts. Tout est désert. Je traverse parfois quelques hameaux de vacances. Toutes les maisons sont fermées en cette saison. La construction de certaines d’entre elles a été arrêtée en cours et le chantier commence à être gagné par les ronces. La brume envahit les lieux. L’atmosphère est un peu sinistre. Les rares fois où j’aperçois une voiture, je suis presque inquiet : un repaire des bandits calabrais ?

Dans le parc d'Aspromonte : je ne suis pas seul
Dans le parc d’Aspromonte : je ne suis pas seul

Le seul espoir que j’avais de trouver un endroit pour dormir était l’Ostello de Zòmaro. L’espoir était mince puisque quand j’avais essayé d’appeler, j’étais tombé sur un numéro qui n’existait plus. Bien sûr, l’établissement est fermé. Je continue à marcher pour tenter demain de faire une longue étape jusqu’à Serra San Bruno où je peux dormir à l’hôtel.
Au fur et à mesure que j’avance, le vent d’ouest se renforce apportant avec lui une brume humide. La température est fraîche. C’est guère encourageant pour planter la tente.
Un peu avant le col de Limina, un berger calabrais me rassure : je devrais trouver au col un restaurant et un endroit pour dormir. Au col le restaurant est fermé. Il y a un agriturismo à 1,3 kilomètres mais pas sur mon chemin. Comme tout est fermé et que le téléphone ne passe pas, je poursuis jusqu’au Piano della Limina. Il y a un vieux centre de vacances abandonné comme beaucoup dans le coin. Certains toits sont effondrés mais je trouve un bâtiment encore correct et commence à m’installer dans une pièce. C’est pas le lieu rêvé. Il y a des gravats, des vieilles affaires qui traînent mais au moins, je suis à l’abri du vent et de l’humidité.
Je fais une petite inspection autour des lieux et finalement, sur une hauteur, j’arrive à avoir du réseau et à appeler l’agriturismo. J’ai de la chance, ils sont ouverts. Voilà comment on passe d’une nuit dans un bâtiment abandonné à une nuit en demi-pension dans un superbe site dominant la côte Ionienne.

15 avril : Passo della Limina (San Nicodemo) – Serra San Bruno

J’ai marché 120 kilomètres depuis Reggio Calabria pour traverser mon premier village calabrais. C’est dire que je sors d’une zone sauvage. J’ai quitté le parc national de l’Aspromonte pour rentrer dans celui delle Serre. Je continue à marcher sur un sentier dans les forêts mais entre les deux parcs, j’ai des portions de bitume. Je vois passer des voitures. Des bûcherons travaillent dans la forêt. Je vois quelques agriculteurs. Bref, cela grouille d’activité.

Entre les parcs d'Aspromonte et delle Serre, la côte Tyrrheniénne
Entre les parcs d’Aspromonte et delle Serre, la côte Tyrrheniénne

Peu avant Fabrizia, une famille me propose à boire ou à manger. Dans le village, le serveur refuse que je paye mon café. Fabrizia, mon premier village calabrais et une première impression positive après cette sauvage traversée de l’Aspromonte.
De Mongiana à Serra San Bruno, je marche sur un bon sentier avec des aménagements, bancs, rambardes, tables de pique-nique en bon état. J’arrive à Serra San Bruno, petite ville dans la montagne, assez coquette. Vais-je être surpris par la Calabre ?

16 avril : Serra San Bruno –  Fossa del Lupo

Après les 81 kilomètres parcourus les deux derniers jours, l’étape d’aujourd’hui, avec ses 34 kilomètres sur de bons et paisibles chemins, ferait presque figure de promenade de santé. Entre petites routes et chemins, j’évolue dans un paysage que je qualifierais de vosgien, assez inattendu en Calabre. Les altitudes, sont aussi autour de 1000 mètres. Les montagnes aux formes arrondies sont couvertes de forêts et de pâturages. Les paysages sont plus humanisés que les jours derniers avec des exploitations forestières et de l’élevage.

Paysage après Serra San Bruno
Paysage après Serra San Bruno

La différence avec les Vosges, c’est que sur les hauteurs, on aperçoit la mer à droite et à gauche. Je suis à l’endroit le plus étroit entre les mers Tyrrheniénne et Ionienne. Il y a à peine 30 kilomètres entre les deux rives. Je ne suis pas mécontent d’être sur les hauteurs. Je chemine au frais toujours sur de beaux sentiers dans la forêt alors qu’ils ont annoncé les premières chaleurs en plaine avec plus de 30°C.

17 avril : Fossa del Lupo – Marcellinara

C’est la journée typique de transition. Je dois passer par la dépression qui sépare les massifs d’Aspromonte et des Serre de celui de la Sila. Je vais descendre presque au niveau de la mer. Entre ces parcs naturels, c’est une sorte de no man’s land pour le randonneur.
Ce matin, je ne sais pas trop où je vais passer, si je vais passer et où je vais arriver. Parmi les grosses incertitudes, il y a un bout du Sentiero Italia qui s’est éboulé. Aux dernières nouvelles, il n’est plus praticable. Les conséquences sont un long détour par beaucoup de routes et en traversant Catanzaro, une ville capitale de province. Un détour, du bitume, une ville, des perspectives guère plaisantes pour un marcheur.
Je pars donc plein d’incertitudes et marche d’un pas rapide. J’aime dans ce cas avoir du temps devant moi pour selon m’adapter. J’arrive dans un premier temps à éviter des portions de routes pour rester sur des chemins en forêt. Il reste quand même quelques parties sur bitume.
En début d’après-midi, je m’engage au delà de Caraffa di Catanzaro pour le passage délicat. Il y a les marques du Sentiero Italia. J’avance sachant qu’il me faudra peut être faire ce chemin dans l’autre sens.
Arrivé à l’éboulement, je tente ma chance. C’est une zone friable qui doit facilement raviner avec les orages méditerranéens. Les prises ne sont pas bonnes mais je parviens à passer. Je peux maintenant poursuivre ma descente sans trop d’encombres.

En direction du massif de la Sila
En direction du massif de la Sila

Un dernier portail à escalader et c’est bon, je suis passé. Je vais maintenant retrouver la montagne dans le parc national de la Sila. Il est plus touristique que celui de l’Aspromonte mais en ce moment, il y a encore pas mal de structures fermées. J’ai encore un peu de travail pour organiser la logistique et encore des incertitudes sur mes prochaines étapes.

18 avril : Marcellinara – Villagio Mancuso

37 kilomètres encore aujourd’hui. Je termine ma première semaine calabraise à 35 de moyenne. J’ai bien essayé aujourd’hui de trouver un hébergement plus proche mais je n’ai pas réussi à trouver une solution avant Villagio Mancuso. Depuis mon démarrage en Calabre, j’ai soit possibilité de dormir au bout d’une dizaine de kilomètres soit de faire une longue étape.

Tiriolo
Tiriolo

L’organisme, aujourd’hui, aurait apprécié de ne marcher qu’une vingtaine de kilomètres. C’est peut-être aussi à cause des premières chaleurs. Je suis ce soir dans les montagnes mais j’ai marché une bonne partie de l’après-midi dans un paysage sec, méditerranéen sans ombre. Tout cela fait que la fin de l’étape a été plus poussive que les jours précédents et que l’arrivée à l’hôtel à Villagio Mancuso a été appréciée.
Il me reste à organiser l’étape de demain, en espérant trouver une solution pour qu’elle me permette de récupérer un peu.

19 avril : Villagio Mancuso – Lago Ampollino

Surprenante Calabre ! Hier, en traversant Tiriolo avec ses maisons accrochées à flanc de colline, j’étais en Calabre. À la fin de l’étape, le doute était permis. Je venais de passer le long du lac Passante, cerné de forêt avec un relief tout en douceur. À Villagio Mancuso, les maisons de bois, colorées sont nichées au milieu de pins. L’ensemble est en bon état, beaucoup plus que dans l’Aspromonte. Des panneaux signalent les départs de sentiers. Cela respire une certaine aisance.
Il était difficile de s’imaginer en Calabre. J’avais plutôt l’impression d’être en Scandinavie ou au Canada.
La journée d’aujourd’hui se déroule dans ce cadre idyllique. Une étape raisonnable mais non négligeable avec 32 kilomètres, des chemins agréables, une température idéale, tous les ingrédients sont réunis pour une belle journée.

Dans le parc de la Sila
Dans le parc de la Sila

La marche dans ces paysages est magnifique et je termine l’étape au bord du beau lac Ampollino dans un hôtel très confortable. C’est presque trop pour une seule et même journée !

20 avril : Lago Ampollino – Lago Arvo

Je longe sur plus de 10 kilomètres le lac Ampollino. J’ai beau faire des efforts, me répéter dans ma tête « je suis en Calabre », rien ne me ramène au sud de l’Italie. Le paysage est superbe. Je fais un festin de couleurs : le bleu profond du lac en premier plan puis toutes les nuances de vert, vert tendre des jeunes pousses des arbres, vert prairie, vert soutenu des forêts de pins, les tapis de fleurs, jaune pissenlit, blanc des pâquerettes, narcisses et des cerisiers en fleur, violettes, enfin le bleu sans un nuage du ciel. Ce festin se prolonge à la fin de l’étape avec l’arrivée sur le lac Arvo.

Lago Arvo
Lago Arvo

Superbe Sila. Je termine ma deuxième journée dans le parc national et j’ai eu deux journées exceptionnelles. J’en profite, je vais arriver sur des étapes de transition et la météo est plus incertaine pour la fin de la semaine.

21 avril : Lago Arvo – Cosenza

Avant de quitter la belle Sila, je passe par son point culminant, le mont Donato, à 1928 mètres d’altitude. À la montée et un peu plus versant nord, je marche sur la neige. Oh pas un glacier, ni même un névé, je n’ai pas eu besoin de crampons ou piolet mais il restait à l’ombre un peu de neige. C’est presque surprenant à cette latitude pour une fin avril.
Du sommet, au loin, très au loin, le cône de l’Etna se devine. Comme un pied de nez, il est cette fois bien dégagé. Les îles Éoliennes sur la mer Tyrrheniénne se distinguent aussi. Côté sud, je peux voir les massifs traversés ces derniers jours et au nord le Pollino ferme l’horizon. J’y serai les prochains jours.
Une longue descente m’attend maintenant jusqu’à Cosenza, capitale de sa province. C’est une des rares villes que je dois traverser durant tout mon circuit.

Cosenza
Cosenza

Comme la plupart des localités de Calabre, son histoire a été marquée par de terribles tremblements de terre. Du coup, contrairement aux Pouilles, les centres villes sont plus récents et beaucoup de monuments sont en fait des reconstructions.
Reggio Calabria en a subi un en 1908 suivi d’un tsunami. L’architecture Liberty du XXème siècle est un de ses principaux attraits.
Serra San Bruno a été détruit en 1783. À Cosenza, c’était en 1638.
Tiens, l’an dernier jour pour jour, je passais le col de Tashi Lapsa, dernière difficulté de mon trek au Népal. Il ne me restait plus qu’à redescendre tranquillement vers Katmandou…

22 avril : Cosenza – Fuscaldo (Scarcelli)

Autant Reggio Calabria faisait ville assez prospère, presque du nord de l’Italie, autant Cosenza se rapproche de l’image que l’on peut avoir d’une ville du sud de l’Europe.
La longue et large avenue piétonne de Reggio est bordée par les enseignes italiennes à la monde. Le soir, à l’heure de la passegiata, la grande artère de Reggio est noire de monde. Les tenues sont élégantes.

Dans la vieille ville de Cosenza
Dans la vieille ville de Cosenza

À Cosenza (il est vrai que je suis resté dans la vieille ville), c’est un labyrinthe de ruelles, passages couverts. Beaucoup de bâtiments sont vétustes. Il y a encore beaucoup de petits commerces, d’artisans, de petits ateliers. L’ensemble a du charme mais donne une impression de pauvreté. La Calabre partage avec la Sicile un taux record de chômage pour la péninsule. Il dépasse les 20% dans les deux régions.
Je retrouve aussi, en quittant Cosenza, une caractéristique que j’avais notée en Sicile : les dépôts d’ordures en bord de route. Dans certains cas, ce sont presque des décharges. On m’a bien dit que le service de ramassage se chargeait de les enlever, j’ai quelques doutes vu l’ancienneté de certains sacs éventrés.
Je ne suis pas mécontent de remonter dans les montagnes. Avant cela, une dernière épreuve m’attend : quitter l’environnement urbain et péri-urbain autour de Cosenza. Comme hier, j’ai une bonne dizaine de kilomètres le long de routes pour remonter sur l’autre versant. Les Fangio calabrais rasent les virages tout en consultant leurs SMS. Je me serre contre le bas-côté.
Après Morana, je retrouve le calme puis sur les crêtes, je suis à nouveau dans mon environnement : de beaux chemins forestiers. La végétation est toujours aussi verte, plus océanique que méditerranéenne. Les températures sont aussi étonnamment fraîches. En milieu d’après-midi, alors que je marche, j’ai froid. L’intention première de dormir sur les crêtes est donc abandonnée. Je n’ai pas l’équipement pour dormir avec des températures basses. J’attaque donc la descente vers la côte. Je cherche bien un coin pour poser la tente mais je ne trouve pas d’endroit plat et avec de l’eau à proximité. Dommage pour une belle plateforme qui dominait la côte. À force de descendre, j’arrive presque au niveau de la mer et je termine, après 42 kilomètres, dans un classique Bed and breakfast.

23 avril : Fuscaldo (Scarcelli) – Cetraro

Surprenante Calabre, après avoir traversé des paysages scandinaves, vosgiens, me voilà maintenant en Occitanie. À l’heure de la grande région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées qui va peut-être s’appeler Occitanie ou Languedoc, je passe aujourd’hui par le point le plus excentré de langue d’oc et plus précisément du provençal, Guardia Piemontese ou La Gàrdia.

Guardia Piemontese - La Gàrdia
Guardia Piemontese – La Gàrdia

Cela pourrait rester une anecdote amusante si ce n’était dû à une tragédie de l’histoire. La ville a été peuplée par des habitants des vallées occitanes du Piémont fuyant l’inquisition contre les Vaudois. Plusieurs localités de Calabre seront peuplées des adeptes de cette religion proche de la réforme Calviniste. Mais ils ne trouveront pas la paix dans leur nouvelle région. L’église catholique lancera une croisade contre eux entraînant conversions de force et massacres. Le 3 juin 1561, on estime qu’à Guardia Piemontese, 2000 vaudois ont été massacrés. Une porte de la ville est nommée Pòrta dal sang (Porta del Sangue) car, raconte-t-on, le sang coulait jusque là.
Occitane, la ville tente de maintenir cet héritage. Les rues portent la double inscription italien et gardiòl (le dialecte proche du provençal). Un institut et un musée sont consacrés à la culture occitane.
La Calabre compte d’autres minorités. Ce matin, à la sortie de Fuscaldo, certains panneaux routiers étaient bilingues italien et albanais. Il y a en Calabre comme en Sicile (j’étais passé au bord du lac de Piana degli Albanesi) des villages qui ont été peuplés par les albanais fuyant les ottomans.
Il y a aussi quelques minorités qui parlent le griko, un dialecte grec en voie de disparition.
Un village de Calabre a fait de l’accueil des immigrés un moyen pour se repeupler. Riace, dont la population chutait, à accueilli ces dernières années des milliers d’immigrés, kurdes d’abord puis d’origines diverses. Sa population est remontée de 900 à plus de 2000 habitants. Le village revit grâce à cette politique d’accueil.
Occitane, albanaise, kurde, la Calabre terre d’émigration a su et sait aussi être une terre d’accueil.
Je termine mon petit passage maritime de la Calabre. La côte, urbanisée avec autoroute et voie ferrée se prête peu à la marche. Je ne vais maintenant revoir la mer qu’en Ligurie, plus de 1000 kilomètres au nord.

24 avril : Cetraro – Refuge de Sant’Agata di Esaro

Sous un ciel menaçant, je quitte le bord de mer pour rapidement prendre de la hauteur. Je laisse l’autoroute, la voie ferrée et les zones urbanisées pour retrouver des chemins dans la montagne. Il fait toujours aussi frais. Sur les crêtes, je retrouve aussi cette brume humide. Je ne sais pas si je vais finir par avoir chaud en Calabre. En tout cas, cela me permet d’avancer à un bon rythme. C’est pas un temps à flemmarder. Quand je m’arrête, j’ai rapidement froid.
J’arrive ainsi à Sant’Agata di Esaro plus tôt que prévu, d’autant plus que j’ai trouvé un agréable chemin plus direct que celui que j’envisageais.
Du coup, je ne sais pas trop si je continue ou si je me fais aujourd’hui une petite étape. Après la pause café, je croise le maire du village. Il s’apprête à faire cet été le chemin portugais. On discute et il me parle d’un nouveau refuge non gardé mais ouvert en permanence, inauguré il y a 5 mois au dessus de Sant’Agata. Ni une ni deux, il m’envoie à un agriturismo pour que l’on me donne de quoi manger ce soir. La question de s’arrêter ne se pose plus. Je repars chargé de victuailles, viande, paquet de pâtes, légumes et champignons cuits, gâteau au piment, pain.
Après 7 kilomètres à monter, je trouve mon nid douillet. Un chalet en bois, tout neuf avec toilettes, lavabo, évier, électricité solaire (avec batterie) et une cheminée.
Après la toilette dans ma « salle de bain », je m’installe au chaud au coin de la cheminée alors que le vent redouble à l’extérieur.

Refuge Le Vasche Montea - Sant'Agata di Esaro
Refuge Le Vasche Montea – Sant’Agata di Esaro

Je suis confortablement installé, au chaud, bien-sûr seul et isolé dans la montagne à 970 mètres d’altitude dans le parc national du Pollino.

25 avril : Refuge de Sant’Agata di Esaro – San Sosti

Le chauffage est encore allumé dans mon hôtel à San Sosti et je le supporte. Pourtant, le village n’est qu’à 360 mètres d’altitude et nous sommes fin avril, au fin fond du sud de l’Italie. Je n’en fini pas d’être surpris par la Calabre.
Les minimales prévues à cette altitude sont de 6°C. Dans ces conditions, je dois adapter mes étapes. Je ne peux envisager de dormir, comme c’était prévu autour de 1600 mètres d’altitude. Je n’ai pas l’équipement pour. D’autant plus qu’avec le froid, j’ai aujourd’hui la pluie et, ici quand il pleut, ce n’est pas à moitié.
Pourtant quand je suis parti ce matin, j’étais plutôt optimiste. Il y avait même quelques éclaircies. Certes, la nuit le vent avait soufflé fort et de fortes averses étaient tombées. Dans mon chalet, chauffé par un bon feu de bois, je m’en moquais.
Rapidement, le ciel s’est obscurci. Dans la forêt, je marchais presque dans la pénombre. Puis le déluge s’est abattu, tantôt sous forme de grêle, tantôt tout simplement des trombes d’eau. Pour corser le tout, je me suis trompé de chemin et par des pentes devenues glissantes, ai fini par rejoindre le Sanctuaire de Pettoruto. Trempé, la Madonne n’a eu droit qu’à une rapide visite.

Madonna di Pettoruto et les montagnes du Pollino
Madonna di Pettoruto et les montagnes du Pollino

Je suis descendu à vive allure et toujours sous la pluie à San Sosti.
12 kilomètres aujourd’hui, demain sera un autre jour, je m’installe dans ma chambre chauffée et fait sécher mes affaires.

26 avril : San Sosti – Tavolara

Ce matin, aucun nuage ne vient troubler ce ciel d’un bleu limpide comme on en voit qu’en hiver. Il fait frais. Les sommets sont couverts de la neige tombée la veille. Je m’engage dans une traversée du parc du Pollino. Morano Calabro, la prochaine localité est à 46 kilomètres.
J’ai appelé les différents refuges qui se trouvent avant mais aucun ne peut m’héberger. Deux sont fermés et sans local hiver pour pouvoir s’abriter et un est pris entièrement par un groupe. Comme il y a peu de randonneurs, beaucoup de refuges sont définitivement fermés ou tombent en ruine. Ceux qui sont ouverts sont souvent accessibles en voiture et en fait arrivent à fonctionner avec les touristes. La culture de l’accueil du randonneur n’est pas présente et quand j’ai appelé, je n’ai pas senti une grande préoccupation pour mon problème d’hébergement. Au refuge de Piano di Lanzo, mon interlocuteur m’avait dit qu’il n’y avait pas de local ouvert, pourtant en passant devant, j’en ai vu un où il y avait même une cheminée. Au refuge complet, j’ai bien proposé de dormir sur mon matelas de sol mais ce n’est pas possible. Au grand centre de montagne de Novacco, j’ai aussi demandé s’il n’y avait pas un endroit abrité mais non, pourtant le lendemain matin, il y avait une voiture et une cheminée fumait, le gardien du bâtiment sûrement.
Tant pis, je quitte San Sosti avec plus ou moins l’intention d’aller jusqu’à Morano Calabro. J’attaque directement par une montée qui doit m’amener vers 1600 mètres d’altitude. À 1000 mètres, je commence à trouver traces de la neige tombée hier. Au fur à mesure que je monte, le paysage se fait hivernal et je finis par marcher dans un paysage recouvert de neige fraîche. Surprenante Calabre ! Je ne m’attendais certainement pas à marcher des heures sur la neige en cette fin avril.

Dans le parc du Pollino, fin avril
Dans le parc du Pollino, fin avril

Du coup, le sentier est plus difficile à trouver. Même avec une trace GPS, je dévie facilement. Les parties en dévers avec cette neige sont délicats.
À midi, j’arrive au premier refuge. La partie ouverte est rudimentaire mais cela a le mérite d’exister. Il est encore tôt, je continue.
Le paysage avec ses arbres avec leurs feuilles printanières, la neige, la côte Ionienne au fond est surprenant. J’alterne des passages agréables sur des pistes forestières tapissées par cette fine couche de neige qui porte bien et gomme les aspérités du chemin et des sentiers en dévers ou je cherche en permanence mon chemin.
J’ai fait 27 kilomètres et il est 15 heures quand j’arrive vers des cabanes de bergers. La première est grande mais la porte est cadenassée. La seconde est plus sommaire mais il y a un matelas et un poêle. Je décide de m’installer. Morano Calabro est encore à environ 20 kilomètres soit 5 heures de marche et je ne sais pas si je vais trouver mieux d’ici là.
Je fais ma tournée d’inspection des environs et finalement une porte à l’arrière de la grande cabane est ouverte. Et là, c’est presque le grand confort : une salle de bain, une cuisine avec poêle et gazinière. Finalement, là où je m’attendais à une nuit dans des conditions précaires, je me retrouve à préparer un repas chaud et passer la soirée à côté du poêle.

27 avril : Tavolara – Morano Calabro

Je termine ma traversée de la Calabre.  Demain, je passe en Basilicate. Je vais quitter le pied de la botte pour attaquer la remontée de la jambe. À peine, me direz-vous ? Et oui, le compteur va dépasser les 1000 kilomètres demain et je n’en suis qu’à la fin de la Calabre.
Comme pour la Sicile, j’ai marché environ 500 kilomètres. Je m’attendais à un parcours montagneux et sauvage. Je l’ai eu. Pour le reste, la Calabre m’a surpris. Elle est multiple, un peu scandinave, vosgienne, écossaise, occitane, albanaise et bien sûr calabraise. On peut passer de l’un à l’autre dans la même journée. Aujourd’hui, certains paysages avaient un goût de Highlands écossais avec des reliefs dénudés, des chevaux puis à l’arrivée, Morano Calabro sur sa colline ramène en Calabre.

Morano Calabro et les montagnes du Pollino
Morano Calabro et les montagnes du Pollino

J’ai été surpris par le climat et la végétation. Sans parler des deux journées précédentes exceptionnelles avec de la neige fin avril, j’ai eu plutôt froid que chaud. J’ai marché 500 kilomètres dans une végétation plus océanique que méditerranéenne avec de belles forêts, des prairies verdoyantes.
Et puis les calabrais jouent peut-être de leur réputation de bandits. Je les ai trouvés ouverts, accueillants et serviables.
Mais c’est déjà fini pour la Calabre. Je l’ai traversée à un rythme soutenu le plus souvent dû à la difficulté pour trouver un hébergement.
Un court passage en Basilicate m’attend avant de traverser la Campanie (région de Naples). Cela devrait être en continuité avec ce que je viens de faire : parcs nationaux et montagnes.

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Basilicate – Campanie

28 avril :  Morano Calabro – Cornale 

Il m’est arrivé une chose incroyable aujourd’hui. Je sais que vous n’allez pas me croire ; vous allez penser que n’ayant rien de spécial à raconter, je n’ai trouvé que cela pour écrire ma page quotidienne. Après 35 jours de marche et 1000 kilomètres parcourus, j’ai rencontré un randonneur. Pas un promeneur comme dans la réserve naturelle de Zingaro en Sicile, comme ceux que j’y ai vu qui marchent avec la grand mère de 90 ans et le petit dernier de 3 ans, non un vrai randonneur avec sac à dos et bâton de marche. Il ne pouvait bien-sûr pas être italien. C’était un français qui faisait l’ascension du mont Pollino. Il a dû me trouver bavard et à un moment a écourté la conversation pour aller gravir sa montagne.
Ce qui n’est pas exceptionnel, c’est que j’ai eu une nouvelle belle étape. Je les enfile comme les perles d’un collier. À ce rythme, le collier de perles va finir par être impressionnant en longueur. J’ai laissé le joli village de Morano Calabro sur sa colline avec derrière les montagnes que je venais de traverser pour monter vers un col à 1700 mètres d’altitude au pied du mont Pollino. Le sentier, bien balisé monte dans la forêt. Au col les sommets gardent quelques traces des dernières chutes de neige. Des prairies avec des chevaux, des fleurs complètent le paysage.

Le mont Pollino
Le mont Pollino

Après être sorti des montagnes, j’ai réussi à passer en plusieurs endroits sur des chemins et éviter ainsi la route, ce qui me procure à chaque fois une certaine satisfaction.
Bref une nouvelle belle journée. J’ai comme l’impression que le binôme Basilicate-Campanie veut se mettre au niveau de la Sicile et de la Calabre.

29 avril :  Cornale – Frusci

Hier, j’ai rencontré mon premier randonneur ; du coup hier soir, seul à dîner et dormir dans mon agriturismo de 20 chambres, j’essayais de me souvenir où je n’avais pas été le seul client. Dans la bergerie de Tavolara ou le refuge de Sant’Agata, c’est bien-sûr normal. Dans la plupart des Bed and breakfast que je fréquente, pourquoi pas ; avec une poignée de chambres, les chances qu’il y ait d’autres clients sont minces.  Mais j’étais seul aussi à l’hôtel de San Sosti, de Cetraro, de Villagio Palumbo. Tous ces établissements ont pourtant des dizaines de chambres. Il y avait quelques travailleurs à l’hôtel de Villagio Mancuso et quelques clients dans les villes où je me suis arrêté comme Cosenza ou Reggio Calabria. Les hôteliers me disent qu’en fait, il y a du monde uniquement en juillet et en août. C’est compréhensible que de nombreux établissements ne tiennent pas le coup et sont fermés.
En fait, la dernière fois que je suis resté dans un hôtel fréquenté, c’était il y a plus d’un mois, sur la côte sicilienne à Scopello à côté de la réserve naturelle de Zingaro.
Je ne pense pas que c’est ce soir que je vais rencontrer du monde. Arrivé à Latrónico vers midi, j’ai continué à monter pour contourner le Monte Alpi sans savoir où je pouvais dormir le soir. La pluie est arrivée en cours d’après-midi. Avec l’altitude (un passage à 1400 mètres) et les températures fraîches, j’ai fait un premier arrêt dans une espèce de remise très rustique. Une petite accalmie m’a incité à poursuivre en pensant que de toutes façons, je trouverai mieux que cette remise.

Ciel menaçant sur Latrónico
Ciel menaçant sur Latrónico

Deuxième arrêt, à Bosco Favino ; je sais que le refuge est fermé mais j’espère trouver quand même un espace abrité. Mais non, par contre, à côté, un local d’exposition sur la nature est ouvert. L’endroit, une simple salle a le mérite d’être propre et abrité mais c’est à peu près tout. Je suis resté un moment à attendre, à me demander si je tente ma chance plus loin ou me satisfais de ce local. Comme je suis assez joueur, j’ai décidé de poursuivre. Peut-être trouverai-je une bergerie de luxe comme après San Sosti.
C’est à Frusci que la chance m’a souri. Il y a un restaurant. L’endroit ne paye pas de mine et semble même fermé. Je passe par derrière et trouve un couple de vieux dont on pense qu’ils ont dû ouvrir le restaurant dans leur jeunesse. À Latrònico, on m’a dit qu’ils n’avaient pas de chambres et je pense juste demander si je peux planter ma tente à côté et manger là ce soir. Non seulement, c’est possible de dîner ce soir mais ils ont en plus des chambres confortables, chauffées et avec salles de bain.
C’est presque certain que je serai à nouveau seul ce soir mais en tout cas, je suis confortablement installé et au chaud.

30 avril :  Frusci – Lagonegro

Bien-sûr, j’étais le seul client hier soir. Nous avons dîné dans la salle à manger familiale, les propriétaires et un couple de la famille. Le restaurant existe depuis les années 60 et le propriétaire, Giuseppe va sur ses 80 ans. Deux amis sont arrivés au cours du repas. La cheminée chauffait la salle. Le repas comme souvent en Italie, était copieux : antipasti, pasti, sanglier avec des choux de Bruxelles, agneau grillé à la cheminée, fruits, tout cela largement arrosé de vin rouge. Pour faire digérer le repas Giuseppe est allé cherché sa grappa, un petit 50° parfumé avec de l’orange et du citron.
Les convives étaient intrigués par ma marche. Puis les discussions ont tourné autour de la politique. J’ai laissé le couple et les amis et, repu, je suis allé me coucher dans ma chambre bien chauffée. C’était une soirée de fin avril en Basilicate, au sud de l’Italie.
Le matin avant de partir, Giuseppe m’a bien proposé de reprendre de la grappa mais j’ai sagement refusé. Le matin au petit déjeuner, c’est un peu raide à avaler et puis une nouvelle étape de transition m’attendais. Toujours imaginée à partir de vues satellites et de l’examen des cartes topographiques italiennes, elle s’est superbement déroulée. Au dernier moment, j’ai changé d’option et opté pour un contournement par le sud du mont Sirino. Contournement est un grand mot car en fait, je suis passé à 1907 mètres d’altitude alors que le sommet est lui a 2005 mètres.
Du coup l’étape était assez physique avec pas mal de dénivelés mais tout le chemin en hauteur offrait de belles vues dominantes sur presque 360°.

Le monte Alpi dans la montée vers le mont Sirino
Le monte Alpi dans la montée vers le mont Sirino

Demain 1er mai est jour chômé. J’ai donc prévu de ne pas travailler et de rester à Lagonegro.
En fait les prévisions météo sont mauvaises : pluie toute la journée, températures en baisse. Je n’ai aucune envie de me lancer sur une étape de 30 kilomètres en partie en moyenne montagne avec peu de possibilités d’arrêt sur le parcours.

2 mai :  Lagonegro – Sanza

Premier mai pluvieux à Lagonegro. La visite de la ville est rapide, pas seulement à cause de la météo mais tout simplement parce que Lagonegro n’est pas une destination touristique phare. La principale attraction que s’attribue les locaux serait le tombeau de Mona Lisa. Cela est réfuté par l’ensemble des historiens et on sent bien là qu’il s’agit d’une manœuvre un peu désespérée des édiles locaux pour attirer les touristes.

Le bourg médiéval de Lagonegro
Le bourg médiéval de Lagonegro

J’ai quand même mis à profit cette journée pour faire un achat nécessaire à la poursuite de ma marche dans le sud de l’Italie au mois de mai : une doudoune. J’ai longtemps retardé cet achat, me disant que bientôt j’aurai à subir les premières chaleurs. Les prévisions pour la semaine à venir m’ont fait changé de position. Il n’y a pas d’évolutions significatives attendues. Acheter une doudoune un dimanche premier mai à Lagonegro relève un peu de l’impossible mais j’ai réussi à trouver mon bonheur. J’ai été très souple sur les tailles, les couleurs et les modèles et en fin de matinée, j’ai immédiatement revêtu cette magnifique doudoune XL vert pomme achetée dans le rayon femmes et ma foi, cela apporte un supplément de chaleur. Et avec ma veste imperméable par dessus, je suis presque élégant.
Redémarrer sous un temps toujours froid, gris et un peu pluvieux n’est pas hyper attrayant. En prime, j’attaque avec 14 kilomètres de bitume et je n’aime pas cela. Pour me mettre du baume au cœur, je me dis que j’ai de la chance d’avoir ce temps sur une étape comme celle-là plutôt que sur une belle de montagne. Et puis avec la pluie, il n’est pas plus mal de marcher sur du bitume plutôt que sur des chemins détrempés ; les chaussures restent ainsi sèches plus longtemps.
Heureusement aussi, toute une partie est interdite à la circulation ce qui ici signifie qu’il y a tout simplement moins de voitures.
Avec ce temps frais, ce parcours sans trop de dénivelés et moitié bitume moitié chemins, les 31 kilomètres jusqu’à Sanza sont vite avalés. J’ai tout le temps ensuite de me balader dans le village bien au chaud avec ma doudoune vert pomme.

3 mai :  Sanza – Roscigno

Bon, saint Mamert, saint Pancrace et saint Servais, les saints de glace, assez joué. On rentre à la maison. On vous attend en France. Ici, on est en Italie et même en Campanie, au sud de Naples. Au Pollino, cela m’a amusé ; de la neige fraîche fin avril, c’était insolite ; en plus, il faisait beau et cela m’a permis de faire de belles photos.
Là, pour le Mont Cervati,  vous avez poussé le bouchon trop loin. La Madonna della Neve a bien porté son nom. À 1850 mètres d’altitude juste sous le Mont Cervati, j’ai réalisé une hivernale pour l’atteindre : violentes rafales de vent, froid, mélange pluie et neige, petites congères. J’ai marché tête baissé, complètement couvert, mains au chaud dans les poches. À côté de cela, le circuit des trois cols au Népal, c’est de la roupie de sansonnet.

Monte Cervati
Monte Cervati

J’ai quand même réussi à passer le Monte Cervati (enfin, juste en dessous). C’est quand même pratiquement le point culminant de la Campanie (il y a un sommet plus haut à la limite du Molise, là où je vais passer à la fin de la traversée de cette région). Il paraît que de là haut, on voit le Vésuve et le Stromboli. Quand je voyais la marque rouge et blanche devant moi, j’étais content.
Du coup à Piaggine, j’ai laissé le Sentiero Italia et ai pris une option plus directe et surtout qui traverse plus de villages. Cela m’évite la gestion d’une nuit en montagne. Après 36 kilomètres, à Roscigno avec le relief calcaire, la végétation méditerranéenne, les champs d’oliviers, les coquelicots et même un fugace rayon de soleil, j’ai dû mal à imaginer que ce matin, j’affrontais des conditions hivernales sous le mont Cervati.

4 mai :  Roscigno – Postiglione

Ma traversée du parc national du Cilento aura été rapide. Après la journée hivernale hier, le temps aujourd’hui me permet de profiter avec juste quelques gouttes des paysages de ce parc. Le relief calcaire, la végétation méditerranéenne changent de ce que j’ai eu l’occasion de voir jusque-là. Je traverse aussi quelques villages et là pas de doutes, je suis en Italie. Les hommes, plutôt âgés, discutent autour de la place de village. Dans les bars, et on trouve facilement des bars dans ces villages, il n’y a aussi que des hommes. Ils tapent souvent le carton autour d’une table ou après avoir bu un coup rapidement, passent au bar suivant. Après le selon buongiorno, buona sera ou salve, je poursuis mon chemin. Les rares femmes que je vois sont souvent au balcon à étendre le linge. Les autres doivent être à la cuisine.

Le vieux village de Roscigno
Le vieux village de Roscigno

Ce soir, à Postiglione, je suis dans un site superbe. Je domine le golfe de Salerne avec au fond la côte Amalfitaine, le Vésuve et Capri. Et puis, fait exceptionnel, pour ma traditionnelle bière, je discute avec Stefano, un amateur de randonnée en montagne. Il y a pas mal de jeunes, l’ambiance est conviviale et les tournées s’enchaînent. C’est aussi le plaisir de cette marche : arriver dans un village sans savoir si je vais trouver un endroit pour dormir et puis finalement, se trouver un superbe Bed and breakfast et passer une bonne soirée dans un bar.

5 mai :  Postiglione – Acerno

Le Christ s’est arrêté à Eboli. Avec ce titre, Carlo Levi illustre cette frontière avec au delà d’Eboli, les terres déshéritées du sud de l’Italie où Mussolini envoyait les exilés politiques. Le livre donne une image dure de ces régions pendant l’entre deux guerres avec la misère, la sécheresse, l’émigration.
Je viens de passer au nord d’Eboli ; je suis encore au sud de l’Italie mais j’avance. Bientôt, je serai au niveau de Naples.
Le Christ n’est pas allé plus loin qu’Eboli. Peut-être, a-t-il été rebuté par ce passage sur la strada statale 19. C’est vrai que cela fait partie des portions que j’ai vainement cherché à éviter. Mais pour traverser cette plaine et passer le pont sur le Sele, je n’ai pas trouvé d’autres solutions que ce bout de nationale. Ce ne sont pas les parties les plus attrayantes de mon itinéraire et du coup, je marche à un bon rythme sans flâner ou contempler le paysage.

Campagna au pied des montagnes du parc régional des monts Picentini
Campagna au pied des montagnes du parc régional des monts Picentini

Arrivé à Campagna, j’ai finalement poursuivi pour faire les 16 kilomètres supplémentaires jusqu’à Acerno. Au final, avec 41 kilomètres, l’étape est consistante. Mais surtout, passé Campagna, je me suis à nouveau retrouvé sur de beaux sentiers de montagne dans le parc régional des monts Picentini.
Le Christ n’est pas allé au delà d’Eboli. C’est dommage pour lui ; moi j’en viens et je ne regrette pas ce parcours dans le sud de l’Italie.

6 mai : Acerno – Serino

Le parc régional des monts Picentini n’est pas un parc renommé. J’ai d’ailleurs eu du mal à trouver des informations sur les chemins pour le traverser. Le site internet n’est pas particulièrement bien fait. Je n’ai collecté que des bouts de traces que j’ai essayé de relier entre elles.
Je suis donc presque surpris de trouver des bons sentiers, bien balisés et même par endroit remarquablement aménagés.
Je chemine avec plaisir. Le paysage est varié avec des sommets escarpés, des cascades, grottes, résurgences. Je retrouve aussi ces agréables chemins en sous bois avec des tapis de feuilles qui amortissent les pas.

Dans le parc régional des monts Picentini
Dans le parc régional des monts Picentini

Arrivé au vallon de la rivière Sàbato, il y a une option courte : redescendre directement le long de la rivière jusqu’à Serino. Il y a une option plus longue qui monte faire un grand tour du pic Terminio. On ne se refait pas, j’ai bien-sûr pris cette deuxième option. Je ne le regrette pas. Le chemin était beau et avant de redescendre, j’ai un superbe point de vue sur le golfe de Salerne, celui de Naples, le Vésuve et le relief calcaire et escarpé du pic Terminio.
J’avais par contre sous-estimé la longueur de l’étape. Entre les bouts de traces collectés, j’avais tracé des lignes presque droites et cela ne se passe pas ainsi en montagne. Résultat, j’enchaîne une nouvelle journée de 41 kilomètres avec plus de 11 heures de marche sans trop traîner. Ce soir, je ne prévois pas de sortir. C’est dîner à l’hôtel et au lit.

7 mai : Serino – Forcetelle

J’ai à nouveau une étape de liaison avec la plaine d’Avellino à traverser. Au fur et à mesure que je m’approche de Naples, l’espace est plus urbanisé. Pour le moment, je m’en tire plutôt bien. Hier, j’étais dans un environnement naturel toute la journée et aujourd’hui, j’alterne des bouts de chemins et des petites routes. Cela me permet de faire la liaison avec un nouveau parc : le parc régional du Partenio.
Par contre, je ne suis pas très heureux avec les différentes Madonne. Sur mon parcours, elle sont nombreuses. Dans chaque montagne se trouve au moins un sanctuaire. La Madonne de Pettoruto m’avait réservé pour mon passage des trombes d’eau. Trempé jusqu’aux os, je n’y avais fait qu’un bref passage pour vite me mettre au sec et au chaud à San Sosti. Celle des Neiges au mont Cervati avait sorti le grand jeu : neige, vent violent, froid, brouillard.
J’étais assez confiant avec celle de Montevergine. La journée était plutôt belle, ensoleillée et avec une température fraîche idéale pour marcher. Je n’ai eu droit qu’à quelques gouttes alors que depuis une semaine, je dois sortir le poncho tous les jours. Arrivé au sanctuaire à 1263 mètres d’altitude, je pensais me loger facilement. Manque de chance, l’hôtel indiqué sur le site de la mairie est fermé depuis 2 ans et la foresteria (accueil à l’intérieur du sanctuaire est en travaux depuis un an). Plutôt que de redescendre dans la vallée pour remonter demain, je préfère retenter l’expérience camping. Je prolonge jusqu’au refuge de Forcetelle. Je sais qu’il n’est pas gardé donc en principe fermé mais je tente ma chance.
La Madonna de Montevergine envoie un peu de pluie mais j’arrive à peu près sec. Le refuge a un vaste auvent où je vais pouvoir m’installer à l’abri. Il y a une cheminée qui va me permettre de me chauffer et préparer quelque chose de chaud ce soir. C’est plutôt pas mal même s’il manque un point d’eau. Je finis par être exigeant avec mes campements en montagne…

Les bonnes soirées au refuge de Forcetelle, assis sur un fauteuil et devant un feu de cheminée.
Les bonnes soirées au refuge de Forcetelle, assis sur un fauteuil et devant un feu de cheminée.

8 mai : Forcetelle – Airola

Heureusement que j’étais bien installé à l’abri. Il a plu une bonne partie de la nuit. Je ranime le feu pour me réchauffer avant de partir. J’ai passé une bonne nuit mais les températures à cette altitude sont encore fraîche. Il y a une petite gelée blanche.
Le sentier aujourd’hui est presque intégralement sur la ligne de crête dans le parc régional du Partenio. Je domine le golfe de Naples avec le Vésuve. Tout doucement, je suis en train de passer au nord de la ville.

Le Vésuve vu depuis le parc régional du Partenio
Le Vésuve vu depuis le parc régional du Partenio

Je redescend en fin de journée dans la plaine urbanisée. Demain, le programme est classique : grimper dans les montagnes, traverser un nouveau parc naturel, celui de Taburno et redescendre sur la plaine à la fin. Je n’ai pas pu collecter beaucoup d’informations sur les sentiers dans ce parc. J’espère ne pas galérer comme en cette fin de journée. Je ne sais pas si la trace que je suivais se perdait dans la végétation ou si j’ai loupé un embranchement. Toujours est-il que j’ai galéré un moment pour sortir des ronciers.
J’ai été content de trouver le bitume et d’arriver à mon hôtel à Airola.

9 mai : Airola – Telese Terme

Ces dernières étapes, j’ai accumulé dénivelés et kilomètres. Ce matin, au réveil cela se sent. Les muscles tirent. Ce n’est pas une journée où j’ai envie de me retrouver dans les broussailles. Je n’en ai d’ailleurs rarement envie.
Dans Airola, je suis un moment tenté de continuer à suivre les panneaux Via Francigena. Finalement, je les laisse. Cette voie continue dans la plaine, avec la circulation, le bitume et le bruit. Je prends droit devant moi vers les montagnes du parc régional de Taburno.

Le sentier montant dans le parc de Taburno
Le sentier montant dans le parc de Taburno

Le sentier est bon. Il monte régulièrement. J’apprécie rapidement de retrouver la nature et sa tranquillité. La suite est tout aussi agréable. Je préfère nettement les bons sentiers non balisés aux mauvais sentiers balisés.
Je comprends que les italiens (en tout cas, ceux du sud) ne soient pas des randonneurs. Avec de mauvaises cartes ou pas du tout de cartes, un mauvais balisage ou pas du tout de balisage et des sentiers souvent pas entretenus, la randonnée relèverait presque de l’exploit voire de l’inconscience !
Après plus de 6 semaines et plus de 1300 kilomètres, je n’ai toujours pas vu d’italien marcheur. Les rares que j’ai rencontrés sont des étrangers sûrement ignorant les difficultés de cet exercice dans ce pays.
Depuis le français rencontré, j’ai croisé deux hollandais et trois polonais qui faisaient de petites randonnées. Je pensais peut-être voir des italiens hier. C’était dimanche ; le parc du Partenio est un bel espace naturel et sauvage. Il est à une trentaine de kilomètres de Naples qui compte plus d’un million d’habitants. Mais non, j’ai aperçu des vététistes et croisé des motards en motocross mais pas de marcheurs.
Moi, je continue mon tour des parcs. La journée s’annonçait difficile. Elle a été belle et finalement avec 38 kilomètres, reste un étape tout à fait correcte…

10 mai :  Telese Terme – San Gregorio Matese

Ma campagne en Basilicate et Campanie aura duré 13 jours. J’ai parcouru 405 kilomètres et je passe, à San Gregorio Matese, ma dernière nuit dans la région de Naples avant de passer dans la petite région du Molise et de longer le Latium, la région de Rome à sa limite est avec les Abruzzes. Je vais progressivement changer de pays en quittant l’Italie du sud pour rejoindre l’Italie du Nord.
405 kilomètres en 13 jours soit plus de 30 kilomètres par jour, le rythme a été soutenu, d’autant plus que cela s’est apparenté aux montagnes russes : descente en plaine, montée vers les sommets quasiment tous les jours.
J’aurai largement enrichi ma connaissance des parcs italiens avec le Pollino, l’Apennino Lucano, le Cilento, Picentini, Partenio, Taburno et Matese pour terminer. J’aurai aussi eu toutes les saisons : l’hiver au mont Cervati avec neige, vent et froid, l’automne en altitude avec les arbres qui ont encore leurs couleurs rousses, le printemps bien sûr avec les verts tendres et les fleurs et l’été ces deux derniers jours. Hier soir, j’ai pu sortir sans ma doudoune vert pomme et ce matin, je suis parti directement en tenue estivale : short et tee-shirt.

En direction des monts du Matese
En direction des monts du Matese

Je continue avec la partie la plus montagneuse de mon parcours : les sommets du Matese puis de la Meta dans les Abruzzes. Encore de grosses journées à venir.

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Molise – Latium – Abruzzes

11 mai :  San Gregorio Matese – Roccamandolfi

C’est sûr que ce matin, je n’étais pas confiant pour cette étape de montagne quand la pluie a commencé à tomber. Les italiens ne sont pas, en plus du style à t’encourager. En gros, è lontano (c’est loin),  è pericoloso (c’est dangereux), il sentiero è brutto (le sentier est mauvais) et aujourd’hui il va pleuvoir toute la journée. Il y a parfois l’option avec les loups ou les sangliers qui peuvent t’attaquer. À la limite si je veux y aller, on me conseille de suivre la route. Le premier italien, vu ma détermination et après une moue sceptique me donne un parapluie. C’est dire son optimisme pour le temps d’aujourd’hui. Je peux l’en remercier car un peu plus loin, un violent orage éclate. J’arrive à trouver un abri. Là, un italien m’explique que c’est lontano, brutto, pericoloso et qu’il va pleuvoir toute la journée. Il me conseille de redescendre au village pour rester à l’auberge. Vu le mauvais accueil que j’y ai reçu hier, je n’en ai pas du tout envie. Je lui dis que je vais au moins essayer d’aller au lac de Matese à 6 kilomètres de là. Il y a des structures pour dormir. À moitié rassuré, il me conseille quand même de prendre la route.
La pluie se calme, je décide de poursuivre en prenant le sentier.
Au lac du Matese, compte tenu que c’est lontano, brutto, pericoloso et qu’il va pleuvoir toute la journée, je change d’itinéraire et opte pour une solution plus directe et plus basse pour rejoindre Roccamandolfi.
Finalement, j’ai réussi à rejoindre mon but sans que cela soit lontano, pericoloso, brutto et sans pluie toute la journée.
Avec 22 kilomètres, l’étape est raisonnable. C’est très bien après toutes ces grosses journées.
J’ai marché sur de beaux et bons sentiers même s’ils n’étaient pas toujours balisés.
Je n’ai toujours pas vu le loup. Les sangliers pas aujourd’hui, mais plusieurs fois j’ai croisé des hardes parfois de vingtaine d’animaux avec marcassins. C’est impressionnant comme les sangliers pullulent ici.

Le mont Miletto (2050m) dans le Matese
Le mont Miletto (2050m) dans le Matese

Et enfin, la pluie a rapidement cessé et j’ai pu profiter des beaux paysages du parc du Matese et notamment des cimes qui, à 2000 mètres d’altitude, conservent quelques plaques de neige.

12 mai : Roccamandolfi – Isernia

Le temps est à nouveau brutto ce matin, je dirais même bruttissimo. Je diffère mon départ et attends dans mon confortable hôtel tout en discutant avec les propriétaires. À la faveur d’une accalmie, je me décide à partir. L’accalmie est de courte durée et je me retrouve sous de fortes pluies et un vent violent. Le parapluie donné hier ne résiste pas à ces intempéries. Je progresse quand même dans un paysage de moyenne montagne. L’après-midi est plus clémente et me permet de profiter de beaux points de vue et d’arriver presque sec à Isernia.

Isernia et les sommets des Abruzzes
Isernia et les sommets des Abruzzes

Isernia est une des petites villes que je suis amené à traverser. Elle ne compte qu’une vingtaine de milliers d’habitants mais elle est tout de même capitale de sa province (l’équivalent de nos départements) qui fait partie du Molise, une des plus petites régions d’Italie.
Avec 20 régions, 110 provinces et plus de 8000 communes, l’organisation territoriale est assez similaire à celle de la France.
Les régions ont plus de pouvoirs que les notres notamment les cinq à statut spécial du fait de l’insularité ou de minorités linguistiques (Sicile, Sardaigne, Val d’Aoste, Trentin-Haut-Adige et Frioul-Vénétie-Julienne).
Les provinces n’ont pas l’ancienneté de nos départements. Elles datent de l’unité italienne ou sont encore plus récentes. La province d’Isernia a été créée en 1970 suite à la scission de la petite région du Molise en deux provinces.
Et un sujet d’actualité ici est la réforme territoriale. Il est prévu que les provinces perdent leur caractère d’élection directe. Le pouvoir des régions et des métropoles serait lui renforcé. Pas très original comme projet…la différence est que l’attachement à la province est moins important, du fait de leur existence assez récente, qu’à celle de nos départements.

13 mai : Isernia – Castel San Vincenzo

Depuis Cosenza en Calabre, cela fait 3 semaines que je n’étais pas passé par une ville. Avec 22000 habitants, Isernia n’est qu’une ville moyenne et j’ai pu m’y balader tranquillement. Le centre historique est agréable même si la ville a été détruite en plusieurs occasions. En 1805, elle est frappée par un tremblement de terre. Et puis surtout, elle fait partie comme Le Havre, Nantes ou Saint-Nazaire, des villes en grande partie rasées par l’aviation américaine. En septembre 1943, les bombardements font 500 victimes civiles. La plupart des monuments sont détruits. Isernia est un noeud de communication important qui se situait sur une ligne de défense allemande de la Méditerranée à l’Adriatique. Après le débarquement à Salerne, les alliés vont mettre 9 mois pour la franchir et s’ouvrir le chemin vers Rome.

Cerro al Volturno
Cerro al Volturno

Après cet intermède citadin, à Castel San Vincenzo, je me retrouve à nouveau dans un parc national, celui des Abruzzo, Lazio e Molise à la frontière de ces trois régions. Je vais attaquer le massif le plus haut de mon parcours avec des sommets à 2250 mètres. Je vais devoir affronter les loups (40-60 dans la zone du parc), les ours (environ 40), peut-être le lynx, certainement les sangliers.
Je crains surtout la météo qui est tout sauf stable.

14 mai : Castel San Vincenzo – Picinisco

Il va falloir que je regarde si le mot anticyclone existe en italien. Les Açores sont trop à l’ouest, ils ne doivent pas connaître. Je n’ai pratiquement pas eu depuis presque deux mois une longue séquence de beau temps. Quand aux températures, elle sont stables autour de 7-8°C pour les minimales et en-dessous des 20°C pour les maximales.
Il a encore plu une bonne partie de la nuit et je n’ai pas regretté d’avoir pris l’option bungalow plutôt que de monter ma petite tente.
Ce matin, la pluie a cessé. Il y même un timide rayon de soleil à travers les nuages. La météo annonce une journée nuageuse mais peu de précipitations. Malgré cela, je ne suis pas très optimiste avant d’attaquer cette étape dans les Abruzzes.
La montée est correcte mais quand j’arrive à 1700 mètres d’altitude, le temps se détériore. J’arrive au col sous la pluie dans la brume, le vent et le froid. Il est difficile de s’orienter et je repars…par où je suis monté. Je suis à un moment surpris par un arbre en travers du chemin identique à celui de la montée. Quand je sors mon téléphone, je me rends compte de mon erreur.
Je remonte au col. Les conditions ne sont pas meilleures. Elles empirent. Je dois encore monter à 1845 mètres d’altitude. Ce n’est pourtant pas l’Everest. Je fais face à un vent violent. Je prends dans la figure des averses de pluie et neige mêlées, un peu de grêle. Je suis maintenant trempé et malgré plusieurs couches, ma doudoune, je n’ai pas chaud.

Traversée du parc des Abruzzes
Traversée du parc des Abruzzes

Dans ces conditions, j’essaye de maintenir mon cap avec presque en permanence mon téléphone en main.
Passé le point haut, je revois nettement mes ambitions à la baisse. Je ne vais pas aller de l’autre côté. Arrivé à une petite station de ski, j’attaque une descente directe. Je cherche à perdre de l’altitude et me mettre au chaud. Et comme un général en retraite, je termine l’étape piteusement et trempé en descendant par la route.
On va vers l’été mais le temps se dégrade. Finalement, c’est en Sicile que j’ai eu les meilleures conditions alors que sur place, j’étais déçu du temps.
Ce soir, à Picinisco il me faut trouver une solution pour l’étape de demain. Je n’avais pas prévu de passer par là. Je n’envisage pas de remonter en altitude. Il risque d’y avoir du bitume…

15 mai : Picinisco – Sora

Je laisse les Abruzzes derrière moi. Ils gardent leurs mystères, enveloppés dans les nuages. Dommage car par beau temps, le parcours que j’avais concocté, semblait prometteur. Ce sera pour ma prochaine traversée de l’Italie à pied.
En restant à basse altitude, le temps est moins perturbé et en tous cas moins froid. En plus, j’ai finalement réussi à rejoindre Sora en marchant très souvent sur des sentiers et chemins. Cela m’a permis de bien avancer. Rome n’est qu’à 116 kilomètres de Sora.

San Donato Val di Comino
San Donato Val di Comino

Pour le reste, cela tient en quelques formules lapidaires : il a fait gris pratiquement toute la journée (c’était prévu) ; il a plu, un peu, l’après-midi (c’était aussi prévu) ; j’ai mis mon poncho comme d’habitude (même si la pluie n’a pas été très forte) ; la météo reste instable pour les jours à venir (j’ai l’habitude).

16 mai : Sora – Civita

Avec ces journées pluvieuses, marcher procure un plaisir disons plus diffus. L’esprit est plus tourné vers le but à atteindre. La principale satisfaction est d’avoir finalement réussi à faire l’étape.
Je n’aime pas particulièrement marcher sous la pluie. Il manque alors une des composantes et non la moindre de la marche, la contemplation de la nature, des paysages, de petits détails mis en lumière par un rayon de soleil. À l’arrivée au col dans les Abruzzes, ma première réaction aura été « Eh m…e ! ». Ce matin quand le soleil a éclairé le chemin, c’était de la satisfaction ; d’autant plus que compte tenu des prévisions, je savais que cela serait de courte durée.
Quand la pluie s’annonce, je n’aime pas ce moment où tu décides de t’équiper. Cela vient parfois de manière très progressive. Quelques gouttes mais mon optimisme fait que je résiste et puis finalement, il faut se rendre à l’évidence. Cela commence à être sérieux. D’autres fois, c’est brutal. Des trombes d’eau s’abattent subitement. Collé contre un tronc d’arbre ou sous un abri de fortune, tu cherches dans la précipitation les bas du pantalon, le poncho, le protège-sac. Et c’est toujours dans ces moments qu’un élément s’est perdu dans un coin du sac. Il y a la version comme aujourd’hui, et cela m’est déjà arrivé d’autres fois. Tu t’installes pour manger, les affaires sont éparpillées, et voilà que les premières gouttes tombent. Il ne reste plus qu’à adopter la position « grouper » : moi, le sac à dos, les victuailles et le tout couvert par le poncho.
Je n’aime pas le moment où ton équipement de protection est en train d’abandonner la partie. La pluie gagne et toutes les affaires s’imbibent d’eau. Les pieds font floc-floc dans les chaussures. La pluie ruisselle de partout.
Après, cela va mieux. Mouillé pour mouillé, la pluie peut continuer. Floc-floc, je marche et j’avance.

La chartreuse de Trisulti
La chartreuse de Trisulti

Aujourd’hui est une belle journée. J’ai eu la pluie pour manger, un peu ensuite, une averse de grêle et une fois arrivé à Civita, le ciel s’est mis à gronder et la pluie est arrivée et tombe en continu. Elle peut tomber comme hier avec des trombes d’eau pendant plusieurs heures, je m’en fiche, je suis au sec.

17 mai : Civita

Pluie. Combien de temps encore cela va-t-il être le sujet du jour ? Si j’en crois les prévisions météorologiques, à partir de la fin de cette semaine, cela devrait s’améliorer. En gros quand j’en aurai terminé avec les montagnes. Dans quelques jours, je vais me plaindre de la chaleur !
Pour aujourd’hui, les prévisions sont mauvaises. La température prévue est de 4°C pour les minimales et un 13°C quand la chaleur sera à son maximum…tout cela à l’altitude extrême où je me trouve : 850 mètres.
L’étape du jour prévoit de monter à 2000 mètres d’altitude, de cheminer en crête à cette hauteur, de passer par la station de ski de Campo Catino à 1800 mètres d’altitude avant de descendre sur Filettino qui se trouve encore à plus de 1000 mètres d’altitude. Autrement dit, avec ce que j’avais prévu dans les Abruzzes, c’est l’étape de montagne de mon Giro 2016.
J’ai eu l’occasion d’affronter un vent violent à te renverser dans le parc des Nebrodi, de marcher toute une journée sur la neige fraîche dans le Pollino, de passer le mont Cervati dans le vent, le froid et la neige, de lutter contre les éléments, brouillard, grêle, mélange neige et pluie dans les Abruzzes tout cela à des altitudes moindres. Depuis que j’ai passé le parc de la Sila, il y a 4 semaines, je suis sous un régime perturbé avec de temps en temps une belle journée et des perturbations qui se succèdent.
C’est dans cet état d’esprit que je monte ce matin sur la petite colline où j’arrive à avoir du réseau au-dessus du Bed and breakfast pour avoir les dernières prévisions. Elles sont toujours mauvaises. Pire, alors que déjà à 6 heures du matin, le ciel est noir et qu’il tombe quelques gouttes, la vue satellite montre une masse de nuages descendant du centre de l’Italie.

Les monts Ernici
Les monts Ernici

Il n’en fallait pas plus pour annihiler le peu de motivation qu’il restait. Je redescends dans mon Bed and breakfast. L’orage ne tarde pas à arriver avec son lot de fortes pluies et de grêle.
Je suis confortablement installé à Civita. Le poêle fonctionne. Je vais rester la journée au chaud et au sec. Umberto, le père et Giuliano son fils travaillent à la création d’une chambre supplémentaire. Hier, j’ai dîné avec Umberto qui, fait exceptionnel, est grand amateur de randonnée et membre du Club Alpin Italien.

18 mai : Civita – Filettino

La journée a été assez exceptionnelle. Tout d’abord, au réveil le ciel est bleu sans un nuage. Dans ces conditions, le démarrage se fait avec beaucoup plus d’entrain. La température est, je dirais, presque hivernale. En tout cas, idéale pour marcher. J’attaque rapidement la montée. J’ai 1300 mètres de dénivelés pour passer le point haut. Le sentier est bon, bien balisé. Je marche à un bon rythme en sous-bois, dans une forêt de hêtres.
Toujours exceptionnel, je rattrape un groupe de randonneurs. C’est la première fois que je rencontre des italiens qui marchent. Tout aussi exceptionnel, je vais en voir un autre plus haut. Cela fait beaucoup pour la même journée.
Au-dessus de la forêt, je poursuis sur un toujours bon sentier en crête. Les vues sont superbes. À ma droite, au loin les sommets des Abruzzes sont tout blancs couverts de neige fraîche. Devant moi, la succession de sommets vers lesquels je me dirige.

Le mont Viglio dans le parc des monts Simbruini
Le mont Viglio dans le parc des monts Simbruini

Je m’installe pour manger au point le plus haut de l’étape et probablement de tout mon parcours (1995 mètres d’altitude). Quelques nuages traînent dans le ciel, mais toujours exceptionnel, il ne se met pas à pleuvoir pendant que je mange.
Je poursuis en descendant sur Filettino et j’arrive les pieds secs à la fin de la journée.
Une journée complète au sec, de bons sentiers bien balisés, des rencontres dans la journée, j’ai du mal à y croire.
Finalement, la pause d’hier a été bénéfique. J’ai pu tranquillement aller visiter la Chartreuse. J’ai été reçu comme quelqu’un de la famille par Umberto et Giuliano. J’ai patienté confortablement installé et laissé passer cette journée de mauvais temps. Et au final, j’ai pu pleinement profiter de cette étape.

19 mai : Filettino – Camerata Nuova

La trace GPS que j’ai travaillée avant de partir est le fil conducteur de mon parcours. J’ai passé beaucoup de temps à la constituer, à rechercher des informations sur internet, à télécharger des bouts de traces, à examiner des cartes topographiques et des vues de satellites. Les 2663 kilomètres tracés de Marettimo à Saint-Raphaël sont un peu ma ligne de vie. Je peux m’en écarter pour des raisons de mauvais temps comme dans le Cilento ou les Abruzzes. Sur le terrain, je m’engage parfois sur des sentiers dont j’ignorais l’existence. Je trouve ou récolte aussi localement des informations sur des options plus pertinentes que celles que j’avais prévues. Enfin, certaines de mes options s’avèrent impossibles sur le terrain. Mais c’est vrai que depuis le début, je la suis grosso modo.
Les prochaines étapes font partie de celles que j’ai imaginées ou bricolées sans avoir pu récolter beaucoup d’informations. Hier soir, j’ai un peu vainement cherché les possibilités d’hébergement après Filettino. Pour le premier soir je n’ai trouvé qu’un refuge non gardé au bout de 20 kilomètres, donc se retrouver en gros à midi dans un coin isolé sans grand chose à faire ou marcher plus de 40 kilomètres pour aller à Carsoli.
Ce matin à 6 heures, je me suis réveillé avec des doutes. Avec ma mauvaise connection réseau, je suis allé jeter un coup d’œil sur le site du parc régional des monts Lucrétili, un peu plus à l’est que le parcours initialement envisagé. Et là, une page sur les longs sentiers à travers le parc m’a subitement fait changer d’option pour les prochains jours.
Je pars donc ce matin en suivant encore ma trace mais en cours de journée, je m’en écarte. Je laisse ma « ligne de vie ». Pendant 2 à 3 jours, il va me falloir marcher sans. Je suis un peu dans la situation d’un enfant à qui on enlève les petites roulettes sur son vélo. Il arrive à avancer mais n’est pas en totale situation de sécurité.

Dans le parc régional des monts Simbruini
Dans le parc régional des monts Simbruini

Heureusement, les sentiers dans le parc régional des monts Simbruini sont bien balisés. C’est un régal de marcher dans ce parc. Le soleil joue avec les nuages et offre des éclairages superbes sur les forêts de hêtres qui sont en train de passer des couleurs de l’automne à celles du printemps. Avec les températures toujours hivernales et un relief tout en douceur, je marche d’un bon pas.
La pluie se met à tomber quand j’arrive à Camerata Nuova et me contraint à me réfugier dans un bar pour boire une bière. Je fais contre mauvaise fortune bon coeur et en profite pour étudier les différentes options. Je n’irai finalement pas plus loin. Demain, je quitte les monts Simbruini pour les monts Lucrétili en dehors de ma « ligne de vie ».

20 mai : Camerata Nuova – Orvinio

Rome n’est pas loin. À Riofreddo, je suis à moins de 60 kilomètres de la capitale. L’option prise hier s’avère bonne. Je reste dans un environnement naturel. Je passe la journée sur des sentiers. Certes, ils sont gorgés d’eau, certains sont même devenus des ruisseaux avec les fortes pluies d’hier soir mais cela me permet de traverser ce couloir de circulation entre Rome et l’Aquila sans bitume et passer au nord de la capitale. Il me reste maintenant à trouver une solution pour rejoindre la Via Francigena au niveau du lac de Bolsena.

Oricola et les monts Lucrétili
Oricola et les monts Lucrétili

Arrivé à Orvinio, j’hésite entre continuer ou m’arrêter. J’ai marché 28 kilomètres mais il est encore tôt. Quelques gouttes, un Bed et breakfast sur place, je ne vais finalement pas plus loin.
Le village fait partie des plus beaux villages d’Italie. Les propriétaires du Bed and breakfast sont accueillants. Je partage avec eux le déjeuner. Pour une journée d’improvisation, c’est une réussite.

21 mai : Orvinio – Poggio San Lorenzo

Je quitte Orvinio et le chaleureux Bed and breakfast de Simonetta et Maurizio pour un nouveau voyage.
Est-ce le seul fait de passer au nord de Rome ? Que de changements aujourd’hui !
D’abord, je suis sorti de l’hiver. Hier encore, en mangeant à midi, j’avais froid au mains. Il était rare que je puisse marcher en tee-shirt, en tout cas inenvisageable le matin avec autour de 4°C au démarrage. Aujourd’hui les températures ont fait un bond de 10°C. Je pars en tee-shirt. Je peux ranger ma doudoune vert pomme au fond du sac. La ressortir fin mai ou en juin dans le sud de l’Europe ne serait pas acceptable. Je vais pouvoir remonter le maillot de bain d’un cran.
Le changement est d’autant plus brutal que j’ai quitté les montagnes. D’un coup, elles ont disparu de mon champ de vision. Depuis que j’ai quitté Reggio Calabria le 12 avril, je monte, descend, marche en altitude. Ce matin, je fais une ultime montée sur la Cima Casarene à 1191 mètres d’altitude. Je n’aurai pratiquement plus l’occasion d’aller si haut.
Les sommets ont disparu, je traverse maintenant un paysage plus ouvert avec champs d’oliviers ; les cerises commencent à rougir ; il y a des vignes. Les villages sont moins espacés. J’ai l’impression de faire du tourisme : une chapelle romane à Poggio Moiano, une église du XIIème et un amphithéâtre romain à Monteleone Sabino.

Monteleone Sabino
Monteleone Sabino

J’ai aussi quitté les chemins des randonneurs de Club Alpin Italien pour des chemins de pèlerinages. Je suis sur la Via Francigena de San Francesco. S’il y a un chemin de pèlerinage en Italie qui a une portée religieuse, c’est bien celui-là. Il relie Saint-François d’Assise, dédié au patron de l’Italie à Rome. Du coup, ce soir à Poggio San Lorenzo, je dors à la Casa del Pellegrino.
Il fait bon. Sur la place, les enfants jouent ou mangent des glaces. La fanfare se met en place pour fêter le centenaire du village. Après les rudes étapes de montagne, l’atmosphère est estivale.

22 mai : Poggio San Lorenzo – Contigliano

Demain je quitte la région de Rome pour rentrer en Ombrie. Je change de cap et prends une orientation plus nord-est. Je vais rejoindre la Via Francigena que je suivrai ensuite en Toscane. Après un hiver en Latium, vais-je avoir un été en Toscane ?
Je prévois de passer par Orvieto, Sienne, San Gimigniano, Lucca, les Cinque Terre, Portofino. Cela ressemble au programme d’un circuit organisé en autocar sauf que je vais le faire sans autocar… Il reste encore environ 850 kilomètres à faire à pied pour arriver à Ventimille. Je pense en avoir pour un mois.
Aujourd’hui, j’ai passé le gros de la journée sur une bonne piste forestière en crête. Il n’y avait personne, pas de villages ni hameaux ou maison isolée. La température était idéale. Il y avait peu de dénivelés. J’étais à l’ombre d’une vaste forêt de chênes. J’ai mis la musique. Dans ces conditions, marcher n’est plus un effort mais que du plaisir.

Contigliano
Contigliano

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Ombrie – Toscane

23 mai : Contigliano – Croce San Valentino

Je poursuis mon chemin sur les traces de saint François d’Assise. Dans le couvent de Greccio, un jour de Noël, il a commémoré la naissance du Christ avec une crèche vivante. La tradition veut ainsi que saint François d’Assise soit à l’origine de la première crèche. Le lieu est suffisamment important pour avoir reçu les visites des papes Jean-Paul II et François. En fin de journée, je passe au couvent du Speco de Narni où le saint se recueillait dans des grottes.

Le couvent de Greccio
Le couvent de Greccio

Sur ce chemin, je croise quelques marcheurs ou pèlerins. En deux jours, j’ai vu plus de monde qu’en deux mois. Hier, alors que je marchais sur une petite route, certes tranquille mais avec rien d’extraordinaire, je me posais ces questions : connaissent-ils la beauté du parc de la Sila au printemps ? Ont-ils déjà vu les couleurs des forêts de hêtres du parc de Simbruini ? Ont-ils marché sur ces beaux sentiers en forêt dans l’Aspromonte ? Ont-ils déjà laissé Morano Calabro sur sa colline pour découvrir le mont Pollino au col de Gaudolino ? Ont-ils traversé les villages au pied des Madonie en Sicile ?
Je peux comprendre le pèlerin qui choisit de marcher à la découverte des lieux de la vie de saint François. J’ai du mal à comprendre les marcheurs qui vont privilégier ces chemins et ignorer tous ces superbes sentiers dans les parcs naturels italiens. Pourquoi, les chemins de pèlerinages sont-ils devenus populaires alors que les sentiers de randonnée le sont moins ?
Je comptais dormir au couvent du Speco mais ils n’accueillent plus les pèlerins. Je continue donc. Cette fois, j’ai laissé le chemin de saint François pour faire la liaison avec la Via Francigena.
Je marche sur un beau sentier à flanc. J’ai déjà fait 32 kilomètres et il m’en reste encore une petite dizaine si je veux aller à Narni quand je tombe sur une belle cabane propre avec une cheminée. La tentation est forte. Je pose mon sac et m’arrête là pour la nuit.

24 mai : Croce San Valentino – Amelia

Je suis progressivement en train de passer au nord de l’Italie. La traversée de Narni et la ville d’Amelia ce soir sont assez révélatrices de ce changement. Je suis assez loin des bourgs traversés dans le sud. Dans les alentours de ces deux villes, on voit des zones d’activité avec entreprises et usines. Les villas sont cossues et en tour cas ni bricolées, ni à moitié finies. Les centres villes font assez bourgeois. Je ne vois plus de décharges sauvages dans la campagne. Les prix s’élèvent tout doucement en montant. Le café est en train de passer de 70 centimes au plus bas à maintenant régulièrement 1 euro. Je ne trouve plus de bière à un euro. Quand je regarde la carte, Rome est maintenant clairement au sud de ma position.

Amelia
Amelia

Pour cette étape de liaison, j’ai bien avancé vers le nord. Je suis satisfait car j’ai réussi à éviter les routes et suis resté hors bitume toute la journée. J’ai même refait une portion de ronces et broussailles. C’est le risque quand on construit son parcours sans références. Au-dessus de San Pellegrino, un bon chemin s’est retrouvé de plus en plus envahi par les broussailles. Trop avancé, j’ai continué coincé entre le grillage de la carrière voisine et une végétation dense. J’ai fini par retomber sur mes pattes mais mes jambes sont marquées par les épines acérées de mes amies les ronces.

25 mai : Amelia – Civitella del Lago

Mon chemin est assez expérimental. Je l’ai déjà écrit, le peu de randonneurs et du coup le peu d’informations disponibles sur internet m’ont conduit à imaginer certaines liaisons.
Comme chaque soir, il y a un briefing très attendu par toute l’équipe. Moi et mon téléphone nous nous concertons. À l’appui pour examiner le trajet du lendemain : les mauvaises cartes topographiques italiennes, les vues aériennes (peu utiles pour les zones en forêt ou pour voir les ronciers) et les cartes Open Street Map (où apparaissent certains sentiers).
Hier soir, le briefing était important car l’étape d’aujourd’hui ne me satisfaisait pas. Il y avait trop de portions de routes. Donc, après examen, j’ai changé de parcours pour passer plus à l’ouest. Dès que j’ai quitté Amelia, je me suis retrouvé sur des chemins.
Expérimental, il l’est aussi en cours de journée. J’ai hésité à un carrefour entre poursuivre l’étape comme prévu vers le nord et Civitella del Lago ou carrément changer d’option et aller vers l’est. Plus loin, au Piano Puosi j’ai par contre modifié mon intention initiale et ai opté pour le passage par les crêtes et les petits sommets de Croce di Serra et Melizzole. La concertation avec le téléphone est plus facile qu’avec une autre personne. J’imagine les discussions quand il faut choisir entre le sentier qui descend comme l’invite gentiment le balisage ou le petit sommet plus haut voire les difficultés qu’il pourrait y avoir dans des cas comme hier empêtré dans les ronces où même les sangliers ne passent pas.

Le village de Melezzole avec au fond les Abruzzes
Le village de Melezzole avec au fond les Abruzzes

Parfois, les options sont mauvaises comme hier. Aujourd’hui, cela a été une réussite quasi complète. J’ai marché sur des chemins, des sentiers. Je n’ai pas eu de bitume. Le parcours en crête m’a offert de belles vues à l’est sur le mont Terminillo et au loin les Abruzzes enneigés, à l’ouest sur la plaine du Tibre et au nord sur le lac de Corbara, Orvieto au loin et la zone du Monte Rufeno.
Hélas, j’ai échoué juste avant l’arrivée, au lieu de suivre mon inspiration, j’ai suivi un panneau indiquant un sentier vers Civitella del Lago. Résultat, au lieu de faire 4 kilomètres pour arriver tranquillement au camping, j’en ai fait presque le double. Résultat, j’ai différé ma baignade dans la piscine du camping.
Ce soir le briefing est attendu. L’étape de demain pour Orvieto est assez bitume et à ce stade, je ne vois pas d’autres solutions.

26 mai : Civitella del Lago – Orvieto

J’ai attaqué mon troisième et dernier mois de marche. Depuis le 24 mars et mon départ de Marettimo, j’ai marché un peu plus de 1800 kilomètres en 61 jours. Je ne me suis arrêté que deux jours, à Lagonegro et Trisulti pour des raisons de mauvais temps.
Le matériel, le corps et la tête tiennent le coup. En partant du bas, les chaussures résistent. La semelle a un peu perdu de son adhérence, mais ça va. Elles n’ont pas trop aimé la période de mauvais temps. Pendant presque un mois, elles ont été mouillées dans la journée puis séchées le soir souvent près d’un radiateur ou d’un feu. Ce n’est pas recommandé mais je pense que les fabricants et vendeurs de chaussures de randonnée n’ont jamais mis leurs pieds, le matin dans des chaussures mouillées. Résultat, la semelle se décolle par endroits et elles ont perdu de leur étanchéité. Je rafistole, recolle et pense peut-être les amener au bout, ce qui serait remarquable.
Tout aussi remarquable, ce sont les pieds et les jambes. Je n’ai pas eu l’ombre d’une apparition d’une ampoule ni d’un début d’échauffement des muscles voire de tendinite. Certes, même après 1800 kilomètres, il y a de la fatigue après une étape de plus de 30 kilomètres. Mais le lendemain matin, je repars en général frais comme un gardon. Le secret ? La réhydratation à la fin de la journée. Il est certes difficile de trouver de la pression en Italie mais la bière en bouteille fait aussi l’affaire.
Une paire de chaussettes est en train de rendre l’âme mais les deux autres devraient aller au bout.
Le pantalon que je porte chaque jour depuis 2 mois n’a pratiquement pas bougé, à peine un peu de couture ce matin. Par contre, il s’est élargi… Je flotte dedans.
Les tee-shirts sont corrects même si je n’irai pas à une soirée mondaine avec. Les lavages quotidiens, les ronciers les ont un peu percé avec ça et là quelques trous.
La doudoune vert pomme est définitivement reléguée au fond du sac. Ils annoncent des températures autour de 30°C pour cette fin de semaine. Sa principale fonction sera de me servir d’oreiller quand je campe.
Après Aix la Chapelle – Porto, Tarifa – Hendaye, le sac à dos dépasse allègrement les 8000 kilomètres mais cela risque d’être son dernier voyage.
La tête, en fait il y en a deux : la mienne et le téléphone. Ce dernier est indispensable pour ma traversée de l’Italie. C’est inenvisageable, impossible de faire ce que j’ai fait sans les cartes et le GPS. J’ai eu à son sujet un début de panique quand il y a un mois, j’avais du mal à le recharger. La connexion se faisait mal. Maintenant, j’ai trouvé la bonne position et là aussi, cela devrait tenir. Je n’ose imaginer mon téléphone déchargé dans les traversées du Pollino avec les chemins couverts de neige ou le mont Cervati et les Abruzzes avec le mauvais temps que j’y ai eu.
La tête, la mienne va bien. Quand le corps est au top comme c’est le cas, la tête l’est aussi (et vice-versa). Même s’il est encore tôt pour tirer un bilan, j’ai fait pour le moment une superbe traversée de l’Italie. La partie expérimentale est en train de se terminer puisque dans deux jours, je devrais rejoindre la Via Francigena, importante voie de pèlerinage vers Rome. Sur toute cette partie sauvage, j’ai traversé des paysages superbes, de beaux villages et découvert un pays. Certes, il y a eu des parties plus ingrates comme avant et après Cosenza, du côté d’Eboli et aujourd’hui avec plus de 10 kilomètres de bitume. De Corbara à Orvieto, je marche à proximité de l’autoroute du soleil avec le bruit de la circulation. Je cherche bien à trouver des passages alternatifs mais en vain. Je renonce face à de vastes ronciers, met la musique et avance sur la route. Heureusement, il y a toujours un bon moment dans la journée. L’étape dans la belle ville d’Orvieto en fait partie avec notamment sa superbe cathédrale.

La cathédrale d'Orvieto
La cathédrale d’Orvieto

27 mai : Orvieto – San Lorenzo Nuovo

Je laisse Orvieto superbement perchée sur son rocher de tuf. La ville a une longue et riche histoire. Elle a été une des plus importantes cités étrusques. Au moyen âge, les papes y résident fréquemment. Urbain IV en fait sa résidence pendant une période troublée à Rome.
Hier soir au briefing, il a été finalement décidé de jouer la tranquillité. Je ne vais pas faire deux dernières journées expérimentales. La difficulté de trouver un hébergement, les incertitudes sur le passage à gué de la Paglia (un pont pour randonneurs a été emporté par une crue quelques semaines après son inauguration) m’ont fait choisir la facilité. Je rejoins dans la matinée la Via Francigena au plus près, à Bolsena. Du coup, mon passage en Ombrie est déjà terminé et je fais une nouvelle incursion au nord de la région de Rome.
Je sombre dans la facilité, puisque à Bolsena, je fais le touriste. Je commence par visiter cette jolie ville balnéaire au bord de son lac. La ville est célèbre pour son miracle. Un prêtre qui avait des doutes sur la présence du corps du Christ dans l’ostie vit celui-ci se mettre à saigner. Des pierres dans un reliquaire portent encore les traces du sang du Christ. Le pape Urbain IV, toujours lui, instituat à la suite de cela la fête du Corpus Christi ou Fête-Dieu qui est célébrée ce dimanche. Une grande procession est prévue à cette occasion à Orvieto.

Bolsena
Bolsena

L’église abrite également le tombeau de sainte Christine. Après ces pieuses visites, je poursuis ma villégiature par une baignade dans le lac presque parfaitement circulaire, formé dans un ancien cratère. C’est ce volcan qui est à l’origine du rocher où se trouve Orvieto.
Après la baignade, je poursuis sur la Via Francigena jusqu’à San Lorenzo Nuovo. Maintenant que je suis sur un chemin documenté et fréquenté, le briefing du soir va perdre de son intérêt. Je ne vais avoir qu’à soigner la réhydratation.

28 mai : San Lorenzo Nuovo – Radicòfani

Je marche toute la journée sur la Via Francigena. Cette voie des français vers Rome est le pendant du Camino Francès vers Compostelle. Historiquement, c’est plutôt le Camino Francés qui est le pendant de la Via Francigena.
Les premiers écrits de pèlerinages à Rome sont largement antérieurs à la « découverte » du tombeau de saint Jacques à Compostelle. Aujourd’hui, avec le marketing intensif de la Galice, la Via Francigena est passée un peu au second plan. Pourtant, cette voie était aussi importante voire plus fréquentée. Elle était à la fois le chemin vers Rome, les tombeaux de saint Pierre et saint Paul, le siège papal mais aussi pour beaucoup de pèlerins un chemin vers Jérusalem. Ils embarquaient ensuite vers la terre sainte depuis les ports du sud de l’Italie.
Le plus ancien itinéraire de pèlerinage connu, celui d’un pèlerin en l’an 333 de Bordeaux à Jérusalem  passe par Rome au retour. Sa remontée de l’Italie est assez éloignée de la Via Francigena que l’on connaît actuellement. La version contemporaine de la voie reprend en général l’itinéraire en 990 de l’évêque Sigeric de Canterbury à Rome.
L’ancienne voie romaine, la Via Cassia est la colonne vertébrale de la Via Francigena. Derrière ce joli nom et ce prestigieux passé, se cache une large route avec la circulation, le bruit des camions, les Fangio en herbe… Vous voyez l’image de Jérôme Kerviel marchant sur le bas-côté de la route avec les voitures passant à toute vitesse ? Eh bien, la belle Via Cassia, c’est ça.
Heureusement, le chemin aujourd’hui cherche à l’éviter et je prends toutes les variantes qui le permettent. Il reste quand même pas mal de bitume. Même si ce sont des petites routes, la journée aura du mal à se faire une place au milieu de celles des Madonie, de la Sila, du Pollino, des Simbruini…etc.

En montant à Radicofani
En montant à Radicofani

En plus, le temps n’arrangeait pas le paysage avec un soleil voilé qui écrasait les reliefs et les couleurs. Du coup, certains moments, je me suis mis en mode apnée : casque sur les oreilles, tête baissée et j’ai avancé, plus exactement de 44 kilomètres et ce soir, à Radicòfani, je suis en Toscane.

29 mai : Radicòfani – Sant’Antimo

À peine ai-je commencé à marcher sur la Via Francigena que je m’en écarte. J’avais aussi pris des libertés avec le Sentiero Italia dès le début. Dans la montée après Reggio Calabria, je l’avais trouvé trop touffu, trop de végétation, mal balisé. La Via Francigena n’est pas assez touffue, pas assez de végétation, trop balisée, trop encadrée pour moi.
Je la quitte pour m’écarter de la Via Cassia et pour faire un crochet par l’abbaye de Sant’Antimo. L’étape est plus séduisante que la veille. Il y a moins de bitume et quand la Via Francigena est proche de la route, elle suit un sentier qui la longe. Les paysages sont plus agréables avec une succession de collines et de vallons, oliviers, cyprès, pins parasols, vignes. Toutes les éléments du paysage toscan sont là.
À Castiglione d’Orcia, je quitte la Via Francigena et poursuit sur un agréable sentier, tranquille, dans la forêt. Je longe la vallée de l’Orcia. Sur les collines qui la domine, des villages sont perchés avec des châteaux au sommet.
Je termine cette nouvelle longue étape de 40 kilomètres à Sant’Antimo et sa belle abbaye. Son architecture romane est d’influence française. On y retrouve certaines caractéristiques des églises de pèlerinages de Saint-Sernin ou Conques avec un déambulatoire pour les pèlerins ou des tribunes avec baies géminées.

L'abbaye de Sant'Antimo
L’abbaye de Sant’Antimo

Après avoir échoué à dormir au couvent Speco de Narni (ils n’assurent plus l’hospitalité suite à des problèmes avec un pèlerin), dans les institutions religieuses d’Orvieto (visiblement, ils préfèrent le touriste argenté au pèlerin ou au randonneur radin), je suis accueilli par l’abbaye. C’est dimanche et il y a messe à 18h30. Pour les laudes, c’est demain matin à 7 heures.

30 mai : Sant’Antimo – Ponte d’Arbia

Ils n’étaient que deux moines hier soir à la messe à l’abbaye de Sant’Antimo. Dans l’immense Chartreuse de Trisulti, ils ne sont plus que trois. Et pourtant, venant de France où la laïcité est un des fondements de la république, je suis surpris par la force et la présence publique de l’église catholique en Italie. Même en Espagne, où le catholicisme est solidement implanté, on ne retrouve pas cela.
En France, la religion est plus du domaine privé. En Italie, le catholicisme s’affiche avec force. J’avais déjà été surpris quand j’étudiais l’italien du nombre de sujets traitant du pape, de ses déclarations ou de ses déplacements dans les journaux télévisés de la RAI. J’ai déjà raconté mon petit déjeuner dans le bar des sports en Sicile avec des chants religieux. Cela m’est arrivé aussi en faisant mes courses à l’épicerie. Plus étonnant, par deux fois en Sicile et en Campanie, longtemps avant d’arriver dans un village, j’entends des cantiques. Je me dis :
– Tiens, il doit y avoir une procession ou une fête religieuse
Non, c’est l’église qui diffuse sur de puissants hauts-parleurs des chants religieux. Vous imaginez, en France, une église inondant tout le village de ses cantiques ?
Beaucoup d’italiens sont aussi très attachés à un sanctuaire. Les lieux consacrés à la Madonna sont particulièrement populaires. Il y avait chaque fois pas mal de fidèles quand je suis passé à ceux de Pettoruto ou de Montevergine. Certaines fêtes d’un sanctuaire attirent des bus entiers. J’ai traversé les monts Simbruini quelques jours avant la fête de Santissima Trinità et dans les villages autour, c’était le sujet de discussion. Le père centenaire d’italiens que j’ai rencontré n’envisageait pas de rater l’événement. Comme chaque année, il allait monter dans le bus affrété par son village.
Et puis, il y a tous ces petits éléments comme le nombre d’hôtels où trône derrière la réception une photo du pape ou de plusieurs papes ou de plusieurs papes, de Padre Pio, d’une Madonna et d’un crucifix. J’ai souvent vu les italiens se signer devant un lieu sacré, église, statue, cimetière…Il n’est pas étonnant que les chemins de pèlerinages soient plus populaires que les chemins de randonnée.
De mon côté, après un détour à Sant’Antimo, je retrouve la Via Francigena avant Buenconvento. Je vais maintenant la suivre une petite semaine avant de bifurquer en Ligurie. Elle est ici mieux aménagée que plus au sud. Quand elle longe une route, ils ont réalisé en parallèle, comme en Espagne sur le Camino Francés, un chemin bien séparé.

Paysage toscan après Montalcino
Paysage toscan après Montalcino

Comme hier, je marche dans les paysages enchanteurs de Toscane. L’étape est plus raisonnable que les deux journées précédentes. Il faut m’économiser car demain est une grosse journée puisque je vais faire le touriste à Sienne à 25 kilomètres de Ponte d’Arbia ou je dors ce soir.

31 mai : Ponte d’Arbia – Sienne

À Sienne, je me suis mêlé à la foule des touristes armés de leurs appareils photo : la cathédrale avec au sol les scènes et allégories en marbre, la bibliothèque Piccolomini et ses peintures, la piazza del Campo avec sa tour Mangia, ses palais et sa fontaine Gaia, la loge des marchands, les vieux immeubles des rues di Citta et Banchi di Sopra, la place Salimbeni, l’église San Domenico…

Sienne
Sienne

Est-ce qu’ils savent, tous ces touristes qu’ils réalisent un exploit physique? En plus, je suis sûr qu’avec Sienne, ils visitent Florence et son patrimoine exceptionnel. Certains vont peut-être même réaliser un enchaînement exceptionnel, une sorte de triathlon niveau ironman avec Rome ou Venise. Tout aussi étonnant, certains sont beaucoup plus âgés que moi et font le tour de Sienne à un rythme autrement plus élevé. Je les vois trottinant derrière leur guide : ici une tête momifiée de sainte Catherine de Sienne, patronne de l’Italie et de l’Europe, là un tableau d’Andrea Vani, une fresque de Sodoma. Pendant ce temps, moi je souffle assis sur une chaise.
Demain, c’est journée de repos. J’ai juste prévu de faire une étape normale dans ma remontée vers le nord.

1er juin : Sienne – Colle di Val d’Elsa

Entre Sienne et Colle di Val d’Elsa, j’ai bien dû croiser plus d’une centaine de marcheurs. Certains faisaient partie de groupes importants. Tous les éléments sont réunis pour qu’il y ait du monde. La saison est idéale pour marcher en Toscane. Les étapes sont assez faciles avec peu de dénivelés. Demain, c’est la fête de la République en Italie et beaucoup d’italiens en profite pour faire un pont. Et puis surtout, je suis dans la partie la plus touristique de la Via. Sienne, Montereggioni, Colle Val d’Elsa, San Gimignano…les vieux villages avec leurs châteaux, églises, palais anciens se succèdent dans la campagne toscane.
Pour qui veut s’offrir le grand frisson du chemin de pèlerinage, c’est ici qu’il faut venir. D’agréables chemins permettent de passer d’un vieux village à un château et quand il y a une longue section asphaltée, les groupes en voyage organisé monte dans un bus pour terminer l’étape.

Sur la Via Francigena entre Sienne et Montereggioni
Sur la Via Francigena entre Sienne et Montereggioni

Par contre, ce soir au couvent San Francesco de Colle di Val d’Elsa, je suis seul dans cet immense ancien séminaire.
Après la rude journée de la veille, j’ai récupéré avec une étape de 37 kilomètres. Du coup, je suis un peu loin de Sienne pour une seule étape et trop proche pour deux. En plus, je suis sur une variante qui me permet, malgré le temps gris et pluvieux, de visiter cette belle ville médiévale au sommet de sa colline.

2 juin : Colle di Val d’Elsa – Gambassi Terme

La journée commence dans des chemins terreux avec une boue glissante et collante qui s’agglutine aux chaussures. Les pauvres marcheurs que je croise avec leurs petits baskets tous propres vont apprécier.
Après ce début crotté, quel festival ! Il y a d’abord cette approche de San Gimignano avec ses tours hérissées au sommet de la colline puis la visite du village. San Gimignano fait partie de ces petits bijoux remarquablement conservés. Je suis doublement chanceux car je bénéficie d’une accalmie avec même quelques rayons de soleil durant la visite et j’y suis suffisamment tôt pour éviter les hordes de touristes qui visitent cette étape incontournable de tout voyage en Toscane.

San Gimignano
San Gimignano

Je poursuis dans la campagne toscane. Même avec un ciel gris, elle est superbe autour de San Gimignano. Les agriturismi de luxe avec leurs grandes piscines succèdent aux hôtels de charme, aux villas « florentines » ou aux domaines agricoles spécialisés dans des produits haut de gamme. Les Fiat Panda déglinguées vieilles de 30 ans ont fait place à des Audis rutilantes. Je ne sais plus dans quel pays j’ai traversé des villages vacances des années 70 à moitié abandonnés ou carrément en ruines. J’ai un vague souvenir d’un endroit presque lugubre, complètement silencieux, sans âme qui vive avec ces vieux bâtiments et des nouvelles constructions inachevées. Ce coin de Toscane, lui est vraiment béni par les dieux.
La pause de midi est tout aussi agréable. Alors qu’une pluie légère a repris, je trouve abri sous le porche d’une église. Trois italiennes font également leur pause déjeuner. Elles ne sont absolument pas accablées par les conditions atmosphériques et ont prévu pour toutes les trois deux bouteilles de vin rouge. À la fin du repas, les bouteilles sont vides. Il faut dire que je les ai un peu aidé dans cette tâche.
Je termine l’étape à Gambassi Terme dans une belle auberge de pèlerins attenante à une église romane. Le lieu est déjà mentionné en l’an 990 dans l’itinéraire de Sigéric, l’évêque de Canterbury dont la Via Francigena reprend l’itinéraire.
Les marcheurs arrivent du nord. À leurs chaussures et tenues boueuses, je sais ce qu’il m’attend demain. Peu à peu, l’auberge se remplit. Ce soir, elle affiche complet. Cela va me changer de l’immense couvent vide de Colle di Val d’Elsa.

3 juin : Gambassi Terme – Ponte a Cappiano

Hier soir, l’auberge étaient pleine d’italiens qui, pour la plupart ont fait le pont et marchent 4 jours. C’est plutôt pour eux un rythme vacances avec des petites étapes de 15 à 20 kilomètres. À 6 heures et demi, quand je quitte l’auberge, tout le monde dort encore et j’ai presque terminé l’étape normale quand je commence à croiser les groupes. Souvent en basket, bien propres, ils me voient arriver boueux des pieds jusqu’aux genoux. Le chemin ce matin a surpassé celui d’hier. J’ai marché une partie de la matinée dans une boue argileuse glissante et collante. Je les préviens du futur programme de leurs vacances pédestres et continue mon chemin.

Paysage toscan entre Gambassi Terme et San Miniato
Paysage toscan entre Gambassi Terme et San Miniato

Les paysages sont toujours aussi beaux mais j’arrive au bout de cette partie de la Toscane. L’après-midi, je traverse l’Arno. Jusqu’à Lucca, je vais rester dans cette plaine urbanisée.

4 juin : Ponte a Cappiano – Lucca (Lucques)

Allez, imaginez : le ciel est gris comme les jours derniers. Je commence par un chemin dans la forêt, boueux mais sans atteindre le niveau atteint la veille. Rapidement, la pluie se met à tomber. J’enfile mon poncho. Je sors du chemin terreux pour continuer sur le bitume. Par ce temps pluvieux, ce n’est pas plus mal. Le terrain est plat. Il n’y a pas une once de petite difficulté à se mettre sous la dent. Les parties les plus agréables sont quand je longe une petite route. Sinon le reste du temps, je traverse des zones d’activités ou des zones résidentielles. La pluie redouble, je commence à être trempé et je trouve refuge dans un bar. Le cannolo que je prends est loin d’égaler les cannoli que j’ai mangé en Sicile.
Je poursuis sous la pluie, toujours sur la route, toujours dans ces zones urbanisées.
L’attraction de la journée est le vieux tronçon préservé de la Via Francigena. Comme me l’a dit la patronne du bar, c’est la plus belle partie de toute la voie. Alléchant ! Il s’agit d’une partie qui a vaguement conservé son ancien dallage qui pour l’essentiel date de la dernière intervention au XVIIIème siècle. Bon, vous l’aurez compris, pas de quoi sauter au plafond et faire un triple salto arrière.
Je fais 35 kilomètres pratiquement toujours dans ces conditions.
Vous rêvez toujours ? Et puis, en début d’après-midi, les nuages se sont déchirés. Un rayon de soleil éclaire les remparts de Lucca. À l’intérieur, la ville, à l’image de nombreuses localités toscanes est un petit musée à ciel ouvert. En ce samedi, au milieu d’un pont, Lucca est envahi par les touristes, mais c’est beau.

Lucca (Lucques)
Lucca (Lucques)

C’est bon, la journée est sauvée. Il faut que j’en profite, Lucca est la dernière ville toscane que je visite. Le programme avec Montalcino, Sienne, Colle di Val d’Elsa, San Gimignano… a été riche, une plongée dans l’art et l’histoire. Après ce parcours culturel, il va être temps de plonger dans la grande bleue.

5 juin : Lucca (Lucques) – Lido di Camaiore

Je retrouve la Méditerranée. La dernière fois que je me suis baigné, c’était il y a près de deux mois, le 11 avril à Messine. Depuis, j’ai eu l’automne avec ses couleurs et ses frimas, l’hiver et sa succession de chutes de neige, le printemps et ses pluies. À part l’été, toutes les saisons en deux mois, c’est rapide. Traverser l’Italie à pied aussi. Il y a moins de deux mois, je quittais la Sicile et demain, je termine la traversée de la Toscane.
J’ai aussi laissé la Via Francigena. Je craignais de devoir marcher longtemps sur du bitume et finalement, hormis les deux derniers jours, la voie est plutôt bien aménagée.
Il me reste maintenant la partie balnéaire de mon parcours. Reste à savoir si l’Italie est un pays du sud de l’Europe avec des températures dignes de sa position géographique.

Lido di Camaiore
Lido di Camaiore

Au Lido de Camaiore, j’ai quand même un avant goût de l’été qui approche. Il flotte un air de vacances. Il est dimanche, il fait beau et relativement bon. La plage est presque noire de monde. Je commence par tremper le bout des pieds et puis, finalement l’eau est bonne et je plonge. Mon parcours balnéaire débute.

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Ligure

6 juin : Lido di Camaiore – Portovenere

Le refuge Muzzerone est isolé dans un endroit splendide au-dessus de Portovenere. De la terrasse, on domine le golfe des Poètes, l’île de Palmaria et en contrebas Portovenere.
J’ai un peu traîné aujourd’hui le long de la plage avant de me rendre compte qu’il fallait accélérer si je voulais attraper le dernier bateau à 16h40 pour traverser le golfe entre Lerici et Portovenere. J’ai fait les derniers des 40 kilomètres de l’étape du jour au pas de course. Une rapide photo à Ameglia, à Tellaro et en courant, je suis descendu vers le port de Lerici.

Portovenere
Portovenere

Je suis maintenant en Ligurie pour la dernière ligne droite de ma traversée de l’Italie. C’est une ligne droite pas vraiment droite puisque après être allé à l’est puis au nord, je prends une franche inclinaison vers la France. Je suis maintenant clairement plus à l’ouest que mon point de départ et j’ai la frontière en ligne de mire.

7 juin : Portovenere – Levanto

Je reprends ce que j’ai écrit hier : le refuge Muzzerone est isolé dans un endroit splendide au-dessus de Portovenere. De la terrasse, on domine le golfe des Poètes, l’île de Palmaria et en contrebas Portovenere. Mais derrière ce cadre idyllique, se cache une auberge de Peyrebeille à la mode italienne. La soirée avait bien débuté. Vittorio, l’employé et cuisinier jouait de la guitare et s’amusait avec le fils du propriétaire. Le repas a été bon et convivial. Nous étions une bonne tablée avec 3 jeunes bayonnais, 2 allemands, une hollandaise et un italien. Peu après 10 heures, le vieux (moi) est allé se coucher. Les jeunes ont attaqué le limoncello. J’ai entendu les rires et les discussions avant de rapidement m’endormir.
À 1 heure du matin, je suis réveillé par une furie. Vittorio fortement alcoolisé est devenu fou. Il défonce tout, insulte, crie, menace tout le monde indifféremment. Je partage le dortoir avec les 3 bayonnais ; dans celui d’à côté, se trouve un jeune couple. Personne n’en mène large. Les carabinieri sont appelés.
Quand elle arrive, Vittorio dort profondément, étalé sur la table. La salle à manger et la cuisine sont ravagées. La police fait le constat, reste un moment puis décide de laisser Vittorio cuver sa cuite étendu sur la table. Le couple préfère repartir avec la police et récupérer leur voiture plus haut. Je reste avec mes 3 compagnons d’infortune. À quatre, c’est plus rassurant et puis à 2 heures du matin, il n’y a pas beaucoup d’alternative. Reste à espérer que vu le degré de cuite, le sommeil sera long et profond.
Malheureusement, à 3 heures du matin, Vittorio se réveille et reprend ses vociférations et ses insultes mais ne vient pas nous menacer dans le dortoir. J’arrive avec peine à me rendormir un moment. À 4 heure et demi, je me réveille. Le refuge semble calme. Je fais silencieusement mon sac. Quelques grognements, de vagues insultes sortent de la salle à manger. Je m’éclipse sur la pointe des pieds de peur de me retrouver nez à nez avec lui.
Cela me servira de leçon : on est bien plus tranquille et en sécurité seul dans la montagne…

Manarola dans les Cinque Terre
Manarola dans les Cinque Terre

Après une nuit agitée et sans petit déjeuner, les 10 kilomètres jusqu’à Riomaggiore sont un peu poussifs. Puis, la magie des Cinque Terre opère. Cela fait partie des endroits uniques au monde. Du coup, il y a beaucoup de monde. La destination est presque devenu un incontournable d’un séjour en Italie. Le secteur doit gérer une problématique que beaucoup aimerait partager : l’afflux de touristes. Ces petits villages à flanc de montagne ne sont pas adaptés à l’accueil de milliers de personnes. Des initiatives ont été prises comme de faire payer le passage sur certains sentiers mais à certains moments, cela bouchonne.
À Levanto, je suis au bout des sentiers touristiques. La journée de demain devrait être à nouveau sur des chemins déserts, en espérant ne pas avoir trop de bitume.

8 juin : Levanto – Moneglia

Ce matin, je sens la fatigue de l’étape de la veille. Elle a été une des plus difficiles de mon parcours. Il y avait à la fois une distance respectable, beaucoup de dénivelés et notamment en milieu de journée de la chaleur. En dénivelés, un rapide calcul en additionnant les principales montées m’amène au delà des 2000 mètres. En plus, c’était souvent des montées raides avec des séries d’escaliers aux hautes marches.
Le soir à Levanto, mon principal effort aura été de traverser la rue pour aller à la pizzeria en face. J’ai sacrifié le gelato ensuite ; il fallait aller au centre, à 200 mètres de là où j’étais. Trop loin, j’ai retraversé la rue dans l’autre sens, monté les deux étages à pied (sans prendre l’ascenseur !) et à 9 heures et quart, je dormais.

La côte ligure entre Levanto et Moneglia
La côte ligure entre Levanto et Moneglia

Aujourd’hui, après avoir fait une pause café et cornetto à Bonnasola, une pause jus de fruit à Framura, une pause baignade à Deiva Marina puis une pause déjeuner à la sortie du village, j’arrive en début d’après-midi à Moneglia après 22 kilomètres de marche. Soit je pousse jusqu’à Sestri Levante avec 10 kilomètres et 700 mètres de dénivelés à faire jusqu’au premier camping soit j’arrête là et passe une après-midi tranquille en profitant de la plage. Trop tentant… je m’installe au camping juste au-dessus du bord de mer et descend voir si l’eau est toujours aussi bonne.

9 juin : Moneglia – Chiavari

Décidément, je n’en finis pas d’être surpris pendant cette traversée de l’Italie. Quand j’ai préparé mon parcours, la Ligurie est la région que j’avais étudié le moins en détail. C’était encore loin et avec deux solutions identifiées : l’alta via dei monti Liguri et la Via della Costa, ce n’était pas la partie la plus compliquée du parcours. J’étais parti dans l’idée de suivre essentiellement la Via della Costa.Je m’attendais donc à suivre une voie de pèlerinage plutôt facile et avec du bitume dans une région où l’image que j’en gardais était celle depuis l’autoroute : une côte assez urbanisée.
J’avais tout faut. Cela fait 3 jours que je marche presque toujours sur des sentiers en pleine nature. Les paysages et les villes et villages traversés sont beaux.
C’est une marche agréable mais rude. Les sentiers sont souvent escarpés. Les dénivelés sont importants avec des sévères montées qui feraient passer ma traversée de la Calabre pour une marche dans la Beauce. J’avance moins vite que prévu. Il fait plus chaud et avec l’humidité maritime, j’arrive en haut des côtes dégoulinant de sueur.

Sestri Levante
Sestri Levante

Résultat, quand j’arrive au bord de la jolie plage de Sestri Levante, je ne résiste pas à faire une longue pause. Tout invite à un rythme de vacances au soleil : le temps, le paysage, la mer et je ne vais pas plus loin que Chiavari. Je n’irai pas dormir ce soir à Portofino. Les campings et auberges de jeunesse ne sont pas les établissements que l’on y trouve. Demain, je ne ferai que traverser l’endroit le plus chic de la côte.

10 juin : Chiavari – Recco

J’ai pris mon déjeuner à la plus belle adresse de Portofino, devant l’amarrage des yachts de luxe et face aux maisons colorées du port : tranche de tomate nature cueillie dans le jardin, saucisson de Lucca avec son pain tradition, pêche de saison de chez Andrea servie légèrement chaude et écrasée et petite douceur au chocolat croquant pour terminer. Un peu mon lot quotidien depuis plus de deux mois mais c’est à Portofino, et cela change tout !

Portofino
Portofino

Les grosses fortunes choisissent en général de beaux endroits pour passer leurs vacances et on voit plus de beaux bateaux amarrés là qu’au port de la zone industrielle de Fos sur Mer. Portofino fait partie de ces endroits de charme mais Portofino n’est pas Saint-Tropez. C’est un petit village au bout de la route et passé la boutique Dior puis celle Longchamp, je me retrouve tout de suite dans la nature, sur de beaux sentiers loin du bourdonnement et de l’agitation du petit village. Le sentier qui longe en surplomb la côte est magnifique et le passage par l’abbaye de San Fruttuoso, au fond de sa calanque aux eaux turquoises, reste un moment magique. Après une longue pause baignade, je poursuis sur un chemin tout aussi beau avant de reprendre un bain dans le joli village de Camogli.
Cette étape de toute beauté, par une belle journée estivale, se termine en toute simplicité, au-dessus de Recco dans les hauteurs où je plante la tente.

11 juin : Recco – Colle di Creto

Installé sur le toit en béton d’un réservoir d’eau, j’ai passé une nuit tranquille à peine dérangé par les sangliers qui passaient en dessous. L’endroit était assez unique. Je dominais la côte et le soir, j’ai pu profiter d’un superbe moment avec la lumière du coucher de soleil éclairant au loin Camogli.
Après quatre jours de marche en bord de mer avec baignades et gelato, je retourne dans les montagnes. Je prends le grand contournement de Gênes. L’objectif est clair : éviter la marche dans l’agglomération. Pour cela, je vais faire un grand détour pendant 3 jours dans les montagnes sur l’Alta Via dei Monti Liguri.

Dans les monts Ligure
Dans les monts Ligure

Dès que je quitte la côte, je suis à nouveau sur des sentiers en pleine nature dans un paysage de moyenne montagne. Le contraste entre la côte riante et colorée est frappant. Ces sentiers sont déserts et je suis presque surpris de trouver des randonneurs le soir à l’hôtel. En fait, ce bout de l’Alta Via est commun au chemin d’Assise qui vient de Vézelay. Ce soir, le dîner sera commun avec 4 autres français qui font ce chemin.

12 juin : Colle di Creto – Monte Pennello

Que se dit-on à 7 heures du matin, collé contre le tronc d’un arbre alors que le tonnerre gronde, que les éclairs lézardent le ciel et que des trombes d’eau avec de la grêle s’abattent dans la montagne ? Que c’est dimanche et que tout aussi bien, je pourrais être en train de prendre tranquillement le petit déjeuner en lisant le journal ou alors être en train de sommeiller au lit en me disant que ce n’est pas un temps à mettre le nez dehors. On peut se dire aussi, que par un temps d’orage, il ne faut pas se mettre sous un arbre. Que faire ? Retourner vite à l’hôtel à une demi-heure de marche de là ? Non, il ne faut pas non plus courir… il faut juste rester immobile en pleine nature et recevoir des seaux d’eau sur la tête.
Le côté positif de l’orage est que cela ne dure pas trop longtemps. Même collé au tronc de l’arbre, je repars trempé une fois le gros de la pluie passé. Le soleil refait son apparition. Une moiteur s’installe mais cela permet de poursuivre à peu près sec et surtout de profiter des vues. Je marche dans un surprenant paysage de montagne avec des vues contrastées. Je suis à la limite du Piémont, et au nord s’étend la vaste plaine du Pô. Au sud, l’agglomération de Gênes remonte dans les fonds de vallée, et au loin on distingue le port et la côte. J’ai maintenant passé le gros de la partie urbanisée et vais redescendre sur le bord de mer.

Sur l'Alta Via dei Monti Liguri
Sur l’Alta Via dei Monti Liguri

En attendant, je passe une dernière nuit dans les montagnes, au sommet du mont Pennello à 995 mètres d’altitude. La brume balaye le sommet et de temps en temps, des trouées permettent d’admirer le paysage.
Le refuge est récent, propre et il est non gardé. Au moins, je ne risque pas d’être embêté par le gardien.

13 juin : Monte Pennello – Celle Ligure

Pour ma dernière étape en montagne, j’ai eu le privilège de profiter d’un superbe spectacle au coucher et au lever du soleil. Les vallées, la côte étaient sous les nuages. La lumière était magnifique et seul au sommet du mont Pennello, je me suis senti privilégié.

Le soir au sommet du Monte Pennello
Le soir au sommet du Monte Pennello

Je retrouve la côte juste à la fin de la zone urbanisée de Gênes. Je suis vite repris par une certaine langueur. Il fait plus chaud, l’air est un peu moite et tout donne envie de traîner. À peine rejoint le bord de mer, j’enchaîne un café puis un moment sur la plage (surtout pour faire sécher les chaussures, elles commencent à donner des signes de faiblesse…). Quatre kilomètres plus loin, c’est pause baignade puis déjeuner. Deux kilomètres encore pour prendre une glace et un café. J’accélère et marche bien 7 kilomètres avant de me rebaigner. J’arrive quand même à faire 36 kilomètres. Le parcours le long de la côte facilite la marche à un bon rythme. Une ancienne voie ferrée a été aménagée en voie piétonne et cyclable. Le parcours est plat. Je marche dans la fraîcheur de tunnels parfois de plusieurs centaines de mètres. Cette voie est le seul accès à la côte. Plus haut, l’autoroute file de viaducs en tunnels. Elle se fait presque oublier tant la côte est sauvage à cet endroit. J’en profite car la suite risque d’être plus urbanisée avec Savone à traverser.

14 juin : Celle Ligure – Finale Ligure

Passé Savone, Ventimille est dans la ligne de mire. Je suis depuis presque 3 mois en Italie ; je me suis certainement suffisamment imprégné de l’Italie pour ne plus être surpris. En plus la Ligurie est proche de la Côte d’Azur. La saison se prépare. Les campings, les plages se remplissent. Moi, je passe à pied, un peu étranger à la majorité des touristes qui viennent profiter des plages de la côte.

Noli
Noli

Je marche sur des chemins balisés. Des sites Internet donnent des informations précises sur le parcours, l’hébergement, les sites à voir. Je n’ai plus de ronciers à traverser. J’avance sans trop avoir de préoccupations ou de doutes. Je profite aussi de beaux sentiers en bord de mer ou en surplomb. Ce sont les vacances mais cela commence aussi à sentir la fin. Ventimille dans 4 jours ?

15 juin : Finale Ligure – Laigueglia

Après 81 jours de marche et 2500 kilomètres parcourus, alors qu’il reste moins de 100 kilomètres jusqu’à la frontière, garde-t-on de l’envie ? Il serait difficile d’être blasé dans cette belle Ligurie. Mais où se trouve cette autoroute avec cette succession de viaducs surplombant des zones urbanisées ? Je l’ai à peine aperçue une fois aujourd’hui. J’ai commencé la journée en prenant le petit déjeuner à Finalborgo, petit centre médiéval avec ruelles, maisons colorées. Par un sentier en pleine nature, j’ai rejoint le hameau de Verezzi avec ses passages couverts et dominant champs d’oliviers et la baie de Pietra Ligure. Cette zone est plus urbanisée mais la baignade reste excellente.

Albenga
Albenga

En début d’après-midi, je traverse le centre historique d’Albenga avec sa belle cathédrale romane. À la sortie, le chemin suit l’ancienne voie romaine Julia Augusta qui reliait la péninsule à l’Espagne. On trouve des vestiges le long du chemin qui domine la côte. Je termine à Laiguéglia, petite cité balnéaire au centre typique. Installé au camping, je bois ma bière avec vue sur la mer. Comment être blasé ?

16 juin : Laigueglia – Lingueglietta

Avec les 40 kilomètres d’aujourd’hui, j’y vois plus clair. Il ne me reste maintenant plus qu’une étape complète en Italie et demain soir, je vais y passer ma dernière soirée.
Pour ce soir, j’ai amélioré mon confort puisque j’ai pour moi seul un petit appartement plein de charme dans une vieille maison de Lingueglietta. Le village est un peu dans l’arrière pays sur une colline dominant le littoral. Sur cette Via della Costa, voie de pèlerinage vers Rome ou dans l’autre sens vers Compostelle (j’ai vu un premier panneau indiquant Arles à 360 kilomètres), il y a quelques structures d’accueil pour les pèlerins. Pour le moment, la fréquentation doit être faible car hormis sur les parties littorales où j’ai croisé des marcheurs, je ne vois pas grand monde. Pourtant, la voie est belle et c’était encore le cas aujourd’hui.

L'église d'Andora sur la Via della Costa
L’église d’Andora sur la Via della Costa

Pour les structures d’accueil de pèlerins, dans la puriste et catholique Italie, il n’est pas toujours facile d’y dormir. C’est plus restrictif qu’en Espagne, même muni de ma crédential. Hier à Alassio, j’ai attendu un petit moment le responsable et quand il est arrivé, je lui ai dit ce que je faisais sans inventer un passage à Rome, Assise ou le sanctuaire du Padre Pio. Je l’entends répéter « non è pellegrino ! ». Je suis certainement plus pèlerin que de nombreux autres qu’il a accueilli et j’ai préféré dormir au camping 4 kilomètres plus loin. Ce soir, je n’ai pas eu droit à ce questionnement. Tant mieux et je vais passer une soirée confortable.

17 juin : Lingueglietta – Bordighera (Vallecrosia)

La plage de Bordighera est balayée par un vent fort. La mer est démontée et l’écume portée par ce vent fort voile le paysage. Les Alpes Maritimes sont juste là et il me reste une dizaine de kilomètres jusqu’à la frontière.

La plage de Bordighera et les Alpes Maritimes en vue
La plage de Bordighera et les Alpes Maritimes en vue

Ma dernière étape italienne n’aura pas été la plus sauvage. Passé la très chic station balnéaire de San Remo, j’ai marché une quinzaine de kilomètres sur le trottoir de la route côtière. J’avais un alibi, je suivais la Via della Costa et avec le but de cette traversée de l’Italie juste à portée de fusil, je ne me suis pas senti de partir sur le Sentiero Liguria qui lui zigzaguait à l’intérieur des terres. Il ne me reste plus qu’un petit effort à faire demain.

18 juin : Bordighera (Vallecrosia) – Poste frontière de Ventimille

Le Sicilien peut bien se signer en levant les yeux au ciel. Traverser l’Italie à pied, c’est finalement facile. 2600 kilomètres à pied, 84 jours de marche et me voilà au poste frontière de Ventimille.
Au début, c’était une aventure vers l’inconnu, vers des chemins imaginés, des montagnes peu fréquentées et des villages isolés. Finalement, le pays se prête bien à la marche. C’est presque une marche épicurienne comparée à certaines parties rudes de l’Espagne. Combien de fois je me suis arrêté et dit « Que c’est beau ! ». Les paysages sont beaux, les villages sont beaux. Il n’y a pas un jour où je n’ai pas été émerveillé.
Depuis Marettimo, dans les îles Egadi, j’ai accumulé tant d’images, de moments, de souvenirs que tout s’emmêle : les paysages de Toscane, la tempête de neige au mont Cervati, le petit café, toujours bon le matin, les lacs du parc de la Sila, les couleurs des hêtraies des monts Simbruini, les discussions dans les cafés avec les yeux exhorbités de mon interlocuteur en répétant « da Trápani ! », la nuit dans la bergerie du Pollino, le coucher de soleil au sommet du mont Pennello, les falaises de Marettimo au bout de l’Europe, le cornetto crème du matin, la marche solitaire dans les belles forêts de l’Aspromonte, les couleurs du printemps en Sicile, la pluie et le froid du printemps italien, la dolce vita en Ligurie…
Je suis à Menton. J’ai terminé ma traversée à pied de l’Italie. Ciao au Bel Paese.

Ciao Italia
Ciao Italia


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