Récit Compostelle

Le récit de 4 mois de marche d’Aix-la-Chapelle à Compostelle. 3500km via Reims, Vézelay, Cluny, Le Puy, Toulouse.

Sommaire

1 – Via Mosana d’Aix la Chapelle à Namur

2 – Via Monastica de Namur à la frontière

3 – GR654 de la frontière à Reims

4 – GR654 de Reims à Vézelay

5 – Chemin d’Assise de Vézelay à Cluny

6 – De Cluny au Puy par l’Ardèche

7 – Du Puy à Toulouse

8 – De Toulouse à la frontière espagnole

9 – L’Espagne

Fin du récit

Introduction

La chronique de Turpin raconte qu’une nuit Saint Jacques apparut à Charlemagne. L’apôtre lui demanda de délivrer son tombeau des Maures. Pour y parvenir, il devait suivre les étoiles. La voie lactée le mènerait jusqu’à la pointe ouest de l’Espagne, en Galice.

Charlemagne quitta Aix la Chapelle, fut défait à Roncevaux et ne parvint pas à délivrer le tombeau. Mais l’histoire du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle était née…

Suivre les étoiles, lentement, au rythme le plus naturel pour l’homme : quel beau programme !

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Via Mosana d’Aix la Chapelle à Namur

8 mai

Église Saint Jacques à Aix la Chapelle.
Je suis seul dans l’église pendant qu’un organiste joue. Une borne marque le début du long chemin vers Compostelle.
8 mai : fin des grands conflits en Europe.
Aix la Chapelle : la ville où a règné et où repose Charlemagne, premier « empereur » d’envergure européenne.
Le chemin de Saint Jacques : vaste toile qui a tissé des liens entre l’Europe du Nord et le sud.

Beaucoup de beaux symboles ! Un peu écrasant, je ne vais après tout que mettre mes pas sur les traces de milliers de pèlerins avant moi. Tranquillement au rythme lent du marcheur. J’aspire à retrouver ce calme. Le trajet de Toulouse vers Aix avec ces halls d’aéroports, ces foules qui transitent du métro vers la gare, cette agitation n’a fait que renforcer mon aspiration.
À l’épicerie en face de l’église, le gérant tamponne la première case de mon crédential ; les cases vont se remplir dans les mois à venir ! Il me donne une pomme et me souhaite bonne chance. Il doit en voir de temps en temps passer des fadas qui partent pour Saint Jacques.

Je ne sais pas pourquoi, je me souviens quand j’étais encore petit de cette photo de la basilique octogonale d’Aix qui figurait sur un livre sur l’architecture des premières églises à aujourd’hui. J’y suis ! Elle a la solennité et la sobriété des premiers édifices religieux. Les éléments les plus anciens datent de Charlemagne et reprennent le style des églises de Ravenne.
Je suis revenu de l’église Saint Jacques à la cathédrale. Je pars de là. Charlemagne est peut être parti lui aussi d’ici pour l’Espagne. Une grosse demi heure de marche, agréable, à travers des parcs m’amène à l’auberge de jeunesse. Demain, commence véritablement le long chemin vers Saint Jacques. À défaut de revenir au temps des premiers pèlerins, je reviens vingt ans en arrière : il y a longtemps que je n’avais pas frequenté une auberge de jeunesse !

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Borne marquant le début du chemin de Saint Jacques devant la cathédrale d’Aix la Chapelle

C’est parti !

Une petite pluie arrose mon départ. Le ciel est gris, le ciel est bas. Un ciel si bas qu’il fait l’humilité, un ciel si gris qu’il faut lui pardonner. Le plat pays n’est pas si plat dans ce coin. Le sentier rentre tout de suite dans la forêt pour monter vers la frontière. Je n’entends plus les bruits de la ville, seuls les chants des oiseaux m’accompagnent.
Une petite heure de marche agréable en sous bois me mène à la frontière. Un léger soleil m’accueille en Belgique. J’ai dit léger ; on n’est pas non plus au Sénégal, disons qu’on arrive à situer la position du soleil à travers les nuages. Cela ne dure pas longtemps. À partir d’Henri Chapelle, la pluie revient en continu. Je me mets en mode « poncho ». Je finis sous de fortes averses ; c’est sympa d’arroser ma 1ère journée mais point trop n’en faut ! Réservons « l’arrosage » pour mon arrivée devant la cathédrale de Saint Jacques.
Je ne pensais pas de toute façon marcher en continu sous un beau soleil. Saint Jacques, c’est aussi tête basse, vent de face et pluie qui cingle le visage.
Le petit bar à Clermont sur Berwinne arrive à point nommé et la petite pression, puis la seconde pression font du bien ! Alors alcoolique ou catholique à Saint Jacques de Compostelle ? Des cyclistes hollandais sont en route aussi et arriveront en Galice dans 6 semaines. À pied, il me faudra plus de temps.

Sur mon parcours belge, il me restait une incertitude pour ce soir. Finalement, je serai hébergé au presbytère. Un canapé lit, un point d’eau et WC et le bar juste en face pour dîner le soir. Elle est pas belle la vie ?

Dans la forêt de Preuswald, à la frontière

Le Ravel

Beau village de Clermont sur Berwinne, bon repas au Renouveau, bonne nuit à la cure, bon petit déjeuner chez Mme Brandt… Je quitte Clermont en forme !
Un peu après Clermont, je rejoins le Ravel, ancienne voie de chemin de fer réaménagée pour les randonneurs et les cyclistes ; le parcours est très marchant et j’ai le temps de réfléchir. Je me pose une question : les pèlerins avaient-ils au moyen âge un IPad ? Je suis mon parcours avec ; je connais ma position précise ; j’ai mes temps, mes distances, mes calories consommées (là, cela fait 71 minutes que je marche, je chemine sur le Ravel très « roulant » à 5,3 km/h de moyenne et j’ai consommé 307 calories…) ; je consulte mes mails ; j’alimente au fur et à mesure mon site caminaire.com ; je consulte la presse pour rester informé ; hier soir sur la place de Clermont, je communiquais avec Isa et Laurent sur FaceTime comme si je les avais en face de moi ; ce matin, c’est avec Lana del Rey et Jean Ferrat que je chemine tranquillement sur le Ravel. Ah ! Michel Teló avec « Aí se eu te pego », je peux esquisser quelques pas de danse ! Je ne sais pas si les puristes de Saint Jacques apprécieront …
Pour les rassurer, j’ai aussi mon bâton de pèlerin, un modeste bout de bois ramassé dans la forêt entre l’Allemagne et la Belgique. J’espère l’amener jusqu’à Saint Jacques.
Après 12 km de Ravel, le chemin traverse la campagne liégeoise avant de descendre sur la Meuse. Le paysage devient très urbain : tours des années 70, voies ferrées, bâtiments industriels… Liège sera ma dernière grosse agglomération avant Toulouse. Tant mieux !

J’ai rencontré mes 2 premiers pèlerins à pied. Deux allemands Wolf et Martine. Déjà au bar à Jupille où je me suis arrêté pour boire un café, le patron m’a dit que 2 pèlerins étaient partis juste 10 minutes avant. Je les retrouve sur un banc au bord de la Meuse. Nous échangeons un moment puis je reprends ma route.

Après 2000 calories, 28 km et 7 heures de marche, je suis accueilli chez Laurent, un liégeois qui habite dans un quartier très agréable à flanc de coteaux. Un superbe petit jardin surplombe la vieille ville de Liège. Laurent a fait plusieurs fois le chemin et il accueille gracieusement les pèlerins.
Il m’accompagne pour un petit tour dans Liège : le sentier au dessus de la ville, les petites impasses typiques, le vieux quartier avec ses belles maisons mosanes. Nous terminons place du Marché pour boire une bière (puis une autre).
Ce soir, il fait delicieusement bon. Dans le jardin, au calme, nous partageons un foie gras que j’ai ramené de Toulouse puis chicons (endives) au jambon, le tout avec une bouteille de Cahors. Alcoolique 2 points, catholique 0.

Le matin

Se lever, petit déjeuner rapide, filer au boulot, connecter l’ordinateur, regarder les ventes de la veille, réfléchir aux actions correctives pour atteindre les objectifs, faire passer les messages pour encourager, recadrer en fonction.
Se lever, prendre un bon petit déjeuner calorique, regarder le ciel, en fonction prévoir le mode de la journée gradué de poncho sur le dos à crème solaire sur le nez. Pour le moment, je ne suis pas allé jusqu’à cet ultime degré. Et puis partir, marcher tranquillement à son rythme.
Pourquoi Saint Jacques ? Vous avez déjà un début de réponse.

Tous les matins, nous prenons le chemin
Tous les matins, nous allons plus loin
Jour après jour, la route nous appelle
C’est la voix de Compostelle
Ultreia  ! Ultreia  !
E suseia, Deus adjuva nos – chemin de terre et chemin de foi
Voie millénaire de l’Europe
La voie lactée de Charlemagne
C’est le chemin de Compostelle – Et tout là-bas au bout du continent
Messire Jacques nous attend
Depuis toujours son sourire fixe
Le soleil qui meurt au Finistère.

C’est la chanson du pèlerin et aujourd’hui la réalité de Saint Jacques me rattrape dans le bois Saint Jacques…. Je commence par me mettre en mode poncho ; les petites averses laissent place à de fortes averses. Hier soir c’était l’été sur la place du Marché ; là, c’est l’automne. Il fait sombre dans les sous bois et je distingue à peine les marques du GR. Hier, je faisais le fanfaron ; aujourd’hui, fini les pas de danses sur « Aí se eu te pego »… Le vrai pèlerin est de retour, son bâton, sa cape et on avance.
Il est dit que cette journée serait une vraie journée test. La pluie s’intensifie. Le chemin certainement superbe par beau temps, est de plus en plus boueux. Une racine traître me fait glisser. Je suis assorti au temps et au chemin : mouillé et boueux. Je continue à travers bois avec à la Roche aux Faucons de belles vues en surplomb sur les méandres de l’Ourthe. Une accalmie me permet de déjeuner.
Aujourd’hui l’étape est longue et l’après midi, je patauge dans la gadoue tout en tenant ferme mon bâton pour ne pas glisser à nouveau.
À l’arrivée à Saint Séverin, « mon compteur » marque 39km et 9 heures de marche. J’apprécie d’être arrivé !
L’étape au presbytère est caractéristique de Saint Jacques. Une salle où on peut poser un matelas, une petite salle d’eau et une cuisine pour 5€ la nuit.

Grand silence dans le presbytère. Je prépare mon repas et me couche tôt après cette longue marche. Fin d’une journée « catholique ».

Prieuré de Saint Séverin en Condroz

Le presbytère où j’ai dormi et la superbe église de Saint Séverin. Les moines de Cluny en sont à l’origine et elle date du XIIème siècle. J’aurai l’occasion de reparler de Cluny…

Huy

« Oui « ou « ouille ». C’est « oui ». Cela aurait pu être « ouille » ; le 3ème ou le 4ème jour sont souvent des journées difficiles. Les 39km de la veille n’ont pas « marqué » ; pas de soupçon d’apparition d’ampoule et le repos de la nuit a calmé l’hématome suite à la glissade.
Huy, après une courte étape de 20 km (et encore en la rallongeant en passant par Amay) est une belle découverte. Le petit centre est agréable avec sa collégiale et ses vieilles rues. La ville abritait un hospice pour les pèlerins de Saint Jacques.
Huy est aussi connu pour son « mur » où se situe l’arrivée de la Flèche wallonne. Ses vingt-six pour cent d’inclinaison dans un virage font de ce passage l’un des plus ardus d’Europe.
Je suis superbement logé dans une ferme château au dessus de la ville. J’ai eu l’occasion lors de ma marche de découvrir d’autres de ces belles fermes fortifiées.
Le parcours a été à nouveau très agréable : essentiellement dans les bois, passage devant ces belles fermes mais aussi devant les châteaux à Magotte et La Motte en Gée. Et en plus, il évite … la centrale nucléaire de Tihange.

Donc à Huy, oui ça va bien et la pression sur la place de l’hôtel de ville descend toute seule.

Le service météorologique national belge promettait du beau temps frais pour tout le week end. Effectivement, ils ont eu raison, il fait frais. Je supporte bien ma polaire sur la place de Huy. Pour le beau temps, il doit y avoir des subtilités entre le français de Belgique et celui de France ! Ce matin un rayon de soleil furtif m’a permis de prendre une photo avec suffisamment de luminosité de l’église de Saint Séverin. Ensuite, temps gris mais pas de pluie et à l’arrivée à Huy le soleil joue à cache cache avec les nuages. Voilà le beau week end météorologique belge du mois de mai : tu ne quittes pas ta polaire et tu gardes ton poncho à proximité.

Dimanche

Le dimanche, c’est sacré. Après une bonne nuit dans mon « château ». J’achète la Dépêche (sur mon iPad). Je peux m’installer tranquillement dans un bar : un café et le journal pour les résultats sportifs. Le pied !
Le Stade a gagné son dernier match contre Montpellier et termine premier. Il va falloir que je m’organise le samedi 2 juin pour la demi-finale. Le pèlerinage, c’est aussi anticiper. Je serai du côté de Tonnerre qui comme chacun sait est une place forte du rugby… Il me faut donc un bar avec Canal Plus à Tonnerre le samedi 2 juin : sûrement pas facile…

Je décolle tranquillement de Huy à 10 heures du matin. L’étape est courte jusqu’à Andenne (20 km – 18 km du centre de Huy) ; ce sera certainement une des étapes les plus courtes ; c’est normal, c’est dimanche jour de repos.

Je ne sais pas ce qui m’attend pour la suite mais la Via Mosana met la barre haute. La campagne belge est magnifique, les doux vallonnements ardennais, les camaïeux de vert du printemps, les pommiers en fleur… J’en prends plein les mirettes ! Les chants des oiseaux, parfois un écureuil m’accompagnent.
Je rallie tranquillement Andenne en début d’après midi.

Dimanche tranquille…

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Via Mosana

Dernière journée sur la Via Mosana.
Les pèlerins du nord de l’Europe ralliaient Aix la Chapelle ou Maastricht et suivaient ensuite la Meuse vers le sud.
Des hospices jacquaires comme à Liège, Huy ou Namur témoignent de leurs passages.
Plusieurs églises sont consacrées à Saint Jacques, notamment à Aix la Chapelle, Clermont sur Berwinne, Liège et Namur.
Le tracé actuel joue avec la Meuse en suivant parfois le fond de vallée plus urbanisé et plus souvent en surplomb sur les collines.

Il existe en Belgique une chaîne d’accueil des pèlerins. Des particuliers reçoivent chez eux pour un coût allant de la gratuité à environ 25€. Cela donne l’occasion de se retrouver le soir dans un environnement familial. À Liège, personnage atypique voire fantasque, Laurent accueille gracieusement les pèlerins. Silence et tranquillité au presbytère de Saint Séverin. À la ferme château de la Sauvenière à Huy, le propriétaire soigne avec amour son superbe jardin. À Andenne, je suis accueilli dans une belle maison moderne par un couple bien installé. Elle est dentiste et son mari à la retraite.
L’étape nocturne permet de rencontrer des belges et de recharger les batteries dans des conditions très confortables.

Après un bon petit déjeuner, je repars d’Andenne pour cette dernière étape de la via Mosana mais en restant sur la rive droite de la Meuse alors que la voie actuelle passe sur l’autre rive. Je ne suis pas toujours tenu de suivre le bon chemin… L’initiative n’est pas si originale que cela puisque je retrouve à plusieurs reprises des anciennes marques du chemin de Saint Jacques.
Cette option permet en plus de traverser les beaux villages de Bonneville, Thon et Mozet. Je ne sais pas si j’ai déjà eu l’occasion de le dire mais la campagne et les villages de ce coin de Belgique sont superbes…
C’est par une belle journée ensoleillée que j’atteins Namur, au confluent de la Sambre et de la Meuse, au terme de la Via Mosana.

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Via Monastica de Namur à la frontière

Le 7ème jour

Le 7ème jour, c’est presque 200km dans les jambes. C’est surtout beaucoup de bonheur. Le bonheur de se lever le matin et de partir pour l’étape du jour ; le bonheur de marcher dans ces petits chemins de la campagne belge ; le bonheur de découvrir ces petits villages, ces fermes châteaux ; le bonheur après la douche de boire une bonne bière belge ; le bonheur des échanges sur le chemin ou le soir à l’étape ; le bonheur de se coucher le soir après une nouvelle journée de découverte.
Le 7ème jour, j’ai fait un bout de route avec mon premier pèlerin. Karel est flamand de Louvain. Nous marchons toute la journée ensemble. Il compte aller plus loin que moi et privilégie un pèlerinage « économique » ; il a prévu de dormir le plus souvent sous la tente. Nos chemins divergent à Annevoie mais notre but est le même.
Le 7ème jour était encore une belle journée avec les beaux points de vue de la Sibérie et des Sept Meuses et le sentier entre ces 2 points.
Le 7ème jour, je suis hébergé dans la sympathique famille Puissant. Jacques a fait le pèlerinage de Compostelle en passant par Lourdes. Il accueille les pèlerins avec toute la générosité belge et dans l’esprit de Saint Jacques. Il offre la bière en arrivant, sa femme fait la lessive. Le repas, le petit déjeuner et des provisions pour le pique nique sont prévues. Tout cela avec l’hébergement pour 10€.

Deux français qui remontent vers Namur après avoir fait une partie du chemin jusqu’à Burgos arrivent. Karel nous rejoint également. Nous nous retrouvons à 4 marcheurs autour d’une bonne tablée.

Le 7ème jour, je suis dans une ambiance pèlerinage.

Les 4 Saisons

Le cafetier hier me disait que dans la même journée, on avait les 4 saisons.

En marchant, je suis très sensible à la météo. Et ici cela réclame de l’adaptation.
Hier matin, c’était l’hiver temps sec et froid. Je me suis même demandé si je ne devais pas sortir mes gants.
Après le déjeuner, nous avons essuyé au belvédère de la Sibérie un bon orage de grêle suivi de giboulées printanières.
L’été est arrivé une heure plus tard sur le point de vue des 7 Meuses ; en T Shirt, j’admirais la belle vue.
Malheureusement, l’été est court ici en Belgique et dans le bois de Warnant, le vent, une pluie continue et la baisse des températures marquait l’automne.

Aujourd’hui, la journée n’est pas si mauvaise : juste 2 averses, temps frais qui ne m’a permis de quitter la polaire qu’une dizaine de minutes et le soleil qui a passé la journée à jouer à cache cache avec les nuages nous gratifiant ainsi de beaux éclairages. C’était notamment le cas au sommet des roches de Freyr d’où la vue sur la vallée, les rochers et le château de Freyr était somptueuse.

Sinon, petite déception à Leffe…J’imaginais une abbaye perdue dans un vallon sauvage avec des moines brassant la bière. Normal, l’étiquette sur la bouteille, la publicité … Non l’abbaye est située juste en périphérie de Dinant dans un environnement urbanisé. La bière est produite par un groupe international à Louvain…ils ont juste racheté le nom…
Je poursuis sur Dinant par la citadelle puis redescente vers la ville qui a donné son nom à la dinanderie.

Vue du haut des roches de Freyr sur la Meuse et le château

Solitude

Depuis Namur, je marche avec Karel mais ses pieds commencent à souffrir avec l’apparition de 2 ampoules sous la plante des pieds.
Nous partons ensemble de Blaimont mais à Hermeton sur Meuse, il a prévu d’appeler ses parents pour alléger son sac à dos. La tente va rester en Belgique. Beaucoup de pèlerins s’allègent après quelques jours.
Mon sac pèse 10 kg ; c’est pas trop mal même si j’ai encore un peu de superflu.
Je m’engage à nouveau seul dans le vallon de l’Hermeton. Progressivement, je rencontrerai des pèlerins. Hier, c’était 2 françaises de Nancy qui commençaient leur première semaine et comptaient, de semaine en semaine, en fonction de leurs congés rallier Saint Jacques. Certes le flot de pèlerins s’apparente encore plus à un ru juste après la source qu’à un torrent bouillonnant…
Je sais que jusqu’au Puy, je vais parcourir des sentiers peu fréquentés. J’ai aujourd’hui plus de crainte sur la partie Le Puy – Conques que sur la partie solitaire avant. Elle est tout sauf désagréable : des petits bouts de route avec des pèlerins ; des échanges lors des pauses ou le long du chemin, forcément le pèlerinage permet de lancer les conversations ; le soir permet de discuter dans les familles… Et puis ces bouts de chemin seul avec son bâton, cela fait aussi partie du pèlerinage!

L’étape d’aujourd’hui se prête bien à un parcours solitaire. La vallée de l’Hermeton est une vallée sauvage. Le relief est plus marqué, la rivière descend comme un torrent de montagne. Certains passages raides sont équipés d’une corde.

Arrivé à Soulme, la vue s’étend sur des kilomètres sur les hauteurs et forêts ardennaises. Je traverse plusieurs jolis villages avant d’arriver à Niverlée. Une belle étape de la chaîne d’accueil des pèlerins. Belle chambre et bonne soirée avec les propriétaires Theresa et Philippe. Theresa est anglaise et est allée à Saint Jacques en bicyclette.
Finalement pas si solitaire la journée…
Belle Belgique
Avant de la quitter demain, je consacre quelques lignes à un hymne à la Belgique.
Les 10 jours passés d’Aix la Chapelle à Oignies en Thiérache m’ont permis de découvrir un superbe pays. Cette partie du chemin vaut la peine. Elle traverse de beaux villages et de belles villes ; les maisons sont très coquettes avec de beaux jardins ; la majeure partie du sentier chemine à travers champs et forêts ; au détour du sentier, de superbes points de vue s’offre à nous.
Et surtout la légendaire convivialité belge réconforte le soir à l’étape ou au hasard des rencontres.
Certains parlent parfois de rattacher la Wallonie à la France, je pense qu’il faudrait rattacher la France à la Wallonie !
Demain je passe la frontière, j’espère que la suite sera à la hauteur de la partie belge.
Comme si je ne voulais pas quitter le pays, mon étape est courte : 24km. Je marche tranquillement dans ce paysage ardennais. Je retrouverai ce type de paysage sur le plateau ardéchois… : de vastes forêts avec des clairières d’où émergent les toits d’ardoise et clochers.
Le chemin invite à la lenteur : petits villages de Treignes, Vierves sur Viroin et Olloy sur Viroin, beau sentier qui longe la rivière avec ses kayakistes, petite micheline avec le contrôleur qui au fur et à mesure descend du train pour bloquer les passages à niveau ; et enfin, piste dans la forêt le long du ruisseau de la Nouée qui chante plus bas. J’arrive à Oignies en Thierache un peu après 14h00, largement le temps de boire tranquillement une bière avant de rejoindre le gîte.Quand je parle de gîte, c’est vraiment approprié : petit châlet isolé en bordure de bois avec chambre, cuisine, salle de bain. Le tout indépendant de la maison des propriétaires. Je m’installe dans mon petit chez- moi, me prépare mon repas et vais me coucher vers 21hoo.Dernière soirée belge fort raisonnable.

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GR654 de la frontière à Reims

Frontière

C’est une « petite frontière » que je franchis ; ce n’est ni une frontière linguistique, ni une frontière géographique (je reste dans le massif des Ardennes) ; peu de conflits ont opposé les 2 pays.
J’ai par contre senti ces 2 dernières semaines le poids des conflits dans cette Belgique frontalière.
Les lignes de défense, les anciens forts, les cimetières militaires sont autant de vestiges de cette époque. J’ai été surpris des traces que les conflits ont laissé chez les belges eux-même.
Une personne âgée avec qui je discutais à Liège me parlait de la citadelle de la ville avec effroi et quand elle parlait des allemands, les blessures de l’histoire n’étaient pas refermées. À Huy, un autre me disait qu’il avait été prisonnier dans le fort qui abrite le musée de la déportation. Rue des fusillés à Andenne, souvenir du repli des allemands en 1945 mais aussi marques des destructions et massacres de la première guerre…comme me disait un belge, avec les allemands cela reste plus difficile.
Cette partie de l’Europe a été au cœur des 2 grands conflits, ce qui n’est pas le cas de la plus grande partie de la France…
Proche de la frontière, je repère un petit pont qui me semble-t-il, peut m’éviter un crochet. Alors que je suis en train de consulter mon plan, une dame âgée en robe de chambre sort me renseigner :
– Vous êtes perdu ?
– Je cherche le chemin de Saint Jacques
– Tout droit, vous allez retomber dessus
– Et là, je suis en Belgique ?
– Non, monsieur, vous êtes en France et moi je suis belge…
– On passe d’un pays à l’autre sans s’en rendre compte !
– Vous savez, entre la Belgique et la France, il n’y a plus de frontière …
Espérons que cela reste ainsi…La petite frontière que je franchis sans m’en rendre compte a été le théâtre d’une grande bataille : la « victoire » de Rocroi où les français ont défait les espagnols le 19 mai 1643. 8000 espagnols et 4000 français périrent dans les combats de Rocroi…
La bataille de Rocroi marque un tournant dans la guerre de Trente Ans. D’autres défaites espagnoles suivront et en 1643, la France récupère la Moselle.
Après une pause dans Rocroi, je gagne un endroit paisible : le lac des Vieilles Forges. Malheureusement, pont de l’Ascension oblige, cela va être système D ce soir…

Les sangliers des Ardennes

La harde de sangliers avec leurs petits marcassins qui a croisé mon chemin ce matin, n’a pas du me trouver très vif ! Le temps de réaliser, de me dire « Tiens cela mérite une photo », de sortir l’appareil et de déclencher, j’ai réussi à prendre une vague photo d’une piste forestière.
La nuit a été courte. Sous le tivoli de la baraque à frites du lac des Vieilles Forges, j’ai dormi par intermittence.
Tout d’abord un groupe de fêtards a passé en revue, jusqu’à une heure avancée de la nuit, tous les classiques de la chanson française de Fanchon à Jeanneton ou « c’est à bâbord qu’on chante… »
– C’est dans le tivoli, qu’on veut dormir le plus fort…
Ensuite, une pluie orageuse a martelé la toile et m’a maintenu en alerte d’éventuelles fuites.
Enfin, après mon pèlerinage belge 3 étoiles, j’ai pris de mauvaises habitudes…Après tout, je suis resté au sec et la nuit n’a pas été froide ; il ne faut pas me plaindre.
Je commence à émerger vers 5h00 avec les premières lueurs.
J’attends que la clarté soit plus franche pour m’engager dans les bois.
Bougon et pataud, je patauge dans la boue. Un panneau Saint Jacques de Compostelle : 2523km … ne rallume pas l’étincelle du pèlerin. 2523 par le chemin direct à partir de Vèzelay alors que je vais faire de larges détours…20120520-183957.jpg
Rimogne arrive à point nommé. Un café, des croissants, le journal… Eh oui, c’est dimanche ! Sympathique ce café, les clients qui entrent font le tour pour serrer la main de tous les consommateurs. Un peu surprenant au départ, mais sympa.
Requinqué par cette halte, je repars. Pour finir de me remettre en forme, je trouve 2 pèlerins belges à la sortie de Rimogne. Ils font partie du projet de la province de Namur qui va relier Saint Jacques la même semaine avec plusieurs groupes chacun sur une partie du chemin. Eux font la partie de la frontière à Condé sur Marne. J’ai déjà entendu parler de ce projet plusieurs fois. Nous marchons ensemble toute la journée.
Le paysage change. Nous quittons les forêts et reliefs ardennais pour le doux paysage de la Thiérache : ondulement de collines, bocages, prairies fleuries à perte de vue.
La journée avait commencé sur un tempo mou, elle se termine en beauté avec l’accueil de Mme Launoy à Aubigny-les-Pothées. Une bière, des biscuits, la machine à laver qui tourne, la douche, pour commencer. Puis partager la conviviale fin du repas dominical, un peu de rosé, un petit alcool. Là, ça va beaucoup mieux. Et enfin, s’installer devant la maison face aux collines de la Thiérache. C’est reparti !

Maussade ou musique…

Quel terme utiliser pour aujourd’hui ? Le temps, oui, est maussade. Il a plu cette nuit. Certaines parties sont très boueuses. D’autres parties avec des herbes hautes et trempées finissent par complètement mouiller les chaussures, les chaussettes et les pieds. Le ciel est bas et gris avec des petites averses fréquentes. Le paysage s’aplatit imperceptiblement. Je laisse les Ardennes boisées et les collines de la Thiérache derrière moi. Le chemin file droit.
Je savais que j’aurai des journées comme cela. J’ai devant moi de vastes plaines céréalières dans les prochains jours. Il va falloir aussi gérer ces passages.
Mon mollet vient compléter ce tableau un peu gris. Je l’ai senti ! Et comme je l’écoute, je suis inquiet. Tendinite, l’ennemie, que je crains encore plus que les ampoules…
Alors, pour me donner du courage, je mets de la musique, parfois je chante et j’avance.
« Tel l’aventurier solitaire
Bob Morane est le roi de la terre »

Ce soir, je dors dans la mairie d’Hauteville. Mon matelas de sol, mon duvet et la protection de Marianne.

Le canal des Ardennes

Ce matin, le paysage se noie dans le ciel gris pour ne former qu’un, uniformément gris.
Les merveilles du pays rethélois me restent cachées. Je m’en remets donc à la brochure touristique que j’ai lue dans la mairie d’Hauteville.
Le sud ouest des Ardennes regorge de sites naturels exceptionnels…alors n’attendez plus venez découvrir le Pays rethélois.
Je n’aurais malheureusement pas l’occasion de faire la promenade des Isles à Rethel : un coin de paradis à ne pas rater…
L’étrangeté de l’église d’Asfeld mérite d’être qualifiée d’extraordinaire.
Effectivement l’église baroque d’Asfeld en forme de viole est originale ; pour extraordinaire, je serai plus mesuré.
À Château Porcien, je suis encore descendu d’un cran. De 140 mètres d’altitude à côté d’Hauteville, je rejoins l’Aisne et son canal à 70 mètres. Je vais le longer sur 22km jusqu’à Neufchâteau sur Aisne.
Avec le temps tristounet que j’ai, le parcours est plutôt agréable : très ombragé, parfois sauvage. Par beau temps, l’étape doit être très belle.
Je file droit et vite le long du chemin de halage malgré certains passages un peu noyés sous la végétation.
Après 7 heures de marche et 32km parcourus, j’arrive à Neufchâteau où, exceptionnellement je dors à l’hôtel.

D’Aix la Chapelle à Reims

La plaine avant d’arriver à Reims

En arrivant à Reims, je boucle une première partie de mon parcours.
Aix la Chapelle et Reims ont eu des histoires proches.
33 souverains germaniques de 936 à 1536 ont été couronnés dans la cathédrale d’Aix.
35 rois de France ont été sacrés à Reims de Louis le Pieux en 816 à Charles X en 1825.
Les deux cathédrales sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Des mérovingiens de Clovis aux Carolingiens de Charlemagne, il y a une continuité à défaut d’une filiation. Par la suite, c’est au côté de la couronne de Charlemagne que les rois français seront sacrés.
Proximité mais aussi éloignement, les 430km que j’ai parcourus ces 2 dernières semaines portent les stigmates de nombreux conflits comme encore ce matin au fort de Brimont.
Je rentre dans Reims « en douceur » en suivant la coulée verte le long du canal de l’Aisne à la Marne sous un soleil enfin revenu.
Reims est un jalon pour moi et je profite d’une journée de repos pour visiter la ville. Ce n’est pas complètement du repos comme toute visite de ville mais, avec le temps estival, j’ai l’impression d’être en vacances.
Demain, il sera temps de reprendre mon bâton de pèlerin direction Compostelle.

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GR654 de Reims à Vézelay

Champagne !

Le bonheur de repartir, de reprendre son bâton. La douceur matinale annonce ma première vraie journée estivale. Dès le matin, je suis en mode crème sur le nez et short.
Alors aujourd’hui, c’est champagne !
Après la sortie de la ville en longeant le canal, le chemin grimpe à l’assaut de la montagne de Reims qui n’a de montagne que le nom. Les vignes sont tirées au cordeau à flanc de colline.
Je partage un bout de chemin avec un québécois ; petit à petit, je vais compléter ma collection de nationalités …
Au dessus, le sentier file à travers les bois des faux de Verzy, singuliers hêtres tourmentés.
Je retrouve au cœur du vignoble une halte pèlerine à Trépail : accueil convivial et simple.
Beaux paysages, beau temps, quelques sites historiques comme l’observatoire du Sinaï, des rencontres… Je vous l’ai dit, aujourd’hui, c’est champagne !

Le chemin

Quelques journées « plates » m’attendent. De Trépail à Châlons en Champagne, la première partie file à travers champs, la deuxième partie file le long du canal latéral à la Marne. 28km pratiquement tout droit…Ce sont des journées « jacquaires » et moins « touriste ».
Le matin à travers champs, je reprends la chanson du pèlerin. Au bout de 6km, c’est bon, je maîtrise les paroles et peut chanter à tue-tête à travers les champs de céréales. Ultreïa ! Ultreïa !
À Condé sur Marne, une tonique grand mère de 86 ans m’offre un café. De Sartrouville, aux mines de fer dans l’Ariège et aux fermes du Cantal, elle me raconte les temps durs de son enfance. En partant, elle me demande de prier pour elle à Conques et à Saint Jacques.
Arrivé à Châlons, l’auberge de jeunesse est complète. Je me rends à l’office de tourisme mais week-end de Pentecôte oblige et diverses manifestations prévues en ville, les hôtels sont chargés.
C’est à l’accueil de la collégiale Notre Dame en Vaux que l’on me trouve une famille d’accueil. Ils résident dans le centre ville dans une belle maison avec un jardin intérieur. Je loge dans une petite chartreuse à colombage donnant sur le jardin. Superbe !
Je peux profiter de la fin d’après midi estivale pour me balader dans Châlons. La collégiale Notre Dame en Vaux est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des lieux remarquables sur le chemin de Saint Jacques.
Une nouvelle belle journée sur le chemin. Ultreïa ! Aller plus loin !

Moustik Attack

Sur mon long chemin, l’étape Châlons en Champagne – Vitry le François était redoutée. Elle cumule la longueur, 38km et la monotonie : une ligne droite le long du canal. À cela, est venu se rajouter la chaleur et un sac plus chargé que d’ordinaire ; je dois en effet gérer mon dimanche et lundi de Pentecôte associés à des traversées de petits villages.
L’étape sera finalement animée. La sortie de Châlons est rapide ; je me retrouve tout de suite en pleine nature le long de la Marne. Là, je rentre dans le domaine des moustiques. Les pluies de ces dernières semaines et les fortes chaleurs de ces derniers jours ont créé un climat favorable à leur multiplication. La lutte est féroce entre les kamikazes qui se jettent sur toute partie de peau apparente et moi. Les moustiques ont du se donner le mot : un petit repas du sud-ouest cela change. Les placides pêcheurs marnais ont l’air d’apprécier la diversion.
Je réussis de mon côté une vingtaine d’exécutions ; ils peuvent revendiquer de leur côté une dizaine de piqûres. Je bats néanmoins en retraite et préfère suivre la route à l’écart du canal. Plutôt que le chemin ombragé mais infesté, j’opte pour la route en plein cagnard…
Je gagne Vitry le François en un temps record avec certaines parties en trottinant…Les 38km sont parcourus en 7h45 soit pas loin de 5km/h de moyenne compris les pauses et le déjeuner…
Heureux et crevé de sortir du royaume des moustiques, je m’installe dans un lieu paisible et reposant, à la Doyenné de Vitry chez les Sœurs de Jésus Miséricordieux.

Les chemins

Nuit de récupération très calme chez les Sœurs de Jésus Miséricordieux.
Je repars ce matin le long du canal en souriant en douce. Mes amis les moustiques qui s’attendent à un nouveau petit repas gastronomique du sud-ouest vont découvrir que celui-ci est bien protégé…
Après avoir longé le canal des Ardennes (de la Meuse vers l’Aisne), puis le canal de l’Aisne à la Marne, ensuite le canal latéral à la Marne, j’ai à Vitry le François croisé le canal de la Marne au Rhin pour suivre celui de la Marne à la Saône.
Beaucoup de voies fluviales mais aussi beaucoup de voies de pèlerins. Ces jours ci, je suis un chemin commun à la voie de Namur à Vézelay (Saint Jacques) et à la Via Francigena (d’Angleterre à Rome). Tous les chemins mènent à Rome ou à Saint Jacques. Le succès de Compostelle a permis de relancer d’anciennes routes de pèlerinage comme Rome ou le chemin d’Assise que je suivrai en partie de Vézelay à Cluny.
À Saint Rémy en Bouzemont Saint Genest et Isson (c’est le nom du village), je rejoins deux pèlerins :
– Hi Polly, Hi Marc
Ils sont un peu surpris… En fait je les connais bien depuis plusieurs jours, je les suis et mes hôtes m’ont parlé d’eux. Ils sont de Rotterdam, ont pris une année sabbatique ; un peu marre de leur boulot, ils verront après Saint Jacques, ce qu’ils veulent faire…
Pas mal de points communs. Notre discussion débute sur des histoires de ….moustiques.
La marche à trois est agréable. Nous atteignons le très beau village d’Outines en début d’après midi.
Deux cyclistes sur la route de Saint Jacques nous rejoignent. Ce soir, nous serons donc 5. Nous sommes superbement logés dans deux gîtes ruraux aménagés dans des maisons à colombage face à la superbe église. Ce week-end, un groupe d’amis s’est réuni pour un anniversaire et nous laisse du rosé et du pastis…
Journée raisonnable avec 28 km, température agréable, des rencontres, un beau village et les moustiques n’ont pas pu tester le sang du sud-ouest et une bonne soirée en préparation…
Qu’ils sont beaux ces chemins !

Outines : église et maisons à pans de bois

Le lendemain

Ce matin se prête à la méditation d’un célèbre dicton jacquaire : « Soirée arrosée, camino embrumé ». Le pas est un peu plus lourd, l’entrain plus faible….Nous faisons le chemin à 3 avec Polly et Marc. La première partie traverse deux beaux villages avec église et maisons à pans de bois. Ensuite, nous quittons le GR qui tournicote pour rejoindre plus directement Brienne le Château. Les longs chemins plats, droits, sur une terre très claire sont, avec la chaleur, un bon entraînement pour les plateaux castillans.
C’est donc avec plaisir que nous nous installons dans le local mis gracieusement à la disposition des pèlerins par la mairie de Brienne le Château.
Ce soir sera certainement plus calme pour s’éviter un lendemain embrumé.

Éloge de la lenteur

Tout doucement le paysage est en train de changer. Nous quittons progressivement les vastes étendues céréalières de la Marne pour des pâturages, forêts et vallonnements de l’Aube. Les prémices de la Bourgogne vont bientôt se faire sentir.
Le rythme de la marche permet de percevoir en douceur tous ces petits changements.
Le chemin de Saint Jacques est une éloge de la lenteur. C’est aussi une thérapie. Apprendre à prendre le temps. Ne pas vouloir aller vite. Profiter.
Cela n’est pas forcément facile. Je tente de ne pas céder à la tentation du record : le nombre de kilomètres parcourus dans la journée, la moyenne quotidienne, la vitesse moyenne… Accepter d’avancer lentement. Profiter.
La thérapie commence à produire ses effets mais, il est vrai, le sujet n’est pas naturellement prédisposé à la lenteur…
La moyenne entre Brienne le Château et La Loge aux Chèvres est plutôt basse… 5 km après le démarrage, Dienville et son petit café nous a tendu ses bras et retenu un petit moment. À Amance, une aire de pique nique à l’ombre de mûriers nous a accueilli. La rivière qui coule à côté et le clocher de l’église nous servent d’horizon. Le boulanger passe au moment opportun pour terminer le repas avec une pâtisserie avant le café.
Ne pas aller vite… L’éloge de la lenteur…Profiter du plaisir de retrouver ces petits sentiers entre pâturages, forêts et petits villages…

La démarche Saint Jacques

Pour beaucoup, le pèlerinage de Saint Jacques avec ses longues heures de marche est propice à une démarche intérieure.
Je me demande, si finalement, ces journées de marche n’amènent pas, au contraire, à ne plus se poser de questions.
Le rythme est naturel. Une bonne nuit, un petit déjeuner sans se presser, ensuite partir et marcher lentement en découvrant de nouveaux paysages. Se préoccuper du gîte et du couvert. Le soir, se coucher relativement tôt et s’endormir sans problème.
Concentré sur l’essentiel, on se débarrasse du superflu.

Le pélerin de Saint Jacques

Simplement et naturellement, le pèlerin ne se pose plus de questions et avance : une des leçons de Saint Jacques ?
Christian, le pèlerin que nous rencontrons au presbytère de Bar sur Seine, est un « vrai » pèlerin. Déjà, son visage pourrait faire penser au visage du Christ. La bible doit remplir à elle seule l’essentiel de son petit sac à dos. Il marche de longues journées et s’arrête le soir en pleine nature après plus de 40km. Son budget serré lui fait privilégier les hébergements gratuits. C’est le cas, ici, au presbytère.
Christian est déjà allé à Saint Jacques, a commencé le retour à pied mais n’est pas allé jusqu’au bout : un sentiment d’inachevé qui motive son nouveau pèlerinage. Malheureusement une tendinite le bloque à Bar sur Seine depuis 3 jours. Je lui souhaite d’aller jusqu’au bout de son chemin. Les vrais pèlerins sont rares, il le mérite !

Champagne Ardennes

Je viens de passer au sud de la Seine. Les vignobles de Champagne des Côtes de Bar marquent l’extrême sud de la zone de production loin de la région de Reims. Les vignes occupent toutes les pentes et composent avec les champs de blés et les forêts de beaux paysages champêtres.

Avirey Lingey et le vignoble des Côtes de Bar

J’ai traversé la région Champagne Ardennes du nord au sud. Il y a moins de 15 jours, vers le lac des Vieilles Forges, j’aurai pu me croire au Canada. Ici, le sud commence à se faire sentir.
Entre les deux, la visite de la cathédrale de Reims reste un moment fort. Les plaines céréalières ne sont pas si désagréables en longeant le canal, à condition de se munir en cette saison d’un puissant répulsif anti-moustiques.
Enfin, les maisons et églises à pans de bois, les vastes forêts traversées composent un ensemble agréable loin des circuits touristiques traditionnels.
Je continue maintenant en Bourgogne avec Vézelay qui approche. Je devrai y être dans 4 jours.

La pause de Melisey

Melisey est notre premier village en Bourgogne. Nous avons parcouru 18km ce matin et la petite aire de pique nique devant l’église nous tend les bras.
La température est idéale, l’ombre parfaite, le village, comme beaucoup de villages traversés est d’un calme olympien. Seuls la brise dans les arbres et les chants des oiseaux viennent perturber ce silence.
Sur les étapes longues, la pause déjeuner permet de bien couper l’étape.
Après le repas, le temps s’arrête ; une légère somnolence nous gagne.
Et puis il faut se décider à repartir. La remise en route pour peu que la route monte et le soleil cogne, est parfois un peu difficile.
Mais cette pause de midi est un élément important de la réussite de la journée. Le lieu bien sûr est important mais aussi la qualité du repas. Pour le moment, j’ai réussi en règle générale à avoir du pain frais. J’essaie quand cela est possible de me préparer une grosse salade pour éviter de rester sur de la charcuterie. Un fruit termine bien le repas et par trois fois, le boulanger ambulant a croisé notre route pour terminer en beauté avec une pâtisserie.
À Melisey, pas de pâtisserie, nous l’avons eu déjà ce matin….
Le pèlerin bien nourri avance mieux et à Tonnerre, le compteur affiche 31km supplémentaires.

Lendemain de victoire

Belle soirée hier soir. Nous sommes à Tonnerre et demain ma route et celle de Polly et Marc vont se séparer.
Après une chaude et longue journée, nous avons une agréable et longue soirée : apéritif, restaurant japonais avec une bonne bouteille de Chablis et demi-finale Stade Toulousain – Castres dans un bar. La bière descend facilement ; l’ambiance est conviviale et les quelques consommateurs présents avec moi supportent Toulouse. Le lendemain, nous sommes déjà connus dans Tonnerre…
Après une bonne soirée, je réinstalle la pratique du dimanche tranquille. L’étape est courte et le temps nuageux ; il n’y a pas de raison de se presser.
Grasse matinée (7h30…), petit déjeuner tranquille, approvisionnement, petit café en attendant que la pluie cesse et il est 11h quand nous nous séparons. Nous avons marché 6 jours ensemble.
Chacun son chemin ; Polly et Marc passent par Auxerre, puis après Vézelay vont suivre la voie « normale » par Limoges. Je coupe direct vers Vézelay et ensuite prendrai la voie d’Assise.
Chacun son chemin mais nos chemins étaient proches avec une approche assez épicurienne du camino. Nos routes se rejoindront peut être à Santiago pour filer au Cap Finistère.
Lendemain de victoire, je poursuis seul mon chemin. Seuls les oiseaux entendront mes chansons.
Ultréïa, Ultréïa !

Ultréïa

Ultréïa. Aller plus loin. Le cri de ralliement du pèlerin. Aller plus loin chaque jour prend tout son sens aujourd’hui. Les belles journées passées m’avaient fait oublier que l’été n’était pas encore arrivé.
Ce matin, j’ai remis ma polaire et mon poncho. Les chaussures sont encore humides de la veille. Sous une pluie fine et face au vent, aller plus loin. Les chants se taisent, le corps s’exprime, le mollet couine. Aller plus loin !
Ultreïa. Après 29 km, Arcy sur Cure me rapproche de Vézelay à une petite journée de marche.

Vézelay

Au champ de Chante-Merle, la colline inspirée apparaît devant moi. Vézelay n’est plus que 5 km devant. J’ai parcouru 725 km depuis Aix la Chapelle en 26 jours de marche (plus une journée à Reims).
L’église Saint Jacques Majeur au pied de la colline est un premier jalon. La chapelle Cordelle qui accueille les franciscains est un autre jalon, cette fois sur le chemin d’Assise que je vais suivre durant une semaine.
Je peux attaquer la raide montée vers la basilique.
Vézelay, dont l’essor est né d’une mystification. Les moines voulant développer les ressources par un pèlerinage, affirmèrent posséder les reliques de Marie Madeleine. En 1279, elles furent reconnues définitivement comme étant à Saint Maximin.
Vézelay, une étape importante sur le chemin. En 1140, Aymeri Picaud dans le Livre V du Codex Calixtinus (guide du pèlerin) fait mention de 4 voies : Tours, Le Puy, Arles et Vézelay. À Vézelay, les pèlerins de l’est, d’Allemagne se rejoignaient pour poursuivre vers Saint Léonard de Noblat et Limoges.
« Sur le route qui va à Saint Jacques en passant par Saint Léonard, le très saint corps de la bienheureuse Marie Madeleine doit être d’abord et à juste titre vénéré par les pèlerins.(…) Dans ce lieu (Vézelay), une grande et très belle église et une abbaye de moines furent établis ; les fautes y sont, pour l’amour de la sainte, remises par Dieu aux pécheurs ; la vue est rendue aux aveugles, la langue des muets se délie, les boiteux se redressent, les possédés sont délivrés, d’ineffables bienfaits sont accordés à beaucoup de fidèles. »
Vézelay d’où, au Moyen Âge, Bernard de Clairvaux prêcha la deuxième croisade. Le jour de Pâques 1146, une foule considérable se presse à l’endroit où se trouve la chapelle des Cordelles. Le roi Louis VII, la reine Aliénor d’Aquitaine assistaient également à ce prêche. Saint Bernard écrira par la suite : « J’ai ouvert la bouche, j’ai parlé, et aussitôt les croisés se sont multipliés à l’infini. Les villages et les bourgs sont déserts. On trouverait difficilement un homme pour sept femmes. »
Vézelay qui marque le terme de la première partie de mon chemin. Je quitte les voies de Saint Jacques pour filer droit vers le sud.

Arrivée au pied de la colline de Vézelay

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Chemin d’Assise de Vézelay à Cluny

Les laudes

Dans la pénombre de l’aurore, les moines et les nonnes se recueillent. Agenouillés dans le transept de la basilique, vêtus de blanc, ils restent immobiles tels des statues. C’est la prière du matin qui précède les laudes.
Le silence est absolu, saisissant.
À 7 heures, l’office débute. Les chants et psaumes brisent le silence et remplissent la nef de la basilique.
Il est difficile de rester insensible ce matin par ce silence et ce recueillement.
La cérémonie se termine par la bénédiction des pèlerins. Nous sommes deux à la recevoir au cœur du transept, entourés des moines et nonnes.
Je repars de Vézelay béni, protégé et avec l’évangile de Marc.
Je repars en pèlerin. La bruine se met à tomber, j’enfile mon poncho et m’engage au cœur du Morvan.

Des traces de pas

À Vézelay, en cette période de l’année, une dizaine de pèlerins sont enregistrés quotidiennement à l’accueil de la basilique. Peu suivent « ma voie » à travers le Morvan vers Cluny.
Les quelques randonneurs rencontrés avant ou à Vézelay sont partis plus à l’ouest. À Chastellux sur Cure, une nîmoise était hébergée dans le même gîte mais je risque d’être seul pendant quelques jours.
Depuis hier, je suis des traces de pas « récentes », sur plusieurs kilomètres, les mêmes traces caractéristiques des chaussures de randonnée. Cela signifie donc qu’il existerait d’autres marcheurs allant dans la même direction…
Je chemine donc en me disant que je finirai bien par les rattraper….Le relief s’accentue et le chemin est magnifique. Plus ardu que les autres jours avec des montées raides et des paysages sauvages.
Les villages sont rares et le passage à Dun les Places est apprécié. Il faut gérer le ravitaillement d’autant plus que les deux prochaines nuits, je dois me préparer le repas. Dun les Places, un peu au milieu de nulle part, possède une épicerie remarquablement achalandée, une vraie boulangerie pâtisserie, et deux hôtels restaurant bar. Je profite de cette abondance : café en terrasse, pâtisserie, glace…
Mais, je ne dois pas me laisser griser. La météo annonce des risques importants d’orages l’après midi et puis je vais peut être rattraper les pas…
Une dernière montée raide et je rejoins le refuge de Breuil vers 14 heures avant un violent orage. Des ouvriers travaillent. Le gardien vient vers 16 heures puis rentre chez lui à 10 kilomètres. Point de randonneur à Breuil. Je suis seul dans ce refuge de 40 personnes. À 600m d’altitude, en plein milieu de la forêt. La première maison doit être à 3 kilomètres.
Il faut que je profite de ce luxe ! Quand je serai entre Le Puy et Conques ou en Espagne, quand je serai dérangé par les ronfleurs, quand j’attendrai mon tour pour la douche, je repenserai certainement à ce refuge. Je repenserai à ces 40 couchages, 6 douches, ces batteries de casseroles. Je repenserai à ce dîner assis seul sur une grande table de 20 personnes. Je repenserai au refuge de Breuil.
Les traces de pas ont disparu et je passe une nuit absolument seul en plein milieu des bois.

Un mois

J’ai commencé à marcher le 9 mai. Je boucle ce 8 juin mon premier mois. Un seul mois mais quel mois ! Un seul mois à marcher mais que de kilomètres parcourus, de rencontres, de paysages différents traversés. Quel mois bien rempli !
En un mois, j’ai parcouru 800km. J’ai quitté l’Allemagne, traversé la Belgique. Je suis maintenant au coeur de la France. Je suis passé des hauteurs ardennaises au plaines de la Marne pour remonter dans le Morvan.
J’ai été accueilli par des familles d’une extraordinaire générosité. J’ai passé des soirées festives, d’autres très calmes comme hier soir. J’ai fait des petits bouts de route ou des plus longs avec des randonneurs. J’ai visité Aix la Chapelle, Liège, Reims, Vézelay…
Que va me réserver le mois qui vient ?

Le Haut Folin

J’attaque mon deuxième mois par un sommet. J’ai vaincu le toit de l’Afrique, il y a quelques années ; je suis sur le toit de la Bourgogne au Haut Folin cette fois ci. Cette célèbre station de ski morvandelle culmine à 901 mètres. Je pensais trouver du monde sur « ce pic » et je suis seul là haut, avec tout le Morvan et toute la Bourgogne à mes pieds. De grandes forêts, des myrtilles, une température fraîche, le Haut Folin est une montagne !
Les bassins de la Loire, du Rhône et de la Seine se donnent rendez-vous dans ces montagnes. Et le Morvan les abreuvent généreusement. Les jours de beau temps ici sont les jours avec juste quelques averses ! Et demain, c’est carrément le mauvais temps qui est annoncé…Les torrents dévalent les pentes. Les paysages sauvages sont verdoyants.
Après ma nuit solitaire au refuge du Breuil, j’ai hier retrouvé de l’animation : le lac des Settons, haut lieu du tourisme avec ces nombreux campings, hôtels et restaurants et le beau gîte municipal de l’Huis Prunelle sur la commune de Planchez. Au gîte, un moniteur de pêche et un groupe de vetetistes étaient présents. J’ai retrouvé de l’animation !
Après le pic du Haut Folin, je poursuis en direction de Glux en Glenne. Je domine déjà les derniers contreforts du Morvan et les plaines de l’Arroux et du Creusot. Mais avant de quitter la montagne, je m’installe au pied du Mont Beuvray, l’oppidum de Bibracte, 3ème sommet morvandiau que je « gravirai » demain.
Le gîte municipal est « luxueux ». J’ai ma chambre avec cuisinette et salle de bain privative. Le salon est équipé de wifi et d’une télévision…Pour la finale Stade Toulousain – Toulon, je n’aurai pas à me tracasser…

Glux en Glenne et le Mont Beuvray (Oppidum de Bibracte)

Étape(s) de liaison

Au Mont Beuvray, je domine les plaines. Le sommet est le dernier point avancé du Morvan au sud. La vue s’étend par temps clair jusqu’au Mont Blanc.
C’est ici dans l’ancienne Bibracte, capitale des gaulois, que Vercingétorix fut proclamé chef en 52 av JC.
Ici, j’entame ma descente pour rejoindre le GR7. Ce sont des « étapes de liaison ». L’attrait est moindre. Le chemin se confond plus souvent avec la route. Les possibilités d’hébergement sont limitées. Je retrouverai un itinéraire plus « randonnée » au-delà de Montchanin.
Ok, c’est dimanche, ok, le Stade Toulousain est champion de France mais il ne faut pas pour autant s’emballer. La journée ne s’annonce pas de tout repos. La météo prévoit une perturbation pour cette après midi. Je ne sais pas où je vais dormir ce soir ; le gîte à Broye, où je souhaitais faire étape, est complet. J’opte pour l’option longue : Saint Symphorien de Marmagne soit environ 37 km par un itinéraire …à tracer en suivant ce qui paraît être des chemins et en essayant d’éviter les routes.
Je pars donc tôt et nous verrons bien…Le pas est dans ces cas là plus rapide, les pauses plus courtes.
Après quelques acrobaties pour escalader des barrières et portails, des détours face à des chemins qui n’existent plus, j’arrive à Étang sur Arroux. J’ai parcouru à 11h30, 22km à 5,1km/h de moyenne… Le ciel est gris, mais il ne pleut pas, je m’installe pour souffler dans un bar avec l’Equipe.
La première option, trop facile est de s’arrêter au gîte d’étape d’Etang sur Arroux. Je préfère continuer, il ne pleut pas et il est encore tôt. Le chemin que je prends au sud de la vallée du Mesvrin me réserve encore quelques belles côtes notamment du côté de la Chapelle Sous Uchon. Justement, j’attrape la pluie ici. Je commence à regarder quelles sont les possibilités d’hébergement. Rien… donc j’avance.
À la croix de Montrion, après 33km, un abri randonneur me tend les bras. Il pleut. Je m’installe à l’abri pour analyser les différentes options.
Finalement entre l’abri tout de suite mais sans eau et Saint Symphorien à 4 km et l’hôtel en demi-pension, j’opte sagement pour l’hôtel…
Étape de liaison de 37km….Mais que sont devenus les dimanches d’antan !

Étape(s) de liaison (bis)

Le temps s’est mis au diapason de cette seconde étape de liaison. Dans la grisaille et sous la brume, je me dirige vers Montchanin. Dommage car le chemin par la colline de la Brosse puis les collines vers Montcenis est agréable. De temps en temps, un fugace rayon de soleil vient éclaircir une partie du paysage composant une superbe vue.

Rayon de soleil du côté de Saint Symphorien de Marmagne

À Torcy, dans l’hypermarché, avec mes grosses chaussures, mon sac à dos et mon bâton de bois, je suis comme un extraterrestre.
L’extraterrestre a envie de retrouver sa planète : des sentiers et des gîtes d’étape…mais avant je m’enfonce sur un mauvais chemin, persiste dans un roncier, avant de renoncer.
L’extraterrestre retourne le long d’une zone industrielle puis d’une voie rapide. Demain je retourne sur ma planète…

Retour sur ma planète

L’été n’en finit plus de se faire attendre ou alors, c’est l’automne qui est déjà là. Pluie, vent, froid et chemins boueux sont au programme de ce milieu du mois de juin.
Je retourne sur ma planète, celle des chemins et petits villages. Avant le Puley, je commence par croiser le GR7. Le GR7, je le connais bien. Je l’ai parcouru du seuil de Naurouze jusqu’au niveau du Pont de Montvert. Il va me servir de fil conducteur entre Cluny et l’Ardèche.
À Saint Maurice des Champs, je retrouve le balisage du chemin d’Assise. Le décor de la porte de la petite église du village est d’inspiration arabo-andalouse. Ce décor est également employé à Cluny, Tournus et Saint Jacques de Compostelle…Cluny a laissé des marques tout le long du chemin mais aussi dans l’autre sens, les influences espagnoles sont remontées au cœur de la Bourgogne.
À Saint Gengoux le National, avec le GR76, c’est la voie de Compostelle Langres – Cluny que je récupère. De Cologne, Luxembourg, d’Alsace, les pèlerins de l’est l’empruntaient pour rejoindre Le Puy via Cluny.
Ce soir, je retrouve un gîte d’étape tout simple à Burnand.
Retour en terre connue…

Chemin d’Assise

Devant les ruines de la belle église fortifiée de Saint Hippolyte, je retrouve un marcheur. Cela faisait plusieurs jours que je n’en avais pas rencontré.
Il est aveyronnais et fait le chemin d’Assise depuis Vézelay.
Je vais bientôt quitter ce chemin pour filer sur le sud. Il a été balisé depuis Vézelay, lieu de la première implantation en France d’une communauté franciscaine.
Après Cluny, le chemin d’Assise file sur Pérouges, Saint Jean de Maurienne, Col du Petit Montcenis, Campo Ligure, San Gimignano…
Je continue sans passer par Taizé directement vers Cluny. Le chemin traverse de beaux villages aux maisons vigneronnes en pierre ; une succession de petites collines ouvre des perspectives sur la campagne, les vignes et monts du mâconnais. Le marquage est bon avec fréquemment des coquilles Saint Jacques. Il ne pleut pas, tout est calme, le sud commence à se faire sentir ; commence juste puisqu’une averse m’oblige à ressortir mon poncho en arrivant sur Cluny.

A Cluny

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De Cluny au Puy par l’Ardèche

Cluny et la suite

Il est dur après une journée de marche de visiter une ville ou un site, mais il est difficile de faire l’impasse sur l’abbaye de Cluny. Les parties qui ont survécues aux destructions de la révolution sont impressionnantes. Pourtant, il ne reste de l’église guère qu’une tour latérale du transept.
Cluny est une étape importante de mon parcours qui me permet de me plonger sur l’histoire de cet ordre et son influence sur le pèlerinage de Saint Jacques.
J’ai déjà rencontré un prieuré clunisien à Saint Séverin de Condroz en Belgique. En France, Vézelay a été lié à Cluny. Moissac, San Juan de la Peña, Sahagun sont également des établissements clunisiens sur le chemin.
L’apogée de Cluny coïncide avec celle du pèlerinage de Compostelle et les moines fondèrent ou affilièrent des sites tout le long du chemin.
J’avais initialement prévu une journée de repos mais la météo annonce une belle journée ensoleillée et elles sont suffisamment rares pour ne pas en profiter.
Quelle belle journée : soleil, températures idéales pour marcher et un superbe cocktail de sites historiques et de nature. Les paysages et la flore sont parfois méditerranéen comme à Solutré ou très montagnard à d’autres endroits.
La montée sur la croix Montmain me réserve de belles vues sur la brume matinale au dessus de Cluny. Sur l’autre versant, je plonge vers le beau château médiéval de Berzé. Je visite ensuite la chapelle du château des moines de Cluny. Les fresques toutes « byzantines » sont superbes.
Je poursuis au milieu des vignobles du mâconnais en direction de la roche de Vergisson. Je gravis ensuite la roche de Solutré. Au sommet, je domine la plaine de Mâcon, les vignobles, on devine le Jura.
La vue depuis le col de la Grange du Bois avec un prieuré en premier plan et la roche de Solutré complète et aussi résume parfaitement cette étape.

Vue depuis la Grange aux Bois sur le prieuré et la roche de Solutré

Je pensais en avoir fini avec « les beautés » de la journée et terminer tranquillement en gagnant Cenves mais la vue de la table d’orientation de Cenves me réserve une belle surprise. Le Mont Blanc majestueux se distingue au fond. Il domine, écrase de sa hauteur toute la plaine au premier plan.
Au col de la Grange du Bois, je quitte déjà la Bourgogne. Je dis déjà parce que j’ai l’impression d’y être rentré hier. En marchant, les kilomètres défilent plus vite qu’on ne le pense. J’ai traversé l’Yonne, longé la Nièvre par l’est, puis marché plusieurs jours en Saône et Loire et me voilà maintenant en Rhône-Alpes.
À Cenves, je m’installe dans le très beau gîte municipal face au paysage verdoyant des Monts du Beaujolais : 2 chambres, cuisine, et salle de bain pour moi tout seul et pour 15,30€.
Une belle journée de 32km et près de 1000m de dénivelé. J’avance, j’avance…

1000km

À Beaujeu, au cœur du Beaujolais, le compteur affiche 1000km. 1000km depuis Aix la Chapelle. Après 1000km, le moteur est rodé. La marche est naturelle. À midi, 15 à 20 km sont bouclés. L’arrivée se fait rarement au delà de 16h.
Je passe un bon moment à l’office du tourisme de Beaujeu. Je dois gérer mon hébergement pour ce soir et je recherche un gîte d’étape disponible. Pas simple du tout. Je trouve finalement à Saint Nizier d’Azergues un peu à l’écart du GR76, plutôt du côté du GR7.
En début d’après midi, j’attaque la montée au dessus de Beaujeu. Le moteur est rodé, mais les 450m de dénivelé avec les premières fortes chaleurs me valent une bonne suée.
Encore une bonne étape dans les monts du Beaujolais, plus longue qu’initialement je souhaitais. Je suis content d’arriver après 33 km et à nouveau 1000m de dénivelé au terme de la journée. Le gîte d’étape de Saint Nizier d’Azergues fait aussi bar et épicerie. Après cette chaude journée, j’ai mérité ma bière !

Le crédential

Mon crédential est complet. Maintenant, je vais faire tamponner mes passages sur des feuilles libres. Le crédential (ou carnet du pèlerin) permet à la fois d’être hébergé dans les auberges jacquaires en Espagne et d’attester à l’arrivée que l’on a effectué le pèlerinage (au moins les 100 derniers kilomètres). Cela permet ainsi de recevoir la Compostela.
Chaque jour, je fais tamponner mon crédential. Cela n’est pas obligatoire comme dans les auberges espagnoles mais dans certains lieux cela permet de bénéficier d’un tarif spécial pèlerin.
Les tampons sont variés : mairies, famille d’accueil de pèlerin, gîte d’étape, office de tourisme, abbaye, hôtel…C’est le témoin de mes différentes étapes, d’expériences différentes, de soirées solitaires ou avec d’autres pèlerins. Ce carnet raconte mon pèlerinage.
À Saint Laurent d’Oingt, la propriétaire de gîte n’a pas de tampon. Cela sera une simple signature. Mais qu’importe le tampon, pourvu qu’il y ait le gîte. La recherche du gîte dicte mes étapes, génère parfois de l’incertitude et réserve souvent de belles surprises.
Ce soir, j’ai un magnifique gîte rural pour moi tout seul : mur en pierre apparente, séjour avec cheminée et télévision, cuisine. Tout cela au cœur du vignoble du beaujolais et pour 20€. Dans les régions vinicoles, il arrive de trouver des étapes dans les gîtes utilisés par les vendangeurs en saison.
En plus de cette belle maison, la propriétaire m’apporte salade du jardin, cerises et une bouteille de vin rosé de la propriété. Ce soir, le repas sera agréable !

Le crédential

Le faux rythme

Petite étape entre Saint Laurent d’Oingt et Saint Marcel l’Eclairé : 23km. Pour des raisons de logistique, je « tire des bords » dans le département du Rhône : un coup un peu à l’est, un coup un peu à l’ouest. En plus, je ne peux pas arriver au gîte avant 17h00…Résultat, je traîne, je suis un faux rythme. Malgré tout, j’arrive trop tôt. Bref, je crois que je préfère la vraie bonne étape efficace, marcher à un bon rythme, arriver suffisamment tôt dans l’après midi. Ce dimanche, j’ai l’impression de ne pas avoir progressé…

Face au soleil

Il fait une extrême douceur ce matin. L’été est en train de s’installer et je m’élance face au soleil…Il est un peu frustrant d’aller à Saint Jacques de Compostelle en marchant en direction de l’est…Je me rapproche de Lyon après m’en être éloigné … Ce qui est réconfortant, c’est que je suis en train de tirer mon dernier bord vers l’est. Après Courzieu, je reprendrai une marche plus normale direction sud-ouest. Depuis hier, mes étapes sont plus courtes. Après une série autour de 30km par jour, je suis descendu plutôt en dessous de 25km. Le relief entre Saint Marcel l’Eclairé et Courzieu est en plus beaucoup plus doux. Après des journées avec près de 1000m de dénivelé, ce lundi, c’est comme un dimanche, jour tranquille.
Mercedes Sosa chante :
Gracias a la vida,
que me ha dado tanto;
(Merci à la vie, qui m’a donné autant)

Et ce matin, c’est, plein est, face au soleil que je vais en musique, vers Saint Jacques de Compostelle…

Le rituel de l’arrivée

Les étapes étant plus courtes, j’ai un peu plus de temps à l’arrivée mais le rituel reste le même :
1 – la douche
2 – la lessive. Il faut bien commencer par la phase 1 pour récupérer le linge sale et il ne faut pas trop tarder si l’on souhaite avoir le linge sec le lendemain matin. Vu le peu de linge que je transporte, il est important de s’astreindre à la faire quotidiennement.
3 – la bière. Cette troisième étape n’est malheureusement pas systématique. Elle dépend beaucoup du lieu où se trouve le gîte et il est souvent loin de tout…
J’ai testé la phase 3 à la place de la phase 1 mais cela ne me convient pas pour deux raisons : on n’a pas le temps de prendre le temps vu la contrainte de la phase 2 et, ma foi, propre après la douche, la bière est meilleure.
Le standing de l’étape dépend beaucoup de la conjonction des 3 phases. Certains éléments améliorent grandement ce standing : le lave-linge qui permet de se lancer directement sur la phase 3 après la phase 1…. C’était le cas hier soir. J’en ai profité pour faire une grosse lessive.
Ce soir, je suis à Saint Symphorien sur Coise. C’est un gros bourg qui permet de choisir l’endroit le plus adapté pour la phase 3. Et il est maintenant temps que je lance cette phase…

Gîte Jacquaire de Saint Symphorien sur Coise

Prévisions de pluie à une heure

Entre Saint Symphorien sur Coise et Saint Chamond, je me lance dans une expérience scientifique : la fiabilité des prévisions de pluie à une heure de Météo France. Une légère averse me surprend à Coise au moment même où je passe devant un café. Bonne opportunité pour faire une pause même si je n’ai parcouru que 3 km. La météo annonce petite pluie, courte accalmie puis averse plus marquée avant le retour du sec. Une légère éclaircie se présente, ne nous emballons pas, c’est l’accalmie de Météo France. Je ne bouge pas. Bien m’en prend puisque la forte averse suit peu après. À 10 h15, une fenêtre sans pluie d’une heure est annoncée. Je repars.
Le test est concluant et je n’ai pas besoin de me mettre en mode poncho.
Je poursuis en évitant les chemins trempés et boueux après la nuit continue de la nuit dernière.
La journée se termine par une belle fin d’après-midi juste au dessus de Saint-Chamond sur les pentes du Pilat. J’expérimente une variante améliorée du rituel de l’arrivée avec la bière au bord de la piscine…Ah que sont devenus les pèlerins d’antan !

Roncevaux, O Cebreiro, Crêt de la Perdrix

Certaines étapes du chemin sont mythiques : le passage du col de Roncevaux à partir de Saint Jean Pied de Port et ses 1200m de dénivelé, la montée de Villafranca vers O Cebreiro qui fait passer de 500m à 1296m et marque l’entrée en Galice.
Mon chemin comporte une autre étape mythique : la montée au Crêt de la Perdrix à partir de Saint Chamond. Le point le plus haut du massif du Pilat culmine en effet à 1431m. Les 1000m de dénivelé se font très graduellement par un agréable chemin.
De Saint Chamond, le sentier passe d’abord par un paysage de cultures. Je m’enfonce ensuite dans des forêts de résineux. À la Jasserie, je me retrouve dans un paysage d’alpage. La vue du sommet couvre un vaste panorama avec le Mont Mézenc que je vais parcourir dans quelques jours, le Forez, le Jura, les Alpes et le Mont Blanc (couverts dans les nuages).
Je suis maintenant et pour quelques jours au dessus de 1000m d’altitude. Je me contente aujourd’hui de cette ascension. Arrivé au Bessat, je n’ai parcouru que 18km mais la météo annonce des risques d’orages importants et en montagne, il vaut mieux rester prudent.
Pour la première fois depuis Aix la Chapelle, je suis à l’étape pour midi. À 13h45, le violent orage annoncé arrive avec trombes d’eaux mêlées de grêlons. Douché, au sec dans ma chambre, je peux me reposer cette après midi.

Que demander de plus?

Du Bessat au gîte des Setoux, le chemin reste entre 1000m et 1300m d’altitude. Le dénivelé est juste ce qu’il faut, environ 400m : trop plat, ce serait monotone, trop marqué, ce serait fatigant. Le sentier est bon. La distance, 24km, est idéale. Elle permet de prendre son temps et de profiter du paysage.
Le parcours alterne les passages en forêt et les crêtes avec de belles vues sur les sucs et monts de Haute Loire et de l’Ardèche (Mont Mézenc, Gerbier des Joncs…) et à l’est sur les Alpes.
La température est idéale : grand ciel bleu, suffisamment chaud pour démarrer en short et suffisamment frais pour marcher.
Les prairies sont couvertes de fleurs. Les mouches collantes moins présentes que les jours précédents.
Après 7km, l’auberge au col de la République permet de prendre le café matinal. Au gîte du Combalou, la machine à laver améliore le rituel de l’arrivée. L’auberge ce soir permettra de se rafraîchir avec une bière avant de faire un repas complet.
Alors que demander de plus : l’auberge au Tracol était fermée et il a manqué un petit dessert et un café après le repas ; ensuite, au gîte, qui est pourtant sur la voie Saint Jacques Genève-Le Puy, je suis à nouveau seul.
Le pèlerin d’aujourd’hui devient exigeant…

PS : à l’auberge des Setoux, Leffe pression disponible. Au gîte, une pèlerine venant de Genève est arrivée. C’est mon premier pèlerin en direction de Saint Jacques depuis Vézelay…

Vue de la Croix de Chaubouret sur les Alpes
Vue de la Croix de Chaubouret sur les Alpes

Le silence de la forêt

Marcher le matin dans la forêt est un vrai plaisir. Quel calme ! Quelle tranquillité ! Seuls quelques gazouillis d’oiseaux et le bruit de mes pas viennent troubler ce silence. Dans cette faible clarté matinale, dans la pénombre des sous-bois, je m’attends à voir sortir des djinns ou des trolls.
Quand je débouche à Saint Bonnet le Froid un samedi, j’ai l’impression d’arriver à Saint Tropez : boulangerie-pâtisserie digne des endroits les plus branchés, relais château, fromager, primeurs avec vaste choix de fruits et légumes joliment présentés, boutique déco, …Si je n’avais pas que mon sac à dos de 38 litres, je me chargerais de victuailles.
En fait, j’avais besoin de savon et de dentifrice mais…à Saint Bonnet le Froid, il n’y a pas de véritable épicerie.
Je continue donc mon chemin, retourne dans mes forêts et pique-nique simplement et tranquillement dans un sous-bois.
Je suis rentré en Ardèche. La marche est toujours aussi agréable sur ce plateau de forêts et prairies. Je savoure cette tranquillité.

Si près du Puy

À midi, je m’arrête à Fay sur Lignon. Non, je n’irai pas plus loin. Je suis à un peu plus de 30 km du Puy. Je pourrais y être demain soir. Ce matin, j’ai à nouveau retrouvé et suivi un balisage Saint Jacques. Cette fois, c’était une voie qui mène de Valence au Puy.
Il est temps pour moi de marquer une pause en Ardèche. Je reprendrai dans une quinzaine de jours en remontant vers le Puy.
Demain, je grimperai au sommet du Mont Mézenc que j’ai eu aujourd’hui toute la journée face à moi.

Le Mont Mézenc

Le Mont Mézenc

Je ne grimperai pas plus haut. Au Mont Mézenc, à 1753m d’altitude, j’ai atteint le sommet de mon chemin, mon Everest. Que ce soit au Somport, Roncevaux ou Alto de Poio, je serai plus bas que le Mézenc.
Comme la Loire qui prend sa source à deux pas d’ici et qui coule sur plus de 1000km, je n’aurai plus qu’à me laisser guider par les flots vers Saint Jacques. Se laisser guider est certainement approprié. Après des journées solitaires sur les chemins, je vais retrouver un flot de pèlerins en direction de la Galice. Ce sera pour moi une nouvelle expérience.
Avec les nuages sur le Mont Mézenc, le paysage est d’une austère beauté, le sentiment d’isolement sur ce haut plateau en est encore renforcé. Le ciel est noir, le vent souffle en rafale. Les Dents du Diable portent bien leur nom…
L’agréable auberge de Chaudeyrolles est comme un refuge isolé dans cette solitude. J’imagine ces lieux en plein hiver un jour de burle….
Au Mont Mézenc, je suis aussi pas loin de la moitié de mon parcours. Il est temps de faire une pause dans le sud de l’Ardèche avant de reprendre dans une quinzaine de jours.

Au sommet du Mézenc

Par là bas dans le brouillard, c’est Saint Jacques de Compostelle

C’est reparti !

10 juillet, c’est la reprise. Fin juin, du Mont Mézenc, j’ai tranquillement rejoint en famille le col de la Chavade. Après 15 jours de vacances avec repos et repas, il est temps de repartir.
Je vais « remonter » à la Chavade pour gagner Le Puy en 4 jours de marche.
En partant de Payzac, aux confins du Vivarais et des Cévennes, je laisse derrière moi un paysage méditerranéen de vignes et d’oliviers . En quelques kilomètres, je vais changer d’environnement. J’abandonne les tuiles romaines, pierres calcaires et vignes pour les forêts, les toits en lauze, le grès des montagnes ardéchoises.
Je connais bien ce chemin qui, de Brès à Peyre, en passant par Saint Jean de Pourcharesse dois m’amener de 400m à 900m d’altitude pour terminer ce soir à Loubaresse à 1200m après 29km. Bref une bonne remise en jambes…
Comment mon corps va réagir après cet intermède? C’est avec ce mélange d’incertitude et d’impatience que je repars de Payzac.
J’ai l’impression de repartir comme au premier jour, le linge propre, le sac bien rangé, les chaussures bien sèches. La matinée est belle, le soleil se lève, le clocher de Payzac disparaît. Le Mont Ventoux derrière moi, j’attaque la montée.

Payzac et le Mont Ventoux
À l’aube, le clocher de Payzac et le Mont Ventoux

Je retrouve mes sensations. Le sentier dans la forêt de pins et châtaigniers est toujours aussi calme, aussi beau avec ses vues sur les collines, le clocher de Saint Pierre le Déchausselat et au fond le Serre de Barre.
La montée à Peyre se fait sans difficultés. Là haut, de vastes panoramas s’ouvrent à moi. Le sentier est bon, le pas alerte. À midi, je déjeune à la Croix de la Femme Morte. À 14h00, je suis à Loubaresse. Une douche, la lessive, un peu de repos et une bière…C’est reparti !

Le Pendu pas dépendu

Hier, le chemin passait par le col de la Femme Morte, aujourd’hui, c’est par le col du Pendu. Les ardéchois ont l’art de trouver des noms assez lugubres.
Le pendu ardéchois était garde forestier. Ses décisions d’attribution de bois de coupe lui avaient valu quelques inimitiés…qui l’auraient grandement aidé à se pendre.
Malheureusement pour lui, Saint Jacques n’a pas reproduit, ici en Ardèche son miracle du pendu dépendu.
Il s’agit du 7ème des 22 miracles attribués à l’apôtre. Deux versions assez proches circulent. Une se déroule à Toulouse, l’autre plus connue, à Santo Domingo de la Calzada. Un aubergiste malveillant cacha un vase en argent dans la besace d’un pèlerin sur la route de Compostelle. Accusé de vol, il fut pendu. Son père poursuivi le chemin jusqu’à Saint Jacques. À son retour, il trouva son fils toujours suspendu au gibet, mais vivant. Saint Jacques le soutenait.
La même version est reprise dans les Cantigas de Santa Maria composées en galicien par Alphonse X au XIIIème siècle. Le pèlerin est toujours allemand, il allait à Saint-Jacques en passant par Rocamadour et Toulouse. Cette fois, c’est la Vierge Marie qui soutient le pendu!
Musique et paroles du Cantiga de Santa Maria 175 « Por dereito a Virgen » :

Ce miracle est souvent représenté dans les églises et alimentait de nombreux récits de pèlerins. Il les mettait en garde aussi contre certains aubergistes « indélicats ».
Le col du Pendu est ma dernière difficulté avant le Puy. Le chemin va progressivement perdre en altitude durant ces 3 prochains jours. Ce soir, dernière soirée en Ardèche à Coucouron à 1150m.

Cantigas de Santa Maria – n°175 – Le pendu dépendu de Toulouse

Le programme de la journée

Ma journée est parfaitement délimitée. La ligne que je vais suivre est tracée sur une carte IGN au 25 millième. Ce 12 juillet, je dois quitter Coucouron, longer le Plot de la Laonne, passer la Croix de la Téoulé. Après 1km340, je vais rentrer dans la forêt, arriver au départ du téléski, continuer…etc jusqu’à Goudet au bord de la Loire.
La journée est parfaitement délimitée pourtant je pars chaque matin vers l’inconnu. Que vais-je voir? Qui vais-je rencontrer?
Toutes ces choses que l’on ne voit pas, que l’on ne sent pas sur la carte. Le ciel noir à la sortie de Coucouron qui, avec le soleil souligne le relief, les sucs au fond et le plateau ardéchois qui tombe dans la Loire. Ce sentier tapi de paille qui amorti le pas et renforce la quiétude de la marche. Au détour d’un virage, le village d’Arlempdes qui mérite bien son classement parmi les plus beaux villages de France.

Arlempdes
Arlempdes « le premier château de la Loire »

La saveur de fraises des bois ramassées au bord du sentier. La beauté du sentier en balcon au dessus de la Loire sauvage. La tonicité de la baignade à l’arrivée à Goudet. Une soirée agréable à 6 autour de la table d’hôte.
C’était une courte étape après les 62 km parcourus les 2 derniers jours. C’était une belle étape avec ces beaux petits moments. Demain, c’est Le Puy.

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Du Puy à Toulouse

Le Puy

Le Puy fait partie de ces étapes mythiques. Historiquement, l’évêque du Puy, Godescalc, fut le premier pèlerin non espagnol en 950. Le Puy fait partie, avec Vézelay, Tours et Arles, des 4 villes de départ citées dans le guide du pèlerin par Aymeri Picaud vers 1140.
Pour moi, je suis à peu près à mi-chemin depuis Aix la Chapelle.
Ce matin, comme le mois précédent avant Vézelay, je suis impatient d’arriver. Le pas est plus rapide et les pauses moins fréquentes. Pourtant, l’étape est à nouveau très belle le long de la Loire avec un passage par la cascade de la Beaume.
L’approche de la ville n’a pas le charme champêtre de celle de Vézelay pourtant le centre ne manque pas d’attraits. Je visite les principaux sites. De nombreux randonneurs passent avec leurs sacs à dos. Le Puy est un peu « la Mecque » de Saint Jacques. Le gîte d’accueil est complet. Des pèlerins continuent à arriver fatigués à la recherche d’un hébergement. Après deux mois relativement solitaire, j’ai un peu l’impression d’être dans le hall de la gare de Lyon un jour de grand départ . Un nouveau pèlerinage commence pour moi.

Joyeux anniversaire

Le Puy en Velay
Démarrage au pied de la cathédrale du Puy

47 ans, je quitte le Puy. Cela se fête ! Un trio de randonneurs a organisé cette nuit pour moi un concerto de ronflement pour marquer le coup. Je suis donc largement éveillé quand il faut me rendre à la cathédrale pour la messe du matin. J’y arrive suffisamment tôt pour profiter d’un peu de calme. Rapidement, une bonne cinquantaine de pèlerins arrivent. Je repense au silence de « cathédrale » de Vézelay avec ses moines et nonnes statufiés dans le transept…
47 ans, je suis béni (comme les autres, un coréen, des brésiliens, suisses, allemands, anglais, belges, etc…) et m’engage dans le flot des pèlerins.
Rapidement le flot s’étire sur le chemin. Beaucoup débutent ici, j’ai 1400km dans les jambes et mon pas est plus entrainé. Je me retrouve finalement relativement dans le calme et, à Monistrol sur Allier, seul à l’arrivée au gîte municipal. Ce soir, je n’aurai ni feu d’artifice, ni concerto de ronfleurs.
47 ans, j’ai un petit peu avancé. Vers quoi? Déjà en direction de Saint Jacques et puis aussi vers ma cinquantaine…

La simplicité

Le Sauvage en Haute Loire
Le Sauvage à 1300m à la limite de la Haute Loire et de la Lozère

Je dors ce soir au Sauvage. Je suis à 1300m d’altitude à la limite de la Haute Loire et de la Lozère. Cet ancien hospice accueillait les pèlerins de Saint Jacques. Ses épais murs offrait un abri adapté aux rigueurs du climat. Le site est superbe, sauvage, isolé, perdu, d’une austère beauté et d’une grande simplicité.
La simplicité …
La simplicité de la marche ce matin, à nouveau tout seul dans cette nature préservée. Je croise mes premiers pèlerins à midi puis échange et discute avec ceux que je rencontre ensuite.
La simplicité d’un bref échange au bord du chemin avec un berger ou avec ce paysan croisé à la sortie de Chazeaux. À 89 ans, il aime encore danser. Il a apprécié que je lui dise que j’avais des arrières grands parents de Haute Loire.
La simplicité des besoins. Je suis heureux le soir de trouver un lit dans un dortoir. Le gîte du Sauvage vaut plein de 5 étoiles. Un plat tout simple me fait un festin.
Un endroit pour se laver, un abri pour me coucher me suffisent. J’ai l’impression que je me suis débarrassé d’un tas de besoins inutiles. Je me suis débarrassé d’un fardeau et je me sens plus léger.

Aubrac

Aumont Aubrac. J’arrive en terre connue. Je suis en Lozère aujourd’hui et demain. Je rentre ensuite en Aveyron et donc dans ma région Midi-Pyrénées. Le temps passe vite, les kilomètres défilent. Je serai à Toulouse dans une grosse dizaine de jours…

Le flot des pèlerins

Environ 15000 pèlerins reçoivent chaque année la bénédiction au départ du Puy. J’ai laissé « le groupe du 14 juillet » le premier jour en rallongeant avec la nuit à Monistrol d’Allier. Mais depuis, j’ai rejoint ceux du « 13 juillet ». Du Sauvage à Aumont Aubrac puis à Nasbinals, je suis les étapes normales. Telle une caravane, tout un groupe s’étire sur le chemin.
Camille, les 2 Lucie et Angèle, étudiantes de Bar le Duc en vacances pour 10 jours. La famille complète avec les 3 enfants. Patrice dont la compagne a été contrainte de s’arrêter à Saint Alban sur Limagnole. Estelle, qui sent sa tendinite mais qui continue avec son gros sac et sa tente. Mathieu le québécois qui s’est regroupé avec d’autres pèlerins et aide François, septuagénaire qui après un opération, peine sur le chemin mais persévère. Li, le coréen, est parti d’Istanbul. Équipement dernier cri, il utilise le portage de bagage mais garde avec lui tout un tas de sacoche. Je comprends qu’il ait attiré l’attention de voleurs lors de sa traversée de la Bulgarie… Il sera le seul du groupe du 14 juillet que je reverrai à Conques. Jean Philippe, expert en langues mortes et religions, il se retrouve par hasard sur le chemin et apprend progressivement les joies et les peines de la marche etc..etc..
On se trouve et retrouve au gré des pauses ou le soir à l’étape. C’est différent des 2 premiers mois, pas désagréable. Par contre, j’aime la marche solitaire le matin, à la fraîche, quand la campagne s’éveille et que la lumière est belle.
La majorité est parti du Puy et est en train de passer les caps difficiles du troisième et quatrième jours : des abandons, le portage de bagages qui prend en charge un peu plus de sacs le matin, la poste qui expédie le superflu pour s’alléger, la pharmacie qui reçoit son lot de pèlerins le soir…
À Nasbinals, je vais quitter le groupe du « 13 juillet ». Je prolonge l’étape de demain jusqu’à Saint Côme d’Olt. Je devrais me retrouver à Conques avec ceux du « 12 ou du 11 juillet »…
Les rencontres sur le chemin peuvent être encore plus cocasses. Alors que je buvais tranquillement ma bière, une voiture immatriculée 51 arrive à Nasbinals. C’est la famille qui m’a accueilli à Chalons en Champagne, il y a près de 2 mois. Ils se lancent sur un bout de chemin. Nous buvons un coup ensemble. Le monde est petit !

Aubrac (suite)

Depuis hier, je suis sur un must du chemin : le plateau de l’Aubrac. Le sentier file entre des murs de pierre bordés par des tapis de fleur. La vue est large. Des vaches qui paissent, un puech, des bosquets, un buron, agrémentent l’horizon.

Aubrac
Sur le plateau de l’Aubrac

Après Nasbinals, les pâturages dominent. La dômerie d’Aubrac apparaît au détour du chemin. Combien de pèlerins avant moi, au moyen âge ont vu apparaître le clocher de l’église Notre Dame des Pauvres ? C’était pour eux un soulagement de trouver un gîte dans ce rude Aubrac : « lieu d’horreur et de vaste solitude, terrible, désert, ténébreux et inhabitable, où ne croît aucun fruit, et où on ne trouve aucune nourriture pour l’homme dans un rayon de 2 ou 3 lieues, et où sont les limites des trois évêchés de Rodez, Mende et Clermont. Ce lieu, on le nomme Albrac. » Telle est la description que l’on prête à Adalard qui, à son retour de Compostelle fonda la dômerie en 1120 pour assurer la protection des pèlerins.
Le paysage plonge ensuite sur l’Aveyron, les monts du Lévézou, le Ruthénois puis progressivement se referme en descendant dans la vallée et en s’enfonçant dans les forêts. Je quitte l’Aubrac pour m’engager dans la vallée du Lot. Des Quatre Chemins après Aumont à Belvezet, la fenêtre Aubrac s’est ouverte sur des paysages sublimes. Après 2 mois de marche, il est encore possible d’être émerveillé par le sentier…

Patrimoine mondial de l’Unesco

Comme hier, je marche sur le patrimoine mondial de l’Unesco. Les chemins de Saint Jacques en Espagne et en France sont classés. Un certain nombre de sites le long du chemin sont en plus répertoriés.
La portion du chemin de Nasbinals à Saint Chély d’Aubrac, hier fait partie de ces sites. Celle entre Saint Côme d’Olt et Estaing l’est également. Sur ces trajets, les témoins du pèlerinage sont particulièrement présents : églises, ponts de pèlerins, croix…Le trajet aujourd’hui est historiquement riche. Les petites églises de Perse et de Bessuéjouls sont émouvantes de sobriété. Espalion et Estaing valent également la visite.
Depuis mon départ, j’ai déjà eu l’occasion de découvrir plusieurs sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco et il m’en reste encore pas mal au programme…
Après ce bain d’histoire, je m’installe à Fonteilles à la fin de la montée au dessus du Lot. Je suis hébergé dans une coquette caravane avec sa terrasse en bois, son parasol et ses jardinières de géraniums.
Un air de vacances avant de découvrir, demain, un autre site classé : Conques.

Petit inventaire des sites et monuments classés au Patrimoine Mondial de l’Unesco que j’ai découvert (avec la date d’inscription) :
Cathédrale d’Aix-la-Chapelle (1978)
Cathédrale Notre-Dame, ancienne abbaye Saint-Rémi et palais de Tau, Reims (1991)
Basilique et colline de Vézelay (1979)

Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France (1998) avec les sites suivants répertoriés :
– Eglise Notre-Dame-en-Vaux à Châlons-en-Champagne (1998)
– Eglise Saint-Jacques d’Asquins à Vézelay (1998)
– Basilique Sainte-Madeleine à Vézelay (1998)
– Cathédrale Notre-Dame du Puy en Velay (1998)
– Hôtel-Dieu Saint-Jacques du Puy en Velay (1998)
– Pont dit “ des pèlerins ” sur la Boralde à Saint-Chély-d’Aubrac (1998)
– Pont-Vieux à Espalion (1998)
– Pont sur le Lot à Estaing (1998)
– Pont-Vieux à Espalion (1998)
– Les 17 km de chemin entre Nasbinals et Saint-Chély-d’Aubrac (1998)
– Les 17 km de chemin de Saint-Côme-d’Olt à Estaing (1998)

Conques

Mon chemin relie des morceaux de l’histoire de l’Europe. Charlemagne d’Aix la Chapelle est présent ici à Conques.
Il aurait doté l’abbaye de reliques prestigieuses : l’ombilic et Saint Prépuce du Christ. Fondateur d’une vingtaine d’abbayes, il aurait envoyé à chacune d’elles un reliquaire adoptant la forme des lettres de l’alphabet. Le A fut affecté à Conques, le «premier de ces monastères».
On le retrouve aussi sur le tympan du jugement dernier bien sûr du côté du paradis.
Mais ce sont les reliques de Sainte Foy (« volées » à Agen, la translation furtive comme le délit est nommé…) qui permirent d’attirer une foule de pèlerins. Des miracles se produisirent comme la vue rendue à l’aveugle Guibert, « l’Illuminé ».
Après le Puy, Conques était un passage incontournable sur la route de Saint Jacques de Compostelle. Ses reliques et son trésor sont particulièrement riches. La statue de Sainte Foy en est l’élément majeur.
Toujours en lien avec Compostelle, l’architecture de l’église abbatiale utilise des tribunes hautes romanes que l’on retrouve presque simultanément à Saint-Sernin de Toulouse et à Saint-Jacques. Par ailleurs, le sculpteur du tympan avait sans doute déjà travaillé à la cathédrale de Compostelle
Conques, une étape forte sur mon chemin ! La communauté monastique, comme celle de Vézelay, fait de ce lieu un lieu vivant. Le soir après les vêpres, la bénédiction des pèlerins est sobre et simple. Les pèlerins qui comme moi continuent, reçoivent un évangile. Je reçois celui de Luc après celui de Marc que j’avais eu à Vézelay.
Nous avons droit ensuite à une théâtrale présentation, par un moine, du tympan du jugement dernier.
Pour terminer, alors que la nuit tombe, que les vitraux de Soulages se parent de couleurs chatoyantes, un vibrant concert d’orgue retentit dans l’abbatiale. Les lumières soulignent les colonnes et les chapiteaux. La musique emplit la nef. Une chorale de femmes clôture la soirée et la nef semble semble monter encore plus haut.

À nouveau seul

Nous n’étions pas nombreux hier soir à la bénédiction à poursuivre au delà de Conques. En sortant, en plus du chemin principal, je quitte sans une certaine satisfaction le flot des « pèlerins ». En cette période de l’année, c’est plutôt le flot de vacanciers qui s’offre des sensations. Coquille sur le sac, ils auront fait Saint Jacques du Puy à Conques. L’autre soir à Saint Côme d’Olt, un groupe de ces touristes échangeait sur les sensations de leur journée. Des parisiens, bobo, intello. Une était toute excitée car elle avait discuté avec un paysan :
– Il parlait un mélange de français et de patois avec un fort accent, je comprenais à peine…disait-elle, ravie de l’exotisme de sa rencontre…
J’ai préféré quitté le bar.
Je continue sur ma terre du sud ouest. Je laisse la parisienne qui ne comprend pas cet accent qui chante et ces expressions qui explosent dans la bouche.
Eth caminaïre

Je descends de la montagne

Depuis Vézelay, j’ai marché plus d’un mois en montagne ou moyenne montagne. Je suis en train de descendre par gradin du Massif Central. Je change d’environnement à chaque rupture de relief. Du haut Aubrac, je dominais les plateaux et monts du Rouergue. De Noailhac à 600m, les collines du bassin minier étaient à mes pieds. Avant d’arriver à Peyrusse le Roc, la rupture est prononcée. Le relief tombe dans la vallée de la Diège et se prolonge au loin sur le causse lotois.
Heureusement, il ne fait pas encore trop chaud mais les jours prochains, les températures vont monter…L’arrivée sur Toulouse risque de chauffer !
En attendant, je retrouve un dimanche tranquille. Depuis la reprise à Payzac, j’ai effectué 341km soit une moyenne quotidienne de 28km sur 12 journées. En plus le relief sur cette partie là est assez accidenté. Un dimanche de repos est apprécié. L’étape fait un petit 19km et je suis à Peyrusse le Roc pour déjeuner en début d’après midi.

Histoire toujours

Étonnant ce site de Peyrusse le Roc. Jusqu’à 3500 habitants vivaient autour de son château perché sur un éperon rocheux. Son hospice accueillait les pèlerins, les pauvres et les malades. La population juive disposait d’une synagogue. Pépin le Bref, le père de Charlemagne assiégea et prit la cité. Compostelle, Charlemagne…même ici, à Peyrusse le Roc, je retrouve ces fils de l’histoire ….
L’église du Saint Sépulcre à Villeneuve d’Aveyron renferme de belles fresques du XIVème représentant des scènes de pèlerinage, Saint Jacques et le miracle du pendu dépendu.
Pour terminer, je rentre dans Villefranche de Rouergue par la rue Saint Jacques qui passe devant la chapelle consacrée au saint. Journée jacquaire.

Saint Jacques soutenant le pendu dépendu - Villeneuve d'Aveyron
Fresque à Villeneuve d’Aveyron : Saint Jacques soutenant le pendu dépendu

Un air de vacances

Le temps estival s’installe. Isabelle et Laurent m’ont rejoint et nous allons marcher ensemble 2 jours. Entre Villefranche de Rouergue et Najac, nous marchons entre la vallée de l’Aveyron et le causse. Avant l’ultime montée, le sentier traverse la rivière. Il est 14h30, il fait beau, il fait chaud. Nous passons près d’une heure au frais dans l’eau. Un air de vacances.

Saint Jacques

25 juillet. Fête de la Saint Jacques. Je peux le remercier. Grâce à lui, j’ai marché 64 jours sur 1740km et il m’en reste encore un bon morceau pour arriver jusqu’à son tombeau. Grâce à lui, je me régale depuis plus de 2 mois. L’étape Najac-Cordes est à classer dans les toutes meilleures. Tout simplement superbe de bout en bout. La traversée de Najac tout en longueur pour commencer, le matin, à la fraîche quand le village est encore calme. La montée en sous bois pour découvrir une vue à couper le souffle sur Najac. La descente, toujours en sous-bois et sur des chemins vers l’Aveyron pour une baignade régénératrice. Le château de Laguépie. L’approche de Cordes avec la colline face à moi sur les 3 derniers kilomètres. Merci Saint-Jacques et bonne fête.

Saint Jacques - Notre Dame de Bourg à Rabastens
Saint Jacques – Notre Dame de Bourg à Rabastens

Canicule

Il est 6h30, près de 40°C sont annoncés sur Gaillac cette après midi. Je profite des meilleures heures de la matinée pour tracer. Le ciel rougeoie. La bastide de Cordes sur sa colline, se détache en ombre chinoise dans mon dos. Une montgolfière s’envole. Un renard détale à mon approche. Un chevreuil est surpris, à mon arrivée dans un champ de tournesol. À cette heure là, la campagne est belle. La chaleur commence à se faire sentir à l’approche de Gaillac. Il est 13h00, 29 km depuis Cordes, je suis arrivé et je peux me mettre « au frais ». Journée de canicule…

Conques – Toulouse

J’arrive au bout de ce tronçon nouveau et peu fréquenté.
Il est pourtant à la fois superbe et chargé de sites historiques et de témoignages jacquaires. Il permet de traverser des paysages variés, du très vallonné et verdoyant dans le bassin minier au causse et sa flore caractéristique, de la sauvage vallée de l’Aveyron au vignoble gaillacois.
Les villes et villages de Peyrusse le Roc, Villeneuve d’Aveyron, Villefranche de Rouergue, Najac, Laguépie, Cordes, Gaillac, Rabastens et Toulouse méritent la visite.
Le chemin était jalonné d’hospices pour pèlerins : Peyrusse le Roc, Villefranche, Najac, Cordes, Gaillac, Rabastens et Toulouse. Des fresques à Villeneuve d’Aveyron et Rabastens représentent des scènes de Saint Jacques.
Enfin, au bout pour le pèlerin, Toulouse et les reliques de la basilique Saint Sernin l’attendent.
Comme un éphémère attiré par la lumière, je file sur Toulouse. Petit arrêt à Avens, où sur le site de la chapelle, Charles le Chauve, petit fils de Charlemagne s’est arrêté. A 11h, je suis à Rabastens. L’église Notre Dame du Bourg est classée au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint Jacques. Les fresques, notamment celles représentant des scènes liées au Saint, sont superbes. Je suis reçu « comme un roi » à l’office du tourisme. Toulouse n’est plus très loin… Je continue, rentre dans le département de la Haute Garonne. Il commence à faire très chaud quand je trouve enfin un passage non grillagé pour traverser la forêt de Buzet. À Paulhac, il n’y a pas d’hébergement, il est plus de 16h et le compteur affiche 40km. Je continue, objectif Montberon et son terminus des lignes urbaines. Le temps orageux cache le soleil et apporte un peu d’air. Trois premières gouttes tombent, il est 17h30, j’arrive à mon but. Tel un pèlerin au moyen âge, j’ai parcouru une longue distance, 49km. Il me restera à revenir à Montberon pour couvrir les 20 derniers kilomètres jusqu’à Toulouse.
À la station de métro Canal du Midi, le contrôleur me demande :
– Vous allez à Compostelle?
– Eh oui… Ça se voit ?
Avec mon bâton, mon sac à dos, dans l’environnement urbain du métro, je détonne. Je vais à Compostelle.

Ô Toulouse

À Montberon, je n’avais pas encore fini ma route vers Toulouse. Je longe l’eau verte du canal du midi, et apparaît la brique rouge des Minimes. L’église Saint Sernin se dresse devant moi, une fleur de corail que le soleil arrose…Ô Toulouse, grande étape sur le chemin de Compostelle.
L’abbatiale attirait les pèlerins avec ses nombreuses reliques dont le tombeau de Saturnin, premier évangélisateur de Toulouse.
Elle revendiquait posséder les corps de six apôtres du Christ dont le corps de Saint Jacques qui avait la faculté de se trouver en plusieurs lieux…
La Sainte Epine, un morceau de la Vraie Croix, une pierre de la lapidation de Saint Etienne, une partie de la robe de la Vierge, un éclat de la roche sur laquelle elle avait accouché, un fragment du Saint-Sépulcre et même de la terre « que le Christ foula de ses pieds »….se trouvaient dans le déambulatoire et la crypte de Saint Sernin.
C’est Charlemagne qui aurait fait don des dépouilles de Jacques-le-Mineur, Philippe, Simon, Jude, Barnabé et Jacques-le-Majeur. L’abbatiale possédait également le « cor de Rolland ».
Toulouse, une étape incontournable…notamment pour moi avec le retour à la maison après 2 mois et demi et quelques jours de repos avant de reprendre la route vers le piémont.

8
De Toulouse à la frontière espagnole

Droit vers les Pyrénées

Je trépigne. J’ai hâte de reprendre. Les Pyrénées et l’Espagne m’appellent. Les sommets, ultimes barrières avant de filer cap à l’ouest vers le bout de l’Europe. L’Espagne, la rude Espagne de la Meseta. J’ai envie d’y être mais plus je me rapproche de Compostelle, plus je me rapproche du terme…cruel dilemme : aller vite vers le but et prendre le temps de profiter de tous les instants.
Je n’ai pourtant aucun intérêt à repartir vite. L’idéal est de passer Lourdes après le 15 août et de rentrer en Espagne en septembre.
Je patiente à Toulouse dans le confort de mon appartement. J’aligne malgré tout les kilomètres. Un jour, je prends le bus jusqu’au terminus et retour à pied pour 24km. Un autre, je me rends en périphérie à pied, aller retour 28km. Et un jour sur deux, footing pour garder la forme. J’ai des fourmis dans les jambes.
Il me faut par ailleurs former mes nouvelles chaussures. Les précédentes après 2000km commençaient à montrer des signes de faiblesse. Je ne pensais pas pouvoir les tenir pour 1300km supplémentaires.
Enfin depuis fin mai, dans le cadre des jeux olympiques, chaque kilomètre que je parcours est comptabilisé via GPS et Samsung reverse 1€ à SOS Villages d’enfants par kilomètres. Je me suis pris « au jeu ». Je suis à près de 800€ reversés et je lutte pour figurer parmi les 10 plus gros contributeurs…Ma marche sert à quelque chose…
Bref ce mardi 7 août, je repars heureux !
Je longe à nouveau le canal du midi. Un groupe de cyclotouristes italiens en partance pour Carcassonne me demande :
– Vous allez à Compostelle?
Eh oui, tout naturellement, je vais à Compostelle…
Je traverse la Garonne en longeant le périphérique. Les voitures filent vers leur quotidien. Je vais sur mon chemin.
Enfin, j’arrive à la voie verte du Touch. Les bruits de la ville sont moins présents, je commence à entendre des oiseaux. Parfois, un avion à l’atterrissage rappelle que la ville n’est pas encore très loin. À Fontenilles, ce sont les Pyrénées que je distingue au loin et qui m’indiquent par où va se poursuivre mon chemin.

Un fil

Mon chemin est un fil ou plutôt un écheveau de fils, de liens qui se croisent, s’entrecroisent et se rejoignent. Le fil de Saint Jacques en est le principal. Depuis Aix la Chapelle, Charlemagne en est un autre que j’ai déjà retrouvé en plusieurs endroits.
Enfin, il y a le fil familial : un détour à Payzac en Ardèche, l’arrêt à Toulouse, le passage à Saint-Gaudens dans 2 jours, l’arrêt hier soir à Fontenilles … Je relie ces points avec mon chemin. Mon chemin emprunte ainsi parfois les autoroutes de Saint Jacques comme entre le Puy et Conques ou des voies peu fréquentées comme actuellement de Toulouse à Saint Gaudens. De Fontenilles à Rieumes, je marche solitaire sur des petits chemins. Le paysage commence à onduler et je continue à avancer avec les Pyrénées en toile de fond.

Le Cagire

Le Cagire, sommet repère pour tout saint-gaudinois. Je l’ai en ligne de mire dès le matin. Il agit comme un aimant. Et il me faut un bon aimant. L’étape est longue et un bon 35°C est annoncé. J’avance passant de colline en colline. La température monte, je suis en nage. J’avance toujours vers le Cagire. Aurignac approche et j’apprécie le chemin en sous bois avant d’arriver. 36km, 9h de marche sous la chaleur et avec peu d’arrêts, le Cagire est un peu plus proche ce soir.

Pouy de Touges et le Cagire
Le Cagire depuis le village de Pouy de Touges

Saint Gaudens

À Saint Gaudens, j’ai les Pyrénées face à moi dans leur partie centrale la plus haute. Les 3000 du luchonnais et l’Aneto barrent l’horizon et les passages traditionnels de Vénasque ou d’Ourdissétou sont à plus de 2400m. J’opte pour la solution par la vallée d’Ossau et le col des Moines. Il me faudra 1 semaine environ pour y parvenir.
Quelques rudes étapes dans le Piémont puis dans la montagne m’attendent. Avant, je vais profiter d’une dernière pause à Saint Gaudens. Ensuite, ce sera du « non stop » jusqu’à Compostelle.

Fondu enchaîné

Cette fois, c’est reparti pour de bon et pour du bon…
Pour mon redémarrage après une petite pause familiale, j’attaque par Saint Bertrand. Le lieu emblématique du Comminges, 3 monuments inventoriés au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint Jacques, mes racines, le lien avec Compostelle, la famille, les Pyrénées, une vraie halte jacquaire.
La journée se déroule comme dans un diaporama en fondu enchaîné. Je quitte très progressivement mon costume habituel dans mon environnement familial pour mon habit de pèlerin.
Le matin à travers Villeneuve de Rivière, j’ai mon bâton, mon sac mais je suis encore un simple marcheur. Je poursuis avec mes parents jusqu’à Barbazan.
À l’arrivée à Saint Just, église d’une sobriété toute romane, je commence à retrouver mon costume de pèlerin. Un de mes lointains prédécesseurs sur le chemin a été enterré dans le cimetière qui jouxte Saint Just. Il avait son bourdon et sa coquille avec lui.
Je retrouve l’effort du pèlerin dans la montée sur la ville haute au plus fort de la chaleur pour me rendre à la cathédrale Sainte Marie.
Parmi les nombreux miracles attribués à Saint Bertrand, un est lié à un pèlerin se rendant à Compostelle et parti d’Allemagne… Je ne suis donc pas le seul dans ce cas et je pourrai peut être aussi bénéficier de la protection du Saint…
Après plus de deux mois de marche, j’ai déjà connu beaucoup de haltes jacquaires. Celle de Saint Bertrand est à classer parmi les meilleures. Le presbytère est à flanc de colline dominant la vallée de la Garonne, les ruines romaines et au loin le clocher de Saint Just. Je m’installe dans une pièce en rotonde avec 4 baies vitrées qui balayent ce panorama. Au cœur du presbytère se trouve un petit jardin de « curé » calme et verdoyant. L’accueil a l’authenticité que l’on retrouve sur les chemins peu fréquentés comme j’ai pu le rencontrer en Belgique ou dans le nord de la France. Le réfrigérateur est plein. Du pain, des fruits, des gâteaux, des légumes, des boîtes de conserve… sont mis à disposition du pèlerin.
Dans cette superbe halte jacquaire au sein de Saint Bertrand de Comminges, je suis redevenu tout en douceur, en fondu enchaîné, un pèlerin.

Saint Bertrand de Comminges et Saint Just de Valcabrère
Saint Bertrand de Comminges et Saint Just de Valcabrère

À saute vallée

La traversée des Pyrénées a toujours été un moment fort du chemin. Le pèlerin choisissait son passage en fonction des aléas climatiques, des saints qu’il voulait vénérer …etc. Dans chacune des vallées, des marques du pèlerinage sont restées. Après Saint Bertrand, le passage direct passait par l’hospice et le col de Vénasque au dessus de Luchon.
Il pouvait poursuivre à l’ouest par la vallée d’Aure. L’hospice de Rioumajou l’accueillait alors avant de passer le col d’Ourdissétou. Dans cette vallée d’Aure, Jézeau au dessus d’Arreau et la chapelle des Templiers à Aragnouet sont inventoriés au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint Jacques.
C’est également le cas dans la vallée de Lourdes pour l’église de Gavarnie sur le passage via le Port de Boucharo.
La vallée de l’Ossau était une voie importante avant que celle d’Aspe ne la supplante. C’est par cette dernière que le chemin d’Arles rejoint l’Espagne en passant par Toulouse.
Mon chemin a longuement hésité entre différentes solutions. Au départ, le chemin du Piémont jusqu’à Saint Jean Pied de Port et le col de Roncevaux tenait la corde. Il s’agit du passage classique.
La crainte de la foule m’a fait pencher à un moment pour le Camino Norte. Le long de la mer, j’aurais évité les Pyrénées.
J’ai regardé ensuite la voie par Oloron Sainte Marie et le Somport. Grande voie jacquaire, elle a l’inconvénient de longer une nationale très fréquentée par les camions.
Finalement, j’ai opté pour le col des Moines dans la vallée d’Ossau. Pour moi, il s’agit du plus direct pour rejoindre le Somport et le chemin aragonais. Il passe au pied d’un des sites les plus emblématiques des Pyrénées, le pic du Midi d’Ossau. C’est un des passages traditionnels comme en attestent ses noms français et espagnol : col des Moines ou Puerto de Jaca. Enfin, la fenêtre météo et la saison sont bonnes pour envisager ce passage à 2168m.
Pour y parvenir, je vais avoir à marcher à saute vallée… Vallée de la Garonne, vallée d’Aure, de l’Adour, du gave de Pau et enfin gave d’Ossau. Progressivement, je vais gagner de l’altitude : aujourd’hui une pointe à 632m, demain 1067m, puis 1100m, 1600m…jusqu’à 2168m. Seulement après chaque point haut, à saute vallée, il faut passer par un point bas. Rien qu’entre Saint Bertrand et Lortet, j’ai eu plus de 800m de dénivelé. Bref sur le chemin du Piémont, il vaut mieux avoir de bons mollets…

C’est comment un pèlerin ?

Le petit feuillet au presbytère de Saint Bertrand de Comminges donnait comme recommandation :
Prends de longs temps où tu marches en solitaire dans le silence du cœur qui écoute. Cherche un bon équilibre entre le silence, la solitude et les rencontres. Ne crains pas de partir seul.
Je dois dire que je suis ces recommandations sérieusement. Depuis Conques, j’ai marché 15 jours et je n’ai pas vu un seul pèlerin ni même un randonneur. Je suis assez surpris par l’écart entre le monde sur les « autoroutes de Saint Jacques » et les voies moins fréquentées. Certes la voie du Puy à Conques est belle mais la voie entre Conques et Toulouse ou celle du Piémont actuellement mériteraient plus d’intérêts.
Les Baronnies entre Lortet et Bagnères sont superbes. Cette micro-région a préservé toute son authenticité. Je marche sur un chemin à travers les collines, souvent en sous-bois. Je traverse les petits villages aux toits d’ardoise. Le tintement des cloches des troupeaux m’accompagne. Le pic du Midi de Bigorre est si proche que l’on a l’impression de le toucher du doigt.
Pourquoi les pèlerins se concentrent-ils sur la principale voie ? Je pense que je rencontrerai maintenant mes prochains pèlerins en Espagne sur le chemin aragonais.
Surprise en arrivant à Gerde à 2km de Bagnères de Bigorre…je ne suis pas seul. Deux autres pèlerins sont au gîte. Igor est partie de Slovaquie. Il partage son temps entre une vie d’ermite dans une grotte dans l’ile de Gran Canaria et au sein d’une communauté. Vêtu d’une aube blanche, son bâton orné d’un crucifix, il abat les kilomètres. Il est parti le 17 juin de Slovaquie et il est dans les Pyrénées. Ce matin à Saint Bertrand de Comminges, il est arrivé avant moi à Gerde soit 2 longues étapes pour moi en une…L’autre pèlerin est belge. Laurent est … le liégeois qui m’a accueilli il y a trois mois en Belgique…
Je pensais me retrouver une nouvelle fois seul à Gerde, je passe finalement une bonne soirée bien arrosée. Le chemin de Saint Jacques réserve toujours de nouvelles surprises.

2000km

Hier, j’ai passé la barre des 2000km parcourus depuis Aix la Chapelle. Les 1000 premiers avaient été atteints à Beaujeu dans le Rhône, les 1000 suivants au cœur des Baronnies.
Petit bilan chiffré de ces 2000km : quelques kilomètres en Allemagne, environ 250km en Belgique et le reste en France. 6 régions administratives* et 15 départements** traversés. Une paire de chaussure usée. Une paire de chaussette et un tee-shirt en lambeaux. 5 kilos en moins depuis mon départ. Je n’ai pas mesuré les litres de sueur mais ces derniers jours le total est sacrément grimpé…
Pour le reste, il est difficile de résumer tout ce que j’ai vécu depuis le 9 mai.
L’étape d’aujourd’hui vient se rajouter à la longue liste des belles journées. Le paysage est superbe tout le long de l’étape : la montée vers le Monné et ses vues dominantes sur Bagnères de Bigorre, ensuite un parcours en hauteur face au Pic du Midi, des vallées sauvages parsemées de granges et de petits hameaux. À l’arrivée à Cotdoussan, l’église Saint Jacques réserve une belle surprise. Elle est, elle aussi, répertoriée au patrimoine mondial de l’Unesco au titre des chemins de Saint Jacques. Son retable, mélange de baroque et d’art naïf illumine toute l’église. Il représente des scènes du martyr du Saint et son élévation. Surprenant la richesse de cette œuvre au bout de cette vallée isolée !
Tout cela se mérite…1000m de dénivelé et, avec la canicule, à peine atténuée par l’altitude, j’ai largement éliminé la bière de la veille !

*Champagne Ardenne, Bourgogne, Rhône Alpes, Auvergne, Languedoc Roussillon, Midi-Pyrénées
**Ardennes, Marne, Aube, Yonne, Nièvre, Saône et Loire, Rhône, Loire, Haute Loire, Ardèche, Lozère, Aveyron, Tarn, Haute Garonne, Hautes Pyrénées

Le Pic du Midi de Bigorre depuis les prairies d'Esquiou
Le Pic du Midi de Bigorre depuis les prairies d’Esquiou

Les Pyrénées

J’attaque la partie « montagne » de ma traversée des Pyrénées. Mon objectif est de prendre de la hauteur vers un col à 1350m pour éviter les grosses chaleurs. Je poursuivrai ensuite sur les crêtes vers le col du Soulor. La montée au dessus d’Argelès Gazost est rude. La chaleur se fait sentir. Heureusement, le chemin passe souvent par des parties ombragées.
Au fur et à mesure, le paysage devient grandiose et offre des vues en CinémaScope sur le Gabizos, le Balaïtous et le massif de la Grande Fache.
Au col de Couraduque, la terrasse du café-restaurant est face à ce panorama. J’ai déjà parcouru 30km, monté 1500m de dénivelé. La tentation est forte. Je m’installe sur la terrasse. Je n’irai pas plus loin ce soir et dormirai avec les étoiles comme toit.

Les Pyrénées (suite)

Nuit à la belle étoile dans les Pyrénées à 1350m d’altitude. Le duvet est superflu; le vent chaud fait à peine baisser la température. Pourtant, je suis bel et bien en montagne. Je comprends que les voies principales évitent de se confronter avec le massif. Moi, j’y suis et je continue. La crête jusqu’au Col du Soulor face au Gabizos est belle mais n’est jamais plate..et j’ai déjà 8km et 400m de dénivelé quand j’arrive au col. Je reste sur la route jusqu’à l’embranchement du col de Tortes. Je ne rajouterai pas 200m supplémentaires à la journée d’autant plus que les 600m jusqu’au col suffisent. La montée est raide, la descente sur Gourette également. C’est un parcours de montagne et je réduis mes ambitions. Je n’alignerai pas plus de kilomètres. 18km et 1000m de dénivelé sont raisonnables d’autant plus que 2 rudes étapes m’attendent. Je suis dans les Pyrénées, je sue, je souffle mais j’avance.

Hourquette d’Arre – 2465m

Je pensais que le Mont Mézenc serait mon point le plus haut mais finalement avec l’option que j’ai prise, j’enchaîne les passages par des cols plus élevés. C’était le cas hier, ce le sera également demain et après demain. Par contre, je pense que je n’irai pas au dessus de la Hourquette d’Arre à 2465m. Elle permet de passer le plus directement de Gourette à Gabas en empruntant le GR10.
Je suis sur un parcours montagne et je ne pense pas que les pèlerins étaient nombreux à passer par cette hourquette. Hier, un allemand sur le chemin de Compostelle était quand même présent au refuge du Club Alpin de Gourette. Je croise surtout des randonneurs qui effectuent le GR10. Le parcours est superbe avec le lac d’Anglas à la montée et de belles vues sur le Pic du Midi d’Ossau en redescendant.
Après cette étape montagne, je retrouve mon chemin de Saint Jacques à Gabas avec la petite chapelle qui jouxtait l’hôpital jacquaire. Gabas était pour les pèlerins la dernière étape avant le franchissement des Pyrénées par le col des Moines.

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L’Espagne

España

Le Pic du Midi d'Ossau vu du col des Moines
Au col des Moines, vu sur le Pic du Midi d’Ossau avant de rentrer en Espagne

68 jours. J’ai marché 68 jours pour traverser la France depuis Moulin Manteau à la frontière belge jusqu’au Col des Moines. C’est par un des plus beaux paysages de montagne que je quitte la France. Cette traversée des Pyrénées est rude. Gros dénivelés et chaleur auront marqué ce passage. Elle est rude mais elle est somptueuse. De Gabas à la frontière, elle se termine en apothéose avec ce paysage parsemé de lacs, de prairies où paissent vaches, brebis et chevaux et le souverain Pic du Midi d’Ossau qui domine l’ensemble. Pour une fois, je ne suis pas seul. Si j’additionne le total des randonneurs aperçus sur ces chemins, je ne dois pas être loin du total vu pendant trois mois.
Au col des Moines, c’est une partie de mon chemin qui se termine. Une autre commence maintenant : me voilà España !
Mes premiers pas sont joyeux. J’ai passé les Pyrénées. Je change de pays. Le chemin est une succession de petits pas mais au col des Moines, j’ai fait un grand pas. Je rejoins rapidement le Somport et à partir d’ici, je suis de retour sur une grande voie. L’hôpital Sainte Christine du Somport était cité en 1140 dans le Guide du Pèlerin d’Aymeric Picaud comme faisant partie des 3 plus grands au monde avec Jérusalem et le Saint Bernard dans les Alpes. Il n’en reste plus que quelques ruines. Je termine cette superbe étape à Canfranc Estación. Autre pays, autres mœurs, à l’arrivée, après la douche, c’est maintenant una caña ! Viva España.

Je descends de la montagne

Je laisse les Pyrénées derrière moi. Après plusieurs journées avec au minimum 1000m de dénivelé, je ne fais que descendre pour rejoindre Jaca à la sortie des montagnes. Le paysage change. La végétation méditerranéenne devient prédominante. Les champs sont grillés par le soleil. La chaleur monte.
J’ai quitté le monde des randonneurs et je retrouve les pèlerins. À priori les deux mondes semblent proches, ils sont néanmoins différents. La performance sportive est forte chez le randonneur. Le pèlerin cherche à avancer, se préoccupe moins de l’aspect esthétique. Il peut ainsi préférer longer une route plutôt que se rallonger par un petit chemin ombragé. Le chemin en France a certainement été tracé par des randonneurs, en Espagne, cela doit être par des pèlerins… Chez le randonneur, mon parcours suscite des interrogations, chez le pèlerin de l’envie.
Des espagnols, des québécois sont présents ce soir à l’auberge de Jaca. Je risque de les retrouver au fil du chemin les prochains jours.
Celles que je n’espère pas retrouver, ce sont les punaises de lit de Canfranc. Canfranc était le point de contrôle des voyageurs venant en train de France. Les punaises de lit ont poinçonné mon corps pour marquer mon entrée en Espagne. Je descends de la montagne et j’espère que je descends seul sans voyageuses clandestines dans mon sac à dos.

San Juan de la Peña

La majorité des pèlerins file droit en direction de Saint Jacques et donc, peu font le détour vers San Juan de la Peña. Ils préfèrent continuer plus ou moins parallèlement à la route nationale avec un paysage un peu désertique et le bruit des camions.
La montée vers le monastère à près 1200m est rude mais elle vaut la peine. Je me retrouve à nouveau sur des petits chemins de campagne souvent ombragés. J’ai quitté Jaca avant 7h du matin et je bénéficie encore de la douceur matinale.
Dans les fils de mon chemin, je n’avais pas retrouvé depuis un moment celui de Cluny. J’en avais croisé un bout la première semaine à Saint Séverin de Condroz en Belgique. San Juan de la Peña a aussi été lié à l’ordre clunisien. Il a été le premier dans ce cas en Espagne. D’autres sur le chemin seront ensuite créé ou lié à Cluny jouant un rôle important dans le développement du pèlerinage à Compostelle.
Le monastère dans un site superbe sous une voûte rocheuse, une église mozarabe, les tombeaux des premiers rois d’Aragon, un cloître roman de la fin du XIIème avec de très beaux chapiteaux justifient largement la montée et les 13 km supplémentaires.

Canal de Berdún

Le canal de Berdún est cette dépression au pied des Pyrénées que suit le Rio Aragón en s’orientant vers l’ouest. Le camino aragonés fait lui aussi un coude à Jaca pour aller plein ouest.
Les villages se font rares. Le chemin traverse des paysages sans ombre. Les Pyrénées sur la droite sont voilées dans la chaleur. Le chemin file tout droit. Il n’y a pas âme qui vive. Il faut avancer tout droit, sous la chaleur, dans les champs jaunis par le soleil. Je suis sur un nouveau chemin où les kilomètres défilent dans un paysage âpre. Un chemin qui va m’amener sur les vastes étendues de Meseta. Un chemin qui me rapproche de Santiago. Je passe au niveau de Berdún sous les 800km, un petit mois à marcher…Je me souviens de ce panneau au mois de mai dans les vertes Ardennes, sur un chemin boueux : Saint Jacques 2523km…

D’Aragon en Navarre

Je quitte l’Aragon. Le paysage est plus verdoyant que la veille avec des pinèdes et des forêts de chênes verts. Sur la droite, le lac du barrage de Yesa rajoute une touche de bleu. En plus, la température a perdu presque 10 degrés et les maximales annoncées sont de 25°C. C’est donc d’un pas plus facile que je poursuis vers le Monastère de Leyre.
Leyre est à la Navarre ce que San Juan de la Peña est à l’Aragon : fondation au IXème siècle, de beaux vestiges romans, les tombeaux des premiers rois de Navarre, un lien, un temps avec Cluny. Les deux monastères sont à l’écart du chemin de Saint Jacques alors qu’ils ont, l’un comme l’autre, été historiquement liés au pèlerinage. Et donc peu de pèlerins se détournent pour les visiter.
Depuis 1954, la vie monastique a été rétablie par des moines bénédictins. Le soir, dans le superbe chevet roman du XIème siècle, c’est en chant grégoriens que les offices sont célébrés. Les vêpres attirent beaucoup de monde. Les complies à 21h sont beaucoup plus intimes. Une poignée de personnes est présente. L’église est plongée dans la pénombre. Les chants grégoriens prennent toute leur dimension.

Monastère de Leyre et le lac de Yesa
Monastère de Leyre et le lac de Yesa

Le chemin aragonais

Je continue encore pour 2 à 3 jours le chemin aragonais. C’est une bonne transition entre mes chemins français et « Le Camino Francés ».
Par petites touches, chaque jour, il devient très espagnol : des longues lignes droites au soleil, une portion le long d’une route à forte circulation. Sur ces parties là, je marche d’un bon pas, dans mes pensées ou juste concentré sur le point à atteindre à l’horizon.
Pourtant chaque journée laisse de la place à la contemplation : les Pyrénées qui barrent le paysage au nord, les collines qui ondulent qui au sud, les vautours et aigles qui profitent des courants d’air le long des falaises, deux chevreuils surpris le matin sur le chemin…
Le chemin aragonais ne connaît pas la fréquentation (sur-fréquentation ?) du Camino Francés. Chaque soir, nous ne sommes qu’une dizaine dans les auberges pour pèlerins. Si j’emprunte des variantes, je suis à nouveau seul à marcher. C’est encore le cas toute la journée de Leyre à Izco. Je marche sur les hauteurs dominant la vallée du Rio Aragon avec de belles vues. Moments de contemplation. Je marche ensuite sur de longues lignes droites ou sur l’ancienne, large, 3 voies délaissée depuis l’ouverture de l’autoroute. Moments de réflexion.
Quand j’atteins Izco après un long parcours de réflexion…, je décide de m’arrêter. Petit village typiquement espagnol, petite auberge où nous sommes six. Il est possible de se ravitailler, de cuisiner. La soirée est agréable, fraîche. Le dîner sur la terrasse fait partie de ces moments où l’on déguste le temps qui s’écoule lentement, de ces moments où j’ai pleinement conscience de la chance que j’ai. Il ne sert à rien de courir pour attraper le Camino Francés, autant encore profiter du Camino Aragonés.

L’été

L’été s’est exprimé avec toute sa force et sa violence les quinze derniers jours. Nuits chaudes, températures harassantes dès le matin, soleil accablant en milieu de journée. Depuis deux jours, il donne l’impression de s’essouffler à l’arrivée de septembre. Les soirées sont douces. Les nuits sont fraîches. Le matin, le soleil ne fait son apparition qu’après 7 heures. Ses rayons illuminent d’une couleur orangée la campagne navarraise. La lumière est belle. La température idéale. La marche après le repos de la nuit est agréable. Mais l’été résiste ; cette après midi, 35°C sont encore annoncé sur Pampelune. Aussi, quand je passe à 13h, après 24km, devant l’auberge de Tiebas, je ne joue pas les prolongations et les 40km pour rejoindre Puente la Reina. J’ai tout mon temps. En fin d’après midi, au bord de la piscine du village, c’est encore l’été, c’est toujours les vacances.

Un autre chemin

Après 18km de marche, j’atteins Puente la Reina, point de jonction du chemin aragonais qui prolonge la Via Tolosana qui part d’Arles et passe par Toulouse et le chemin français qui depuis la France regroupe les voies de Vézelay, de Tours et du Puy.
Depuis quelques jours, un petit groupe se retrouvait au gré des étapes. Anne-Marie et Jean-Claude des retraités grenoblois, multirécidivistes du chemin. Gisela, allemande très réservée. Michel, allemand aussi, qui part toujours le dernier et arrive tard et épuisé. Les copines belges qui poursuivent chacune de leur côté le chemin…
Je prolonge l’étape au delà de Puenta la Reina et parcours 32km jusqu’à Lorca. Le chemin est plus large, les paysages typiquement espagnols, exactement comme je les imaginais. Finalement, pour le moment, je continue de cheminer solitaire.
À Lorca, de nouvelles têtes, de nouvelles rencontres. Mes premiers coréens, mes premiers brésiliens, mes premiers américains… Le chemin est une succession de rencontres, d’échanges.

Camino Francés

La marche sur le Camino Francés depuis Lorca se fait toute seule. Le chemin est bon, large. Le ciel nuageux retarde l’arrivée de la chaleur. Je suis étrangement seul sur le chemin. J’ai l’impression d’avaler les kilomètres sans effort et avec beaucoup de plaisir.
Le relief est doux avec des collines, des vignes et des champs fauchés de céréales. Les villages et villes sont souvent nés et ont prospéré autour du chemin. Je traverse Estella et ses nombreuses églises, fais l’arrêt « obligé » à la fontaine à vin à Irache puis poursuis en direction de Los Arcos.
Malgré la montée de la température l’après midi, je poursuis allègrement sous le soleil. J’hésite même à poursuivre au-delà vers Torres del Rio. J’ai parcouru 29km, cela en rajouterait 8km et me permettrait d’éviter une étape classique. Je reste raisonnable et me rends au gîte principal de la ville. Un dortoir de 28 personnes avec des lits superposés m’attend. La nuitée est à 6€. Je découvre le Camino Francès.

Fontaine à vin d'Irache
Fontaine à vin d’Irache

Camino Francés (suite)

À partir de 5h du matin, les premiers se lèvent. Ce sont souvent eux qui seront les derniers à partir. Ils prennent un extrême soin à préparer leur sac. Chaque sac plastique est soigneusement plié et emballé dans un doux bruit continu.
Je me retrouve finalement à 6h30 sur le chemin. Il fait encore nuit. Un léger vent frais souffle. Une fois repéré la sortie de Los Arcos, le chemin est plat et droit. Sa trace blanche guide les pas. La marche est belle. La lueur du jour apparaît. Les premiers rayons du soleil commencent à poindre. La campagne s’illumine et je remercie les pèlerins matinaux qui ont pris un soin extrême pour préparer leur sac à dos et ainsi me permettre de profiter de ces moments.
Nous sommes nombreux sur le chemin. En me recalant sur les étapes normales, je retrouve la masse des pèlerins. Quand je parviens sur une petite hauteur, ce sont des dizaines de marcheurs que j’aperçois devant et derrière moi.
Les 28km jusqu’à Logroño sont avalés à midi et demi. Je traverse l’opulente capitale de la Rioja. Je vais essayer de rompre à nouveau avec les étapes traditionnelles en poussant 11km plus loin vers Navarette. Pour la première fois depuis fort longtemps, la température de l’après midi permet d’envisager un grosse étape. À Logroño, je suis même obligé de me couvrir pendant le repas.
J’ai laissé le flot de pèlerins et je marche à nouveau pratiquement seul. J’arrive enfin à Navarette après 39km et un peu plus de 10 heures de marche. Une bonne journée de plus sur le Camino Francés !

L’albergue de Azofra

L’auberge municipale d’Azofra entre Nájera et Santo Domingo de la Calzada est toute récente. Le bâtiment donne d’un côté sur une cour fermée, agrémentée d’une fontaine et de l’autre sur les vignobles de la Rioja. Les 60 lits se répartissent dans des petites chambres de deux. Des machines à laver le linge sont mises à disposition gratuitement. Bref, le grand luxe !
Sur le Camino Francés, les possibilités d’hébergement sont nombreuses. Pratiquement tous les villages disposent d’une auberge municipale ou privée. Il existe également des hôtels qui proposent des solutions pour les pèlerins. Les prix, autour de 7/8€ la nuit, restent très raisonnables bien qu’ils aient augmenté de 2 à 3€ en peu de temps…Pour le moment, je n’ai pas rencontré d’auberge complète. Je m’arrête quand je le souhaite sans me soucier de l’intendance et pour moins de 30€ par jour, j’assure le gîte, le couvert et…la bière.
Toutes les auberges ne sont pas du niveau de celle d’Azofra…Le plus souvent la capacité d’accueil est optimisée avec des alignements de lits superposés. À Los Arcos, nous étions 28, hier à Navarette que 9. De toute façon, après une journée de marche, j’ai tendance à bien dormir malgré la lumière, le bruit, les ronflements, les allers et venues aux toilettes.
Le soir, certains optent pour le restaurant avec des menus pèlerins souvent en dessous de 10€ avec entrée/plat/dessert et vin compris. Je préfère en général cuisiner à l’auberge. La préparation du dîner permet d’échanger. C’est un bon moment de convivialité après la marche solitaire de la journée. À l’auberge d’Azofra, el vino tinto se boit facilement et autour de la table, avec un couple germano-français et un autre américano-mexicain, le repas est agréable.

Dortoir de l'auberge de Los Arcos
Dortoir de l’auberge de Los Arcos

Septembre

Déjà septembre ! Le temps passe vite. Les jours sont beaucoup plus courts. Le matin, avec la fraîcheur, je supporte de me couvrir. Le temps défile. Je n’ai pas vu passer l’été. Les kilomètres me séparant de Saint Jacques diminuent à une vitesse incroyable. Le compte à rebours a débuté. Septembre, je vais arriver ce mois ci dans une vingtaine de jours.
Saint Jacques est un aimant qui a tendance à me faire accélérer le rythme au fur et à mesure que je m’en approche. Il faut que je résiste pour ne pas aligner des journées à 40 km pour profiter. Profiter encore de chacune de ces journées de septembre. Profiter de cette Meseta qui débute. Les vignes de la Rioja sont derrière moi. Je rentre dans la Castille. Les kilomètres défilent, le temps passe vite. Il faut que je profite de septembre…

Les maux

L’auberge de Viloria de Rioja respire l’humanité. Petite auberge de 12 lits, elle est superbement tenue par Acacio et Orietta, un couple brésilo-italien. Une petite musique apaisante nous accueille. Nous ne sommes que trois ce soir. L’ambiance est intime et certains trouvent les mots pour exprimer leurs maux. Le colonel à la retraite ne retient pas ses larmes pour parler de son chemin. Les soirées se suivent avec leurs moments de convivialité et leurs moments forts. Le lendemain, chacun reprend son chemin et ce matin le colonel se sentait plus fort.
Je poursuis le mien jusqu’à Agés. C’est une longue et belle étape de 36 km qui franchit los Montes de Oca à 1150m. L’auberge municipale d’Agés à 25km de Burgos, accueille ce soir 36 pèlerins dans un grand dortoir. Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas.

Burgos

J’ai parcouru près de 400km depuis le col des Moines et mon entrée en Espagne. Je serai bientôt à mi parcours. Burgos est la grande ville sur mon parcours espagnol à la fois pour son importance et la richesse de ses monuments.
La petite étape d’aujourd’hui me permet d’arriver vers midi et de pouvoir consacrer mon après midi au repos et à la visite.
J’avais un vague souvenir d’une ville austère, un peu noire. Je découvre une ville avenante et colorée. La cathédrale est « Le monument » incontournable. J’y passe un bon moment pour découvrir la richesse de son architecture et de ses œuvres.
Je profite aussi de la ville avant de poursuivre dans la Meseta et l’Espagne profonde. Quelques étapes plates m’attendent….

Burgos
Burgos

La Meseta

J’y suis, la Meseta, ce vaste plateau, cette Espagne profonde, ces vastes étendues brûlées par le soleil, ce chemin droit, blanc qui réverbère le soleil. Ça et là, des bottes de pailles ou un arbre ponctuent le paysage…Des pèlerins, minuscules silhouettes dans ce vaste horizon avancent. Le vent souffle et fait bruisser les buissons. Elle est belle ce matin avec un ciel gris qui joue avec la lumière du soleil. Sur ce chemin, la marche prend une dimension différente. La terre, le ciel et le chemin.
Je suis transporté, aspiré par ces paysages, par cette Meseta. Je peux marcher des heures, moi mon bâton et mon ombre. Je passe Hontanas à 31km de Burgos. Peu de pèlerins continuent. Je poursuis, seul, dans ces paysages désolés. 6km plus loin, l’albergue San Anton est niché au milieu des ruines gothiques de l’ancien couvent. Des pans de l’ancienne nef entourent ce petit gîte sommaire sans électricité. C’est l’endroit idéal pour conclure cette journée sur la Meseta.

La Meseta
La Meseta

Musique

Je poursuis sur la Meseta, les kilomètres défilent. La musique m’accompagne parfois sur ces longues étendues et les morceaux s’écoutent autrement.
« Tordu tour du monde
Tout au long
La question
Drôle d’idée de n’avoir en chemin
Qu’un point de chute incertain
Qui es-tu ?
Tournes-tu autour d’un monde étendu ? »
(Tarmac)
Raphaël poursuit :
« Je suis parti d’un bout du monde
J’étais trop grand pour me courber
Parmi les nuages de poussière
Juste au bord de la terre
Et j’ai marché le long des routes »

Zebda continue « Hay que volver, volver, volver » (Il faut revenir)
Et je termine avec Green Day
« Summer has come and past
The innocent can never last
wake me up when september ends »

(Réveille moi quand septembre termine)…
Pour le moment « Le vent m’emportera » (Noir Désir) un peu au delà de Fromista, à Población de Campos…

Soirées jacquaires

Avant hier, au milieu des ruines du Couvent San Anton, nous étions 5 : les deux hospitaliers, un espagnol, un allemand et moi. Après le bénédicité, nous avons dîné à la lueur des bougies. Les hauts murs percés de baies gothiques montent verticaux, ombres dans la nuit. Le ciel étoilé et la lune éclairent les ruines à travers le toit écroulé de la nef. Nous échangeons sur le chemin, nos attentes. Le lendemain matin, les deux hospitaliers nous accompagnent sur les premiers kilomètres et après une forte accolade nous souhaitent le rituel « Buen camino ».
Hier à Población de Campos, un groupe de cyclistes australiens et sud-africains sont hébergés à l’hôtel qui gère l’auberge municipale. Une riche soupe castillane et une délicieuse paella sont au menu « pèlerin ». Le vino tinto coule à flot. Les discussions sont animées, les rires fusent. Sur des notes du « Salve Maria del Rocio », des pas de sevillanas s’exécutent sous les applaudissements et les flashs des appareils photos.
Solitaires, animées, émouvantes, la soirée est le complément de la marche. Dans cette Meseta, l’auberge est un oasis après une longue marche. C’est particulièrement le cas ce soir. De Carrión de los Condés à Calzadilla de la Cueza, le chemin traverse 17km de néant. Rien, le vide, un chemin tout plat, tout droit. À peine quelques granges par ci par là. Le soleil cogne. Rien, et il faut avancer. L’auberge à l’arrivée possède un jardin avec une petite piscine, oasis après la traversée du désert, moment de repos après 31km supplémentaires. Ce soir, le diner sera simple et tranquille dans le jardin. Après les 17km de néant, j’apprécie ce calme.

Je suis sur la bonne route

La nuit

À Calzadilla de la Cueza, je cumule les circonstances défavorables pour passer une bonne nuit. Le dortoir est composé d’une double rangée de lits superposés consciencieusement alignés pour optimiser la capacité. Les derniers à rentrer ont dû arroser le terme des fameux 17km. Quand ils reviennent du bar vers minuit, leurs rires « égayent » le dortoir. Nous avons également la chance d’avoir parmi nous le champion du monde du ronflement en phase d’entraînement. Vers deux heures du matin, tout le dortoir est réveillé. Ça discute dans un coin, ça va et ça vient vers les toilettes. Certains sifflotent mais notre ronfleur, imperturbable poursuit son entraînement. Un peu avant 5h, les adeptes du pèlerinage de nuit commencent la préparation de leur sac. Chacun sait que parmi ces adeptes là, certains sont également champions de lenteur de préparation du sac à dos…
Bref, quand je finis par émerger vers 6h15, le dortoir est déjà aux trois quarts vide. Je m’élance donc pour une heure de marche nocturne…
Depuis hier la Meseta a un charme qui se laisse plus difficilement dévoiler : le chemin longe plus souvent des routes, les successions de plateaux et vallons sont derrière moi ou peut être plus loin devant. Les paysages sont moins sauvages, austères qu’après Burgos. J’avance, j’avance en souhaitant rejoindre rapidement León. J’espère aussi laisser derrière moi le champion du monde du ronflement. Est-il en plus champion de la marche ? Fera-t-il aujourd’hui les 39km jusqu’à El Burgo Ranero ?

León

León est ma dernière grande ville avant Saint Jacques. J’arrive aussi pratiquement au bout de la Meseta. Depuis Burgos, je suis en sur-régime. J’ai parcouru les 178km qui séparent les deux villes en 5 jours soit pratiquement 36km par jour…Certes, c’est plat, mais le moteur commence quand même à chauffer. Ma première ampoule est apparue après 2500km à la sortie de Burgos et le rythme des derniers jours n’a pas favorisé sa guérison…
Je m’installe confortablement dans le centre historique de la ville. Je verrai demain quelle option prendre : journée de repos ou petite étape de récupération.

Programme de réhydratation après la Meseta

8km

« L’étape » de León à La Virgen del Camino fait 8km. Cela me permet de faire la sortie de ville ce dimanche et être ainsi tranquille demain. Mon programme dominical est donc léger : réveil à 8h du matin, petit déjeuner avec le journal, petit café sur une terrasse face à la cathédrale… Je décolle après 11h et arrive au terme de l’étape pour déjeuner.
J’ai profité du samedi soir à León pour m’imprégner de l’atmosphère espagnole. Sur le chemin, l’environnement cosmopolite, les soirées à l’intérieur de l’auberge, le couvre feu à 22h00 déconnectent du pays. J’ai parfois l’impression d’être dans un univers spécifique et non en Espagne.
L’Espagne est bien présente dans le Barrio Húmedo de León. On trouve là une succession de bars et restaurants. La foule déborde sur les trottoirs et les places. Toutes les générations se mélangent, familles avec enfants, personnes âgées endimanchées, jeunes branchés, fêtards de toute sorte. Il est difficile de se sentir dans un pays en crise le samedi soir ici. Cette région a peut être moins cédé à la folie immobilière : quelques constructions abandonnées du côté de Santo Domingo de la Calzada ou à l’entrée de León, des panneaux « Se vende » en nombre dans certains secteurs… C’est à peu près tout. Le sens de la fête en Espagne, lui, ne semble pas touché par la crise.

Lendemain de pause

Après une journée de repos, le démarrage le matin est différent. Les jambes n’ont pas en mémoire les efforts de la veille. Le pied a apprécié la pause et l’ampoule est en train de disparaître. Le pas est donc alerte à la sortie de la Virgen del Camino. Le chemin est plat et longe une nationale à forte circulation. Le paysage commence à changer. Les montagnes que je vais traverser les prochains jours, se devinent au loin. Les vastes étendues grillées par le soleil laissent place à des cultures irriguées. Je commence à revoir des champs de maïs. Les villages semblent plus prospères.
Pablo, un espagnol spécialisé dans la cuisine macrobiotique me donne des prunes japonaises marinées dans une espèce de saumure : cela donne de l’énergie me dit-il… Après 4h30 de marche, j’ai parcouru les 25km jusqu’à Hospital de Órbigo… Je peux poursuivre 5km plus loin jusqu’à Santibañez de Valdeiglesias. Saint Jacques de Compostelle est à moins de 300km…

Sur les pas des pèlerins

À Astorga, la Via de la Plata qui débute à Séville, rejoint le Camino Francés. Hormis le chemin Portugais et le Camino Norte, pratiquement tous les chemins se sont maintenant regroupés et convergent vers Santiago. Combien de pèlerins ont foulé ce chemin depuis le moyen âge ? Sans doute des millions…Depuis que j’ai rejoint le Camino Francés, chaque village, chaque ville porte l’empreinte du pèlerinage.
Sur le chemin, les légendes se propageaient notamment celles liées à Saint Jacques et ses miracles.
J’ai déjà évoqué celle du pendu dépendu qui se serait déroulée à Santo Domingo de la Calzada avant Burgos. Dans la cathédrale, deux poulets vivants sont en permanence enfermés dans une cage. À certains moments, ils se mettent à chanter, curieux cantique à l’intérieur d’un édifice religieux. Ils sont là pour rappeler que lorsque le pèlerin allemand, à son retour de Compostelle s’en fut voir le juge pour lui signifier que son fils pendu était toujours vivant, le juge dit alors :
– Si ton fils est toujours vivant, alors la poule qui est dans mon assiette va se mettre à chanter.
Ce que bien sûr, la poule fit.
D’autres légendes liées à Roland, le neveu de Charlemagne circulent également comme celle du combat l’opposant au géant arabe Ferragut dans les environs de Najera. Au bout de deux jours et deux nuits d’un féroce corps à corps, Roland découvrit que le seul point faible de son adversaire était son nombril. Ferragut fut terrassé et la ville de Najera reprise aux arabes. Cet épisode se retrouve sculpté sur les chapiteaux de nombreuses églises.
Outre les pèlerins, l’ordre de Cluny se chargeait aussi de faire circuler ces légendes et ces miracles. Le développement du pèlerinage servait ses intérêts. Sur cette partie du Camino Francés, l’ordre était particulièrement puissant. Le monastère de Sahagun en était un important relais. Ses ruines, par leur ampleur, rappelle d’ailleurs celles de Cluny. Irache, Nájera, Carrión de los Condes, San Salvador de Astorga, Santa Maria de Villafranca de Bierzo étaient aussi des établissements clunisiens.
À Rabanal del Camino, je suis au pied de la Cruz de Ferro, lieu également mythique du chemin. Demain, je foulerai là les pas de milliers de pèlerins.

Cruz de Ferro

Après Rabanal del Camino, je retrouve une végétation d’altitude. L’odeur des fougères et de la bruyère m’accompagne dans la belle et régulière montée vers la Cruz de Ferro. La vaste Meseta s’étend à l’infini derrière moi.
Depuis des siècles, la Cruz de Ferro est un passage emblématique du chemin. À 1530m, c’est le passage le plus haut sur le Camino Francés. Le pèlerin y déposait et y dépose toujours une pierre de son lieu d’origine. Par ce geste, il se protégeait des dangers du chemin ou selon d’autres versions, il se débarrassait du superflu, de ses péchés ou de ses fardeaux. La pierre devait être en rapport…Les milliers de pèlerins qui sont passés là, ont laissé ce monticule, amas de fardeaux et de péchés au pied de cette simple croix.
Mon caillou est un galet de la Garonne que j’ai ramassé au niveau de Saint Bertrand de Comminges. Le lecteur avisé notera sur la photo la petitesse du caillou.
Passé la Cruz de Ferro, l’Espagne océanique se fait sentir. Ce n’est pas encore la verte Galice mais dès l’amorce de la descente, je suis enveloppé par une brume humide. Les vallées sont plus creusées avec par endroit les ruines d’un hameau abandonné. Des châtaigniers, des pins, un village aux toits d’ardoise, Barre des Cévennes? non Acebo, le premier village que je traverse sur l’autre versant. Je poursuis jusqu’à Ponferrada. Les montagnes qui me séparent de la Galice sont face à moi.

Cruz de Ferro
La Cruz de Ferro

L’auberge de Ponferrada

Ponferrada est une ville moyenne qui ne dispose que d’une seule auberge de 185 places. Je suis dans un dortoir de 48 personnes dans un demi sous-sol, assez éloigné des petites auberges que je recherche habituellement. J’ai parcouru 32km et l’auberge suivante est 15km plus loin. Je préfère donc m’arrêter là.
L’auberge est quasiment complète. Véritable tour de Babel avec des allemands, français, italiens, hongrois, tchèques, espagnols, brésiliens, québécois, espagnols… avec tous les âges, tous les profils présents. Les « jeunes » se regroupent pour un repas communautaire. Un guitariste accompagné se lance dans les standards de la pop américaine. Des groupes discutent dans le jardin. Cela me rappelle certaines soirées quand j’étais plus jeune en Chine ou en Bolivie.
J’ai la surprise de retrouver Mercedes, une pèlerine rencontrée à Conques, il y a deux mois. Pendant que les jeunes dînent ensemble ou chantent, nous partageons à 4 français un cocido fait maison autour d’une table sous la treille. Puis à 22h30, avec le couvre-feu, la musique s’arrête, tout le monde rejoint sa couchette et une parenthèse « vacances un soir d’été » se referme.
La nuit a été assez courte. Quand a la chance de pouvoir partager sa chambre avec 47 camarades, forcément la nuit est animée. Je m’élance alors que le jour n’est pas encore levé. Quand le soleil commence à illuminer le paysage, je suis au milieu de vignes. Le chemin, ombragé par des peupliers, longe des petits ruisseaux ou canaux d’irrigation.
Villafranca del Bierzo est en fête et les géants défilent au son de la gaïta, la cornemuse. La verte et celte Galice est toute proche. Demain, je passe O Cebreiro.

A Galicia

Il fait frais ce matin sur la montée vers O Cebreiro. Je supporte gants et polaire. L’automne commence à se faire sentir. Je grimpe le long de ruisseaux, sous les châtaigniers avant d’atteindre un paysage de landes avant l’arrivée au sommet.
O Cebreiro est ma « dernière difficulté » du parcours. Je n’ai plus qu’à descendre vers Saint Jacques. Entre le Morvan, le Massif Central et les Pyrénées, j’ai cumulé pas mal de dénivelé. Cette ultime ascension n’est pas la plus rude. J’ai encore en mémoire la montée sous la canicule après Argelès Gazost…
Je suis rentré en Galice, la dernière province avant l’Atlantique, une Espagne nouvelle pour moi, une Espagne différente. Dans le bar à O Cebreiro, les discussions se font en galicien. Je vais parcourir pendant quelques jours cette région qui se sent pas mal d’affinités avec la Bretagne.

Mon bâton, mon ombre et moi

Mon bâton, mon ombre et moi, nous formons une bonne équipe.
L’équipe est heureuse de ce nouveau spectacle qu’offre la nature ce matin. Je me suis réveillé exceptionnellement tard (7h30), certainement, inconsciemment pour me permettre de ne pas rater ce moment. Le soleil du matin avec ses couleurs chaudes éclaire les collines de Galice alors que les vallées sont encore sous une mer de nuage. Superbe !

L’équipe est heureuse ce matin, nous ne sommes plus qu’à une centaine de kilomètres de Saint Jacques. Le but est quasiment atteint. Nous allons y arriver !
Mon bâton, mon ombre et moi, cela fait des kilomètres que nous sommes ensemble. Nous sommes une équipe parfaitement complémentaire.
Mon bâton est mon compagnon, mon soutien. Il est toujours là. Il rythme mes pas et m’accompagne particulièrement dans les passages plus difficiles en montée et en descente. Il est solide comme mes racines. Il est le lien avec la terre. Ce petit bout de bois m’accompagne depuis l’Ardèche. C’est un bout de châtaignier qui vient de Payzac, des châtaigniers de mon grand père.
Mon ombre est plus volatile. Parfois elle est là, parfois elle me laisse seul. Depuis Jaca, je vais cap à l’est et elle m’accompagne tous les matins. C’est mon reflet, elle m’interroge. Mais l’après midi, elle n’est plus là.
Et puis il y a moi, qui marche, qui avance. Je me limite aujourd’hui à 27km et m’arrête à Sarria. Ville moyenne, cela va me permettre de passer une soirée de samedi à l’espagnole. En attendant, je m’installe dans une petite auberge toute neuve avec des dortoirs de 4.

La Compostela

La Compostela est un document reconnaissant ta qualité de pèlerin de Saint Jacques. En Espagne, elle a une certaine valeur et peut figurer par exemple dans un curriculum vitae.
Pour l’obtenir, il faut au moins avoir parcouru au moins 100km en marchant ou 200km à bicyclette. Comme preuve de ton pèlerinage, ton crédential doit comporter deux tampons par jour. Ces 100 derniers kilomètres, c’est le « money time » du pèlerin, là où tout se joue…
À partir de Sarria, on entre dans ces fameux 100km. Beaucoup d’espagnols ne commencent que là pour avoir ce fameux document et cette section du chemin connaît son pic de fréquentation. Les auberges, et elles étaient nombreuses à Sarria, étaient hier pratiquement toutes complètes.
Sur le chemin, s’égrène un long chapelet de pèlerins. Pèlerins déversés par des bus et avec minibus de soutien le long du trajet, groupes de jeunes en quête de cette fameuse Compostela, pèlerins qui terminent les étapes en taxi, on voit de tout sur cette partie.
Je me souviens de ces journées seul sur le chemin dans les Ardennes, je me souviens de cette nuit seul, isolé au milieu de la forêt du Morvan…Là, je suis des groupes qui partagent des discussions animées ; les poubelles des aires de pique-nique débordent de détritus, des messages sont taggés sur les routes comme sur le tour de France « Animo vecino vamos a Santiago. Mariano », « Puja Diego ». Je passe devant des auberges pleines de pèlerins pour le café du matin. Les rares églises ouvertes sont, elles, presque vides. Sur cette partie, cela s’apparente plus à du tourisme de masse qu’à une démarche spirituelle.
Cela n’enlève rien à la beauté de cette journée en Galice. Le chemin bordé de murs de pierre traverse des chênaies. Je découvre cette Galice rurale avec ses horreos, les greniers à maïs en pierre, ses petites églises avec clocher mur…Je profite de ces dernières journées. À Hospital da Cruz, je ne suis plus qu’à 79km de Santiago.

Maison galicienne et son horreo
Maison galicienne et son horreo

Le poulpe de Melide

Curieux sujet que ce poulpe de Melide à deux jours de Santiago. Le poulpe de Melide, tous les espagnols ont ce mot à la bouche. Déjà sur le chemin aragonais, il y a un mois, des espagnols me l’ont recommandé. Sur le chemin ce matin, quand je passe devant des espagnols, les discussions tournent autour du « pulpo ». Qu’est ce qui fait marcher les pèlerins espagnols vers Santiago ? Une allégorie du Saint ? Un faiseur de miracles ? Non, la spécialité culinaire de la ville de Melide…
À l’heure espagnole du déjeuner, j’ai parcouru les 28km et peut donc découvrir cette tradition. Avec un espagnol que je suis par intervalle depuis plus de 15 jours, nous nous attablons dans la plus célèbre pulperia de la ville et, arrosé d’une bonne bouteille de vin blanc galicien, je me plie au rituel du poulpe à « la gallega » de Melide. Il est, je dois le dire, excellent, comme le vin d’ailleurs…
Il me reste à reprendre le chemin en évitant les zigzags qui rallongeraient mon chemin, déjà suffisamment long.
Comme hier, le parcours dans la campagne galicienne est superbe : toujours les petites églises à clocher mur, les horreos et à partir de Melide les forêts d’eucalyptus et une architecture qui par ses couleurs et ses formes commence à sentir le Portugal. Je réussis à marcher sur des chemins plus solitaires, je suis devant ceux qui quittent Portomarín le matin et derrière ceux de Palas de Rei. Sur ces petits chemins ombragés, je savoure mon plaisir sur 39km. Ce soir, à Rivadiso, je suis à 40km de Santiago.

Mañana Santiago

Mañana Santiago, demain Saint-Jacques, tomorrow Santiago, nous avons tous ces mots à la bouche, dans toutes les langues. Nos vemos mañana en Santiago. Rendez-vous demain à Saint Jacques.
L’attente est encore plus forte pour ceux partis, comme moi, depuis des mois. Sur le chemin, ce 18 septembre, Dilmart et Francine, partis de Reims, Trudy une hollandaise, un tchèque, un autre hollandais pensent à leur arrivée demain à Santiago.
Des milliers de kilomètres parcourus, plus de 3000km aujourd’hui pour moi et demain Santiago. Ça y est, j’y suis pratiquement. Saint Jacques de Compostelle s’étend à mes pieds, à 5km en dessous de Monte Gozo. J’aperçois les toits et les lumières de la ville. Mañana Santiago !

Santiago

Ce matin, en me levant, je sais que cette journée sera particulière. Sans hâte et comme je le fais depuis des mois, je me prépare, je quitte Monte de Gozo et pars pour mes derniers kilomètres.
Un matin début mai, j’ai quitté l’Allemagne à pied. L’automne arrive et je n’ai plus que 5 kilomètres à parcourir. 5 kilomètres pour repenser aux 3000km effectués du mois de mai en Belgique à la marche sous la canicule en Aragon, pour me souvenir de la générosité des personnes rencontrées, des familles d’accueil en Belgique et dans le nord de la France, pour me rappeler le sourire de la nonne au petit matin à Vézelay, pour revivre le miracle permanent de la nature sur le plateau ardéchois ou dans la traversée des Pyrénées, dans la vallée de la Meuse ou sur la Meseta, pour souffrir dans les rudes montées sous la chaleur, pour revivre le plaisir de la marche solitaire, pour partager ces soirées autour d’une bière ou d’une bouteille de vin…
Les premiers rayons du soleil éclairent les tours de la cathédrale. Je la vois, elle est devant moi. Quelques centaines de mètres et j’atteins la place do Obradoiro. Je lève les bras au ciel, l’émotion est forte, j’y suis ! Accolades, embrassades avec les pèlerins qui arrivent.
Dans la cathédrale, je me recueille. Je me recueille pour mes proches, ma famille, mes amis, je me recueille pour ceux qui m’ont aidé et accueilli sur mon chemin, je me recueille pour ceux que j’ai croisé et qui m’ont demandé de prier pour eux, je me recueille avec l’intention de prière que je porte depuis le Puy, qu’un anonyme cévenol avait déposé pour Agnès.
Et finalement comme un bouchon de champagne qui explose, la fiesta, la alegria est là. Je retrouve mes amis hollandais, Polly et Marc. Sur les bords de l’Atlantique, dans un paysage idyllique nous déjeunons. Puis sur une terrasse de café à Santiago, nous revivons les moments forts de mois de marche. Puis, je retrouve des andalous avec qui j’ai marché ces derniers jours et nous buvons au chemin. Puis, nous marchons dans les rues de Santiago avec des groupes qui jouent des morceaux traditionnels de musique gallega. La musique est là, les visages rayonnnent. Fiesta y alegria. Puis nous rebuvons de cet alcool galicien fort et parfumé dans des bars de la vieille ville. Nous sommes à Santiago. Lo hemos hecho, nous l’avons fait ! Je suis parti, il y a 4 mois. J’ai parcouru 3000km. Je l’ai fait. Fiesta y alegria. Je suis à Santiago. .

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